LA
FRANC-MACONNERIE
HISTOIRE AVTHENTIQIIE DES SOCIETES SECRETES
Depuis les temps les plus iecules jusqu’a nos jours
LEUR ROLE POLITIQUE, RELIGIEUX & SOCIAL
PAR
UH ANCIEN ROSE-CROIX
(Auteur des Rivdlations d’un Rose- Croix et des Ev6nements d&voil&s)
EDITION, REVUE ET AUGMENTS
Mysteres d'Egypte — d’Eleusis — Brahmanes — Gymnoso-
phistes — Druidisme — Magisme — Chald&isme — Mysteres
de Mithra — Ordre des Assassins — Templiers — Corporations
de constructeurs romains — Freres tnagons du moyen dge —
Franc-Magonnerie moderne — Diff brents rites magonniques —
Illumines — Carbonari — Tugendbund — Amis du. people, etc*
— Jeune Italie — Marianne — I nter nationau x — Fenians —
Nihilistes, etc. — iJfoMes secrets de la politique europ§enne
sous les rbgnes de Louis- Philippe et de Napol&on III .
PARIS
BLOUD et BARRAL, Libraiues-Editeuhs
4, ROB DE ;>iADAME, ET RUE DE RENNES, DO
http: //www. liberius .net
© Bibliotheque Saint Libere 2007.
Toute reproduction a but non lucratif est autorisee.
FRANC-MACONNERIE
POUR SERVIR DE PREFACE
A. CETTE NOUVELLE EDITION
A M. X., ancien ROSE-CROIX :
Paris, le i er Octolre 1885 .
Mon cher ami ,
Je vous dcrivis, ily a quelques mois dijd, pour vous
dire qae votre histoire des Soci6t6s secretes me sem-
blait un peu icourUe.
Vous futes de mon avis.
Void ce que vous ajoutiez, en terminant votre
lettre :
a La politique europ&enne, sous le rbgne de Napo-
« Won III, est une espbce d’&nigwe indichiffrable
« pour qui n’en connaxt pas les mobiles secrets. Or,
« pour connaitre ces mobiles, il faut savoir tout
« d'abord quels ont iU , depuis un demi-sidcle, les
« agissements de la magonnerie.
« Mon histoire des Societ4s secretes est, je vous
« I’avoue en toute humiliW, incomplete sous ce rap-
« port, mais il est facile de la computer.
« Je vous envoie done , suivant le disir que vous
— VI —
« m’en exprimez, une sdrie denotes que vous pourrez
« ajouter au volume paru , pour la deuxi&me Edition
« que ton prepare en ce moment.
« Soyez assez aimable pour les mettre en ordre et
« leur donner une tournure qui en rende la lecture
« supportable. »
J’ai fait, mon cher ami, ce que vous ddsiriez.
Je vous adresse unpaquet d'ipreuves. V euillez les
lire attcntivement et me dire si j’ai dtd Vinlerprdte
fiddle de vos pensdes. En attendant, je vous prie,
cher maitre , de croire & tous mes sentiments de
vieille affection.
BERTRAND,
Ancien imprimeur-tditeur.
M. X., ancien ROSE-GROIX, & M. I. Bertrand :
Briangon f le i5 octobre .
Mon vieil ami,
Mes compliments et mes remerciements les plus
sincdres. Vous m’avez compris, et vous avez donni
d mes notes une forme irrdprochable.
Vous avez laissd de cdtd toute phrasiologie, pour
raconter simplement les faits. Trds bien ! L'histoire
ne doit pas ressembler d un plaidoyer , ce plaidoyer
fut-il Eloquent.
Je connais certaines gens qui ne trouveront pas ce
Chapitre de leur gout :
Rdpublicains, bonapartistes et admirateurs de la
monarchic de Juillet nous voueront Vun et Yautre
aux dieux infemaux, moi, parce que je vous at dit :
« Voild la vdritd », et vous, parce que vous vous ites
fait mon collaborateur, avec Vid&e Men arritte de
ne flatter personae.
Si les interesses se f&chent et menacent de nous
lapider, vous ferez Men de gagner le large, d moins
que vous n’ambitionniez le genre de martyre qui
valut A saint Etienne la possession du del.
Quant d moi, j'echapperai d cette gloire, grdce d
/’incognito que vous m'avez vous-mSme conseilU de
garder.
i/incognito est chose fort commode, utile quelque-
fois, mais en giniral peu lucrative.
Si j’dcrivais mon nom au has de ces confidences,
je courrais le meme danger que vous, et peut-etre,
— qui sait ! — un danger plus sirieux.
Voild qui est fori bien !
Mais en restant derriere les coulisses, je renonce
A Yhonneur d'etre garde champ itre de mon village,
le jour ou les adversaires de la Magonnerie arrive-
ront au pouvoir.
II y aurait la de quoi rendre perplexes certains
ambitieux que vous connaissez ; car ils ne veulent ni
conquirir les palmes du martyre, ni renoncer A
Yhonneur de porter une plaque de cuivre sur la
— VIII —
poitrine et, sur la Ute, un kdpi vert galonnd de jaune.
Pour nous, ne songeons qu'a faire notre devoir.
Bcrivons Vhistoire comme d’honndtes gens doivent
Vdcrire, sans autre souci que celui de dire la vdritd.
Je vous envoie ces quelques lignes des montagnes
du Briangonnais.
J... m’en faisait, Vannde dernikre, une description
tellement sdduisante, que fai voulu les voir. Je les
ai vues.
C'est beau. Je crois cependant que notre ami exa-
gdrait les choses.
Maintenant que la neige vient , & son tour, visiter
ces hauteurs, je n’ai rien de mieux a faire qu'a me
rdfugier dans les valldes.
Tout vd ire...
X., ancien ROSE-CROIX.
PREMIERE PARTIE
ORIGIN ES FANTA1S1STES BE LA FRANOMAQONNERIE
CHAPITRE PREMIER
Fiat lux.
Sommaire. — Periode prekistorique. — Diverses opinions des pryhisto-
riens sur le fondatem* Je l'Ordre et l'ypoque oti il parut. — Le
F.\ Mazaroz. — Singularity de ses theories magonniques. — Ce
que cet ycrivain bizarre entend par Adam et Eve. — Son opinion
sur la chute de nos premiers parents. — Idee qu‘il se fait de
Dieu. — Les Brahmaues corrompent la verity de la doctrine magon-
nique, apr£s en avoir yte constituys les gardiens. — L’opinion du
Fa Mazaroz, si nous la eomprenons bien, est celle de bon nombre
de Macons. — Impossibility oil ils sont de s’entendre entre eux.
A quelle epoque remonte la Franc-Maconnerie ?
Tous les liistoriens de l’Ordre se sont pose cette ques-
tion sans pouvoir la resoudre.
On peut done affirmer que le secret maconnique, ce
formidable secret dont tout le monde parle et apres la
revelation duquel soupirent vainement les quatre-vingt-
dix-neuf centiemes des inities, ne port? pas sur la fixa-
tion de ce point d’histoire.
Ouvrages consultes : Mazaroz, La Franc-Magonnerie , religion
sociale du principe rcpitblicaiti 1 v. in-S°. — Ragon, Orthodoxie ma -
gonnique , 1 v. in>8<\ — Em. Rebold v Hisloi*'* des trois grandes loges ,
1 v. in-8°. — Rouble, Misraim ou les France -Magons. — Pigault
Maubaillarg. De Vorigine et de Vetablissement dc la Magonncrie en
France. — Le Guide des Francs- Mag ons, ouvrage publte en Am^rique
et traduit de 1’anglais par Ragon. — Barruel, Mtmoires pour servtr
a Vhistoire du Jacobinisme. — Grades des Maltres Ecossais* — Pau-
thier, Les livres sacHs de I'Orient,
F,\ Ma
2
ORIGINES PANTAISISTES DE LA F.\ M.\
Quelques auteurs ont soutenu } s’inspirant peut-Stre de
Milton, que la Macon nerie est anterieure a la creation de
l’homme. Suivant eux, les anges rebelles en seraient les
fondateurs. On peut supposer, sans etre temcraire. que
Satan presida la Loge et rcyut, a ce title , lo serment
des adeptes.
La date do la premiere initiation et la pariie del’em-
pyrec ou fut etabli le Grand Orient dela sectc diabolique
no sont pas indiquees par les historiens dont je parlo.
A ceux qui leur reproclieraient d’avoir neglige cc detail,
d’ailleurs peu important, ils repondraient sans doute que
ce grand evenement remonte aux Ages prehistoriques,
alors que l’etude de la geographic etait encore negligee
et l’ecriture inconnue.
Quelques-uns, plus meticuleux A l’endroit de l’ortho-
doxie, soutiennent que saint. Mielvl fut le premier Grand
Maltre de VOrdro. Mais une difficulty a peu pres insoluble
se presente h l'cnc-ontre do ectto o])inion, difficulty grave
quo jo lais.se a d’autres lo soin dc rcsoudro. Etant donnees
les censures dont l’Eglisc a frappo les societes secretes,
le chef de la hierarchic celeste ligurerait, depuis un siecle
et plus, sur la liste des excommunies, ce qui parait
invrnisemblablo.
Un certain nombre de Masons se contentent de placer
le bcrccau de l’Ordre au Paradis terrestre. Adam aurait
etc le premier initie de la premiere Loge. Initio par qui ?
Encore un probleme a dechiflrcr.
11 en est enfm qui soutieiment que les enfanls de Seth
doivent etre consideres comme les fondateurs de l’Art
Royal.
« Dc pareillos extravagances, dit le F.\ Rebold, de-
« passent les bornes du bon sens, et sont bien failes pour
« don nor mix profanes unc triste idee des eonuaissances
« historiques des Francs-Mayons. »
CHAP. I". — FIAT LUX. g
Le F.\ Mazaroz, sans se soucier de ce jugement d’un
homme qui n’est pas sans valeur, a ecrit tout un volume,
un volume iu-8° s’il vous plait, pour demontrer quo la
FTanc-Maconneriea une origine adamique.S’appuyant sur
des autorites qu’il n’indique pas, ce savant ecrivain place
le Paradis terrestre dans Pile de Ceylan, et il montre a sa
maniei’e comment « l’humanite d’aloi's » a perdu le bon-
heur qu’eile possedait par « l’adoption du regne de l’indi-
« vidualisme, figure au moyen de la pomme d’or arrachee
« de l’arbre des societes par Adam et Eve symbolisant
« l’liumanite. »
La catastrophe eut pour cause l’exces des richesses,
car les * populations s’ctaicnt cree d’importantes dpar-
gnes. » Ga « commenca par le haut comme toujours. >
« Les pommes d’or du jardin des Esperides (s?c) et la
« pomme d’or de l'arbre de science du bien et du mal
< representeut un soul et meme symbole qui est celui de
« la perte du Paradis terrestre, ravi a l'humanite par les
« sectes sacerdotales, qui ont reussi a etablir la division
t des inturets cntre les homines, grace a la femme qu’ils
« avilirent par le desordre des mceurs. »
« Yoici, continue le F.‘. Mazaroz, Implication de ce
* symbole sublime dans sou esprit et dans sa verite. »
Lisons attentivement :
« Eve, symbole de la partie feminine de l’humanite,
* sollicitee par le serpent de l’individualisme represente
* par les sectes sacerdotales, entraine Fhumanitd mas-
» online representee par Adam a derober h la society
* collective representee par l’arbre de la science du bien
« et du mal, la pomme d’or du pouvoir individuel; — le
« pouvoir individuel gratifie 1’humanite de la jouissance
* fibre et desordonnee des biens mateviels et lui ote par
4 0RIG1NES FANTA1SISTES DE LA F.\ M.\
« consequent et tout k la fois, la jouissance de ses droits
« et l’obligation de ses devoirs.
« Honteuse apres son crime, l’humanite representee
* par Adam et Eve cherche a cacher individuellement a
« son prochain, ses pensees, ses intentions et ses actes ;
« — et pourtant, lorsquc l’humanite vivait heureuse sous
« le regne des collectivites, chacune de ses pensees ou
« intentions individuelles etait avouee au grand jour,
« parce qu’alors elles etaient pures, grace a la mu-
« tualite. »
Le F.\ Mazaroz poursuit :
« Cette explication du symbole de la perte du Paradis
« terrestre nous demontre lumineusement quo :
« La probite no pourra revcnir rcgncr gendralement sur
« la terre qu’ apres la suppression complete du systemo
« social appele individual isme. »
L’auteur appclle cela uno demonstration lumineuse !
Eh bien, qu'il me permetto do lui dire cn passant (pie si
la lumiere maconniquo ne brille pas d’un plus vif eclat
quo 1’explication de son symbole, le moiule ne sortira pas
de sitot dcs tenebros qui l’environnent, a moins qu’un
flambeau absolumont profane ne vienne les dissiper.
Ailleurs, le F.\ Mazaroz nous dit encore :
* La religion scientifique et patriarcale des dpoques
* bienheureuses, appelee par tous les historiens celle
« du Paradis terrestre, etait comme toute chose composde
« dc deux principes : PiinE et Fils :
« 1° Le Grand Architecte de 1’ Uni vers qui est le feu ct
« l’eau;
« 2“ Sa branche humanitaire composant chacune des
« families eternclles, depuis la branche vegetale et son
« fruit, jusqu’au pere snirituel de ehacun de nous qui est
CHAP. I er . — FIAT LUX. 5
» la partie superieure de notre esprit, c’est-a-dire notre
c branche, puis son fils qui est l’homme.
« Cette deuxieme partie de la religion du Paradis ter-
t restre a ete appelee le culte de Brahma (ma branche) ;
« — ce dernier culte a pu etre corrompu par les sectes
« sacerdotales brahmaniques en meme temps que le
« premier.
« Les premieres sectes brahmaniques paraissent avoir
« mis plusieurs siecles 4 effacer l’instruction profession-
« nolle, puis a corrompre chacun des elements scienti-
« liquos du culte du Grand Architecte de l’Univers,
« afin de reporter exclusivement sur la Trimourti Ve-
* dique chacune des croyauces populaires. »
Comprenne qui pourra. Pour moi, j’avoue en toule
humilite, quelque familiarise que je sois avec le style
maconnique, qu’il m’est impossible do me retrouver dans
ce fouillis inextricable de branches et de families, qui
sont spirituelles et vegetales, et de peres qui composent
notre partie superieure, laquelle est aussi notre branche
et notre fils, par-dessus le marche.
Quoi qu’il en soit de ce galimatias, si tant est qu’un
pareil assemblage de mots, qui hurlent de se trouver
ensemble, signifie quelque chose, voici de quelle maniere
le F. - . Mazaroz explique 1’origine paradisiaque de la
Franc-Mai;onnerie :
« Le culte corrompu de Brahma ayant fini par servir
« de point d’appui aux sectes sacerdotales pour ravir peu
* 4 peu les libertes collectives des populations semitiques
t du Paradis terrestre, un groupe d’hommes honnetes
« et intelligents creerent une ecole sociale pour l’etude et
t le culte du Grand Architecte de l’Univers, afin d’eclai-
« rer ses Macons travaillant eternellement 4 son plan qui
* est la Nature.
« Cette sublime ecole sociale dont nous possedons
6
ORIGINES FANTAISISTES DE LA'F.*. M.\
« encore les symboles apres les milliers d’annees
• d’£prcuves qu’elle a traversees, s’appelle aujourd’hui
« la Fran c-M aeon nerie . »
L’excellent P.*. Mazaroz ne s’arrete pas a faire la preuve
de sos affirmations. Do minimis non curat preetorl ce qui
vent dire, ou a pen pres : L’affirmation d’un grand homme
suflit pour etablir la verite, alors surtout qu’il est Macon.
L’auteur sc plaint avec amertume des corruptions de
toute sorfe quo la cabale brahmatiique et Ic sebisme de
Jtida introduisirent dans renseignement du culte pri-
mitif, rendu jiar les hommes au Grand Architecte de
rUnivers. II s’irrite surtout en voyant de quels noms
varies ons’est plu a baptiser le Dicu universel. Les seetes
sacerdotales lui ont enleve, dit-il, le titre de Grand
Architecte do I’CJnivers, que la Maconnerie primitive a
eu 1’iusigno honneur do lui restituor.
Jo nc suivrai pas le F.* Mazaroz dans ses divagations
maconnico-philosophiques.
Cette etude ou tout se niele, se confond, sans ordre,
sans inethode, ou le passe etle px - esent, la fable etl'liis-
toire dansent une sarabande insensee ; ou les notions les
plus clemontaires de la science sont outrageusement me
connues; ou 1’auteur fait apparaitre le F.\ Moi'se etle
F.\ Jesus a cote de Saturne et de Vichnou. n’entre pas
dans Ic sujet que je traite et ne peut interesser mes lec-
teurs en aucune far on.
Je n’ai cite le F.\ Mazaroz, dont le livre ajoutcra fort
peu de chose a l’eclat de la lumiere maconnique, que
parce qu’il reproduit l’opinion si vertement qualifiee par
le F.\ Heboid sur l’origine de l’Ordre.
D’aillcurs, les Macons assument , dans une certaine
mesure, la responsabilite de ces reveries parfois inintel-
ligibles. Non soulement le Grand Orient n’a pas condamne
l’ouvrage, mais il en a de plus autorise la vente dans les
locaux. maconniques.
CHAP. I« r . — FIAT LUX. 7
Ajoutons que l’auteur n’est pas le premier venu. Ses
grades et les fonctions qu’il exerce dans les ateliers de
l’Ordre donnent aux insanites de son livre un relief tout
particulier.
L’opinion des visionnaires qui font remonter la Ma<jon-
nerie au Paradis terrestre semble avoir ete eelle du rite
Ecossais, ft en juger par le discours que l’on avait cou-
tume d’adresser aux Chevaliers du Soleil le jour de leur
initiation.
Le Venerable prenait le nom caracteristique d 'Adam,
et l’introducteur celui de F.*. Verite.
V oici quelques-unes des paroles que ce dernier faisait
entendre au recipieudaire :
« Apprenez d’abord que les trois premiers ineubles que
« vous avez eonnus , tels que la Bible, le compas et
i l’equene, ont un sens cache que vous ne connaissez
* pas. Par la Bible il vous est re vole que vous ne devez
« avoir d’autre loi quo celie d’Adam, cclle que l’Etex'nei
« avait gravee dans son cueur...
< Le premier aye du monde a ete temoin de ce que
« j'avance. La plus simple loi de la nature rendit nos
« premiers peres les mortels les plus heureux ; le monstre
« d’orgueil parait sur la terre ; il crie, il se fait entendre
« aux homines et aux heureux du temps ; il leur promet
« la beatitude, il leur fait sentir par des paroles emmiel-
« lees, qu’il fallait rendre & l’Eternel, cr6ateur de toutes
« ehoses, un culte plus marque et plus etendu que celui
* qu’on avait pratique jusqu’alors sur .la terre... (1) »
Mais la Ma^onnerie s’organisa , grace au groupe
d’hommes lionnetes et intelligents dont parle avec euthou-
siasme le F.\ Mazaroz, et la verity fut sauvee.
Cette opinion, quelque bizarre qu’elle paraisse, est pro*
(1) Grades des Malires Ecossais, grade de Chevalier de VEtoile,
n* 11, Stockholm, 11 61 .
8
ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.‘. M.\
fessee par des icrivains magonniques plus autorises que
le F.\ Mazaroz. Voici, en effet, ce que nous lisons dans
un ouvrage qui fit quelque bruit aux Etats-Unis, en
Angleterre et en Allemagne, de 1816 a 1830, et que le
F.\ Ragon a juge a propos de traduire pour 1’instruction
de la Magonncrie frangaise :
« Des le commencement du monde, on apercoit les bases
« de la Maconneric. Du moment (pie la symetric parut,
« l’harmonie deploya sos charmes, et notre Ordrc regut
i l’existence. Pendant des siecles il prospera dans liombre
« de contrees. Aussitot qu’il fut connu, les arts s'ele-
« verent, la civilisation prit sa place, les connaissances
« et la philosophie dissiperent par degres les tenebres de
« l’ignorancc et de la barbarie. Le gouvernement ctant
* ctabli, l’autoritc* fut confide aux lois, et les assemblies
« de la fraternite devinrent 1’appui de ce qui etait beau
« et bien, pendant quo la doctrine de Fart etait gardee a
« l’abri des regards vulgaires (1). »
La Franc-Magonnerie s’est-elle d’abord etablie dans
l’lndo-Cliine et k Perse, comme somblent l’aflirmer les
historiens dont le F.*. Mazaroz s’est fait l’eclio, ou a-t-elle
pris naissance en Egypte, pour passer de la dans l’ex-
treme Orient, en Grice, dans les Gaules ct, en dernier
lieu, en Italic?
Ceux qui placent le Paradis terrestro dans l’ile de
Ceylan affirment que les Indes furent iniliees avant le
restc du monde. Ceux, au contraire, qui font naitre le
premier liomme sur les bords de l’Euphralc soutiennent
avec raison que la lumiere magonnique brilla tout d’abord
en Egypte.
Enfin, parmi les auteurs qui donnent a leur Ordre des
origines fantastiques, il en est quelques-uns, plus mo-
(1) Lo Guide des Francs- Macons.
CHAP. l' r . — FIAT LUX.
9
destes ou moins oses, qui font remonter ia constitution
de la premiere Loge & la tour de Babel.
Ces derniers pourraient apporter a l’appui de leur
these la confusion qui n’a cesse de regnerjusqu’a present
dans la Maconnerie.
CHAPITRE II
Les initiations maconniques en Egypte.
Sommairb. — Les premieres initiations eurent-elles lieu immediate-
xncnt apres la confusion des langues ? — Impossibility de concilier
les diverges affirmations des ecrivains maconniques sur ce point. —
Les initiations en Egypte. — Elies sent le lait tie la caste saeer-
dotale. — Le premier grade. — Epreuves auxquelles on soumettait
le neophyte. — Deuxieme grade. — Epreuves ct ceremonial. — Troi-
sietuo , quatv i erne grades . — Instruction scieutilique que Ton
exigeait du candidat. — I’ouvnirs dout les initios etaient iuvestis,
a pres la quatrieme initiation. — Caraclere purticulier du cinquieme
grade. — Genre deludes auquel le candidat devait se livrer. —
Sixi^me grade. — Ce que Ion revelait h I'initio. — II dewiit.Voecuper
tout specialcment d'astrunomio. — Septieme ct dernier grade. — En
quoi ilconsistait. — Ceremonies publiques qui suivaient rinitiation. —
lnsignes quo Ton domiait ft. I'initie. — Mot de passe et signe de
reconnaissance. — Hanquets. — Initios adinis dans la caste sacer-
dotale. — Los derniGres epreuves suppriinees pour eux. — Lours
etudes etaient plus serialises que celles des autres adeptes. — Les
my st ij res d'Egypte remontent-ils nu j>cti t-iiis de Noe, connu sous
le nom de Mizraim ? — liibliothfcque des pretres egyptiens. — Instru-
ments astronomiques qu’ils poss^daient. — Leurs cabinets d'histoire
naturelle et de botanique. — Musee des arts utiles. — Jardins d‘ac-
climatation. — Savants de 1‘antiquity qui sout alios s’instruire en
Egypte. — Mode de reception adopte pour les aspirants qui u'etaient
pas d'origine egyptieune. — Epreuves eilvay antes auxquelles on les
soumettait. — V6rit6s religieuses qui lour etaient reveres.
Les auteurs maconniques sont tres sobres de details,
et pour cause, sur les fails etgestes do l’Ord re, pendant
la periode qui s'ecoula entre la creation de l’liomme et le
Ouvrages consults : Apulee, De Mctam . Iiv. II. — Ciceron,
De Leyibits . — Clement d'Alexandiue, Admonit . ad Gentes, — Id.,
CHAP. II. — INITIATIONS M.\ EN EGYPTE. H
deluge universel. Ils se bornent a dire que l’Art Royal
fut sauve de l’oubli par les enfants de Noe et par Nod
lui-rndme.
11s devraient ajouter que les adeptes firentpeu de bruit,
l’histoire du moins parait confirmer cette opinion, jus-
qu’au moment ou Ton constraint la Tour de Babel.
Forts du silence des auteurs anciens et de l’absence
absolue de tout document, les ecrivains de la Ma$on-
nerie qui se piquent de serieux pretendent que l’Ordre
fut organise dans les plaines de Sennaar par les construc-
teurs du celebre edifice.
Cette organisation preceda-t-elle ou suivit-elle la con-
fusion des langues ?
Question ardue que les savants annalistes dont je parle
n’ont pas ose trancher. Ils se contentent de nous dire,
apres beaucoup d’autres, que la race de Cham se repandit
vers le midi et ne tarda pas a peupler l’Egypte, tandis
que les enfants de Sem et de Japhet prenaient possession,
les uns de l’Asie, depuis les ri-ves de l’Enphrate jusqu’4
l’Ocean Indien , et les autres des riches contrees qui
forment aujourd’hui l’Europe.
Ces trois grandes families possedaient chacune un.
certain nombre d’inities. C’est ainsi que la lumiere ma-
Strom. — Eusebe de Cesarke, Prdparat. Evang. — Origene, Cont .
Cels. — Jamblique, Vie de Pythagore. — Be Mysteriis JEgyptiorum .
— Plltarqub, Isis et Osiris. — Tertullien, Be Baplismo, etc. —
Dioooul de Sicile, Orphcvus . Be Judiciis sEgyptiorum. Be JEgyptiis
Icgttm latoribus. — Herodote, Ilist. JEthiop. — Lucien, Be Sal-
tations. — Lucas, Voyage en Egypte. — Porphyre, Be abstinentia .
— Synesius, Be Procidentia. — Ilistoire des dieux. — Crata Rapoa.
— Pernetty, Les fables dgyptiennes et grecques, devoilces, etc. —
Victor Idjif.z, La Trinitd dgyptienne expliqude par le maynetisme. —
d’Arigny, V Egypte ancienne. — Regheluni de Schio, La Maqon-
nerie considdrde cont me le result at des religions dgyptienne, juice et
chretiennc . — Caillot, Annalcs maconniques. — Rebolu, Origine
de la Frcmc-Ma$onneric ancienne et moderne. — Guillemaix de
Saint- Vic tor, Recueil prdcieux de la Maeotmerie adonhiramite. —
Histoire critique des mysteres de Vantiquite. — Origine de laMacon-
nerie adonhiramite .
12 ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.\
Connique put se repandre simultanement dans toutes les
parties du monde habite. Cette affirmation n’est, il est
vrai, ap payee d’aucune preuve, mais cela importe peu,
attendu que les ecrivains de l’Ordre ont coutume de pro-
ceder ainsi, a la satisfaction des adeptes, qui se sont
habitues a les croire sur parole.
II m’est impossible de concilier ce systeme avee celui
dela Matjonnorie paradisiaque.
Pour juslifier leur theorie des sectes brahmaniques
corrompant La pure doctrine dont lo premier homme etait
en possession, le F.\ Mazuroz ct consorts sont obliges de
supprimer le deluge. Mais s’il n’y a pas eu de deluge, les
ecrivains qui font remonter l’organisation de la Franc*
Maconncrie i\. la Tour de Babel confondent sottement la
fable avec 1’histoire.
Je laisse a cos auteurs, aussi inventifs quo peu meti-
culous en matiero de critique, le soin do donner a leurs
assertions contradictoires tine vraisemblance qu’elles
n’ont pas, et je passe aux initiations maqonniques de
l’antiquite.
Mes lecteurs pourront constater, au fur et a mesure,
que la Maconncrie egyptienno dillbrait de cello de lTiulo-
Chine, comme celle-ci diflerait ello-meme des Mysteres
d'Eleusis et des initiations druidiques.
Cela prouve tout au moins que la Maconneric post-
diluvienne a quelque peu souffert de la confusion des
langues.
Selon toute probability, Mizraim, fils de Cham et petit-
fils do Noe, fut le premier qui s’etablit en Egypte. On
sait que Memphis porta son nom, ce qui ferait supposer
qu’il fonda lui-meme cette ville (1).
L’histoire ne nous dit pas a quelle date il convient de
fixer l’origine de la Society mysterieuse dont les Francs-
(1) Plusieurs historiens afdrment que Cham vivait encore k l^poque
ofi fut construite la Tour de Babel et qu'il prit lui-meme possession de
TEgypte, apres la confusion des langues.
CHAP. II. — INITIATIONS M.'. EN EGVPTE. lg
Masons croient etre les heritiers et les continuateurs.
Quoi qu’il en soit, je vais parler avec quelques details
des initiations egyptiaques, d’apres les auteurs anciens
et modernes les plus estimes, afin que l’on puisse sans
tr op d’efforts les mettre en parallele avec les rites nia-
Conniques.
Je ferai remarquer tout d’abord qu’en Egypte, comme
en Gr6ce, comme en Indo-Chine et ailleurs, ce sont les
prfitres qui ont conserve le depot de la verite, d’apres
les aveux des ecrivains de l’Ordre. Pourquoi, d’autre
part, ces memes Ecrivains accusent-ils les sectes sacerdo-
tales d’avoir corrompu la purete de la doctrine pri-
mitive?
Mystere et contradiction.
Celui qui voulait 6tre initie devait se presenter sous le
patronage d’un adepte. Le roi le recommandait aux
pretres, qui l’envoyaient a Memphis et de Memphis &
Thebes (1).
On commencait par le soumettre a la circoncision. De
plus, le vin et les aliments trop substantiels lui etaient
interdits.
A cette abstinence venait s’ajouter une solitude com-
plete. On l’enfermait dans un souterrain, et on l’y laissait
livre a lui-meme. II pouvait ecrire ses reflexions. On
l’engageait mSme a le faire, afin de mieux juger du degre
de son intelligence et des tendances de son esprit.
Lorsqu’arrivait pour lui le moment de quitter sa re-
traite, on le conduisait dans une vaste galerie entouree
de colonnes, sur lesquelles etaient ecrites de nombreuses
sentences, qu’il devait apprendre par cceur.
(1) Le gouvernement de l’ancienne Egypte elait th^ocratique, et le
roi, une sorte de chef militaire. Eleve par les pretres, et nonmie par
eux, le souverain ne pouvait se soustraire k leur autorite.
14 OniGINES FANTAISISTES DE LA F.'. M.*.
L’introducteur aux Mysteres le faisait ensuite ponetrer
dans une grotte. La on lui raettait un bandeau sur les
yeux et on lui attachait les mains derriere le dos. Cette
operation terminee, le meme dignitaire le pr£sentait & la
Porte des homines et invitait le Pastophore ou apprenti
a annoncer le recipiendaire.
On adressait alors au postulant un certain nombre de
questions. S’il y repondait d’uno maniore satisfoisante,
on I’introduisait. Mais, avant d’aller plus loin, il avait a
subir un nouvel examen. Cette formalite remplie, on le
faisait circular dans la partie de 1’edifice que l’on nommait
la Jtirantha.
Des eclairs brillaient tout a coup au milieu des tenebres,
le tonnerre grondait avec des Eclats formidables. II fallait
quo le recipiendaire subit cette epreuve sans trembler.
Ce n’etait qu’apres avoir donne des preuves irrecu sables
de courage et de sang-froid, qu’il pouvait prendre connais-
sance des constitutions de la Societe, a laquelle il jurait
une fidelite inviolable.
Des qu’il avait prOtu serment, l’introductcur le con-
duisait devant riiierophanlc. Arrive la, il s’agenouillait,
pendant qu’un adepte lui mettait la pointcd’une epee sur
la gorge. — Au serment de fidelity, il devait ajouter celui
de discretion.
Cela fait, on Jo dSbarrassait de son bandeau et on le
plagait entre deux pilasfres, a cote d’uno echelle a sent
echelons et d’un meuble allegorique compose de huit
portes de grandeurs diflerentes.
Puis l’hicrophanto prenait la parole et lui adressait
le discours suivant :
« Puisque vous avez obtenu le droit de m’entendre,
« ecoutez atteniivement ce que j’ai a vous dire : Les
« portes de cetle enceinte sont interdites aux profanes;
« mais vous, enfant des travaux et des recherches ce-
« lestes, pretez l’oreille a ma voix; elle va vous enseigner
CHAP. II. — INITIATIONS M.\ EN fiGYPTE. 15
« de grandes verites. Soyez en garde contre les prejugSs
« et les passions qui pourraient vous eloigner du chemin
* de la felicite ; fixez vos pensees sur l’Etre par excel-
« lence ; ayez-le toujours devant les yeux, afln de mieux
« gouverner votre coeur et vos sens. Si vous voulez
« arriver au bonheur, n’oubliez pas que vous etes tou-
« jours en presence de celui qui gouverne l’univers. Get
« Etre unique a produit toutes clioses. II existe par
* lui-meme. Aucun mortel ne peut le voir, et rien ne
* saurait echapper au regard de sa providence (1). »
On faisait ensuite passer le nouvel initie sur les degres
de l’echelle, et on lui en indiquait, au fur et a mesure, la
signification symbolique.
Apres son initiation, le Pastophore ou opprmti se
livrait k l’dtude de la physique, de l’anatomie et de la
medecine. II se livrait, en outre, k la manipulation des
medicaments que l’on employait alors.
II apprenait enfin la langue symbolique et 1’ecriture
connue sous lc nom d’hieroglyphes,
Quand l’initiation 6tait terminee, l’hierophante faisait
c&nnaitre au recipiendaire le mot de passe et l’attouche-
ment au moyen desquels les adeptes se recounaissaient
entre eux (2).
A partir de ce moment, 1’initie portait un bonnet en
forme de pyramide, un tablier qui rappelle celui des
Francs-Macons, et un collet dont les bouts lui flottaient
sur la poitrine.
La Porte des hommes <§tait confiee k sa garde jusqu’4
ce qu’un nouvel apprenti le relevat de sa fonction.
(1) Eusebe, Priparat. Evang., 1-13. — Clement d’Alex., Admonit.-
ad Gent.
(2) Le mot tie passe Stait Amoun qui signifiait sois discret. Jamblique
nous pariede Yattouchement maauel, dans sa Vie de Pythagare, mais
sans nous indiquer eiactement eu quoi il consistait.
36
OBIGINES FANTAISISTES DE r,A F.\ M.\
Le noviciat du Paslophore etait d’une ann6e. Si, pen-
dant ce temps-la, il s’etait fait remarquer par son amour
de l’etude et son intelligence, on le preparait a recevoir le
grade de Neocore ou compaqnon.
La preparation consistait surtout en un jeune severe.
Cette epreuve flnie, on l'enfermait dans une piece oil
regnail l’obscurild la plus profonde ; mais la clarte des
lampes ne tardait pas it dissiper cos tenebres.
Des femmes d'une beanie remarquable entraient alors
dans sa prison et lui scrvaient des mets delicats et recon-
fortants, afin qu’il put reparer ses forces ^puisees. Ces visi-
teuses n’etaicnt auti-es que les epouses des prdtres et
les vierges consacrees a Diane. Elies avaient pour mission
d’eprouver la vertu du recipiendairc en attisaut. par des
agaceries de courtisane, lc fou de ses passions.
II devait resister it leurs provocations insidieuses.
On jugcait par lii do la force de son caractere ot do
l’empire qu’il savait cxercer sur Iui-meme.
L’introduclotir venait cnsuile le trouver ct lui posait
diverses questions. Si ses reponses ne laissaient rien ou
peu de chose it desirer, on le conduisait dans l’assemblee
des pretres.
La on l’aspergeait d’eau lustrale, pour le purifier des
souiliures qu’il avait contractees. Cette ceremonie terini-
nee, il faisait une confession generale de ses fautes et
affirmait, sous la foi du sennent, que sa conduite, pen-
dant toutlc temps des epreuves, avait ele d’une irrepro-
chable chastete.
A peine avuit-il iini de parler, que l'introducteur lui
jelait un serpent sur le corps, tandis quo d’autres rep-
tiles apparaissaient de toutes parts et semblaient le me-
nacer.
Il fallait qu’il demeurat impassible.
CHAP. H. — INITIATIONS M.\ EX EGTPTE.
17
Apres cette derniere epreuve, on le conduisait aupres
de deux colonnes.entrelesquellesoaapercevaitun griffon
poussant une roue. Le griffon etait, parait-il, l’embleme
du soleil. Les quatre rayons de la roue reprdsentaient
les quatre saisons de l’annee.
L’insigne du Neocore consistait dans une sorte de cadu-
cee. Le mot d'ordre du grade etait Eve. On racontait au
recipiendaire, s’il faut on croire Clement d’Alexandrie,
l’liistoire de la chute originelle (1).
Signe de reconnaissance : croiser les deux bras sur la
poitrine.
L’adepte apprenait a calculer les inondations du Nil,
au moyen de l’hygromotro. On lui enseignait, en outre,
la geometric, l’architecture, et la partie du calcul qui se
rattache a ces deux sciences.
Le troisieme grade etait connu sous le nom de Mela-
nephore (La porte de la mort).
Le Neocare ou companion, s’il en avait <5te juge digne
par sa conduite et sou application a l’etude, devait faire
une station plus ou moins prolongee dans une sorte
de vestibule appele par les adeptes : La porte de la
Mort.
Les murs de ce local etaient ornes de momies et de
peintures funebres.
C etait le laboratoire des adeptes qui avaient pour
mission d’ouvrir les cadavres et de les embaumer. Au
milieu cl’eux s’elevait le tombeau d’Osiris (2).
(1) Clement i/Albx., in prolept.
(2) Les Kiryptiens adoraient le soleil sous le nom d’Osiris et la lune
sous c-elui u'isis. Ces deux diviuicos eurent deux fils* L y un, Harpocrate,
^tait fnilde et cl;t : if. puree qu'il avait ete con$u apr6s 1’equinoxe d*au-
tomne, alors qu 'Osiris, ou le soleil, avait perdu une partie do sa force.
L* a litre, Horus, etait fort et vigoureux, et rappelait 1’equiiiOxe du prin-
ter ips. alors que le soleil veise partout des fiots de luiniere et fecoude
la nature par la chaleur do ses rayons.
18
ORIGINES FAN’TAISISTES DE LA F.\ M.\
On demanclait au nouvel avrj vant s’il avait pris part a
l’assassinat du Maitre. Apres sa reponse, qui etait nega-
tive, les adeptes charges d’enterrer les morts lo saisis-
saient et le transportaient dans la sails des Melanephores.
Les uns et les autres etaient vetus de noir.
Lc roi, qui assistait toujours a cette ceremonie. s’ap-
prochait du recipiondaire ot liii presentait line couronne
d’or, avec priere do l’accepter, s'il n' avait pas le courage
d’affrontcr los epreuves qui lui restaient a subir.
Ce dernier rejetait le present royal, hochet de la vanite,
et lo foulait aux pieds.
Aussitot le roi criait vengeance et le frappait a la
tete avec la hache des sacrilices. de maniere toutefois a
no pas le blesser (1).
An mesne instant des initios s’eniparaient de lui, le
renvcrsaient nt l’enveloppaicnl de handelettes, aiusi quo
cola, sepratiquait pour les moniies. Pendant tout le temps
quo durait cette operation, les Melanephores poussaient
de longs gcmissements. On eut cru qu’il s’agissait d’une
vraie sepulture.
Osiris avait tin fr6re, le gdant Typhon, dont Homere raeonte ainsi
l’origine : liidigneH de ce que Jupiter avait mis Pallas au monde sans
le seconrs d’une fiimme, Junon conjura le ciel, la terre et tous les
dieux de lui permettre d'enfanter h son tour, sans la collaboration d’un
tiers. Puis, ay ant jrappe la terre do sa main, elle on fit sortir des
vapours qui form&rent le reduutable Typhon. Ce monstre avait cent totes.
De ses cent bouches sortnient des fla mines devoranles et des hurle-
ments si horribles, qu'il eflrayait ^galemenfc les hommes et les tlieux.
.Son corps, dont la partie supgrieure etait couverte de plumes et
entortillde do serpents, etait si grand, qu'il atteignnit au ciel. Ii eut
pour femme Echidna, et pour enfants, ]a Gorgone . O^ryon, Cerbdre,
ITIvdre de l.erne, le Sphinx et tous les monstres de la Fable.
IrriLe de voir que son frere Osiris avait re$u en partage un plus beau
domaine que lui, il le tua.
Horus vengca la mort de son p6re et d^livra le monde et TEgypte du
plus cruel des tyrans.
Cc recit etait regarde comma une fable par les pretres do Memphis,
qui cn donnuient h leurs adeptes une explication con forme aux ensei-
gnements de la plus saine theologie.
(1) On raconte que Pempereur Commode remplissant un jour cet
emploi, s'en acquitta d'un faoou tellcment seriouse, que l'adepte en
mourut.
CHAP. II. — INITIATIONS M.\ EN EGYPTE. 19
On emportait ensuite le recipiendaire dans une salle,
sur la porte de laquelle on lisait cette inscription : Sanc-
tuaire des Esprits. A peine venait-on d’y entrer, que la
foudre grondait avec fureur. tandis que des flammes
entouraient le patient et menacaient de le devorer (1).
Caron l’emraenait au tribunal de Pluton. Le roi des
Enters etait assiste de six juges : Minos, Rhadamanthe,
Nicteus, Alastor et Orphee.
Le president adressait a l’adepte de nombreuses ques-
tions sur les actes de sa vie passee. L’interrogatoire iini,
le malheureux etait condamne a errer dans les galeries
sou terra in es oil il se trouvait.
On lui donnait enlin de nouvelles instructions qui
peuvent se resumer ainsi :
1° N’avoir jamais soif du sang de ses semblables, et
porter secours aux membres de la Societe, lorsque leur
vie est en peril ;
2° Ne pas laisser les morts sans sepulture;
3° Croire a la resurrection et au jugement futur.
Le mot d’ordre etait : Monacii Gabon Nini (, Jc compte
les join's de la color e).
Signe de reconnaissance : s’embrasser d’une certaine
fagon.
Le Mclanephore devait sejourner dans ces galeries
jusqu’ii ce qu’il eiit prouve que sa science le rendait
digne de passer a d’antres grades. Pendant ce temps-la,
ii s’occupait de dessin et de peinture, car son emploi
consistait surtout a decorer les cercueils et les bande-
lettes des momies. On lui enseignait encore 1’ecriture
hiero-grammaticale, l’histoire, la geographie, l’astro-
nomie et la rhetoriquc.
Si ses progres etaient ce qu’ils devaient 6tre, on l’ad-
mettait aux epreuves du quatrieme grade, celui de
Chistopiiohe.
(1) Apclks, Jiv. II Metam «
20
ORIGINES PANTAISISTES DE LA P.*. M.*.
Le temps de la colere fini, 1’introducteur se rendait
aupres de l’initi^, lui reiaettait une epee et l’invitait a le
suivre.
Pendant qu’ils parcouraient les galeries, ou regnait
une pi'ofonde obscurite, des hommes masques apparais*
saient inopinement, entoures de reptiles hideux et por-
tant des flambeaux.
Sur l’ordre de l’introducteur le postulant essayait de
se defend re, mais il ne tardait pas a etre vaincu. On lui
fixait un bandeau sur lcs yeux, on lui passait une corde
au con et on le trainait j usque dans la salle oil le nouveau
grade devait lui etre confere.
Les ombres s’eloignaient alors en poussant de.-, , .is.
On le relevait, et on le debarrassait de ses liens et de
son bandeau. A peine avait-il ouvert les yeux, qu’il se
voyait en presence d'uue brillante assemblee. La salle
etait ornee de riches decorations. Le roi siegeait a cote
du Demiourgos ou inspecteur general de l’Ordre. Ces
divers personnages portaient 1’Alydee (1).
L’orateur prenait ensuite la parole et adressait un
discours au reeipiendaire, pour le feliciter de son courage
et l’engageait a perseverer.
Des quo YOdos avait fini de parler, on presentait au
postulant une coupe remplie d’une boisson amere. II
6tait, de plus, arme d’un bouclier, chausse de brodequins
semblables a ceux que portait Mercure, et reve f u d’un
manteau si capuchon.
On lui cnjoignait en mfime temps de saisir un glaive,
de se diriger vers une caverne qu’on lui designait, de
trancher la tote du personnage qu’il y rencontrerait et de
(1) L’Alyttee etait une decoration e^yptienne* — /Elianus, Vat\ hist.,
chap, xxxiv.
CHAP, ri, — INITIATIONS M.*.' BN. EGYPTE. 21.
1’apporter au roi. Puis, les initios s’ecriaient Voila
lacavernede Tennemi / :
A peine entre, le nouveau Chistophore apercevait une
grande et belle femme, qu’il frappait, suivant l’ordre
regu. Bevenant sur ses pas, il presentait la tete dela
victime au roi et au Demiourgos (1). ' : '"'Y \
Ce dernier acte accompli, on lui apprenait que la tbte
en question etait celle de la Gorgone, fille de Typhon, a
laquelle on devait en partie la mort d’Osiris (2).
On l’avertissait que son devoir etait desormais de
chatier les coupables, et d’etre partout et toujours le
vengeur de l'innocence opprimee.
II pouvait, a partir de ce moment, revetir un costume
nouveau, special au grade qu’il avait regu. Son nom etait
inscrit sur le tableau de la magistrature. II joulssait,
selon Diodore de Sidle, d’un commerce libre avec le roi,
et recevait sa nourriture de la cour (3).
On lui remettait, avec le code des lois, une decoration
representant Isis ou Minerve, sous la forme d’un hibou.
Cette figure allegorique signifiait que l’homme, en venant
au monde, est aveugle, comme l’oiseau de la deesse, et
que ses yeux ne s’ouvrent a la lumiere qu’a l’aide de
l’experience et de la philosophie.
On lui revelait enfin que le nom du grand Legislateur
4tait Jao ou Jehova (4).
Le cinquieme grade n’exigeait aucune Spreuve du
recipiendaire.
(1) Les Egyptiens connaissaient la baudruche. Tout fait done supposer
que les pretres s’en servaient dans les initiations, pour figurer soit des
monstres fabuleux, soit des personnages imaginaires.
(2) Cetie Gorgone n’avait rien de comimm avec les trois Gorgones
dont il est souvent parl£ dans la Fable. Quelques auteurs dcrivent
Gorgon, fils de Typhon et d'Echidna, au lieu de Gorgone.
(?») Diodore, De Judiciis sEgyptiorum, livr. I.
(4) Diodore, De JEgyptiis legum latoribus , livr. I.
22
OIIIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.\
On introduisait le postulant aupres de l’assemblee qui,
apres l'avoir regu, se rendait en silence dans la salle ou
devait sefaire l’initiation.
Un personnage auquel on donnait le nom d ’Eorus s’y
promenait, accompagne de plusieurs adeptes. Ces derniers
portaient des flambeaux. Ilorus etait arme d’une epee et
semblait cherclier quclque chose. Tout a coup le cortege
arrivait a la porte d’une caverne d’ou sortaient des
flammes. Le meurtrier d’Osiris etait la, les epaules
surmonlees de cent tetes effrayantes. Son corps parais-
sait convert d’ecailles, et ses longs bras s’agitaient avec
furcur. Ilorus s’avaneait hardiment, attaquait le monstre
et le decapitait.
Void de quelle maniere on expliquait a l’initielesens
de ce drame sanglant : Typhon etait Je feu, sans le
secours duquel rien ne pent se faire dans le monde.
Mais cct agent est aussi redoutablo qu’utile. II faut done
que le travail, represente par Ilorus, arrive a le mai-
triser.
L’adepte unc fois parvenu au grade de Bahalate, s’oe-
cupait tout specialement de chimie. II apprenait eu parti-
culier l'art de decomposer les substances et de combiner
les metaux.
Le mot d’ordre etait Chymia.
*
* ¥
Dans le sixieme grade, cclui d’Aslronome a la porte des
diev.r. l'initie etait tout d’abord charge de fers.
L’introductcur le conduisait apres quelqucs instants a
la Porte de la mart et lui montrait les cercueils de ceux
qui avaient ete condamnes a mourir pour avoir divulgue
les secrets de l’Ordre.
On l’avcrtissait que le meme sort lui 6tait resei’ve si
jamais il commettait le meme crime.
Puis on le presentait aux membres de l’assemblee,
CHAP. IX. — INITIATIONS M.\ EN EGYPTE. 23
devant lesquels il pretait de nouveau serment de garder
vn silence impenetrable sur les choses qui lui seraient
revelees.
Le Derniourgos lui apprenait alors que les dieux adords
par le peuple n’existaient pas ; mais qu’il fallait evitcr de
tirer le vulgaire de son erreur, parce qu’il est incapable
de saisir les grandes verites dont les sages conservent le
depot. Voici quelques-uns des secrets que le Derniourgos
coufiait au postulant : II n’y a qu’un Dieu, et ce Dieu
preside a toutes choses. II embrasso tous les temps, et il
est present partout, bien que nos yeux ne l’apergoivent
pas. C'est lui qui a cree l'univers et le gouverne. Par sa
nature ilecliappo ii la comprehension de 1’homme.
Apia' s cette courte instruction, l’iutroducteur conduisait
le recipiendaire a la Porte des dieux. L’initid voyait la,
representees en peinture. les nombreusesdivinitesqu’ado-
raient les Egyptieus. Le Derniourgos lui retraga,it 1’his-
toire vraie des granus persoaaages que l’on avait ainsi
deifies, pour l'amusement des foules ignorantes.
On lui commuuiquait, cn finissant, la Iiste exacte de
tous les chefs, ou grands m ait res, qu’avait ous la Socidte,
saivant l’ordre chroaologique, et cello de tous les associes
etrangers ou indigenes.
L’astronomie etait la seule science a laquelle il dut se
livrer, pendant tout le temps qu’il restait dans ce grade.
Il assistait, la nuit, a 1’ observation des astres, ct concou-
rait d’une maniere active aux travaux des adeptes qui
avaieiit pour mission de l’initier a cette etude.
On lui recommandait de se tenir en garde contre
l’astrologie et les astrologues (1).
Aurapport de Jamblique et de Lucien on lui apprenait,
en outre, la danse des pretres, dont les pas figuraient le
cours des planetes (2).
Le mot d’ordre etait Ibis.
(1) Hero dote, Hist. ^Ethiop., Jiv. III.
(2) Lucies, De Saltatione .
24
0RIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.\
On appolait Prophele 1’initie an septieme grade.
II n’y avait plus de Mysteres pour l’adepte qui l’avait
re<ju.
L’initiation consistait dans la recapitulation, accom-
pagneo dc nouveaux details, de tout ce que lo postulant
savait deja, ct dans une etude approfondie des questions
politiques et admiuistratives, qu'il devait connaitrc, ayant
desormais le privilege do concourir a relection du roi. et
celui dc participer an gouvernement de la nation.
On donnait a ce grade une haute importance. II fallait,
pour y etre admis, avoir rassentiment de tous les mem-
bres dola Societe, du Denmurgos et du souverain.
Cette initiation etait suivie d’une procession publique,
oil l’on exposait a la veneration du peuplo les images
des dieux et autros objets sucres.
Apres la ceremonie, les adept es so rendaient secrete-
ment aux Mantras, ou sejour des Manes, grandes maisons
carrees dont l’interieur etait orne do colonnes. de sphinx,
de cercueils, et dc peinturos ropresentant les diverges
phases de la vie humaine.
L:\, on ollrait au nouveau societaire un breuvage com-
pose de vin et de miel. pour lui faire comprondre qu’a
partir de ce jour il jouirait des douceurs de la science
sans en connaitre les amertumes.
On lui remettait comme insigno une sorto de croix
connue des seuls Prophetes. II devait la porter constam-
ment sur lui. Son costume consistait en une robe blanche
appclee Etangi.
II avait la tete rasee. Sa coiffure affectait la forme de
la toque qu’out adoptee nos magistrals ct les membres
du barreau.
On lui permettait de lire les ouvrages mysterieux quo
CHAP. H. — INITIATIONS M.\ EN EGYPTE. : 25
l’on avait jusqu’alors derobes k sa vue, et qui etaient k
l’usage des seuls Prophetes.
Mot d’ordre : Adon, abrege d ’Adonai. Signe de recon-
naissance : porter les mains croisees dans les manches
de la robe.
Les societaires se reunissaient assez souvent pour des
banquets. Mais le vin leur etait interdit. Ils ne pouvaient
boire qu’une espece de biere assez semblable a la notre.
Avant de se mettre a table, les convives se livraient a
des ablutions minutieuses. Ils promenaient ensuite autour
de la salle un squelette humain ou un sarcophage, pen-
dant qr.e l’orateur entonnait 1’hymne des Manes, et que
las assistants reprenaient en choeur.
Le repas fiui, chacun se retirait pour vaquer aux tra-
vaux qui lui etaient eon ties.
Lorsque l’initie manifestait le desir d’embrasser la vie
sacerdotale, et que les pretres avaient pu non seulement
eprouver son caractere, mais aussi constater la superio-
rite de son intelligence, les chefs de 1’Ordre consentaient
a le garder parmi eux,
S’il perseverait, rien n’etait neglige pour l’aider a aug-
mcntor le tresor de ses connaissances. En in erne temps
qu'il continuait a cultiver les sciences et les arts, il devait
chercher a, decouvrir les secrets de la nature, les liens
mysterious qui unissent 1’homme a son Createur, et les
graudes lois morales qui scrvent aregler nos rapports
soit avec Dieu soit avec nos semblables.
!i n’y avait plus d’epreuves desormais pour l’initie. Le
temple 011 on I'introduisait ne ressemblait en rien aux
salles et aux galeries souterraines qu’on lui avait fait
26
OIUGINES FANTAISISTES BE LA F.\ M.\
parcourir, ckaque fois qu’il avait dH recevoir un nouveau
grade.
Les images des dieux qui ornaient les Mcineras et que
Ton avait portees proeessionnellement, apres son admis-
sion parmi les Prophetes , efcaient exclues de ce sanctuaire,
que Ton regardait comma le Saint des Saints.
Les pretres, veins avee modcstic et d'une maniere
imiforme, etaient disposes en dcmi-ccrcle autour de leur
disciple.
L*vm d'entre eux prenait la parole, et lui rapi)elait ce
qu’il savait dcja touchant V unite de Dieu. Puis il ajou-
tait : « Cost cot Eire incomprehensible qui est le moteur
« et le conservateur de l’univers. Tout.es choses retom-
« beraient dans le chaos, s’ilcessaitdeveiller stir l’ceuvre
« de ses mains. La matiero cst incapable de penser et
« "agir. » Ici Vorateur appuyait de preuvcs irrtTutables
ehaeune de ses aflirmations. Puis il continuait ainsi :
« Les dieux du pouple ne sent pour nous que des homines
« devenus celebres par le courage qu’ils deploy erent ou
« les services qu’ils rendirent a rhumanite. Les pretres
« so bornent a lionorer leur memoire et a iiniicr lours
« vertus. Eu public, nous agissons difloremmcnt, parco
* quo le vulgaire est incapable de s’clever a la conception
« des grandes verites dout nous conservons le depot.
a II faut a la multitude des dieux qui frappent ses
« regards et dont elle redoute la puissance mysterieuse.
« Les tyrans out besoin. eux aussi. d’etre mailrises par
« la crainte. L’idee d’un etre superieur qui pent non
« seulement les frapper dc la foudre. mais encore leur
« inlliger des chutiments apres leur mort, clnitimcnts
« auxquels rien ne saurait les soustraire, les empOche
« souvcnt (Vabuser de leur puissance et d’opprimer les
« pcuplcs qu’ils ont mission de gouverner.
« Quant a nous, nous croyons qu’il n'y a et qiril ne
a pcut y avoir qu’un Dieu. Nous rcspectons sa puissance
« et nous lui somrnes reconnaissants des bienfaits duiifc il
CHAP. II. — INITIATIONS M.\ EN EGYPTB. 27
« nous comble. Comme il a forme nos cmurs et enrichi
o notre Tune tie ses families, il peut connaitre nos senti-
« ments les plus intimes et nos pensees les plus secretes.
« Tout nous dit qu’une partie de nous-meme, la meil-
« leure, echappe aux atteintes de la mort, et qu'il y a par
« dela le tombeau des peines et des recompenses. Aussi
« nous effoi'Qons-nous de conformer nos actes aux notions
« que nous avons du juste.
« Gardons-nous de pr&ter a Dieu les passions qui nous
« agitent. Ne lui demandons jamais compte de sa cou-
« duite envers nous. Lelot qu’il nous a deparli est assez
a beau pour que nous nous abstenions de toute plainte.
« Sacrifions nos interets personnels, s'il le faut, pour
« etre utiles a nos semblables. Ne nous laissons pas
« rebuter par l’ingratitude de ceux que nous avons pu
« obliger (1). »
Tels etaient en substance les enseignements que rece-
vaient les inities, le jour ou ils entraient dans la caste
saeerdotale.
Les Mysteres d’Egypte ne remontent pas, selon toute
apparence, a l’epoque ou Mizrai'm s’etablit- sur les bords
du Nil. Pendant une periode d’annees plus ou moins
longue, apres la dispersion des enfants de Nod, la foi des
peuples ne fut mdlee d’aucune superstition. Puis, peu a
peu, les croyances s’affaiblirent, le dogme de l’unite de
Dieu lit place au polytheismc des premiers ages. '
Ce fut alors que les pretres s’organiserent en societe
secrete, ne revelant qu’aux inities les v elites qu’ils
etaient parvenus a sauver du naufrage.
Le premier roi d’Egypte, que quelques-uns diseut etre
Mercure, et auquel on decerna plus tard les honneurs
divins, fit creuser aux environs de Memphis des allees
soulerraines , qu’il remplit de pyramides carrees ou
(1) Lucain, dans sa Pharsale , fait allusion k cet enseignement des
pretres de Memphis et d’Heliopolis.
28 OIUGINES FANTAISISTES db la f.\ m.\
triangulaires, sur losquelles on grava les principes de
toutes les sciences humaines. Clement d’Alexandrie ,
Borrichius, Diodore de Sicile et Plutarque nous assurent
que ce fat sur ces monolithes que Thales et Pythagore
s’instruisirent dans les mathematiques et la geometrie.
Le meme souverain fit construire un temple superbe
qui communiquait, au moyen de vastes galeries, soit
avec les pyramides, soit avec les maisons habitees par
les prStvos. II reunit, au surplus, dans ces derniers edi-
fices, tout co qui avait trait, do pres ou de loin, aux
sciences humaines.
On y voyaitj en particulier, les nombreux instruments
de precision dont on se servait alors pour les calculs
astronomiques. Les pretres de Memphis et d’Hcliopolis
connaissaient les deux systemes du monde. Thales et
Pythagore avaicntappris d’eux quo la terrelourne autour
du Roleil. Copernic ct, apres lui, Galilee, empruntei’cut
leurs theories a ces deux philosophcs , qui les avaient
eux-memes apportees dcs bords du Nil.
Los jardins des pretres produisaient une foule de.
plantes medicinales ou curieuses. Celles que l’on ne
pouvait y cultiver, A cause du climaf, etaient soumises a
uno preparation speciale et conservees avec soin. ou
peintes sur les murs d’une vaste salle.
A cote des jardins, sc trouvaient les cabinets de
chimie et d’histoire naturelle. Sen^que nous aflirme
quo Democrito en rapporta , entre autres choses , le
moyen d'amollir l’ivoire et de donner au caillou la cou-
leur et 1’ eclat de l’emeraurle.
Les locaux destines a l’nnatomie touchaient aux cabi-
nets de chimie ot d’histoire naturelle. C’cst la que se
faisaiont les travaux de dissection. Cette etude n’avait
pas settlement lo corps humain pour ohjet. Les oisoaux, les
quadrupedes et les reptiles etaient aussi analyses avec soin.
Aillcurs, on voyait les modeles des nombreuscs ma-
chines qui avaient servi. soit a niveler le terrain de
CHAP. II. — INITIATIONS M.\ EX EGYPTE. 29
l’Egypte, soit a d^placer le lit du Nil ; et celles, non
moins curieuses, que l’on employa pour transporter et
elever a des hauteurs prodigieuses les blocs litaniques
dont se composent les pyramides.
Archimede a trouve, dans ce musee des arts utiles, la
vis qui porte son 110m.
La bibliotheque des pretres egyptiens etait , dit-on,
plus belle et plus curieuse que celle d’Alexandrie, qui
renfermait quatre cent mille volumes. Selon Diodore
de Sicile, on v voyait une histoire complete des temps
qui avaient precede Menus ou Mizraim, petit-fils de
Not'.
Thales et Pytliagore sont les derniers philosophes
etrangers qui aient pu visiter les edifices dont je parle et
les tresors de science que l’on y avait reunis, car peu de
temps apres le depart de ce dernier, Cambyse envahit
l’Egypte et britla ces merveilles.
Les diverses initiations que je viens de passer en revue
etaient reservees aux postulants d’origine egyptienne.
Les adeptes etrangers ne purent jamais ou presque
jamais connaitre les derniers Mysteres: Les epicures
qu’ils devaient subir differaient egalement de ccdles que
mes leeteurs connaissent.
Les postulants arrivaient aux galeries par un etroit
passage pratique dans les murs de la grande pyramide.
Cette ouverture, que Strabon a decrite avec quclque
detail, existe encore de nos jours.
Le recipiendaire parvenait, en s’aidant des pieds et des
mains, au bord d’un puits dont il ignorait la profondeur.
La, son conducteur l’obligeait a descendre, au moyen
d’une echelle fixee contra le mur. Apres un parcours de
soixante pieds, au milieu des teaebres, il s’engageait
dans un couloir assez commode,- mais sinueux et forte-
30
ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.*. M. # .
ment incline. II abordait enfin, a sa grande satisfaction,
au fond du mysterieux abtme. La se trouvaient deux
portes grillees. IViine efcai i au nord et r autre au midi. A
travers lesban*eaux de cette deruiere le postulant decou-
vrait une longue suite cVarcades, quedes lampes funebres
eclairaicnt. C’etait la deineure des morts. Les pretreset
les pretrcsses se reunissaient tous les jours sous les
voutes obscures de cette vaste et silencieuse necropole,
pour y chanter des liymnes en rhonneur de Dieu et de
ceux dont la vie setait ecouldc dans la pratique de la
vertu. Paul Lucas a visite ces grottes souterraines. dont
quelques-unes etaient lmbitccs do son temps par des
families coptes.
L’aspirant ne devait pas s’arr&ter la. Son introducteiu*
1c conduisait sans ricn dire a la porte du nord, qui
s’ouvrait sans difflculle. Los deux battants, en se rejoi-
gnant, prodnisaient un bruit etrange. quo les echos repe-
taiont jusqu’a Textremite du souterrain.
Les pretres, ainsi prevenus qu’un etranger s’engageait
dans les epreuves do l’iniliation, preparaient tout pour le
recevoir.
Apres avoir march e pendant quel quo temps, le reci-
piendairo apercevait une inscription ainsi con^ue :
« Qukonquc fera cette route sans regarder et sans
« rcto7 truer en arriere , sera pu rifle par le feu , par Veau
» et par lair , et sil pent vaincrc la fray cur de la mort ,
« il sortira du scin de la trrre y reverra la lumicre etaura
« droit de preparer son dme d la revelation des mysleres
« de la grande dccsse Isis . »
Si le postulant persevorait, apres avoir lu cette inscrip-
tion, l’inilie qui l’avait aecompagnej usque-la se retirait,
se bornant a le surveiller de loin, sans qu'il s’en aperedt,
afin de lui porter secours, dans le cas oii son courage
viendrait a defaiilir.
OHAP. I.. — INITIATIONS M.'. EN EGYPTE. 31
Lorsque le fait se produisait, ce qui n’etait point rare,
il ramenait le candidat an lieu du depart, en le prevenant
qu’il n’eut a se presenter dans aucun temple d’Egypte
pour etre initie aux Mysteres.
Celui qui perseverait dans sa resolution etait tout
etonne de marcher, pendant pres d’une heure, sans rien
decouvrir de nouveau. Puis, il se trouvait tout a coup on
face de trois hommes armes, debout a cote d’une porte
de fer. L’un d’eux, faisant quelques pas vers le nouvel
arrivant, lui adressait ces paroles :
« Nous ne sommes point ici pour vous empScher de
« passer. Continnez votre route, si vous en avez la force.
« Je dois vous prevenir toutefois que dans le cas oil vous
« rStrograderiez, nous vous arreterions et vous ne sor-
« tiriez jamais de ces lieux. Songez surtout que vous ne
« pourrez arriver au but qu’en vous fraynnt un passage
« a travers de nombreux et terribles obstacles. »
Si l’aspirant ne se laissait pas rebuter, son guide cessa.it,
de le suivre, et allait avertir les pretres des sentiments'
qu’il avait remarques en lui.
Apres un trajet assez long, l’etranger apercevait dans
le lointain une vive lueur. Parvenu a l’endroit d’ou
partait la Iumiere, il voyait en face de lui une voute
longue et spacieuse, assez semblable a une fonrnaise
ardente. Les flammes, apres s’etre elcvees a environ deux
metres de hauteur, se recourbaient en forme d’ogive au-
dessus du couloir qu'il avait a parcourir.
Il etait a peine sorti de ce foyer ardent, qu’il lui fallait
traverser une grille de fer rougie et formee de losanges,
entre lesquels il n’y avait que la place du pied. Lafinissait
l’epreuve du feu.
Celle de l’eau commenQait immediatement apres. Le
candidat devait franchir un canal dont le courant se pre-
cipitait avec un bruit formidable, soit en nageant, soit en
32 , ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ J£.\,
s’aidant de deux rampes qui etaient places dans la
direction du souterrain. Celui qui reculait devant ces
dernieres epreuves etait eondamnd & passer sa vie dans ,
les temples sans recevoir l’initiation. On lui permettait
neanmoins de se marier et d’ecrire & sa famille. Les
fonctions qu’il avait a remplir etaient cellos d’officier
subalterne.
Lorsqu’il etait parvenu de l’autre c6te du canal, il se
voyait comme enferme entre deux murs d'airain. Au
fond apparaissait une porte revdtue d’ivoire. De chaque
cote, une grande roue que faisait mouvoir un mecanisme
secret.
L’aspirant poussait la porte, qui resistait. Apres un
examen attentif, il distinguait deux anneaux d’acier poli,
qu’il saisissait, en appuyant dessus.
Les roues se mettaient aussitot en mouvement, tandis
que le pont-levis etroit sur lequel il etait debout s’abais-
sait avec rapidity. Oblige de se tenir cramponne aux
anneaux, le malheureux se sentait emporte dans le vide.
Un courant d’air violent soufflait sur lui et eteignait la
lampe dont il s’etait servi pour eclairer sa marche. En-
toure de tenebres, il n’entendait plus que le bruit terri*
fiant des machines qui tournaient dans leurs engrenages
de fer. Puis, le linteau s’abaissait doucement et le depo*
sait devant la porte d’ivoire, qui s’ouvrait d’elle-meme.
Les pretres, vetus de robes de lin, venaient alors au-
devant de lui, et le recevaient dans une salle qui prece-
dait le sanctuaire.
L’hierophante luiadressait quelques paroles empreintes
de bienveiilance, et le ieiicitait de son courage. 11 lui
offrait ensuite une coupe d’eau du Nil :
« Que cette eau, lui disait-ii, soit pour vous comme
« 1'eau du Lethe. Puisse-t-elle vous faire oublier les
« fausses maximes quo vous avez entendues de la bouche
c des profanes 1 »
CHAP. lr. — INITIATIONS M.\ EN EG7PTE- 38
Le candidat se prosternait devant la statue d'Isis, et le
grand pr&tre ajoutait :
* Isis , 6 grande deesse des Egyptiens, donnez votre
« esprit au nouveau serviteur qui a snrmonte tant de
« perils pour se presenter a vous. Faites qu’il triomphe
« egalement des Spreuves qu’il aura a subir de la part de
« ses passions , s’il veut devenir meilleur. Rendez-le
t docile a vos lois, aJin qu’il xnerite d'etre admis a vos
« augustes My s teres. »
Tous les pretres repetaient en chceur le voeu de l’hiero-
phante.
Puis ce dernier poursuivait, en presentant au neophyte
une liqueur reconfortante :
i Que ce breuvage vous fasse garder le souvenir de
« votre initiation et vous aide a pratiquer les vertus
« qu’elle vous impose. »
Cela fait, on le conduisait dans l’appartement qui lui
etait reserve et on lui donnait tous les soins que recla-
mait son etat.
Lorsqu’il etait remis de ses fatigues, Fhierophante le
condamnait & un jeune rigoureux de plusieurs mois. II
suivait, en me me temps, les conferences que les pretres
iaisaient a son intention.
Le jour de Finitiation venu, le chef de la caste sacer-
dotale adressait au recipiendaire un discours sur l’unite
de Dieu, l’immortalite de l’&me, et la necessity, pour le
sage, de vaincre ses passions.
L’initie pretait serment de ne pas reveler ce qui avait
trait aux mysteres, declarait que rien, dans les epreuves,
ne lui avait paru inutile ou peu s6rieux, et recevait une
sorte de bapteme, que lui administrait le pr^tre speciale-
ment charge de ce genre de ministere.
F.\ M.\
3
34 ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.V M.*.'
ISHydranos, ou aspergeur, le faisait d£shabiller jus-
qu’a la ceinture, le conduisait pres d’une cuve remplie
d’eau de mer, dans laquelle on avait jete du sel, de l’orge
et du laurier, et lui arrosait la t6te en disant :
« Puisse cette eau, symbole de la puvete, effacer les
« souillures de votre chair, et, en vous rend ant votre
« candeur et votre premiere innocence, purifier vos sens,
t ainsi que la vertu doit purifier votre ame ! »
La ceremonie achevee, YUydranos revetait le neophyte
d’une robe blanche.
Alors seulement, ce dernier pouvait penetrer dans le
sanctuaire. II y ela.it introduit au son des instruments,
apres etre reste quebjue temps plonge dans depaisses
tenebres, que sillonnaient des eclairs accompagnes de
tonnerres.
L’initiation de l’etranger n’etait pas complete. On lui
insinuait pjlutot qu on no lui aflirmait les dogmes religieus
dont j’ai deja parlc. L’etude des sciences laissait aussi
beaucoup a desircr. Seules les intelligences d’elite parve-
naient & combler une partie de ces lacuncs par le raison-
nement et la meditation.
La croyanee en la vie future lui etait enseignee, mais
en tenues assez vagues. Aussi quelques philosophes
grecs, et a leur t£te Pythagore, ont-ils professe la
mdtempsycose , que les pretres ejyptiens repoussaient
comine une erreur.
CHAP1TRE III
Les initiations aux Mystferes cVEleusis*
Sommaire. — Les Myst&res d’Eleusis sont une importation £gyptienne.
— A queHe epcque doit-on les Zaire vemonter 1 — Par qui furent-ite
gtablis? — Ce que la F^ble raconte de Triptoleme et ce qu’il font en
penser. — Eleusis et son temple. — Ce magnitiquu odiiiee fut ruine
et rebati plusieurs fois. — Ses ri chesses architectural* s et ses djpen-
dances. — De quelle maniere on se preparait h I'initiation. — Petits
et grands Mvsteres. — Hierarchic sacerdotale a Eleusis. — Dur^e des
l'dtes. — Ceremonies particuli^res qui precedaient et suivaient l'ini-
tiation. — Epreuves auxquelles les initios £taient sournis. — Details
liistoriques coneernant certaines parties du cfH’tmonial des f£tes. —
Ce que l’on connait des doctrines r£v£l<*es aux adeptes. — Opinions
diverges k ce sujet. — Pythagore. — Sa doctrine et ses initiations.
— Les femmes Ctaient admises aux MystCres d’Eleusis. Les initiait-
on v^ntablement ?
Une question qui se pose d'elle-meme au debut de ce
chapitre est celle-ci : Faut-il considerer les Mysteres
d’Eleusis comme une importation egyptienne? Qmlques
Ouvrages consults : Caillot, Annales magonniques. — Leclerc
de Sept-CiUInes, JUstoire de la religion grecqne. — Court de Geoe-
jlin, Monde primitif , analyst et compart avec le vmmde moo 1 erne, —
Histoire du calendrier. — Stob£e, Sententicc et Eclogcc. — Porphyre,
Vie de Pythagore . — De Abstine?iticK — Eusebe, Preparations Evan -
gtliques . — Ragon, Orthodoxie magonnique . — Rebold, Origine de
la Franc-Magonnerie. — Les Trois grandes Loges. — Clavkl, His-
toire pittoresque de la Franc -Magonnerie. — Thomas Paine, De
Vorigine de la Franc-Magonnerie. — Clement d’Alexandrie, Stromaf.
— Blount, Commentaires sur Philostrate , Vie d'Ajwllonius de Tyane.
— Plutarque, Vie d'Alcibiade. — Pernetty, Fables tgyptiennes et
gvecquesy devoiltes. — Boulanger, L’Antigicit^ dtvoilte par ses
usages . — Banier, La Myihologle ou les Fables exp! : q it des par
Vhistoire . — Sainte-Croix, Traitt des Mysteres. — Memo ires pour
36 ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.VM.*.
auteurs soutiennent le contraire. Mais ils n’appuient leur
opinion d’aucune preuve serieuse.
Ceux qui se prononcent pour l’affirmative font remar-
quer, avec raison, que les Mysteres Celebris en l’honneur
de Cer6s ressemblaient, de tous points, aux initiations
d’Heliopolis, dont les Grecs eux-memes n’ont jamais
contests l’anteriorite.
D’autre part, soit en Egypte, soit a AthSnes, une 16-
gende populaire avait domic lieu ou servi de pvctexte 6,
l’etablissement do ces solcnnites religieuses.
Or, ccs deux legendes semblent calquees l’une sur
l’autrd.
En Egypte, oil celebrait les peregrinations d’Isis a la
recherche du corps d’Osiris, son epoux, que Typhon
avait tue.
En Greee, les Mysteres de Ceres rappclnient au peuple
les courses de la deessc apres l'enlevement de sa lille
Proserpine par le roi des enfers.
Enfin, dans les deux pays, l’agriculture occupait une
large place dans les manifestations religieuses qui pre-
cedaient les initiations.
« Le peuple, dit le F.\ Caillot, auteur des Annalcs
« macotmiques, ne voyait autre chose, dans les ceremo-
« nies d’Eleusis, que l histoire des courses et des aven-
« tures de la deesse des moissons. Le philosophe, au
« contraire, soulevant une partie du voile, ne voulait
« apercevoir , dans ccs fetes eelebres, qu’un moyen
« puissant de fairo prosperer ragriculturo : les pretres,
« selon lui, n’avaient revetu ces ceremonies d'une appa-
servir a I'kistoirc de la religion seerdte des ancicns peoples. —
Danse hi: Yit.lohon, De triplici Theologid mysleriis Ycl<rum com-
mental io. — Dupuis, Me moire sur Vorigine des constellations. —
i Delaulnaye, JI is to ire generate et particulicrc des religions et du
culte de tons les peoples dit monde.
CHAP^ III. — INITIATIONS AUX MYSTERES D'ELEUSIS. 37
* y
« rence de mystere que pour les rendre plus augustes
< a,ux yeux du vulgaire, qui u’admire et ne revere que ce
t qui passe les bornes de son entendement. "
« Tous deux se trompaient dgalement ; l’un n’aperce-
c vait que I’embleme qui voilait le secret des Mysteres,
* et l’autre qu’une faible partie du but des grands hommes
« qui creerent les initiations vingt siecles avant la civili-
« sation de la Grece. »
Par qui et k quelle epoque les Mysteres d’Egypte
furent-ils apportes a Eleusis ?
Les historiens sont divises sur ces deux points. Les
uns nous disent que ce fut Danaus qui etablit en Grec-e
le culte de Ceres. Les autres. au contraire, soutiennent
que l’honneur en revient a Orphee.
Diodore de Sicile , 6cartant tout & la fois OrphSe et
Danaus, se prononce en faveur d’Erechtee. La Grece,
dit-il, etait en proie a la famine. L’Egypte, en ayant eu
connaissance, envoya aux malheureux liabitants de ce
pays une quantite de ble considerable. Erechtee fut
charge du transport de ces provisions. Les Atheniens
recon naissants le proclamerent roi. II en proflta pour
doter Eleusis des Mysteres de sa patrie.
Selon moi, l’opinion la plus probable est celie qui
atti'ibue a Triptoleme la creation de ces solennites.
Ce personnage dtait fils de Celeus et de Metanire.
Ceres, irritee contre les dieux qui avaient autorise
Pluton k enlever sa fille, resolut de vivre erranle panni
les hommes, sous la forme d’une mortelle. Un jour, elle
arriva a la porte d’Eleusis, s’y arreta et s’assit sur une
pierre. Le roi de ce pays, Celeus, l’ayant aper?ue, s’ap-
procha d’elle et lui offrit l’hospitalite. Celeus avait un fils,
encore enfant, du nom de Triptoleme. Ce jeune prince etait
r6duit alors a la derniere extremite par suite d’une lon-
gue insomnie. Cer6s deposa un baiser sur son front et lui
rendit la sante comme par enchantement. Non contente
B8 ORIGIN ES FA.NTA.ISISTES DE hk F.*» M.\
de cela, elle voulut bien se charger de son Education, se
proposant, au surplus, de le rendre immortel. A cet effet,
elle le nourrissait, le jour, de son lait divin, et le met-
tait, la nuit, sur des charbons ardents pour le depouiller
de tout ce qu'il y avait en lui de terrestre. L’enfant se
developpait d’une fa^on si extraordinaire que Coleus et
Metanire voulurent connaitre le secret de ce prodige. Ils
epierent done la conduite de Ceres. Un soir, Metanire
aporcevant la deesse au moment 0 C 1 elle s’appretait a
plonger son fils dans le feu. poussa un grand cri et mit
ainsl obstacle anx desseins que la sceur de Jupiter avait
sur Triptoleme.
Tel est, en pou do mots, le recit de la Fable. Voici
maintenant celui de 1'histoire.
Pousse par le desir de s’instruire, le fils dc Celeus quitta
la Greco et visita successivementtous les pouples civili-
ses dont la reputation etait arrivoe jusqu’a lui. Pendant
son sejour en Egypto il fut admis, comme etranger, a,
l’initiation des Mysteres. L’epreuve du fen ebranla son
courage. Lorsqnc, parcourant les galerics obscui-cs dont
nous avons parle, il se vit tout a coup entoure de flammes,
frappo de terreur, il poussa un cri et sortit precipitam-
ment do la fournaise ardente ou il etait comme plonge.
La Fable a personnifie, dans Metanire, la crainte de la
mort que Triptoleme ressentit. Ce moment de faiblesse,
en le i'aisant exclure de l’initiation, le priva de la con-
naissauce des Mysteres et de ^immortality que les pretres
ygypliens promettaient a leurs adeptes.
D’apres les lois dont j’ai deja parle, Triptoleme ns
devait plus sortir des galerics oh il 6 tait imprudemmont
descendu. Mais les chefs de l’Ordre, appreciant ses ver-
tus et les rares qualites de son intelligence, firent ime
exception en sa faveur. Ils etaient d’ailleurs bien aises de
donner a la Grece un legislateur eclaire, qui la fit sortir
de l’etat de barbarie ou elle se trouvait.
Triptoleme ne recut qu’en partie la doctrine saer£e de
CHAP. III. — INITIATIONS ATJX MYSTERES D’ELEUSIS, 39
'l’Egypte. Mais Ies prStrea fireiit de lui un agriculteur
savant et passionne. ■ v ; '
De retour dans ses Etats, il adressa tin chaleureux
appel S ceux de ses sujets qui etaient les plus ap J es Vie
comprendre et leur apprit & cultiver la terre. Bient&t
l’orge et le ble couvrirent les campagnes desolees de
son petit royaume.
Mais il ne s’arrSta point la. II voulut faire participer
l’elite de ses compatriotcs aux eonnaissances philoso-
phiques et religieuses dont les pretres d’Heliopolis
avaient orne son esprit. Toutefois, se conformant aux
us et coutumes de ses savants' instituteurs, il soumit
les aspirants a des epreuves longues et penibles, ne vou-
lant pas deprecier, en les vulgarisant, les Mysteres qui
lui avaient 6t6 reveles.
Les fetes de Ceres furent, des lors, un fait accompli,
Eleusis etait bfttio au pied d’une colline, sur les flancs
de laquelle s’elevait le temple de la deesse.
Detruit line premiere fois, le celebre edifice ne tarda
pas a sortir de ses mines. Lorsque Xerces envahit la
Grece, il fut de nouveau rase.
Pericles le releva une seconde fois. L’illustre protec-
teur des arts fit appel a tout ce que sa patrie possedait
d’hommes remarquables comme architectes, sculpteurs
et statuaires.
A sa voix aimee accoururent Ictinus, Megacles, Calli-
crates. Coroebus, Metagfenes, Aclamene, Agoracrite, Phi-
dias et plusieurs autres non moins connus.
Le temple de Ceres formait un carre long. Sa longueur
etait de trois cent soixante-trois pieds, et sa largeur de
trois cent sept.
Il etait construit en marbro pentelique et tourn4 du
c6te de l’Orient Dix colonnes cannelees, ayant chacune
dix pieds de diametre, en decoraient la facade principale
et formaient un superbe peristyle. Cette partie de l’edi-
fice n’appartenait pas au plan que les architectes de
40
ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.\
Pericles avaient concu et execute. Elle fut ajoutee par
Philon a l’oeuvre primitive.
Autour du temple regnait uno vaste enceinte que des
murs, egalementen marbre, derobaient aux regards dela
foule. Les initios aux petits Mysteres stationnaient en
cet endroit, pendant que les pretres preparaient toutes
choscs pour la derniere ceremonie.
Le temple proprement dit se composait du sanctuaire
et de la nef.
Celle-ci otait entouree de plusieurs rangs de colonnes
extreuiement remarquables.
Une colonnade separait la nef du sanctuaire. dans
lequcl l’hierophante avait seul le droit do penetrer.
Derrierc 1’edifice sacre s’etendaient do grands et beaux
jardins ernes de bosquets et de fontaines monmnentales.
On y avait eleve des autels el divers edicules, destines
probablement a des ceremonies dont les historiens ne
parlent pas.
« C’ctait dans cette vaste enceinte, dit 1’auteur des
« Annales maconniques, quo se celebraient ces fetes et
« ces Mysteres si longtemps reveres; c’elait lii, qu’en-
« toure de ce quo la religion pent, presenter de plus au-
« guste, an milieu des prestiges les plus eclatants, Yhic-
« rophantn faisait entendre sa voix. Interpret*} de la na-
* ture, sa main bienfaisanle faisait tomber pour toujours
f le voile grossicr qui couvrait les yeux de l’initie (1). »
Tous les hoinmos n’avaient pas cgaloment droit a
l'initiation. Pendant longtemps , il fallut etre citoyen
d'Athcncs pour y participer. Plus tard, on admit les
etrangers qui se faisaient naturaliser, ou qu’un Athenien
consentait a adopter.
Les esclaves, les Medes, les Perses, les criminels, et
(1) Caillot, Annncdes maconniques.
CHAP. HI. — INITIATIONS ATJX MYSTERES D’iLEtJSIS. 41
jusqu’d. ceux qui avaient commis un meurtre sans le
vouloir en etaient rigoureusement exelus.
Ces derniers cepenrlant finirent par y etre admis apres
s’&tre purifies.
On celebrait les grands Mysteres pendant le raois de
Boedromion, qui correspond a notre mois de septembre.
Les potits Mysteres Staient fixes au mois de fevrier.
Ces derniers avaient lieu non loin d’Athenes, sur les
rives de l’llissus, et etaient principalement consacres a
Proserpine.
On s’y preparait par des jeftnes rigoureux, ainsi que
cela se pratiquait en Egypte.
Quand le rocipiendaire etait arrive au termc de cotto
epreuve, Yllydranos le plongeait dans les eaux de l’llis-
sus. On le faisait ensuite passer a travers les flammes.
Yenaient enfm diverses ceremonies mystiques, apres
lesquelles le neophyte, coui’onne de myrte, posait son
pied nu sur la peau sanglante des victimes et jurait de ne
reveler a personne les secrets qu’on lui avait confies ou
qu’on lui confierait dans la suite.
Lorsque l’attitude de 1’initie etait satisfaisante, et que
rien ne s’opposait a re qu'il fut admis aux grands Mys-
teres, on lui faisait manger des fruits renfermSs dans un
vase appele tambour. 11 buvait ensuite d’une liqueur
connue sous le nom de ciccon et composee de vin, d’cau,
de miel et de farine. Les inities appelaient cymbalo le
vase qui- la contenait.
Les grands Mysteres etaient precedes, comme les pe>
tits, do jeunes, de purifications, de voeux et de sacrifices.
Pendant le temps de ces epreuves, on donnait aux can-
didats une notion vague de ce qu’ils devaient apprendre
le jour de l’initiation. Un an s’ecoulait toujours entre les
grands et les petits Mysteres.
Je crois utile, avant de poursuivre ce recit, de presen-
ter a mes lecteurs les pretres de Ceres, dont la mission
6tait de presider aux Mysteres et d’instruire les inities.
42 ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.\
L’hieropliante, ou chef supreme du sacerdoce, jouissait
du plus grand prestige. II representait le createur de
l’univers. Cette fonction etait hdredilaire dans la famille
d’Eumolpe, fils de Neptune et de Chione. On pretend que
rhierophante devait observer un ceMbat rigoureux. Les
historiens ajoutent que, pour etemdre cm .ui ie feu de
la concupiscence, il rccourait a l’usage externe de la
cigufi.
Apres rhierophante, venait le Dado tty up, ou chef ties
Lmnpadophorcs . Sa pvincipale fonction consisLut a porter
le flambeau sacre. Un soldi d’or brillait sur sa poitrine.
Ses clieveux etaient disposes cu forme de diademe. Ii
marchait a la tote des Lampadophores , ou Porte-Iu-
miores.
WUicroccn/ce , ou herault sacre, occupait lo troisiome
rang. II ecnrtait les profanes, invitait les reeipion-
daircs a g ardor le silence, ou t\ no prononcor que des
paroles convonables et ivcituit les fonnulos sacra men-
telles. II portait un costume semblable a celui que les
poetes donnent a Mercure.
Le quatrieme ministry de la bonne decsse, dans l’ordre
hierarchique. etait Y Epihome, ou assistant a 1’autel. II
portait mi croissant emergent sur le front et aidait fliiero-
phante dans les diverscs fonct-ions de son miuistcre.
Je crois utile de fairc observer iei, avee le E.\ Call-
lot, que les emblemes des ministres du premier ordre
ne difleraient presque pas de ccnx que la Franc-Macon-
nerie a adoptes.
« Ainsi, ditcct auteur, rhierophante, revetu des orne-
c meats de la divinite supreme, est represents dans les
« Logos par le maitre. dont feiubleme est Cctoile flarn-
« boy ante, au centre de laquelle se Irouve la lettre jod ,
« monadc exprimant retro inerdd, le fondement de toutes
« choses. le Demiourgos des Grecs. Le soleil et la lune,
c symbolcs du Dadonque eL de I'Epibume , ont etc consa-
CHAP. III. — INITIATIONS AUX MYSTERES DhtLEtSIS. 43
* eres aux premiers et aux seconds surveillants ; aussi
« ces chefs sont-ils appeles Lumferes.
a De Y Rieroccryce , herault sacre, nous avons faitl’ora-
' * tear. 11 est inutile de rappeler que l'eioquenee etait une
« des principals attributions de Mercure, dont YRiero-
* ceryce portait le caducee (1). »
Aprcs les quatre ministres dont je viens de parler, ar-
rival t 1' Hydration, qui pui'ifiait les recipiendaires, suivant
le ceremonial egyptieu.
Je citerai encore, pour ne pas laisser cette enumera-
tion incomplete, YJIw'aule, on joueur de Mute. Solon to ute
appareiice, la direction des chceurs et de la musique ins-
trumentale lui etait confiee.
Le Lichnophore portait le van mystique. Les Sponda-
phores s’occupaient des libations. Les Camnephores et les
Camdphores etaient charges des corbeilles sacreeset autres
objets du culte employes dans les initiations.
Quand les aspirants avaient ete admis aux petits Mys-
teres, ils portaient Ie 110 m de mysfes. II leur etait permis
de pemitrer dans le premier vestibule du temple.
Les f£tes d’EIeusis duraicut neuf jours.
Le premier jour s’appelait Agyrmos on jour de l’assem-
bl6e, pai'ce qu’on faisait rappel, ce jour-la, des mystes
ou inities aux petits Mysteres qui vouiaient etro admis
aux grands.
Le second jour 6tait designe sous le nom de Ralade
mystai (a la mer les inities). Ici commengait la prepara-
tion, on quelque sorte immediate, a la grande initiation.
Les aspirants, ranges sur deux files, se rendaient aux
bords dela mer et se puriliaient par de longues ablutions
plusieurs fois repetees. Ils devaient jcunev jusqu’au soir.
Alors, ils nrenaient dans la cyst? sncrce du sesame et des
gateaux de difloreutes especes. Les cystes etaient des cor-
(1) Caillot, Annates Mnncmnianes, t. 1, y. 41.
44 OIUGINES FANTAIS1STES DE LA F.\ M.\
beilles faites en osier ou en bronze dans lesquelles on
]>]acait d’ordinaire des mures, des biscuits appeles pyra-
mides, a cause de la forme quils affectaient, du sesame,
de la laine travaill<?e, des tartelettes, des grains do sel,
un serpent, des grenades, du lierro, des gateaux, des pa-
vots et le phallus mystique.
Le troisieme jour portait le nom de Calathe , ou, selon
divers auteurs, celui de es leche mi/stes (au lit les initios),
it cause do Ja ceremonie qui le tenninait. On immolait
tout d’abord a Ceres 1c poisson appele mulet. Le muht
elait consacre a ectte riecsse, suivant lesuns, parce qu'il
fiaio trois fois Fannee, et, selon les autres, parce qu’il
detrnit le lievre marin, qui est funeste a l’homme. On
offrait encore a Cer6s des gateaux de favine d’orge, en
souvenir de la premiere moisson quo les champs de
FAttique donnerent jadis aux compatriotes de Tripto-
leme.
rendant la sccondc partic de la jonvnee, on dressait,
dans le temple, le lit nuptial, en souvenir de 1 ’enleve-
ment do Proserpine par le dieu des enters. Cliaque
femme faisant partic de la ceromonie avait lc sien en~
toureo do bnndelottes couleur de pourpre. Les liommes
repotaioiit, pour imitor Pluton : Jn me suis r/lisse dans la
couche. Les premiers auteurs du christianisme qui ont
parle des My. s teres d'Eleusis pnHendentque les initios
pousserent bcaucoup trop loin ce genre d’imiiation. Quel*
ques auteurs profanes avouent, de leur cote, que les
scandales dontle temple futle theatre a certain cs epoques
contribuerent a deprecier los Mysteres.
Lequatriemejour, onfaisait la procession du calathus ,
espece de vase en terre quo les Latins appelaicnt quasi l-
hnn. Le calathus avait une large ouverture. Pline l’a
compare a une fleur dc lis. On y mettait des pavots
blancs, des pois, de Forge, du bio, des jets de plantes.
des lentilles, des feves, de Favoine, des figues sechos, du
miel, de l’huile, du vin, du lait, de la laine qui n’avait
CHAP. III. — INITIATION'S AUX MYSTEItES d’^LEDSIS. 45
pas ete lavee et uti couteau de sacrificateur. Le calalhus
etait done le symbole de la fecondite.
On le plagaitsurun char richement decore et trains par
des bceufs. Des femmes le suivaient portant des cystes
ornees de bandeletles.
Cette procession se faisait en souvenir des fleurs que
Proserpine avait cueiilies a son anivee aux enters. Les
grains de grenade que renfermaient les cystes sacrees
rappelaient ceux que la deesse avait manges dans les
jardins de son infernal epoux. Les pavots blancs etaient
une allusion au sommeil dans lequel fut plongee la fille de
Ceres, apres avoir goutc a cette fleur. La procession ter-
minee, les initios des deux sexes se livraient a la danse,
aulour du puits Cal lie ho re, sur la margelle duquel on no
devait pas se reposer, par respect pour la bonne deesse
qui s’y etait autrefois assise.
Le cinquieme jour etait connu sous la denomination de
Lampadephorie. Les inities, unc torcho a la main, defi-
laicnt silencieusement autour du temple. A leur entree
daus l’editice, ils faisaient passer leers flambeaux & celui
qui marekait a la tete du cortege. Cette ceremonie etait
une allusion aux courses de Ceres autour de f Etna, lors-
qu’elle parcourait, la nuil, les Hanes delamontague, dans
l’espoir d’y rencontrer sa fille disparue. .
Le sixieme Jour se nommait lacchos, parce qu'il
etait tout entier consum'd a lacchus, ou Bacchus, fils de
Ceres et de Jupiter. On transportalt solenneliemeat la
statue du dieu d’Athenes a Eleusis. Cette statue portait
un flambeau a la main et avait sur la tete une couronne
de myrto. Elle etait suivie du van mystique, du calathus
et de l image allegorique de la fecondite. Des pretres
deguises en femmes et la foule des inities escortaient
les Phallophores , en dausant et en chantant des hymnes
eu rhonneur d’lacclius.
i\. La procession suivait une route pavee de larges dalles
et connue sous le nom do Vote sacree. Cette route etait
46 OIUGINES FANTAIS.tSTES BE EA F.‘*l M.*'.
bordee de nombreux monuments; Bien que la distance
qui separait AthSnes d’Eleusis ne fut que de quatre
lieues, le cortege 'ne mettait pas moins d’un jour et
demi pour faire le trajet.
Le septieme jour, appele Ge'phyrisme, ou passage, on
traversait un pont autour duquel les curieux se reunis-
saient d’ordinaire, afm de voir le defile. Les spectateurs
ne se contentaient pas d’admirer. Ils prenaient part k la
ceremonie en accablant les inities de sarcasmes de mau-
vais gout et d’injures grossieres. L’usage voulait que
ces dernier s ripostassent sur le meme ton. Cette par-
tie du programme manquait de gravite, mais elle avait
sa raison d’etre, car elle rappelait un episode de la vie
de Ceres.
Aprds cet incident quelque peu tumultueux, le cortege
faisait une station autour du figuier sacre, pour lionorer
le repos que la deesse avait pris sous cet arbre, a 1'epo-
que de ses peregrinations. Puis avaient lieu les cours.-s
de taureaux, dont le prix consistait en une mesure
d’orge.
Le jour precedent, l’Arehonto-roi et les Epimenetes
avaient offert un sacrifice soleunel pour la prosperity de
la Republique.
Les recipient! aires, apres quelques ceremonies secretes,
dont les details ne sont pas arrives jusqu’a nous, etaient
introduits dans le vestibule.
L’j Hierocdryce, elevant alors la voix, s’ecriait : « Que
* les profanes, les impies et ceux dont l’ame est souillee
* de quelque crime sortent d’icil » Quiconque avait le
malheur d’enfreindre cet ordre etait puni de mort.
On plagait une couronne de myrte sur la t£te des ini-
ties, en m^me temps qu’on les soumettait a de nouvelles
purifications.
Ils renouvelaient ensuite le serment qu’ils avaient dejA
fait de garder un secret inviolable sur les choses qui
leur seraient reveres.
CHAP. in. — INITIATIONS ACX MYSTfiRES D'ELEUSIS, 47
Xorsque toutes ces formalites preparatoires etaient
terminus, YHieroceryce, prenant de nouveau la parole,
adressait aux aspirants diverses questions, et celle-ei
entre autres : * Avez-vous mangd du fruit de Cires ? *
Chaque initio repondait : * Non, fai mangi du tambour,
t fai bu de la cymbale , fai porle le kernos , je me suis
i glisse dans le lit. » Ces paroles signifiaient que l’adepte
avait ete re?u aux petits Mysteres. Par la reponse sui
vante, il faisait comprendre au pretre qu’il avait suivi
exactenaent les ceremonies preparatoires a la grande ini-
tiation : « J'ai je&ne, fai bu le cyceon, fai pris de la ciste,
% fai mis dans le calathus, apres avoir travaille, j’ai re-
t mis du calathus dans la ciste. »
A la suite de ces reponses les inities etaient admis
dans l’enceinte sacree.
Les recipiendaires se depouillaient de leurs v&tements
et les remplagaient par une peau de bete sauvage. Puis
on les plongeait dans 1’obscuritS.
Des bruits vagues se faisaient d’abord entendre. Bien-
tot un silence profond succedait a ces rumeurs et jetait le
recipiendaire dans des alternatives de confiance et de
crainte. Apres quelques minutes un long mugissement,
semblable a celui de plusieurs lions, retentissait au fond
de l’edifice. Le temple s’ebranlait, des eclairs sillonnaient
les tenebres et laissaient voir a l’initie des figures hi-
deuses et menacantes. Ensuite, les portes s’ouvraient,
tournant sur leurs gonds avec un fracas epouvantable. Le
calme semblait se retablir, mais c’etait un calme trom-
peur. La tempSte se dechainait une seconde fois avec
une violence extreme. La foudre tombait aux pieds de
l’initie, qui apercevait devant lui, eblouissante de lu-
miere, la statue de Geres. A peine avait-il pu contempler,
une demi-seconde, la figure souriante de la deesse, que
les tenebres l’enveloppaient de nouveau, ne diminuant
par intervalles que pour laisser voir, errant qa et Id, des
fantomes eifrayants.
ORIGIXES FANTAISISTES DE LA F.\ M.\
Une main invisible saisissait tout a coup le recipien-
daire ct l’entrainait vers une region de feu. Le Tartare,
avec toutes ses horreurs, se montrait a ses regards. Ici,
les furies vengeresses tourmentaient les malheureux dont
la vie avait ete criminelle. La des ombres roulaient des-
esperees dans des flots de soufre et de bitume. Plus
loin, la Triple Hecate ct les divinites infernalcs appa-
l’aissaient sur leurs trones d’ebene. Des oris de descspoir,
ontrecoupes de gemissements et de blasphemes, irou-
blaient seuls le silence de ees lieux.
Le guide mysterieux gui avait conduit jusopi’auxportes
de l'enfer le recipiendaire terrific le rameuait vers le
temple, oil se montrait une secondo fois la statue
d’Eleusine.
On penetrait ensuite dans l’Elysee, en passant par le
sancluaire cntr’ouverl.
Ici, le spectacle change. Do longues allocs de palmiers
se deronlent devant l’initie. 11 voit, de tous cotes, des
gazons omailles de fieurs, des cascades dont les eaux se
precipitant en ecuinant, et forment autant de ruisseaux
qui repandont en cos lieux cnchautes une douce frai-
cheur. Dans le feuillage des arbres gazouillont de noni-
breux oiseaux, heureux de sal uer les premieres lueurs
du jour. A ces harmonies de la nature succedcnt des
chants melodicux, auxqucls se melent bieutotles accords
de la mushjiie instrumentale.
Les ministres du temple s’approchent alors du nouvel
adeptc, lc revetent d’unc robe blanche, le couronnent de
fleurs et le presentont a la foule des initios.
Au meme instant, le grand protro apparait sur son
trdue, le front ceint d’uii diademe. Les assistants, les
yeux tournes vers lui, attendent silencieux. L’hiero-
phante dtend les bras et prononce cette priere d’uue voix
solennelle :
« Deesse Isis, les pouvoirs celestes vous adorent et
CHAP. III. — INITIATIONS AUX MYSTERES d’^LEUSIS, 49
« l’enfer vous redoute. Yous faites mouvoir 1’ uni vers,
« vous gouvernez le monde et tout ce qui vit reconnait et
« confesse votre puissance. »
Puis, se tournant vers les adeptes, il continue en ces
tenues :
« Et vous, qui avez l’honneur d’etre admis a nos Mys-
< teres, pretez l’oreille, car j’ai a vous reveler des verites
t importantes. Ne soufTrez pas que des prejuges et des
« affections anterieures vous ravissent le bonheur que
« vous devez puiser dans ces lieux ven6rables. Considerez
« la nature divine, contemplez-la sans cesse. Reglez votre
* esprit et votre coeur, et adtnirez le maitre de 1’univers.
« II est un et nul ne l’a cree. C’est a lui que tous les etres
« doivent leur existence. Invisible aux yeux des mor-
« tels, il voit lui-meme toutes choses. »
Nous retrouvons ici le dogme de l’unite de Dieu. Ce
point de la doctrine eleusiaque etait-il revile a la foule
des iuities? Tout faitsupposer le contraire.
Il n’en est pas de meme de l’immortalite de l’ame. Le
dogme des peines et des recompenses faisait partie de
l’enseignement que les pretres de Ceres donnaient a leurs
adeptes. Toutefois, a en juger par ce que les auteurs nn-
ciens ont ecrit 4 ce sujet, le l'ond de la doctrine sacree
d'Eleusis n'etait autre chose qu’une espeee de pantheisme
agremente de metempsycose.
Suivant Isocrate (1), les inities s’assuraient de douces
espSrances pour le moment de leur mort. Ciceron a
6crit, de son cote, au livre 1“ de la Nature des dieux,
que quand les Mysteres d’Eleusis etaient ramenes a leur
vrai sens, on s’apercevait que le but des initiations etait
d’enseigner aux hommes des v6rites utiles, qui appre-
(1) Isocratjb, Pandgyriques •
F.-. M.*.
4
50 ORXGINE8 FANTAISISTES DE LA F.\ M.*.
naient a vivre heureux et a mourir dans l’esperance d’une
meilleure vie.
Nous savons, en realite, pen de choses sur l’en-
serable des doctrines enseignees par les pretres de
Cerds. soit que le secret ait ete scrupulcusement gard6
par les adeptes. soit quo les Mysteres d'Eleusis consis-
tassont principaJemcnt cn manifestations religiouses.
Cette derniere hypothese me para It la plus vraisem-
blable. Elio est d'aiJlcurs communement adoptee.
Ceux de mes lecteurs qui seraient tenths de croire que
j’ni fait des dernieres epreuves, auxquelles les aspirants
etaient soumis, nn tableau fantaisiste ou exagere. pour-
rout se convaincre du contraire en lisant ce passage de
Themistius, que Stobee nous a conserve (1) :
* L’homme, au moment de quitter la vie, eprouve les
<■ memos torreurs quo lorsqu’il va ctre initie. Les mots
« semblent repondre aux mots, comine les choses semblent
* repondre aux choses. Mourir et participer h l’initiation
* s’expriment par des mots presque scmhlahics. L’initie
« est d'abord environne d'illusions et d’incertitudes.
« Etfraye , il marclic a travers les tenebres les plus
« profondes ; il arrive enfin aux portes de la mort. aux
« confins de l'initiation. C’est la que tout est affreux,
« terrible, epouvantablc ; mais bientot tons ces objets
« effrayants disparaissent. Des pres cmailles de mille
(. fleurs brillent d’une lumiero divine; des hymues et
<i des chants de musique charmcnt tons ses sens. Itecu
« dans cos plaines riantes par des fantomes saints et
* sacres.il est initie; desormais il est libre. Couronue
<• de fleurs, il parcourt les Champs-Elysees, s’approche
« des initios et celebre avec eux les saintes Orgyes. »
Le huitieme jour des fdtes d’Eleusis portait le nom
(I) Stobke, Sententue et Eclogo Gcettingue.
CHAP. in. — INITIATIONS AUX MYSTEEES d’eLEUSIS. 51
(YEpidaurie. II etait reserve a ceux qui n’avaient pas pu
participer aux Mysteres,les jours precedents. On raconte
qu’Esculape, dieu de la medecine, etant venu au temple
de Ceres pour se faire initier, arriva en retard. Mais les
pretres, par consideration pour sa personne et la science
qu’il professait, consentirent a renouveler en sa faveur la
cereinonie de l’initiation. C’est en souvenir de cet evene-
ment que le huitieme jour fut appele Epidciurie, d’Epi-
daure. patrie d’Esculape. et consacre tout entier a la
reception des retardataires.
Le neuvieme jour, que les Grecs appelaient Ple-
mochoe, on faisait aux dieux des libations et ties sacri-
fices d’actions de graces.
Les pretres remplissaient deux vases de vin, et les
placaient, l’un a l’Orient et l’autro a l’Occident, Puis, ils
munnuraient je ne sais quelles formules mysterieuses
qui ne sont pas arrivees jusqu’a nous. Cela fait, ils ver-
saient le vin dans deux ouvertures qu’ils avaient pra-
tiquees dans le sol et pronon^aient les paroles suivantes :
c Puissions-nous arroser, sous de bom auspices, les en-
« trailles de la terre avec ce liquide l »
Des que les fetes d’Eleusis etaient terminees, le Senat
sacre se reunissait, sous la presidence des pretres, dans
1’ Eleusinium, k Atlienes, afln de juger les crimes et de-
bts qui avaient ete commis contre les Mysteres.
Peu de tribunaux ont ete aussi severes que celui-la. La
violation du secret, si legere fut-elle, etait punie de
mort.
Ni la science, ni les services rendus, ni la vertu die—
memo ne mettaient a 1’abri de ses arrets.
Les Eumolpides semblaient prendre k tache de frap-
per des viclimes illustres. On eilt dit qu’ils recloutaient,
pour leur influence, le prestige que le merite exerce d’or-
dinaire sur l’esprit des populations. Diagoras, le pere de
la tragedie, dut quitter la Grece et chercher un refuge a
l’etranger. Alcibiade, condamne a mort, ne put £chapper
52 ORIGINES FANTA.ISISTES DE LA. F.\ M.%
a la sentence qui le frappait qu’en allant chez les Spar-
tiates. Aristote, h, son tour, ps it le chemin de l’exil et se
retira a Chalcis. Socrate lui-meme ne se vit condamne a
mort que parce que les Eumolpides l’accuserent d’avoir
parle avec peu de respect des Mysteres d'Eleusis.
Quelle 6tait done cette doctrine secrete it laquelle on
ne pouvait toucher ?
Les auteurs sont divisSs sur ce point. Ce qu’il imports
dc faire observer tout d’abord, e’est que les inities, a
Eleusis comme en Egypte, se composaient de deux classes
parfaiteinent distinctes : les iuilies du premier degre ct
les inities du second degre. Ces derniers seulcment
avaient une notion exacte des doctrines sacerdotales. La
foule des adeptes ne conjiaissait presque rion des Llys-
teres. Les pretres se bornaient a les leur faire entrevoir
a travel's une foule d’allegories.
M. do Sainto-Croix, dans ses liecltcrches historiques et
critiques sur les mysteres du paqunisme, pretend que,
dans l’origine, les fetes d’Eleusis se resumaient en de
simples lustrations. « Dans la suite, on y ajouta, dit-il,
« une doctrine secrete, ou il ne fut question que des ser-
t vices rendus par les chefs des colOliies etrangeres ct
« les premiers legislateurs, tels que l’etablissement des
« lois, la decouverte de l’agriculture et 1’introduction d’un
« nouveau culte religicux. En y menaQant les profanes
« des puniiions de l’autre vie, on assurait les inities
« d’y jouir d’un bonheur eternel ot d’une preseance
« tlatteuso (1). »
Court de Gebelin emet un avis il peu pr£s semblable
a celui de M. de Sainte-Croix. Voici comment il s’ex-
prime :
« Institues dans un pays agricole, ils (les Mysteres) le
(1) Cajllot, Annales nuu;onmqutSy tom* II, p. 53 et 54.
CHAP. Iir. — INITIATIONS ATJX MYSTfeRES D’eLECJSIS. 53
« furent pour rendre gr&ce a la divinite des biens dont
« elle les comblait, et des suites heureuses de l’agricul-
* ture pour la prosperity de l’Etat. Ils eurent en mime
« temps pour objet d’apprendre aux homines a faire un
« bon usage de ces biens, A meriter, par la, de nouveaux
* bienfaits de la part de la divinity, A eviter surtout les
« chiitiments qui attendent les mechants apres cette vie.
* On y voyait enfin une ressource admirable pour unir
« tout le peuple par les liens les plus etroits de l’amitie
» et de la concorde, et pour lui faire cherir sa pa-
« trio (1). »
Leclerc de Sept-Chines me semble avoir expose, d’une
maniere aussi exacte que precise, les earactores de la
doctrine secrete enseignee aux adeptes du deuxiime
degro.
« Les Mystires, d’apres lui, avaient ete instituis pour
« donner aux inities la eonnaissance de l’Etre-Suprime,
« et 1’ explication des iliverses fables attributes aux dieux
« qui le representaient. La doctrine d’une providence, le
< dogme de l’immortalite de l’ame et celui des peines et
t des recompenses futures; l’histoire de l’etablissement
« des societes, aussi bien que l’invention des arts, parmi
« lesquels l’agriculture tenait le premier rang, tendaient
* it inspirer l’amour de lajustice, de l’humanite et toutes
i les vertus patriotiques, en meme temps qu’ils joignaient
t aux priceptes de la morale la plus pure l’amour des
« verites les plus importantes.
« Loin de detruire le polytheisme dans le sens ou ce
« mot doit etre pris, les Mysteres, ajoute le mime auteur,
« ne tendaient qu’al’etablir; mais ilsle resserraient dans
• ses viritables bornes ; ils le garantissaient surtout des
« ('carts do l’imagination ; et, apris avoir explique ce
(1) C. de Gkbelin, Monde primitif, analyst et compart avec le
monde moderne , Paris, 1770.
54
OBIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.\
« qu’il fallait entendre par cette multitude de dieux of-
« ferts a la veneration publique, ils remontaient jusqu’a
* l’intelligence supreme qui les comprend tous, et dont
« ils n’ etaient chacun qu’une emanation (1). >
De tout ce qui precede, il resulte que les Grocs avaient
cntoure lours initiations de beaucoup de solennite, tandis
que les Egyptians se bornaient a exiger <les initios des
oprouves longues ct peniblcs. Les premiers s’attachaient
a, lrapper l’imagi nation ile la foule, et les seconds, it or-
nerl'esprit do lours adeptes de connaissanccs utiles.
Les pbilosoplies grocs, dont la reputation est arrivee
jusqu’a nous, avaient puise leur science en Egypte et non
point a Elousis. Quelques-uns memo, parmi lesquels
nous trouvons Socrato, ne voulurent pas sc faire initier
aux My stores do Ceres.
Pythagore. <pic l’on place, avee raison, au-dcssus des
autres sages de la Greco, et par l’dtendue de ses con-
naissatices ct par la profondeur de son genie, etait un
eleve des pretres egyptiens et des mages de la Perse.
Non settlement il professa la doctrine de ses anciens
maitres, mais il obligea ses disciples it vivre de la vie
claustralo des grands ini ties d’Heliopolis. Son ecole for-
mait une communaute dont les mombres no eonservaient
aucune relation avec lettrs semblables. Chacun d’eux se
condamnait it ne rien posseder on propre, et se preparait
it 1' etude des sciences par un silence de cinq ans. Seals
les adeptes qui so i'aisaient remarquer par leur intelli-
gence exceptionueile etaient autorises a parler apres
deux aunees d’epreuves.
La doctrine pubflqtte de Pythagore concernait unique-
meut les mmurs. Il 1’enseiguait a tous ceux qui etaient
aptes a le comprendre, et reservait sa doctrine secrete a
ses disciples do predilection.
(1) Leclerc db Sept-Ch£:nes, Histoire fie la Religion greegue,
Gon6ve, 1*785.
CHAP. III.
— INITIATIONS AUX MYS7ERES D’ELEUSIS. 55
Les inities qui ne pouvaient s’astreindre aux exigences
de la regie etaient libres de rentrer dans Ie inonde. Mais,
4 partir de ce moment, on les considerait comme morts,
et la communaute celebrait leurs funerailles.
Pythagore n’ayant jamais ecrit, il est difficile de se
fairo une idee exacte de ses principes philosophiques,
autrement que par les ceuvres de ses eleves.
Comme les pretres egyptiens, il se livra a 1’etude des
mathematiques, de la geometrie et de raslronomie. Seul,
parmi les sages de la Grece, il enseigna a ses eleves le
mouvement de la terre autour du soleil. Il devait, nous
l’avons deja vu, la connaissance de cette verite a ses
initiateurs des bords du Nil.
Pythagore professait l’unite de Dieu.
Il disait que la monade (unite) est le principe de tout.
Puis il ajoutait : La dyade , ou le nombre deux, signifie
la matiere, qui est composee et peut se decomposer, tan-
dis que la monade demeure inalterable. La dyade et la
monade engendrent la tryade, ou nombre irois. La Iryade
forme la plus saintc des eombinaisons de nombres.
Yoici de quelle maniere, dit-on, il definissait Dieu :
« i'n esprit qui se repand et penetre dans toule la nature,
i et dont nos dmes sont tirees. »
Est-ce bien la ce qu’enseignait Pythagore sur la divi-
nite ? Ses disciples n’ont-ils pas altere sa doctrine, dans
le but de la rendre plus accessible a la raison humainc ?
Peut-ou supposer, sans faire injure a son intelligence,
qu’il ait admis une trinite qui serait tout a la fois esprit
et matiere? La monade et la dyade, ou, si l’on veut, l’es-
prit et la matiere, s’unissant pour engendrer la tryade,
et formant, a pres cette mystcrieuse generation, I’univer-
salite de ce qui cxiste, constitue, a mon avis, une mons-
truosite metaphysique dont les pretres egyptiens ne se
sont pas rendus coupables. Il faut alors admettre, ou
que Pythagore a altere leur doctrine, si toutefois il l’a
56 OMGINES FANTAISJSTES DE LA F.\ M.\
connue, ou que ses disciples l’ont mal comprise et mal
interpretee.
Les pythagoriciens croyaient a la spirituality et k
l’immortalite de 1’ame ; mais il y a entre eux , a
propos de ces deux verites, de telles divergences d’opi-
nions, qu’il cst difficile de savoir quelle a ele la pensee
du maitre. Les uns soutenaient que les ames hu-
maines so composaient de particules detachees de Tether
chaud et de Tether froid; les autres, que toute leur sub-
stance etait aorienne. Ceux-ci pretendaient que Tame est
de meme nature que la divinite. puisqu’elie eu emano ;
ceux-la croyaient qu’elle etait engendree comme le corps
et en memo temps que lui.
Les disciples de Pythagore professaient la metempsy-
cose. 11 paralt que, sur ce point, leur euseignement ne
dillerait pas de celui du maitre : ce qui prouve, une fois
de plus, que les pretres d'Egypte s’etaient homes a Tini-
tier comme etranger.
Les Gives admettaient les femmes a l’initiation; mais
tout se bornait, pour elles. a une ceremonie religieuse.
J)es prdtresses, connues sous Je no m de Melisscs, de
Tliasiadcs, d'Hieropluintides ou Prophantides . avaient
pour mission do les iuitier aux Mysteres do leur sexe,
qui n etaient autres que les petits Mysteres. Les pretres
n’intervenaient pas dans cette initiation, parce que les
adeptes etaient obligees d’y paraltre nues.
« Les fetes mysterieuses celebrecs par les femmes, dit
« I’, auteur des A)inalcs maconnicjues, leur appartenaient
t exclusivement. Une loi, en vigueur cliez les Grecs et les
« liomains, condamnait a la mort, ou du moins & la perte
« de la vue, Thomme surpris dans leurs temples pendant
« ces solennites.
« On peut conclure peut-etre de tout ce que nous
« venons de dire que les femmes n’etaientpas admises a
« la veritable initiation-, exclusion qu'elles partageaient.
CHAP. III. — INITIATIONS AUX MYSTERES d’eLEUSIS. 57
« avec la plupart de ceux a qui des signes, des formules
« et de vaines ceremonies avaient persuade qu’ils poss6-
« daient le secret des Mysteres Eleusiniens. Je laisse aux
* vrais masons le soin de peser cette derniere circons-
« tance; eux seuls peuvent sentir ce nouveau rapport entre
« les initiations antiques et celles qui leur ont succede.
« Je le repete, les rites thesmophoriens , ceux de la
« BonneDeesse, n’etaient autre chose que des fetes reli-
« gieuses plus ou moins agreables, ressemblant en quel-
« que sorte a notre Maconnerie d’adoption. Le nombre
« cinq repete plusieurs fois, et qui semble particuliere-
t ment consacre aux thesmophories, est un rapport de
« plus entre les Mysteres des Grecques, et cette institu-
« tion diamante, dont nous aurions puise l’idt'e chez
« elles, si les Frangais avaient besoin d’exeinplcs pour
« concevoir la pens6e de se rapprocher sans cesse du sexe
« le plus aimable (1). »
Le F.\ Caillot se trompe, lorsqu’il suppose que l’ini-
tiation des homines et l’initiation des femmes consti-
tuaient. deux ceremonies completement distinctes. En voici
la preuve : Le troisieme jour des Eleusinies, les adeptes
qui appartenaient au sexe le plus aimable, suivant l’ex-
pression de cc galant ccrivain, dressaient dans le temple
le lit nuptial, pendant que les homines repefaient : « Je
me suis qlisse dans la conche. » Le cinquietne etle sixieme
jour, nous voyons les pretresses, accompagnees de femmes
et de jcunes lilies, figurer soit a la procession des flam-
beaux soit h celle d’lacchus. Les ceremonies ne deve-
naient reellement distinctes qu’au moment de I’initia-
tion, pendant la nuit <lu septieme ou huitieme jour. Pour
justifier la separation des deux sexes, les prStres alle-
guaient l’etat de nudite dans lequel les adeptes devaient
paraitre, avant de pouvoir penetrer dans la partie du
(I) Caillot, Annales maronnirptes, t. I, p. 46, 47 et 48.
58 ORIGINES FAN'TAISISTES DE LA F.\ M.\
temple reservee aux elus. Les huitieme etneuvieme jours,
tout redevenait comraun.
Je crois avoir resume d’une manure exacte les rensei-
gnenients que nous (lonnent les historiens sur les Mys-
teres d’Eleusis, les seuls que l’on puisse rattacher avec
certitude aux initiations egyptiennes.
Je me suis borne a racontcr , a fin que mes lecteurs ne
soient pas exposes a perdre de vue renchaincment des
faits.
Nous allons voir maintcnant ce qu’etaient les initia-
tions en Perse, en Indo-Chine et cliez lespeuples d’origine
cel ti que.
CHAPITRE IV
Initiations chez las Mages, les Chaldeans,
les Brahmanes, les Gymnosophistes et les Druides.
Sommaire. — Les pretres ggyptiens ont-ils emoruntd aux Brahmanes
leurs initiations et leurs doctrines ? — Opinions du F.\ Caillot & ce
sujet. — M<ipris absolu de Tauteur et des ecrivains magonniques en
g^n^ral pour la critique historique. — L'architecture des Perses,
autant qu’on puisse en juger par Jes ruines restees dcbout, prouve
que la civilisation de ce pays tttait d'origine 6gyptienne, en grande
partie du moins. — Zoroastre. — Epoque oti il vecut. — Ses emprunts
h la loi de Moise. — Etahlit-il des Mystdres et des initiations sur le
module de ceux de Memphis et d’Heliopolis? — Systeme religieux et
ritualiste de Zoroastre et de ses disciples. — Science des Mages. —
Leur pouvoir politique. — A quelle epoque remontent les initiations
mythriaques. — Ce que l’histoire nous en apprend. — Culte rendu au
soleil. — Les Mages regardaient-ils cet astre comme un Dieu ? Quelle
difference peut-on etablir entre les Mages et les Chaldeens? — Leurs
connaissances astronomiques. — Les Brahmanes et les Gymnoso-
phistes. — Leur genre de vie. — Leurs doctrines. — Leurs initia-
tions. — Plusieurs families de Brahmanes. — Ce qui diffdreaciait
les Brahmanes proprement dits des Gymnosophistes. — Les Druides. —
Origine des peuples celtiques. — Opinion du P. Pezron a ce sujet.—
Doctrine des Druides. — Leurs id^es sur Dieu et Tame humaiue. —
Mode d’enseignement qu’ils avaient adopts. — Ils n^taient point
inferieurs aHX ChaldSens et aux Mages. — Les Druidesses. — Role
qu’elles jouaient au point de vue religieux.
La plupart des historiens maconniques affirment que
les Egyptiens emprunterent a l’Orieut la civilisation dont
leurs pretres etaient si fiers.
Ouvrages consults : Caillot, Annalcs magonniques . — Pas-
toret, Zoroastre, Confucius et Mahomet. — • Mo ise considers comme
Ic'jislateur et comme moralists . — Les Livres sacres de V Orient » —
60 ORIGINES FANTAISISTES DK LA F.\ M.\
L'auteur des A?males magonniques , d’ordinaire xnieux
inspire, partage cette opinion :
« I/origine de nos My stores, dit-il, touche au berceau
« de la civilisation. Pendant des siecles, 1’homme, agreste
« comme les rochersqu’il habitait. lie connaissant que le
« premier, le plus puissant des bcsoins, celui de la con-
« scrvation, so nourrissait des vegetaux quo la main de
€ la nature avait semes sur ses pas. ou des chairs palpi-
« tantes qu’il disputait aux animaux feroces. Sans ccsse
t errant, sans idecs, sans desirs;plus ou moins cruel.
« suivant l’energie de ses besoins, selon la temperature
« et la fertilite des lieux ou il trainait sa longue enfance,
« il cessait de vivre avant d’avoir su qu’il existait.
« Tel fut l’etat des premiers habitants du globe. »
Lien ne justitie ce tableau fantaisiste de 1* auteur. Le
F.*. Caillot out ete, selon moi, fort embarrasse, si on
l’avait prid do demontrer par quel effort ^intelligence
rhomme primitif etait parvenu n avoir des idees. et a les
Malcolm, II is to ire de la Perse . — Encyclopedic du XIX'- sicr.lr. —
Huet, Bemonstr. i f vangcliques . — Stanley, Histoire de hi philoso-
phic . — Hyde, Pc Ileligione Pcrsarum, — Chardin, Voyage cn Perse .
— Tavernier, Id. — Si/idas, au mot Zoroastre. — Clement
d’ Alexandria, SfromctL — Pkidkaux, IlVtoire desJuifs. — dIIerrulot,
Bibliothcque orientate. — Axqcet/l, Vic de Zoroastre. — Apulke,
Floridor . — Plutarque, Isis et Osiris. — Porphyre, Pe VAbstin. —
Hesyciiius, au mot Mages. — Diogene Laeroh, In Procernio. —
J. Reynaud, Encyclopedic nouvelle . — Ai,fr. Maury (Encyclopedic
moderne y art. Mazde'isme). — La yard {Encyclopedic moderne). —
Gukjniaut \Eneyclupcdie moderne). — Strauon. — Pune. — Saint Au-
gustin, Pc Civitate Pci. — Cicisron, Tusculanrs. — Lucien, De Morte
Peregrini . — Gabien, Preface de V Hist air e dc VEdit de Vempereur de
Chine. — Philostrate, Vie d' Apollonius. — Diodore de Sicile. —
Joseph*:. — Dom Martin, Religion des Ganlois . — Pelloutikr., His-
toire des C cites . — Appian, Pe Bello Annibal. — Pompon i us Mela. —
Tacit e 9 Germ . — Macrobk, Saturn. — Svlluste, Jugurtha. — C.bsar,
Pe Bello Gall. — Euskbe, Prdpar. Evang. — Minutius Felix. —
Luc ain, Phars.y lil>. 1. — Divers auteurs magonniques, la plupart
sans autoritc au point de vue historique, ne sont pas citds ici, bien que
Tauteur les aitlus consciencieusement.
CHAP. IV.
— INITIATIONS CIIEZ LES MAGES, ETC. . 61
exprimer au moyen de la parole ; car il n’est pas vrai-
semblable que le langage ait precede la pensee. Mais
pour les dcrivains de la Magonnerie , ce sont la des
details sans importance. A quoi bon des preuves, quand
leur affirmation suffit pour convaincre la tourbe idiote
des Macons ?
i Enfin, continue l’ingenieux auteur, au milieu de ces
« peuplades sauvages, l’Eternel fit naitre un de ces
a grands genies, qui toujours aii-dessus de leur siecle,
« sans instruction , sans culture , concoivent de vastes
« desseins et les executent, sans autres moyens que l’as-
* cendant qu’ils savent prendre sur les esprits vulgaires.
« Cet homme, que toutes les nations antiques se sont
<-. dispute 1’honneur d’avoir vu naitre parmi elles ; cet
« homme qu’elles ont nomine tour a tour Brahma,
« Ammon, Odin, Promethee, parvint, a force de genie et
« de perseverance, a rassembler les families errantes
« dans les forets ; il repandit sur elles ces / lots de lumiere
« que le grand architecte avait places dans son canir.
« Second createur du monde, il leur annonga un Dieu
« supreme, inimitable, eternel , et leur parla en son
« Rom. »
11 y a, dans ces periodes redondantes a, 1’ usage des
naifs de la Magonnerie, une demi-douzaine d’affii-matious
absolument etranges. Ainsi , d’apres le F.\ Caillot,
1’homme prodigieux auquel nous devons de ne plus vivre
a l’etat sauvage, etait sans culture, sans instruction, comme
ses congeneres, ne possedant pas la moindre idee, ne
counaissant d’autre besoin que celui de sa conservation.
Eh bien, cet homme elementaire concut le vaste dessein
de transformer ses semblables, en rdpandant sur eux les
f lots de lumiere que le grand architecte avait places dans
son cceur. Le F.\ Caillot rejctaitles miracles et ne croyait
pas a l'inspiration des ecrivains bibliques. En cela il
62
ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.*.
avait tort ; car il est moins absurde d’admettre la resur-
rection d’un mort, que la possibility, pour celui qui n’a
ni instruction ni idees d’aucune sorte, de concevoir de
vastes desseins. D’autre part, il me semble que le grand
Architecte se fut epargne une peine inutile, si, au lieu de
creer les hommes & l’etnt sauvage, et de confier ensuite
a Pun d’cux. sans culture ct sans idee, mais doue de genie
el inonde de lumieres, le soin de les civiliser, il los avait
mis au monde intclligents et sociables.
Traiter d’esprits faibles ccux qui acceptent comme
divine la mission de Moi'se, et croiro a l’inspiration
surnaturelle de Bralnna, d’ Ammon, d’Odin on de Prome-
tliee, me semble une contradiction difficile a comprendre
chez des hommes qui font profession de scepticisme.
Le F.\ Caillot continue ainsi :
« A sa voix les arts primitifs sorlirent clu neant;la
« terre. f.iihlement. sollieitce, repomlit aux efforts des
« premiers eultivatours. Con tist fait, le sort du genre
« humain est assure, l’odifice du monde va s’elever rapi-
<■ dement ; Phomme naissant ne craindra plus la faim
« devorante ; le tigre evitera desormais des lieux oil plu-
« sieurs bras reunis sont prets a le repousser.
« Tout ports a croire que les bords du Gange out vu
« s’operer cette heureuse revolution.
« En effet, qu’on admotte le systeme du mouvement
« progressif de la mer d’Orient en Occident ; que l’on
« considerc la position, la temperature de Pintle, on con-
« viondra qu’ellc dut etre le pays do la terre lc plus an-
* ciennement civilise. Tous les lecteurs se rappellent
« sans doute les expressions de cet ecrivain philosophe
* qui traca l’histoire des relations commerciales de 1’Eu*
* rope avec les autres parties du globe.
• En gen oral, dit-it. on peut assurer que le climat le plus favorable
& I’ospcce lmmaina est le plus anciennement peuple. U n air pur, un
climat doux, un sol fertile et qui produit presque sans culture, ont dCi
CHAP. IV. — INITIATIONS CHEZ LES MAGES, ETC, 63
rassem bier les premiers hommes. Sile genre humain a pu se multiplier
et s’etendre dans des climats affreux oft il a fallu lutter sans cesse
contre la nature; si des sables brftlants et arides, des marais imprati-
cables, des glaces eternelles ont regu des habitants ; si nous avons
peupld des forets et des deserts oft il fallait se d^fendre des elements,
des betes feroees et de nos semblables r avec quelle facility n*a-t*on pas
dCt se reunir dans ces contrges d^licieuses oh Thomme, exempt de
besoins, n’avait que des plaisirs ft desirer, oh, jouissant sans travail et
sans inquietude des meilleures productions et du plus beau spectacle
de i'umrers, il pouvait, ft juste titre, s’appeler l'etre par excellence et
le roi de la nature ! »
* Telles etaient les rives du Gange et les belles con-
« trees de 1’Indoustan.
« Si des raisons physiques semblaient insuffisantes
« pour assurer aux Brahmes le titre de fils aines de la
* tcrre, qu’on ouvre les annales des nations, qu’on par-
« coure les anciennes cosmogonies, chaque peuple place
« loin des bords qu’il habitq le berceau de ses dieux et la
* patrie de ses fondateurs. »
Cette affirmation du F.\ Caillot est une contre-verite.
Les anciennes cosmogonies lui donnent le dementi le plus
formel.
« L’lndien seul , continue l’ecrivain maconnique,
« montre les lieux oil naquirent ses bienfaiteurs. Vaine-
« ment. l’antique et orgueiileuse Egypte cherchait a perdre
» son origine dans la nuit du neant. Osiris etait Ethio-
« pien, ses pretres etaient forces d’en convenir(l). Chaque
« annee ils entreprenaient un long et penible voyage,
« pour offrir, dans la patrie d’Osiris, un sacrifice solennel
« avec les Gymnosophistes de Meroe ; 1’Ethiopien, a son
« tour, allait puiser chez ses freres de l’lnde des connais-
« sances nouvelles. »
(1) Osiris etait un ancien roi d’Egypte, et jamais les prStres d’Hilio-
polis n’out reconnu qu’il Cut Etliiopiea.
64 ORTGINES FANTAJSISTES DE LA. F.\ M.\
Le F.\ Caillot poursuit ainsi, quelques lignes apr&s *
t Je le repete, tout porte a croire que le Legislateurdu
« mondo naquit surles rivages delicieux du Gange ou de
« 1’Indus. Ses yeux, avant de se fermer, virent s’elever
* l’edifice imposant qu’il avait construit. Fier de son ou-
* vrage, il put se dire : Et moi aussi, j’ai creS 1’homme.
t Les families qui l’environnaient durent voir en lui
« un etrc au-dcssus de l’liumanite. Celui qui les avait
* arraehees da fond de leurs deserts ; celui qui leur avait
« donne des idees, des sensations nouvelles, dut leur pa-
« raitre un envoye du ciel, une emanation du Dieu qu’il
« leur avait fait connaitre. »
Les families qui virent dans leLegislateur du F.\ Cail-
lot unetre surhumain, n’avaient point tort; il est rare,
en cfTet, qu’un pcrsonnage sans culture et sans idees,
arrive it cultiver ses scmblablcs. it leur donner des idees,
c’cst-ii-dire ce qu’il n’a pas, et it leur demontrer 1’ exis-
tence de Dieu, apres se retro demontree 4 lui-meme.
Le grand initiateur fit mieux encore :
« Il sentit que les yeux de l’hommc etaient trop faibles
« pour supporter l’eclat de la verite, et se garda de de-
« truire une illusion qui lui fournissait un moyen si puis*
* sant de faire le bien. Sos enfants seuls regurent le
« depot tout entier de ses lumieres. Eux seuls furent
« charges de la fonction sacree d’instruire les races
< futures. Telle fut la mission transmise d’age en age
t aux inities de tous les temps et de tous les pays ; telle
* est , je crois , l’origine qu’on peut assigner & nos
t My stores. »
Les descendants du sage dont le F.\ Caillot vient
d’esquisser 1‘histoiro , d’apres des documents aussi
inconnus qu’inedits , suivirent la route qu'il leur
CHAP. IV. — INITIATIONS CHEZ LES MAGES, ETC. 65
avait tracee. Ils inventerent tons les arts, creerent toutes
les sciences, et admirent au partage de leurs decouvertes
quelques homines privilegies. C’est du sein de cette reu-
nion de personnages eminents que partirent les rayons
lumineux qui devaient eclairer l’univers. Ce sont eux
que i’antiquite connaitra sous les noms devenus celebres
de Brahmanes et de Gymnosophistes.
Ces philosophes s’occupaient sans relitche du bonheur
des hommes, contemplaient du matin au soir et du soir au
matin les merveilles de la nature, et trouvaient dans cette
6tude une source inepuisable de jouissances. Rien n’6tait
venu troubler le calme de leurs meditations, lorsqu’arri-
verent les farouches enfants de Vichnou. Ces guerriers,
sans se preoccuper du droit des gens, qu’ils ne connais-
saient probablement pas, le grand Initiateur ayant ne-
glige de l’inventer, ne firent qu’une bouchee des pacifiques
Brahmanes. Quelques-uns neanmoins echapperent a leurs
coups, et sauverent de la destruction les dogmes simples,
mais sublimes de Budda. Ce Budda n’etait autre que le
dieu decouvert par le pere des Brahmanes. Les principes
de ses sectateurs, nous dit le F.’. Caillot, sont consign^
dans les Vedas, et son culte subsiste encore dans les
Indes, chez une tribu faible et dispersee, dont les membres
portent le nom de Schammaners.
« Longtemps avant cette epoque desastreuse, ajoute le
« F.’. Caillot, non contents d’avoir fait le bonheur de
« l’Inde,les Brahmanes pretendirent a la gloire de civi-
« liser le reste du monde. II est probable quo la Perse
« recut les premieres lumieres ; mais des tenebres
« epaissesderobentanosyeuxcettepartiede son histoire.
t Nous savons a peine que trots mille deux cent neuf
<t ans avant l’ere vulgaire, Diemschas ou Djemschid jeta
« les fondements de Persepolis. Au dela de cette epoque,
« il est impossible de rien trouver qui puisse servir 4
« appuyer la plus vague supposition. Si le flambeau des
F.-. M.\
5
66
ORIGINES PANTAISISTES DE LA F. M.\
« arts brilla d’abord pour la Perse, il parait egalement
« certain qu’il s’eteignit bientot, pour reparaitre avec
« tant d’eclat dans la main de Zoroastre. »
Ainsi, avant. Djemschid, les tenebres sont telles qu’il
n’est pas possible de risquer la moindre conjecture. Cela
n’cmpeche pas lo F.\ Caillot daffirmer que le flambeau
dcs arts brilla. pour les Perses a l’epoque oil los 13 rah -
manes illustraient les bords du Gauge par la purete de
lour doctrine. Puis, l’autcur continuant ii plonger son
regard dans la nuit impenetrable des siecles, nous ap-
preiul que le premier Zoroastre, si tant est qu’il y on ait
eu plusieurs, parut sous le regne de Yirenghaan, pere de
Djemschid, bien qu’il soit impossible de savoir quoi que
ce soit des evonements qui ont precede l'epoque oil
vecut ce monarque.
.Te dois faire observer, avant d’aller plus loin, que
Djemschid ne remonte pas a trois millc deux cent neuf
cuts au delii de notre ere. D’apies les historiens les plus
estimi-s, ce souverain regna huit siecles avant la venue
do Jesus-CIirist, acheva laville de Persepolis et b.itit une
parlie de celle d’Ispahan. C’est a lui. parait-il, que les
Perses attribuaient rorganisation, dans leur pays, des
etudes astronomiquos. auparavant inconnues ou negli-
gees. II etablit, dit-on encore, des bains publics, inventa
les tentes et les pavilions, decouvrit l’usage de la cliaux
et jeta un pent sur le Tigre.
A en j tiger par les ruines do I’ersepolis, les Brahmanes
n’auraient ete pour rien dans la civilisation des Perses.
L’architccture de ces derniers etait un melange de style
egypticn et de style medique. Les toinbeaux de la
vieille necropole rappelaient de tous points Jos caveaux
ct les catacombes de Memphis. C’etaient do vastes et
longues galcries communiquant avec dcs salles sombla-
bles a colics dont les pretres des bords du Nil se servaient
pour leurs initiations.
CHAP. IV. — INITIATIONS CHEZ LES MAGES, ETC. 67
« Les habitants du pays (torment aux mines de Perse-
* polis le nom de Tak-Jamschild, ou residence de Jam-
« schiid (Djemschid), qu’ils supposent avoir ete le fonda-
t le ur de la ville ; les Mahometans les designent sous le
* nom de Tchil-Minars ou les quarante colonnes, quoi-
« qu’il reste & peine aujourd’hui les traces de la moitie.
« Ces colonnes et les autres parties auxquelles ellcs ap-
« partiennent sont situees sur une terrasse ayant environ
« b-66 metres d’etendue du nord au sud, et 275 de Test k
t l ouest. On pourrait considerer, a, premiere vuc. cette
t plate-forme comme un parallelogramme ; cependant sa
« forme n’est pas parfaitement reguliere. et se trouve
« interrompuo par les sinuosites de la surface du roc.
« Cette vaste plate-forme consiste en trois terrasses su-
t perposees. Le long du bord de la premiere, on voit de
t larges masses de pierres, et l’on y retrouve les frag-
« ments d’un parapet : ces mines 's’arretent au sommot
« de la rampe qui joint cette terrasse & celle qui est au-
c dessous. Pour monter sur la plate-forme, on trouve un
t magnifique escalier double, ayant ciuquante-cinq
t marches : chaque marchs a 7 metres de long. Le pre-
* mier objet qui frappe la vue du voyageur. lorsqu’il est
« parvenu sur cette plate-forme, c’est un portique im-
< mense. Sur la partie anterieure, on voit sculptes deux
« taureaux gigantesques, animaux fahulenx, gardiens de
« la porte. Ce portique rappelle l’art dgyptien. En exami-
« nant les mines des colonnes, on se figure facilement
« leur emplacement, dans un ordre tout a fait coutj-aire
« au style grec, mais qui semble se rapprocher du style
« arabe, dont quelques monuments, et en particular la
* mosquee de Cordoue, offrent de semblables rangees de
* colonnes. On rencontre egalement une disposition sem-
« blable chez les Egyptiens; le temple d’Edfu en est un
« exemple : la le portique et le vestibule sont de meme
« remplis de colonnes; mais, comme 1’espace est moindre,
« celles-ci sont en plus petit nombre. Les colonnes de
68
ORfGINES FANXAISJ SXES DE LA F.\ M.*
« Persepolis sont en marbro gris ; elles ont pres de
« 2 metres de diametre et environ 24 de haut ou pres de
« douze fois leur diametre (1). »
Apr£s avoir fait initier les Perses par les Brahmanes,
se mettant ainsi en opposition avec les donnees de 1’his-
toire et les indications puisees dans les ruiues que le
temps a Iaissees debout, l'auteur des Annales maqon-
niques n’hesite pas a soutenir l’opinion contraire.
« Lorsque naquit le second Zoroastre, l’insense Cambyse
€ sembiait avoir conc-u 1c projet d’aneantir tous les genres
« de lumiere.
* A 1’instant, ajoute cet ecrivain, ou la doctrine egyp-
« tienne paraissait eteiute dans le sang de ses ministres,
« Zoroastre quitta l'Egypte. Vengeur do ses inaitres, il
t soumit a leurs principes sucres leurs barbares oppies-
« sours. Dos debris do l’ancienne loi, des connaissauces
« quil avait recueillies aux lndes et a Memphis, il forma
« un corps de doctrine qui devint bientot le code reli-
« gieux des Perses, des Chalileens, des Barthes, des Bac-
« trieus, des Saiques, des (Jorasmiens et des Modes (2;. »
Quelques historiens ont pense que Zoroastre avait
6tudie la phiiosophie cliez les Brahmanes. Mais leur opi-
nion ne s’appuie sur rien do serieux. Selon toute appa-
rence, le celebre reformateur naquit en Perse, de parents
obseurs, sous le regno de Darius, tils d’Hystaspe.
Il fut dans sa jeunesse, racontent plusieurs auteurs,
esclave d un prophete, les uns disent de Daniel et les au-
tres d’JClio. Le doctcur Hyde opine pour Esdras. Le sa-
vant ecrivain aitribue memo ft cette domesticite ce que
Zoroastre apu faire de grand comine fondatour il’un culte
nouveau.
(1) Ennjrloptdic du XIX* site!*', art. Persepolis*
(2) (\\u,!.or> )na^jn)u^i'es, t. HI.
CHAP. XV. — INITIATIONS CHEZ LES MAGES, ETC. 69
Quoi qu’il en soit de ces diverses hypotheses, on peut
affirmer que le celebre legislateur connaissait parfaite-
ment les livres mosai'ques. Le sacerdoce con fie, conime
un privilege, a la meme tribu, la dime accordee aux mi-
nistres des autels, la distinction entre les animaux purs
et les animaux impurs, la maniere de se purifier des
souillures que l’on avait contractees, sont autant de traits
de ressemblance qui font du Zend-Avesta une oeuvre
calquee en partie sur la loi de Moise.
Zoroastre etablit-il des Mysteres en Perse sur le mo- •
dele de ceux qui existaienten Egypte? Quelques auteurs :
l’ont suppose, sans toutefois appuyer leur assertion de
preuves convaincantes. Voici, brievement raconte, ce que
nous savons & ce sujet.
Des que les enfants attcignaient leur quinziSme annee,
on les presentait a l’initiation religieuse. A partir de ce
moment, ils devenaient membres du coi*ps spirituel de la
nation. On les preparait a cette ce remonie en leur faisant
porter, sous forme de ceinture, les couleurs de la religion
k laquelle ils etaient voues.
Les disciples de Zoroastre se livraient a des rejouis-
sances publiques, le premier jour de l’annee, parce qu’ils
supposaient que le monde avait ete cree ce jour-la. Ils
solennisaient aussi les fdtes instituees par Djemschid, et
connues 30us le nom de G&haabars ■ Au solstice d’au-
tomne, ils se reunissaient de nouveau en l’honneur de
Mithra, auquel ces temoignages de gratitude etaient bien
dus; car, disaient les Mages, c’est lui qui combat les
ennemis de l’homme, qui protege les laboureurs et ferti-
lise les champs les plus incultes.
Le sacerdoce avait, k sa tSte, un pontife supreme, ou
Mubad-Mubadam. Chaque province 6tait gouvernee par
70 OKIGINES FA.NTAISISTES DE LA F.\ M.'.
une sorte de prelat, ou Mubad. Les simples pr6tres por-
taient le nom de Mages.
Cette organisation etait anterieure h la venue de Zo-
roastre.
Les pretres exercaient la magistrature et puisaient,
dans cotte fonction, un prestige nouveau.
Nul ne pouvait 6tre investi de la dignite sacerdotale,
s’il n’avait donne, tout d’abord, des preuves suffisantes
de son savoir. Au surplus, sa vie devait etre pure et son
corps sans dofauts.
Les revenus des Mages se composaient de la dime qu’ils
prelevaient sur les produits naturels du sol, des contri-
butions volontaires que s’imposaient parfois les citoyens,
des presents que leur ofiraient les souverains et les
grands de l’empire, des droits que leur payaieut ceux qui,
ayant contracts uno souillure legale, avaient recours aux
ceremonies expiatoires etablies par la loi, des offrandes
qui leur etaient dues a l’occasion dc certaines prieres, et
dos droits que la coutuine les autorisait a exiger des
families lorsqu’ils presidaient aux funerailles de quel-
qu'un des leurs.
On a cru pendant longtemps, et la plupart des auteurs
continuent a le souteuir, que les Mages professaient le
polytheisme. C’est une erreur qu’il importe de signaler.
* La theologie des Perses, dit M. J. Roynaud, procede
« de la definition categorique du bien et du mal, et, de-
« terminant sur ces principes les lois de l'union des crea-
« tures entre elles et avec Dieu en vue de la resistance
« au mal et de la perseverance dans le bien, elle se con-
« clut par la prophetie de la reconciliation finale de tous
« les etres dans une adoration commune (1). »
Ormuz est le dieu supreme qui crea le ciel, la terre et
les hommes.
(1) J . Reynaud, Encyclopedic nouvelle % art. Zoroastre .
CHAP. IV. — INITIATIONS CHEZ LES MAGES, ETC. 71
II a sous ses ordres un nombre plus ou moins conside-
rable d’esprits, a la tete desquels sont placees la Bonte, la
Veritd, la Justice, la Piete, laRichesse, l’lmmortalite, qui
doivent etre regardees comme les six attributs principaux
del’Etre souverain.
* La terre, telle qu’elle est dans la pensee d’Ormuz, difc
« M. Alfred Maury, telle qu’elle etait au premier instant,
« en sortant de ses mains, n’etait pas moins parfaite en
« son espece que le ciel. Elle formait un lieu pur de de-
i lices donne a l’homme. Le pays d? Aricine, avec ses
« belles eaux et ses opulentes verdures, representait
« 1’Eden. La source Ardonisour, si celebre dans les poe-
« sies Nackas, n’est meme, a ce qu’il semble, que le pri-
« mitif de la fontaine qui, selon les Hebreux, jaillissait
« du milieu du jardin. Dans le Vendidad-Sadd, Ormuz
« annonce lui-meme qu’il a cre£ ce lieu pour le bonheur
« des etres. Mais a peine a-t-il fait entendre sa voix, que
« le Mai, qui vient de faire son entree dans le monde,
« cleve a son tour la sienne pour le contredire. Le Mai ne
« parait pas precisement coeternel a la divinite ; mais, de
« m&me que dans la Bible, il se manifeste, des que la
« creation est sortie des mains du Createur. II est ici per-
* sonnifxe dans le personnage d 'Ahriman, qui offre la
t plus frappante analogie avec le Satan de la theologie
« chretienne : comme celui-ci, il se montre originaire-
<t ment sous la forme du serpent (1). »
Ahriman est second^, dans sa lutte contre l’humanitS,
par une foule d’esprits mechants. Ormuz invite les hom-
ines et les intelligences celestes elles-memes a combattre,
sous sa direction, l’armee des mauvais genies. Or, nous
voyons dans les Nackas, que cette guerre du hien contre
le mal finit par la defaite des legions ahrimaniques, et
(1( A. Maury, Encyclcpedie modcrne , art. Mazd&sme*
73 ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.* M.\
qu’Ormuz les condamne a rester eternellement emprison-
nees dans les douzackh.
Ormuz, etant la source de toute lumiere, avait le feu
pour symbole.
Do la vient la profonde veneration que les disciples de
Zoroastre professaient pour cet element, et en particular
pour le soleil.
Les Perscs et les Assyriens admettaient I'existence de
nombreux genies, repandus un peu partout, et charges
par Ormuz deveiller an salut des peuples et a la conser-
vation des individus. II y en avait meme qui presidaient
a chaquc jour do l’annee. Leur mission etait de s’opposer
partout et toujours au mal que s’etforgaient de faire les
intelligences pernicieuses dont Ahriman etait le chef.
Les Mages attribuaient aux etres, quels qu’ils fussent,
une forme primitive qui conslituait leur essence et survi-
vait a leur destruction. A la mort de l'homme, cette sub-
stance immaterielle rotournait au ciel, d’oii elle etait ve-
nue. C’etait la que les sacrifices ct les prieres des vivants
allaient la trouver.
La morale des Perses consistait a combattre le mal
moral et le mal physique, personnifies Tun et l'autre dans
Ahriman.
Aussi, pour plaire a Ormuz, il ne suffisait pas que le
disciple de Zoroastre remplit exactement ses devoirs re-
ligieux. II devait encore ne rien negliger pour rendre a sa
demeuro terrestre une partie de sa beaute primitive. Cul-
tiver la terre, la convrir de plantes utiles et agreables,
chercher a l’embellir en mettant a profit tous les secrets
dc la science, Gtaient autant d’actes meritoires aux yeux
de la divinite. Enfin, la loi recommandait au fidele d’cn-
tourcr dc soins les animaux domcsliques et d’eu multi-
plier le nombre. Le bocuf, le chien et le coq, en parlicu-
Iier, faisaient l’objet de sa sollicitude, parce qu’ils
reprdsentent : le beet if le labourage, le chien la surveil-
lance des troupeaux, et le coq la vigilance matinale.
CHAP. IV. — INITIATIONS CHEZ LES MAGES, ETC. 73
Les sciences profanes n’etaient pas non plus dedai-
gn6es par les Mages. Les mathematiques, la geometrie
et 1’architecture occupaient une large place dans leur
enseignement. Mais ils ne communiquaient ces diverses
connaissances qu’aux inities, et a ceux qui se destinaient
au sacerdoce.
Comme en Egypte, le souverain 6tait norame par los
pretres, et ne faisait rien sans avoir l’assentiment du pon-
tife supreme et de ceux qui partageaient sa sollicitmle
pastorale. Le grand pretre ou Mubad-Mubadam 1’ac-
compagnait partout, meme a 1’armee. et l’aidait du se-
cours de ses lumieres, lorsqu’il avait a prendre une
mesure de quelque gravite.
Ici se presente une question que la plupart des his-
toriens se sont posee, sans pouvoir la resoudre d’une
maniere satisfaisante.
Les initiations mithriaques remontent-ellesaZoroastre?
Les auteurs pai'ens se taisent sur ce point. Plutarque
est le seul qui en fasse mention dans la Vie de Pompee.
II raconte que les Mysteres de Mithra avaient ete appor-
tes en Occident par des pirates Ciliciens, 68 ans avant
notre ere. Quoi qu’il en soit de cette assertion, qu’il nous
est impossible de controler, nous savons que, pendant les
premiers siecles du cbristianisme, les pretres Chaldeens
et Syriens propagerent, dans presque toutes les parties
de l’Empire, les initiations etablies en l’lionneur de
Mithra.
La doctrine qui servait de base a ces Mysteres etait
d’une grande severite. Apres avoir constate ce fait,
M. Lajard ajoute :
« Le danger inseparable de certaines 6preuves aux-
« quelles etaient soumis les neophytes, le titre de soldat
« de Mithra qu’ils recevaient au premier grade, les si-
« mulacres de combats qui precedaient l’initiation il cha-
« cun des autres grades, les couronnes qu’on decernait
74 OBIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.'.
« aux ini ties, etaient autant de particularity qui don-
* naient a la celebration de ces Mysteres un caractere
< militaire et belliqueux. Elies durent exercer une puis
t sante influence sur l’esprit et l’imagination des 16gion-
« naires romains ; et si, comine les monuments s’accordent
« a nous le prouver, lo mithriacisme comptait de nom-
« breux proselytes dans leurs rangs, on pout attribuer ce
« succes, non moins a la cause que je viens de signaler,
« qu’au penchant pourainsi dire irresistible qui entraine
« le commun des hommes dans ces associations secretes,
« oti chacun arrive avec la certitude, ou tout au moins
< avec 1’espoir d’obtenir la revelation des mysteres les
« plus profonds de la religion et de la nature (1). »
L’auteur que je viens de citcr rattache les Mysteres de
Mithra a la religion astronomique des Chaldeens. II pre-
tend quo le dognio fondamental de cette doctrine etait la
transmigration dos dines.
Lc but do 1’initiation aux Mysteres, d’apres lui, aurait
ete de donner a ceux que l’on admettait le moyeii d’arri-
ver au huitieme ciel, oil Mithra lui-mbme se chargeait de
les introduire.
Lorsque les aspirants avaient courageusement soutenu
les epreuves, on leur administrait uno sorte de bapteme
et on les marquait d’un signe particular. Ils etaient
ensuite couronnes et armes.
Les inities parcouraient successivemcnt sept grades.
Ces sept grades formaient l’echelle aux sept Echelons,
dont le premier, nous dit Origene, etait de plomb, le se-
cond d’otain, le troisierne de for, le quatrieme de cuivre,
le cinquieme d’un alliagc, lc sixiemc d’argent, et le sep-
tieme <l’or.
Ces sept echelons etaient consacres aux sept divinites
de la semaine, qui representaient les sept planetes, aux-
quelles les Egyplions rapportaient les sept metaux.
(1) Lajard, Encyclopedic nonvelle .
CHAP. IV. — INITIATIONS CHEZ LES MAGES, ETC. 75
Les inities offraient un sacrifice a Mithra. On lui im-
molait d’ordinaire un jeune taureau, mais cet animal fut
plus cl’une fois remplace par des victimes humaines.
Quelques-unes des ceremonies usitees dans les initia-
tions mithriaques rappellent celles qui etaient et qui sonfc
encore en usage dans l’Eglise catholique. Les ecrivains
religieux des premiers siecles ont pretendu, non sans
quelque raison, que les Perses etles Chaldeens les avaient
empruntees aux Chretiens, ce qui prouverait que les ini-
tiations antiques ne s’etaient pas conservees telles que les
Mages les avaient etablies. Ils auraient pu supposer avec
autant do vraisemblance que Zoroastre etant venu apres
Moisc, suivant l’opinion des historiens les plus autorises,
l’auteur du Zend-Avesta n'avait rien tvouve de mieux que
d’adopter, en partie, les rites en usage chez le peuple de
Dieu.
Nonus, Elias de Crete et Nicetas parlent des epreuves
que l’on imposait it ceux qui voulaient se faire initier aux
Mysteres de Mithra, eteD particulier dujeune de 50 jours
par lequel ils devaient debuter. On les enfermait.ensuite
dans un lieu obscur, cornine a Heliopolis. Lorsqu’on les
ramenait a la lumiere, c’etaii pour les condamner a passer
dans la neige ou l’eau froido un temps assez long. Enfin,
on leur infligeait quinze fustigations, de deux jours cha-
cune. Ces fustigations, fait observer un auteur auquel
probablement l’epreuve a paru dure, etaient, sans doute,
separees par les intervalles necessaires aux inities pour
reprendre de nouvelles forces.
Les Perses, les Chaldeens et les Assyriens vdneraient
tous egalement le soleil, sous le nom de Mithra. Le peu-
ple considerait cet astre comme un dieu; mais pour les
pretres et les initios, il n’etait que le tabernacle de la
divinite.
Je dois faire observer ici que la theologie des Chaldeens
ne differait presque pas de celle de Zoroastre. Les Chal-
deens et les Perses croyaient a l’influence des constel-
76 OUIGIN'ES FANTAISISTES DE LA F.\ M.\
lations sur la destinee humaine. De la ce fatalisme que
Ton a reproche, avec raison, aux peuples orientaux.
II n'en est pas moins vrai que les savants de ces deux
grands pays etaient en possession de connaissances as-
tronomiques aussi precises qu’elendues. Les observations
des Chaldeens, en particulier, remontaient A une epoque
fort roculee, au dire de Callisthene. Les plus anciens cal-
culsd'eclipses de soleil quo nous connaissions d’eux, sont
de 721 nvanfc Jesus-Christ. Ptolemee les a enregistres dans
son A Imagpste. Les Chaldeens etaient, en outre, parvenus
a determiner le mouvement moyen de la lune et si predire
exactement les eclipses de cet astre.
« Par la fixation des points equinoxiaux et solstitiaux,
« dit M. Guigniaut, de l’lnstitut, ils avaient trouve a peu
i pres l'annee vraie, avec ses quatre saisons, et divise
€ l’ecliptique en douze parties egales on doderatemories,
t ce qui les mcna A. cette construction sirguliere, astrolo-
t gique et symbolique tout ensemble, qu’on appelle le zo-
* diaque. Le zodiaque nous parait, ainsi qu’A M. Ideler,
< d’iuvention chaldeenne; seulement nous allons plus loin
« quo lui, et surtout que notre ami Letronne, qui est re-
c venu en partie, dans ces derniers temps, A son opinion.
* Nous pensons, avec M. Ideler, que les Chaldeens ont
« eu a la fois les signes et les noms des signes; avec
« ?,I. Letronne, que les noms, tels que les Grecs nous les
« - nt transmis, etaient inseparables des figures zodia-
< rales, les impliquaient necessairoment. Mais au lieu de
« rapportcr aux Grecs et les noms et les figures, comme
« persists A le faire notre savant ami, en laissant seule-
« ment aux Chaldeens la division abstraite et purement
* astronomique de l’ecliptique, nous croyons que les
* Chaldeens ont tout invente, signes, noms et figures, en
i un mot qu’ils ont cree tout d’une piece, le zodiaque tel,
« A peu pres, que nous 1’avons (1). »
(1) Guigniaut, Encycloptdie moderne> art. Chaldde.
CHAP. IV. — INITIATIONS CHEZ LES MAGES, ETC. 77
Le nom de Chaldeens, quand il est question de science
et de theologie, s’applique d’une maniere exclusive a la
caste sacerdotale. La comrae en Perse, enEgypte, et dans
les Gaules, les pretres ne communiquaient ce qu’ils savaient
qu’a de rares inities, et souvent d’une maniere incom-
plete.
On peut done supposer, a defaut d’autres preuves, que
les Mysteres mithriaques, dont jeviens deparler. etaient
un res te des initiations imaginees par les pretres chal-
deens et les Mages, pour empecher que leur science ne
devint l’apanage de la fou le.
Les Brahmanes et les Gymnosophistes diiTeiaient, sur
ce point, des pretres de la Perse et de la Chaldee; car ils
teuaient a honneur d’avoir un grand nonibre de disciples.
Strabon nous raconte qu’ils avaient coutume d’envoyer
un des leurs aupres des femmes enceintes pour capter
leur conliance, et s’assurer l’education des enfants qui
devaient naitre.
Ces philosophes habitaient hors des villes, et menaient
une vie rigide. Amen pretend qu'AIexandre les avait en
grande veneration a cause de leur Constance a mepriser ce
que les autres homines recherchent avidement.
11s couchaient sur des peau::, ne rnangeaient point de
viande et observaient un denii-cuiibat, que quelques au-
teurs ont trouve meritoire. Chacun d'eux avait sa cellule.
Ils ne se reunissaient que pour philosopher et chanter des
hymnes en l’honneur de la divinite. Leurs disciples de-
vaient etre forts attentifs aux discours qu’ils leur adres-
saient, si bien que celui (Ventre eux qui avait le malheur
de rompre le silence ou sculement de cracher pendant la
lecon du maitre, etait exclu de la reunion le reste de la
journSe.
Apres etre reste trente-sept ans avec eux, leurs disciples,
78 OntGINES FANTA1SISTES DE LA F.\ M.\
qui otaient alors de veritables initios, pouvaient, en toute
liberty, retourner dans le monde et contracter mariage.
Mais il leur etait defendu de philosopher avec leurs fem-
mes ; car, si elles manquaient de sagesse, dit Strabon, il
y avait tout & craindre pour les secrets qn’on leur con-
fiait, ct si, an contraire, elles possedaient lcs qualites
qu’exige l'etude de la philosophie, tout faisait supposer
qu’une fois philosophes. elles refuseraient d'obeir h leurs
marts. Il parait cependant que cette regie n’etait pas ab-
solue, au dire de Nearchus. Get auteur fait observer
neamnoiits que les fomincs n'arrivaieut jamais ii eire ini-
tides completement. On voit que la Frane-Magonuerie
d’adopliou n’est pas une chose nouvelle.
Les Brahmanes disaient que la vie presente, pour ceux
dont la conduito s’est toujours harmonisee avec les eusei-
gnements de la philosophie, no doit litre considerec que
comme une sorto do conception. Ils croyaient quo la mort
est une vraio naissance fi la vie de bonheur qui attend
l’homme vertueux. Ils repetaient souvent a leurs disciples
quo les accidents qui vienuent trouble r l’existence hu-
mainc tie sont ni un bien ni un mal, attendu que les
memos choses plaisent mix uns et deplaiscnt aux autres,
et produisent parfois, suivant la difference des temps et
des circonstances, cette double impression sur les memes
indi vidus.
Ils enseignaientaussi que la terre est spherique, quo le
monde avait ou un commencement et qu’il aurait une fin,
que l’uuivers etait l’osuvrc do Dieu, qui, apres l’avoir
fonne au inoyen de ce qu’ils appelaient la quintessence
des etres, le conservait et le gouvernait. Ils soutenaient
enfin que l’essence divine est presente partout, qu’ii la
mort les justes serout recompenses et los mediants
punis.
Les Brahmanes se divisaient entrois grandes families,
lcs Brahmanes proprement dits, les Germanes et les
Gymnosophistes. Les Germanes se suhdivisaient, do leur
CHAP. IV. — INITIATIONS CHEZ LES MAGES, ETC. 79
cotd, en Germanes et Hjiobiens. Ces derniers jouissaient,
parait-il, d’une grande estime, i cause de l’austerite de
leur vie. Ils se nourrissaient exclusivement do fruits sau-
vages, etaient vetus miserablement, et observaient un
celibat rigoureux.
Les Gymnosophistes ne portaient aucun vStement, s’il
faut en croire la plupart des auteurs. Suivant d’autres,
leur costume se bornait a une ceinture. Saint Augustin
partage ce dernier sentiment, qui parait etre le plus pro-
bable (1).
Certains Brahmanes remplissaient les utiles fonc-
tions de medecins. n’etaient pas sedentaires. Ils
allaient et venaient, visitant les malades et leur adminis-
trant des remedes d’une efficacite problematique. Ils con-
naissaient le moyen, nousraconte Strabon, de faire cesser
la sterilite des femmes.
Get ecrivain facetieux ajoute qu’a cause de ce mer-
veilleux privilege, on leur donnait volontiers l’hospi-
talite.
Lucien a pretendu, & propos de la mort de Peregrinus.
qu’ arrives a un certain dge, les Brahmanes de tous rites
dressaient eux-memes leur bucher, y mettaient le feu et
s’avancaient gravement au milieu des flammes, conser-
vant jusqu’au bout leur dignito de philosophes.
Les Gymnosophistes de l’lnde habitaient sur les rives
du Gange. Ceux d’Ethiopie s’etaient lixes a quelque dis-
tance du Nil. Ces derniers n’avaient pas de maison et
vivaient, isolement. Us se livraient tour a tour a l’etude et
aux exercices de la vie religieuse. On croit generalement
que les Gymnosophistes d’Ethiopie dtaient une branche
d6tach§e de ceux de l’lnde. Mais ils refusaient de recon-
naitre cette origine.
La doctrine de ces philosophes ne differait pas d’une
manure sensible de celle que nous avons attribute aux
Brahmanes.
(1) August., De civit . Dei, lib. XIV, cap. xvu.
80 ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.’.
Les Gymaosophistes avaient des disciples, comme les
Brahmanes. Les soumettaient-ils k des epreuves, suivant
en cela 1’exemple des pretres egyptiens ? L’histoire est
rauette sur ce point.
Les anciens Brahmanes ont des continuateurs dans la
secte des Bramines, dont je n’ai pas a m’occuper, les
Logos maronniques n’ayant jamais souge a les classer
parmi les Enfantsde la Veuvr.
II n’en est pas de meme des Druides, qu’elles ont adop-
tes, je ne sais pourquoi. II n’y a, en eitet, rien de commiui
entre cette caste sacerdotale et les chevaliers de l’Equerra
et dn Fil a plomb.
Suivant une opinion, qui parait etre celle des ecrivains
les plus competents, les Celtcs. dont les Gaulois fai.saient
partie, descenduient de Gomer, Ills aine do Japhut.
Lour premier etablissemcnt etait situe dans la Haute-
Asie. non loin de la mer Caspienne. Pendant longtemps,
ils porlercnt lo nom de Goiuariens, de Gomares ou Go-
marites. Go peuplc se repandit en Armenie, en Cappadoce,
en Phrygie, et dans les environs du Pont-Euxin. Ceux
d’entre les Gomares qui occuperent cette derniere con-
tree sont connus sous la denomination de Cimberiens, ou
Cimbres (1). Apres avoir peuple les bords de la Vistula ct
la Chersonese Cimbrique, ils se ropandirent dans la
Gaule, ou leur nom de Cimbres se transforma on celui
de Gaulois.
Les Romains appliqndrent la denomination de Celtes
aux peuplades qui oeeupaient le territoire dont se com-
(1) Quelques historiens out cru que les Cimbres et les Cimmeriens
£taieut deux peuples di brents. Jlais rien ne justifie cette opinion. 11 y
a eu plusieurs emigrations snccessives de Cimmeriens. Les derniers
Emigrants exer<;aient une poussee sur ceux qui les avaient prdc^Jes, et
les contraiguaieiit ainsi a poursuivre leur route vers le norcl et Touest
de l’Lurope.
CHAP. IV. — INITIATIONS CHEZ LES MAGES, ETC. 81
pose la France actuelle. Mais, en realite, la race celtique
embrassait un grand nombre de peuples disperses en.
Europe et en Asie.
Ceux d’entre les Gomares qui occuperent tout d’abord
la Phrygie ne tarderent pas a se repandre dans la Thrace,
la Grece et l’ile de Crete. Ils sont passes a la posterity
sous le nom de Titans.
Un savant benedictin, dour Pezron, a montre, par de
noinbreux exemples, que la plupart des mots dont se
servaient les Grecs avaient une origine celtique.
Voici ce que nous lisons dans une lettre que ce reli-
gieux ecrivait a l’abbe Nicaise, un de ses amis :
< Vous sere/, surpris, Monsieur, quand je vous dirai
« que j’ai environ sept ou huit cents mots grecs, je dis de
« simples racines, qui sont tires de la langue des Celtes,
« avec presque tous les nombres; par exemple, les
« Celtes disent dec, dix; et les Grecs, deka. Les Celtes
« disent pemp, cinq ; et les anciens Grecs eoliens, pempd.
« Les Celtes disent pedwar ou petoar, quatre; et les Eo-
« liens, pe'torcs. Les Celtes disent undec, onze ; ddoudec ,
« douze, etc. Les Grecs endeka , dodeka, etc. Jugez du
« reste par cet echantillon (1). »
Je n’ai insiste sur l’origine des Celtes qu'afin d’expli-
quer la communaute de croyances qui existait entre les
anciens Druides et les sages de l'Orient.
Les Gaulois avaient meme conserve plus fidelement
que lesPerses, les Medes et les pretres egyptiens certai-
nes parties du culte rendu h Dieu par les patriarches.
Comme ces derniers, ils n'erigeaient a la divinite ni tem-
ples, ni statues. Les sacrifices se faisaient dans des lieux
solitaires, que le sejour de l’homme n’avait souilles d’au-
cun crime, et sur un simple autel de pierre brute. Ils
(I) ICucyclopcdlc ou Diciionnaire universel raisonn^, art. Ccllts.
v.\ M.-.
6
82 ORIGINES FANTAXSISTES DE LA F.\ M.\
choisissaient de preference les lieux eleves, se confor
,nant ainsi k tine tradition que nous retrouvons dans
i’Ecriture.
L’idee que les Druides se faisaient de la divinite etait
grande. Ils croyaient qu’clle devait etre honoree par le
respect, le silence et l’admiration, autant, sinon plus, que
par les sacrilices. Ils ne voulaient pas qu’on lui erige&t
des statues, parce que rien, dans l’homme, ne peut don-
ner une idee, memo lointaine, de ses hautes perfections.
Pour eux comrne pour les Mages, comrae pour les Chal-
decns, les Drahmanes, les Gyranosopliistes et les pretres
dgyptiens, il n’y avait et ne pouvait y avoir qu’un Etro
Supreme, createur do toutes choses.
Us enseignaient que l’ame est immortelle. Ceux dont la
vie avait ete souillee par des parjures. des assassinats ou
des adullercs desceudaient dans le Tartai'e pour y etre
chillies eternellement. Ceux, au contraire. qui s’etaient
fait remarquer par la regularite de leur conduite, habi-
taient un lieu de deli cos plus brillant que le soleil. Les
guerriers morts pour leur patx’ie etaient recus dans le
Valhalla, avec Hesus, le dieu somcrain. De la, nous
disent les historiens, le courage indomptable dont les
Celt's faisaient preuve dans les combats.
1 .os Druides resisterent longtemps au toi’rent qui en-
tralnait les foules vers l'idolatrie. Mais ils durent coder a
1’opiniAtrcte du peuple, et fermer les yeux sur des abus
auxquels ils ne pouvaient remedier.
11s imkerent en ccla les pretres d’Egyptc, qui prirent
It parti de tolex’er les superstitions populaires afin de
eouserver leur influence, se reservant de livrer intact k
reux qu'ils mitiaient le L'esor de la verite.
< En Egypte, dit Synesius, les prophetes ne perinet-
p tent a aucun artiste <le representer les dieux, de petir
< qj i! ne s’ecarte trop do l’ideequ’il faut en avoir. Mais ils
« savent bien se jouer du peuple au moyen des bees
CHAP. XV. — INITIATION'S CHEZ LES MAGES, ETC. §3
« d’eperviers et d’ibis qu’ils font representer en relief sur
* la facade des temples ; tandls qu’ils s’enferment dans le
« secret des sanctuaires pour derober a la vue de la foule
« les mysteres qu’ils c61£brent devant des globes, qu’ils
* ont encore soin de cacher sous des appareils ing^nieux.
t La precaution m&me qu’ils prennent de couvrir ces
c globes a pour but de ne pas rdvolter le peuple; car tout
« ce qui est simple il le meprise ; et il faut, pour 1’amu-
« scr, des objets qui le frappent et le surprennent; au-
« Irement on ne gagne rien ; c’est Id son caractere (1). »
Le dieu unique qu’adoraient les Druides s’appelait
Hesus. Les Scandinaves qui etaient. eux aussi, de race
ceLique, lui donnaient le nom d’Odin. C’etait to ujours &
l’ombre de grands chines qu’ils lui offraient leurs sacri-
fices, parce que, des la plus haute antiquite, les peuples
avaient consacre cet arbre h la divinite.
Les Druides, comme les sages de l’Orient, croyaient a
1’origine divine de l’liomme.
Pour sauver du naufrage les dogmes de leurs aieux, ils
ne trouverent qu’un moyen, celui auquel avaient eu
recours les Chaldeens, les Mages, les sages de 1’Egypte
et les Brahmanes', et qui consistait a former des Sieves et
h les initier aux Mysteres.
Les pretres egyptiens et les sages de l’Orient se
servaient, en partie, de l’ecriture pour instruire leurs
disciples. Les Druides, au contraire, avaient adopte,
d’une maniere exclusive, l’enseignement oral. Ceux qu’ils
voulaient bien admettre dans leurs rangs etaient obliges
d’apprendre par coeur tout ce qu’ils devaient savoir.
Afin d’ aider leur memoire. on avait redig£ en vers les
diverses matieres qui faisaient partie de l’enseigne-
ment.
Ils faffiiliarisaient leurs disciples, non seulement avec
(i) Do>£ Martin, La Religion tics Gavloh , t. I flr , p, 20,
84 ORIGINES FANTAIS1STES DE LA F.\ M.*.
les choses de la religion, mais encore avec les lettres et
les sciences profanes.
Les Druides connaissaient la forme de la terre, s’occu-
paient, a l’exemple des Chaldeens, du mouvement des
astres, des phenomenes de la nature, de mathematiques
et de geometrie. La jurisprudence et la politique ne Ieur
etaient pas etrang6res, puisqu’ils rendaient la justice en
meme temps qu’ils dirigeaient les affaires de l’Etat.
Ils exergaient aussi la medecine. Mais on les accuse
d’avoir mele a cette science une foule de superstitions
auxquelles ils ne croyaient pas.
Le college ou les Druides achevaient leur education
etait en Angleterre. Ils l’avaient etabli de l’autre cote de
l’Ocoan, alin de le soustraire a la funeste influence des
idees nouvelles que les etrangers avaient apportees dans
les Gaules.
Un grand nonibre d’eerivains placent les Druides sur
le ineme rang que les Mages, les Chaldeens et les Gymno-
sopliistes. et les citent, comme etnnt les peres de la philo-
sopliie grecque, au memo titre que les sages de V Orient.
Citons, parmi ces auteurs, Diogene Laerce, Polyhis-
tor, Origene, Clement d’ Alexandria, Aristote et Sotion.
Le temoignage de ces deux derniers a une valeur toute
particuliere.
Nous avons vu que les pretresses jouaient, dans les
Mysteres d’Heliopolis et d’Eleusis, un role relativement
important. II en etait de memo dans les Gaules. Les
Druidesses jouissaient d’unc grande influence; car, non
contentes de presider a la plupart des sacrifices, elles
faisaient profession de predire l’avenir. Sous ce rapport,
les Druides se separaient absolument desBrahmanes qui
circonscvivaient le plus qu’ils pouvaient le role de leurs
femmes.
Les Druidesses se divisaient en trois classes : les unes
gardaient tonjours la virginite; les autrcs, quoique ma-
riees, observaient la continence toute l’annee, a l’excep-
CHAP. IV. — INITIATIONS CHEZ LES MAGES, ETC. 85
tion d’un jour, qu’elles pouvaient passer avec leurs ma-
ris. Enfin, il y en avait qui menaient la vie de famille et
qui elevaient elles-memes leurs enfants.
Tel est, en resume, l’ensemble des faits que les histo-
riens nous ont transmis sur les initiations druidiques.
Dans le chapitre suivant je ferai connaitre, avec quelques
details, les points de contact qui existaient entre les
diverses theogonies de l’antiquite.
Nous verrons, en terminant, s’il est vrai que les Francs-
Macons se rattachent aux castes sacerdotales de l’anti-
quite, ou s’ils n’en sont que les plagiaires.
CHAPITRE V
La Franc-Magonnerie et les anciens Myst^res.
Sommaire. — Traits de ressemblance entre les doctrines et les coutu*
mes du ]>eu)>le liebveu et cellesdes Druides. — Uniformity de croy a ri-
ces entre les Druides, les pretres dTIeliopolis, les Mages, les Chal-
deens, les Brab manes et les Gymnosophistes. — Explication de ce
fait historique aujourd'hui ddmontry. — Que pcnser de la pretention
qu'ont les sectes maconniques de continuer parrai nous les anciermes
castes sacerdotales ? — La raagonnerie rejette, sans meme s’en dou-
ter, les enseignements de ceux dont elle se dit hdritidre. Le
Grand-Orient de France admet ofllciellement l’athyisme. — Contra-
diction des adeptes qui, apr£s avoir jurd fidelity aux statuts de la
Maronnerie , continuent h pz'ofesser des principes religieux. —
Ignorance de la generality des Francs-Magons, meme au point de vue
de la science maconnique. — Opinion des domains de TOrdre h 1’en-
droit de cette question. — En quoi les auteurs magouniques les plus
exigeants font consister Tinstruction des adeptes.
Celse, dans ses attaques contre les Chretiens, avait soin
de mettre en relief les traits de ressemblance qui exis-
taient entre la doctrine des Juifs et celle des anciens
Outrages coasultds : Dom Calmet. Dictionnaire do la Bible , —
Comment . Genes . — Origene, Contr . Crls . — Saint Jerome, In Jcrcnu
et in Zach . — Eusebe, 2W monstr . — • Prtyar . Evangel , — Cesar, BelU
Gal , — Josepiie. — Aristote, Be mundo . — Tacite, De Morib . Germ .
— Strabon, lib . III. — Saint Augustin, Conf . — Saint Clement
d ’Alexandra, Stro 7 n . — Tertullien, Adv . Marc . — Apolvgdt .
— Plutarque, Isis et Osiris. — Pune, lib. XXII. — Dioboreoe Sicile,
lib. I. — Herodote. — Dom Martin, Relig ion des Gauluis. — S. Pellou-
tier, Histoire des Celtes . — Ammien-Marc., lib. XV. — Saint Chrys.,
Sermons. — Diog. Laert., Prooem. — Cjceron, De Dimnitat. — De
Divinat. — Macrobe. — Pomponius Mela, lib. III. — Suidas, tome I.
— J, Saubert, De Sacrificiis . — Denis d’Halicar., lib. II. — Suetone,
Doniit . — d’Oiugny, L'Egypte ancienne. — V'. Idjiez, La Trinity
CHAP. V. — LA P. - . M.\ ET LES ANCIENS MSS TERES. 87
Druides, opposant, comme un argument qu’il croyait
irrefutable, l’antiquite de ces dogmes a la nouveaute de
l’Evangile.
Je crois devoir signaler, a mon tour, ce qu’il y avait de
commun entre le Druidisme et la religion, la discipline
et le gouvernement des patriarches et des Juifs.
Abraham etablit sa demeure sous un arbre, qui n’etait
autre que le chene de Mambre. II y erigea un autel et y
offrit des sacrifices. Ce fut la qu’il exer$a l’hospitalit6
envers trois anges qui vinrent le visiter.
A partir de ce moment, le chene devint inviolable, et
personne n’eut ose le couper ou le profaner.
Dom Calmet, parlant du bois de Bersabee, s’exprime
ainsi :
« Ce qu’on lit ici (dans la Genese), et invocabil ibi
« nomen Domini, il y invoqua le nom du Seigneur, fait
« croire que le patriarchs (Abraham) planta ce bois pour
« y dresser un autel, et pour y faire ses actes solennels
* de religion.
« II ne parait pas que du temps d’Abraham l’on edt
« encore bati des temples en aucun endroit du monde,
* mais seulement des autels, que l’on dressait sur les
i hauteurs ou dans les bois. On ne trouve riendeplus
« ancien en matiere de monument de religion, ni chez les
« auteurs sacres, ni chez les profanes, que ces autels et
« ces bois sacres. Abraham b&tit un autel dans le bois de
egyptienne, — Grata Bepoa. — Pernetti, Les fables igypt. et
gvecq . dcvoilee*. — Lb F.\ Heghellixi, La Maqonnerie considered
comme le rcsultat des religions egypt., juive et chrilienne . — Ragon,
Orthodozcie maronnique . — Le F.\ Bertrand et Le F,\ Dupuis, Bis -
coin's. — Lou bee, Etudes sur la Maeonncrie . — Bernard- Ac arry, La
Franc-Maconneric du Grand-Orient. — F.\ L&vesque, Aper$u g&n&r.
et histor. des principals sectes mctQonniques.
Nota. — L’auteur a du, avant d’ecrire ce chapitre, computer k nou-
veau les divers auteurs tlejk consults k l’occasion des premiers cha-
pitres, mais il ne croit pas utile d’en reproduire ici la nomenclature.
88 ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.\
# Mambrfi, il planta un bois a Bersabee, et y erigea un
« ante]. Isaac en dressaun pres do Sichom, et apparem-
* meat sous le memo chenc, on dans le meme bois ou
€ Josue en batit un quclque peu avant sa mort ( 1 ). »
La conduite dos palriarches ifavait rien (pie de fort
legitime. Mais elle 11c tarda pas a otre mal interpretec. si
bien (pie la superstition imagina toute sorte de merveilles
sur le chene do Mam b re et sur les chenes en general.
Lcs Gaulois, de lour cote, avaient pour cet arbre une
profondo veneration. Tous les sacrifices devaicnt se faire
ii sou ombre. Les Druides fixaient leur demeure et
reuiiissaieat ieurs assemblies dans des bois oxclusive-
ment composes dech&nes. Ils y rendaiont la justice, car,
commc les Mages de la Perse, ils etaient en meme temps
pretros et magistrals. Enfin, ils etablissaient leurs col-
leges dans les forets de chencs, et cueillaient sur cet
arbre le gui sacre, qu’Hesus, le Dieu supreme, prenait
soin d’y fniro pousser.
Les Juifs avaient u a Grand Pretre. qui etait le chef de
la caste sacerdotale.
A la tote des Druides setrouvait une sorte de Souverain-
Pontife, dont le pouvoir et la haute dignite etaient
rcconnus de tous.
Les Juifs expulsaient dc la Synagogue ceux d’entre
eux qui s’etaient rendus indignes de participer, avec le
reste du pcuple, au culte public rendu a Jehovah.
Lcs Druides frappaient d’excommuuication les Gaulois
qui refusaient do so soumettre a leurs sentences, et cette
exclusion des Mystercs sacres etait considcrec comrne la
peine la plus grave qui put atteindre un liomme.
Nous retrouvons chez les Egyptiens. les Perses, les
Chaldeens, les Brahmanes et les pretres d’Eleusis la
memo hierarchie sacerdotale quo choz les Juifs et les
(1) Dom Calmet, Comment, Genes .
CHAP. V. — LA F.\ M.*. ET LES ANCIENS MYSTERES. 89
Gaulois. Le culte des bois sacres et 1’excommunication
etaieut connus et pratiques sur les bords du Nil et sur les
rives du Gange, aussi bien qu’a Babylone, & Persepolis
et a Athenes.
Les Juifs se reunissaient tous les ans au Temple de
Jerusalem, et avant la construction du Temple, a l’endroit
on se trouvait l’Arche.
Toutes les annees aussi les Druides s’assemblaient au
pays Char train, ou les Gaulois accouraient en foule, pour
y offrir des sacrifices.
Abraham re$ut l’ordre d’immoler son fils unique. II
obeit a la volonte du Tres-Haut, qui ne permit pas que
le sang d’lsaac coulat sur le bficher.
Nousretrouvons 1’histoire du Patriarche dans celle de
Saturne, telle que nous 1’ont transmise les Scrivains du
paganisme. Abraham etait roi comme Saturne, comme
Saturne il avait un fils unique, concu miraculeusement.
Saturne se circoncit et fit de la circoncision une p"esc op-
tion rigoureuse pour son armee. Le Seigneur imposa
a Abraham et a toute sa posterite l’obligation de se
soumettre a la meme loi.
Le sacrifice d’Abraham peut 6tre considere comme la
source originclle des sacrifices humains, qui furent pra-
tiques chez tous les peuples de l’antiquite, et en parti*
culier chez les Gaulois. Les Juifs eux-memes, intcrpre-
tant mal la loi mosaique. croyaient que, dans certains
cas, ces sortes d’immolations etaient permiscs. Notez
encore que lorsqu’il s'agissait d’apaiser les dieux irrites,
les principaux de la cite devaient de preference offrir en
holocauste celui de leurs fils qu’ils aimaient le plus.
Les pretres de la tribu de Levi ne paraissaient dans le
temple que rev&tus de l’ephod, ou tunique de couleur
blanche.
Les Druides se servaient dans leurs sacrifices de robes
a peu pres semblables. En Egvpte, a Eleusis, en Perse et
en Chaldee, l’usage etait le meme, ainsi que mes lecteurs
90
ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.\
ont pu s’en convaiucre en lisant ce que j’ai dit au sujefc
de ces peuples.
Chez les Gaulois, les femmes jouaient un role impor-
tant comme pretresses.
On n’ignore pas quelle influence les femmes de la Bible
ont exercee parmi les Hebreux. Les pretresses d’Heliopo-
lis, de Perse, de Chaldee, d’Eleusis. et. plus tard, les Py-
thonisses, rappellent a lour (our les Druidesses gauloises.
Les Brahmanes eux-momes initiaient leurs femmes, dans
la mcsure du possible.
Le Dicu des Juifs frappait d’anatheme certains peuples,
& cause des crimes qu’ils avaient eommis. Cet anatheme
s’etendait aux proprietes clles-memes , qui , des lors,
appartenaient au Seigneur. Celui qui se serait permis de
s’eu approprier une partie aurait encouru des peines
terribles.
Les Gaulois avaient coutume de vouer au dieu Mars le
butin qu'ils faisaicnt sur leurs enncmis. Quiconque avait
le malheur d’y toucher etait condamne a mort.
On comiait l’histoire du veau d’or fabrique par les
Hebreux, et l’acte d'idolsltric dont le peuple de Dieu se
rend it coupable a cotte occasion.
Les Gaulois avaient leur taureau d’airain, sur lequel
ils pretaient serment. Le boeuf Apis des Egypticns, les
taurcaux gigantesques qui gardaient, a Pcrsepolis, la
porte d’entree de Tak-Jamscliild, la coutume oh l’on etait
de sacrifier un de ces animaux pendant les initiations
mitbriaques, et les soins respectueux dont Zoroastre
voulait que ses disciples entourassent le boeuf, le plus
utile, a scs yeux, des animaux domestiques, sont la preuve
irrecusable d’une tradition commune a tous les peuples
de 1’antiquite, a l'endroit des liommages dont ce quadru-
ple fut l’objet des les premiers ages du monde. — Chez
les Brahmanes, lo boeuf, la vache et les jeunes taurcaux
etaient consideres comme des animaux sacres.
Dans les calamites publiques, les Gaulois choisissaicnt
CHAP. V. — LA F.\ M.\ ET LES ANCIENS MYSTEEfiS. 91
un homme, qu’ils maudissaient et qu’ils offraient aux
dieux, afiu d’apaiser leur colere.
Qui ne voit la une reminiscence de la ceremonie du
bone emissaire? A la fete de l'Expiation, qui avait lieu le
10 du mois de tizri, les princes du peuple presentaient
au grand pretre deux de ces animaux. L’un etait immold
et l’autre conduit dans le desert et abandonne, apres
avoir ete charge des maledictions du peuple. En Egypte,
comme chez les Hebreux, les victimes humaines etaient
remplacees par des animaux.
Les Gaulois etles Grecs partageaientlesdepouillesdes
ennemis vaincus.
Cet usage leur venait de la Palestine, oil nous le voyons
etabli des le temps de Moise.
On sait que les Gaulois avaient droit de vie et de mort
sur les esclaves qui les servaient.
Us tenaient cette coutume des patriarches, qui, etant
souverains, exercaient, a ce titre, un pouvoir absolu sur
tous les membres de leur famille.
Les Juifs, aussi bien que les Gaulois, les Egyptiens,
les Perses, les Medes, les Chaldeens et les Brahmanes
croyaient a l’immortalite de Fame. Ce dogme, mele, chez
le peuple, a des erreurs de diverse nature, n’ avait subi
aucune alteration dans les rangs des castes sacer-
dotal es.
Les Gaulois qui Staient exposes a un grave peril fai*
saient voeu de racheter leur vie par le sacrifice d’un ou
de plusieurs esclaves. Les peuples orientaux en usaient
de meme.
Le Rhin 4tait pour nos peres un fleuve sacre. II avait
le pouvoir — e’est Julien l’apostat qui nous l’apprend —
de discerner et de venger les outrages que les epoux
infligeaient a lafidelite conjugale.
Les Juifs recouraient aux Eaux de Jalousie pour
dissiper les soupgons qu’ils avaient congus contre la
iidelite de leurs femmes.
92
OttlGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.*.
Autant qu’on puisse en juger par divers passages de
Moise, la musique et la poesie etaient les deux moyens
principaux dont les hommes se servaient, dans les pre-
miers &ges du monde, pour conserver le souvenir des
evenements qui les interessaient cl. les traditions reli-
gieuses dont ils avaient recu le depot.
Les Druides respecterent jusqu’a la fin eetto coutume
des temps primitifs. Les lois et Fhistoire des Gaulois
etaient consignees dans des poemes et descantiques dont
l’ensemhle formait une veritable encyclopedic. Cesar
nous raeonte que leurs disciples mettaient vingt ans ft les
apprendre.
Les Gaulois, les Germains, les Cimbres, les Teutons,,
tous les peuples enfin d’origine celtique portaient a la
guerre les images de leurs dieux, ou ce qui leur servait
de symbole.
Les Philistins agissaient de mome, et les JuIIV. se
faisaient preceder an combat par FArchc cV Alliance.
Los Celtes, comme les Egyptiens. no connaissaient que
trois saisons : Fhiver, le printemps et Vote.
Lesprutres, en Orient, posscdaicnt dc grandesrichesses
et jouissaient de nombreux privileges. II en etait de
m£me des Druides. Nos peres croyaient generalomont
que la fortune publiquc etait plus ou moins nssuree,
suivant que celle de leurs pretres prosperait ou ne
prosp^rait pas.
Dans Forigine, ainsi que mes lecteurs Font vu. les
Egyptiens. les Perses et les Chaldeens n’avaient point
de temples- Les Mrahmanes et les Gymnosophistos n’en
construisirent jamais, et les Druides ne consentirent a
en elever qu'apr^s la conqueto des Gaules par les
Roma ins.
Chez tons les peuples de l'antiquitl, les castes sacer-
dotales conservercnt avec un soiti jalqux le depot des
sciences sacrees et profanes, auxquelles furent initios de
rares disciples.
CHAP. V. — LA P.'. M.\ ET LES ANCIENS MYSTERES. 98
Les dogmes l’eligieux qui faisaient l’objet des initia-
tions etaient partout a peu pres les memes.
Dans les Gaules, comme sur les lords du Gange, en
Egypte , comme en Perse et en Chaldee, les pretres
croyaient uniformement :
1° A 1’ existence d'un Dieu unique, createur de toutes
closes ;
2° A une providence gouvernant le monde et s’interes-
sant aux destinees des peuples et des individus ;
3° A la spiritualite et a rimmortalite de l’ame liu-
maine ;
4° A la distinction du bien et du mal moral :
5° Aux peines et aux recompenses qui attendent
rhomme au dela du tombeau, suivant qu'il a mal ou bion
vecu ;
6° Au devoir impost a l’homme de rendre un culte
a Dieu et de pratiquer la bienveillance envers ses
semblables ;
7° A la necessity de l’expiation, demonti'ee par les
sacrifices que tous les peuples ont offerts, sacrifices tou-
jours sanglants, et presque partout humains, si ce n’est
chez les Juifs;
8° A la creation d’un premier couple, auquel remontent
toutes les races humaines, sans distinction de langage et
de couleur ;
9° A la decheance originelle de l’humanite et a la neces-
site d’une reparation.
Dans la pensee des anciens sages, cette restauration
de rhumanite ne pouvait pas etre l’ceuvre de rhonxme. II
fallait que la divinity elle-m^me intervint.
Je dois ajouter que le dogme de la Trinite n’etait pas
absolument inconnu des castes sacerdotales. On en
reti'ouve la trace jusque dans les theogonies le plus
entachees d’idolati'ie.
Cette uniformite de croyance entre des peuples si
divers, et qui n’etaient unis entre eux par aucun lien
94 ORTGIXES FANTAI9ISTES DE LA F.*. M.'.
social, demontre jusqu’a la derniore evidence que les
hommes avaient puise au memo foyer les lumicres qui
n’ont cesse de briller en eux d’un eclat plus ou moins
vif.
Impossible d’expliquer cette unanimity dans la foi k
certaines verites fondamentales, si on n’admet pas le fait
d’une famillc unique au debut de l’humanite, et 1’hypo-
these d’une revelation primitive, dont le temps, l’igno-
rance et les passions avaient denature les enseignements,
sans pouvoir les detruire.
Le fondateur de la religion chretienne n’a pas apporte
au monde les grandes verites qui forment la base du
nouvel edifice religieux. II les a simplement depouiilc'es
des scories qui les rendaienl meconnaissables.
Notre Credo est plus complet que cclui de nos pores,
mais il ne lc contredit pas.
Tin grand nombre d’ecrivains magonniques preton dent
que lour Ordre a succede aux anciennes castes sacerdo-
tales et en professe les doctrines secretes avec. un soin
jaloux.
Ces doctrines ne sont plus un mystere. L'homme du
peuple, qui a regu quelque instruction religieuse, les
connait aussi bien que le savant, et pas n’est besoin
d’organiser des Loges pour en conserver le depot.
Le Grand-Orient n’a rien a, nous apprendre sur l’exis-
tence et l’unite de Dieu, sur la spirituality et l’immorta-
lite de l’ame, sur les peines et les recompenses qui
attendent l’homme an dela du tombeau. sur l’origine de
rhumanite et le fait de la revelation primitive.
Quant aux devoirs qui x-esulient pour nous de la loi
naturelle, dont le decalogue est la plus haute expression,
nous en connaissons la force ct l’etendue, et l’interven-
tion de la Maconnerie ne modifiera en rien notre maniei'e
de voir a ce sujet.
Los auteurs qui out la pretention de faire remonter
aux Brahmanes et auxpretres d’Heiiopolis l’origine de la
CHAP. V. — LA F.\ M.\ ET LES ANCIENS MYSTERES. 95
secte maconnique se trompent grossierement ou abusent
d’une maniere impudente de la naivete de leurs lecteurs ;
car ils ne peuvent ignorer qu’il n’y a rien de commun
entre eux et les philosophes si tolerants et si religieux de
l’antiquite.
Religieux! les Francs-Magons frangais, qui out sup-
prime de leurs statuts le seul article ou ils faisaient pro-
fession de croire a l’existence de l’Etre supreme, sous la
burlesque denomination de Grand Architecte de l’Univers!
Religieux ! Mais vous l’etes si peu, que pour etre admis
dans une Loge, soit anglaise. soit allemande, soit ameri-
caine,vous etes obliges de declarer tout d’abord, sous la
foi clu serment, que vous croijez a Vexistence de Dieu et
a l immortality de I’dme! La Magonnerie etrangere ne
consent a vous recevoir dans ses rangs. qu’apres une
solennelle abjuration des pi'incipes mattrialistes et athees
dont le Grand-Orient de Paris et les Ateliers qui en
dependent font officiellement profession.
Oil ! je sais bien que tous les Macons n’en son t pas arri-
ves a ce degre d’abaissement. J’en aiconnu et j’enconnais
qui croient non seulement en Dieu, mais encore a toutes
les verites qn’enseigne l’Eglise catholique. D’autres,
apres avoir afflche des allures de libres-penseurs. par
ambition, par respect humain, ou par ignorance, n’ont
rien dc plus presse, quand la mort est la, que d’appeler
un pretre. Mais il est bon qu ils le sachent, le jour ou ils
ont franchi le seuil d’une Loge et fait partie de l’Ordre,
ils ont officiellement prof esse l’atheisme. — Est-ce que le
Juif ou le protestant qui abjurent leur croyance et de-
mandent a recevoir le bapteme catholique n’admettent
pas implicitement , et par le seul fait, le symbole de
l’Eglise dans toutes ses parties? S’il leur arrivaitde faire
menlalement une reserve quelconque. A l’endroit de n’im-
porte quelle verite, ils se rendraient coupables d’une pro-
fanation et d’un parjure, doubles de la plus odieuse
hypocrisie.
96
ORIGINES FANTA1SISTES DE LA F.\M.\
Le Macon qui promet fidelite aux statuts de l’Ordre
accepte par cela mSme 1’ensemble de la doctrine qui s’y
trouve contenue. II aurait vainement recours aux restric-
tions mentales pour justifier sa conduite.
Quoi qu'il fasse et quolquo precaution qu’il prenne, le
lidele d’une Eglise est solidaire des enseignements que
l’on y re^oit.
En quoi done, dirai-je aux Francs-Macons, ressemblez-
vous aux Mages, aux Chalddens on aux Druides ? Qu’y
a-t-il de commun entre leurs doctrines et ies votres ?
Etes-vous leurs continuateurs comme savants? Vous
livrez-vous 4 1’etude de I'astronomie, de la geometrie, des
mathematiques, de la mecanique, etc., etc. ? Les Loges
n’ont jamais ete considerecs comme un lieu de recueille-
ment pour les amateurs de sciences abstraites.
La Ma?onnerie, je le sais, compte bon nombre de
savants. Mais lc tablier maconnique n’est pour rien dans
les conuaissances qu’ils possedent.
La plupart d’entre eux sont alle.frapper a ’a porte des
Loges, parce que les Macons, arrives au pouvoir depuis
quelques annees, sont les dispensateurs des fonctions
lucratives et des distinctions honorifiques, toutes choses
que les savants eux-memes recherchent parfois avec
une certaine avidite.
Admettons que vous ayez parmi vous des hommes dis-
tingucs. Voudriez-vous en conclure que leur science vous
est commune a tous ?
Si jamais la tourbe maconnique se bergait de cette vani-
teuse et sotte illusion, jo la renvorrais a ses propres ecri-
vains, qui lui ddlivrent a cliaque page et sans recourir 4
la moindre circonlocution mi brevet d’imbecillite.
J'engage les bornes dc la Maconnerie 4 lire attentive-
men t eta mediter avec soin les quelques citations que je
vais mettro sous leurs yeux.
11s seront edifies, j'espere, sur le degre d’estime que
professent a leur egard les lc tires de la secte.
CAHP, V. — LA F.VM.\ ET LES ANCIENS MYSTfeRES. 97
« Pendant notre earriere magonnique qui, deja, date
« d’un demi-siecle, dit le F.\ Ragon, dont la competence
« et l’autoritS ne sont contestees par personne, nous
* avons eu, dans nos excursions aux Etats-Unis, en
« Angleterre, en Hollande, en Belgique, dans une partie
« de l’Allemagne, en Suisse et en France, dans nos prin-
« cipales villes sirichementpeupleesd’hommes instruits,
« bien des occasions de fraterniser et de converser avec
€ des Magons de consideration, dont les dignites et les
« grades etaient eminents, et, presque toujours, I’emdi-
« tion profane se trouvait bien superieure a i instruction
« maconniqae. II n't / avait, sauf de rares exceptions,
« AUCUNE UNITE DE PENSEES, AUCUNE FINITE DE VUES,
c AUCUNE OPINION BIEN AIIRETEE SUR L’ORIGINE DE
« l’ordre, sur son but secret, stir les conjectures qu’on
* doit tirer des ebanches initiatiqnes consignees dans les
* trois grades symboliques. Refutait-on un jugement qui
« venait d’etre porte, la replique etait : Vous pourriez
t bien avoir raison (1). >
Notez bien que le F.\ Ragon parle ici des sommites de
rOrdre, et non point de la foule des Magons. Mais si
1’ignorance des chefs est scandaleuse a ce point, que
penserde celle des simples adeptes?
Quelques lignes plus loin le meme auteur continue en
ces termes :
< Nous avons aussi remarque que, en general, les
* Magons connaissent a peine la Magonnerie de leur
t pays, comment on l’y a institute... »
t On a dit avec raison que l’ignorance enfanta l’erreur
« et celle-ci tous les maux ; la Magonnerie, qui est une
« lumiere opposee aux tenures de l’ignorance pour en
« arreter les effets funestes, si elle avait 'ete plus Studiee,
(I) Ragon, Orihodoxie magonnique , pages 1, 2, 3 et 4.
F.*. M.\
i
98 ORIGINES PANTAXSISTES DE LA F.\ M.\
t aurait constamment et sans entraves fait jouir ses
« adeptes des bienfaits qu’elle repand ; mat's l ignorance
« de ses principaitx chefs a cause toatcs les tribulations
« qui I’accablent encore (1). »
La Franc-Maconncrie est uno lit mi ere, une grande
lumiere ; rnais comine il n’y a personne dans l'Ordre qui
puissc la mettre en evidence, elle n’a jusqu’iei eclaire
personne.
Le F.\ Bertrand disait, le 12 avril 1844, au Senat
maconnique :
« L’institutiou, chargee de presider et de guider la
t sociele (Jans la voie de la civilisation, trouve d peine
« dans son sein quelques hommes eclaires, et encore
« ceux-ld sentent-ils venir le deconragement. »
Ce jugement a d’autant plus de poids que le F.\ Ber-
trand parlait au nom tin Grand Maitre, dont il etait le
representant ofliciel.
Quelques annees apres, e’est-a-dire le 20 decembre ISOS,
le F.\ Dupuis prononca d la loge de la Clemente Amilie
un discours dans lequel nous lisons cc qui suit :
« En quel lieu instruit-on les jeunes Masons ? Quel est
« l’alelier qui place au premier rang de ses travaux
« l’instruction indispensable a qui veut comprcndrc la
« haute portee philosophique de nos emblemes, des
f devoirs de Macon dans le monde profane et des obliga-
« tions Olivers les Macons eux-memes"? No sommes-nous
« pas bien loin de cette science maeonnique, ou, pour
« m’expliquer mieux. n« trompons-nous pas ccs jeunes
neophytes desireux de s’instruire ? Qui done les guidera,
, si cc n’est nous, qui leur avons promis la lumidre ? »
(1) Ragon, Oi thodoxie Mfironnigue, pages 1, 2 , 3 et 4.
CHA-P. V. — LA. F.'. M.*. ET LES A.KC1EXS MYSTERES. 9Q
Le F.*. Boubee fait les reflexions qu’on va lire, &
propos d’un cl i scours prononce par le F.*. Gorgueneau,
orateur de la Loge la Triple Lumiere :
* Pour se confirmer dans i’opinion de ce Macon, digne,
« a tous egards, de parvenir au temple de la vraie
« lumiere, il suffirait de rappeler ce qu’on a vu, ce qu’on
« a appi'is dans les trois premiers grades : Quelques mots,
t quelques signes , quelques louanges , voila ce qu’on a
« uppris; des tabliers blancs, des cordons noirs, voila ce
* qu’on a vu. Enfin on est devenu membre d’une asso-
* ciation isolee de tout contact avec les profanes ; voila
« tout (1). »
Le F.\ Bernard-Acarry, pere, ex- depute au Grand-
Orient et redacteur du Bulletin officiel de I'Ordre, gcrivait
en 1859 :
« On a dit des augures qu’ils ne pouvaient se regarder
« sans rire ; on pourrait en dire autant, et a plus forte
« raison, des Francs-Magons. En elfet, les augures
« devaient se inoquer de la credulite de ceux qui ajou-
« taient foi a leurs paroles et qui etaient leurs dupes ; les
« Francs-Magons ne peuvent se moquer que d’eux-
« memes ! On leur attribue un grand merite ; on vante
s leur discretion, parce qu’ils ne devoilent pas le fameux
« secret qu’on est cense leur avoir communique. Sans
« doute, il y en a un : il consiste dans linterpretation des
« principes de notre constitution, ou mieux dans l’appli-
« cation de la devise : Libertc, egalite, fraternite; mais
« on ne le dit pas au commun des martyrs, ni memea
« personne, si l’on veut; seulement, lorsqu’on a compris
« ce que la Franc-Magonnerie est en realit6, les anciens,
« les instruits, vous avouent que vous 6tes dans le
(1) Boubee, Etudes sur la Masonrberie.
100 ORIGINES FANTAISISTES DE LA. F.\ M.\
« vrai, etc. A tous on indique les moyens de se faire
« reconnaitre ; mais les mats, signes et atlouchements qui
« servent a cette reconnaissance ne peuvent etre consi
« deres comme rnysterieux, puisque, moyennant 6 fr.,on
* peut se procurer l'ouvrage qui les indique (1). »
Je pourrais poursuivre la serie de ces citations edi-
fiantes, cent pages durant, et prouver a mes lecteurs quo,
de l’avis de presque tous les ecrivains de la Magonnerie,
l’ignorance crasse est la maladie generate des Magons.
Mais il faut se borncr. Je termine done raa demonstra-
tion par quelques lignes empruntees au F. - . J.\ Pli.v
Levesque :
« Pour le bien de l’Ordre, dit un auteur, et l’instruction
« des Magons, ondevrait faire aux Visiteurs des questions
« sur les grades syrnboliques. On trouverait, souvent de
« grands ignorants decores des rubans do Souverains-
<i Princes-ltose-Croix, et memo de pins liauts grades; il cn
« resulterait un bien general : ce serait de forcer ces
< Magons a s’instruire, ou les empedier de venir sus-
« pendre souvent les travaux importants d’un atelier,
« pour rendre les honneurs a leurs grades; car ils n’osc-
« raient plus venir encombrer les Orients des Loges de
« leur orgueilleuse ignorance
« Je eonnais des Magons dignes de ce beau titre par
it leurs qualites personnelles, et qui ne seraient pas en
« otat de repondre a la moindre question magonnique.
« Eli bien, si l’on tuilait en Loge les Visiteurs, si on leur
« adressait quelques questions sur lo grade que l’ontient
« et sur les precedents, il cn resulterait un bien reel. »
Mes lecteurs s’imaginent peut-Stre que le F.\ Levesque
est un (le ces Magons instruits qui voudraient voir les
,3)J i.NAj:ivUv.x;j,y, la Franc-Magoii'tcrie du Grand-Orient
CHAP. V. — LA F.\ M.\ ET LES ANCIENTS MYSTERES. 101
membres de l’Ordre faire de sorieux progres dans l’ctude
des sciences. Mais s’il en est ainsi, me dira-t-on, la Ma<;on-
nerie n’a rien de commun avec l’ignorance. II faut, au
contraire, la considerer comme un foyer lumineux, que
les adeptes ont tort de dedaigner.
La science proprement dite n’a rien a voir dans les
lamentations du F.‘. Levesque. Pour lui, le Ma$on vrai-
ment eclaire est celui qui peut repondre avec une certaine
assurance aux questions que voici :
POUR LE GRADE D’APPRENTI
D. — < Etes-vous Ma$on ?
R. — j Mes freresme reconnaissent pour tel.
D. — i A quoi reconnaitrai-je que vous etes Macon ?
R. — i A mes mot, signe, attouchement, et aux cir-
constances de ma reception, fidelement rendues.
D. — * Donnez le mot de passe .
(On le donne .)
D. — * Quel age avez-vous ?
R. — <t Trois ans.
D. — « D’ou venez-vous ?
R. — « De la loge Saint-Jean.
D. — « Qu’y fait-on ?
R. — « On y eleve des temples aux vertus, et l’on y
creuse des cachots pour les vices.
D. — « Qu’apportez-vous ?
R. — « Salut, joie et prosperity & tous mes Freres.
D. — « Que venez-vous faire ici?
R. — « Apprendre a vaincre mes passions, et profiter
de vos lemons.
D. — i Ou paie-t-on les apprentis ?
R. — « A la colonne J.
D. — « Donnez-moi le mot sacrS.
R. — * Tres Venerable, je ne sais qu’epeler; veuillez
dire la premiere lettre, je dirai la seconde.
102
ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.*.
rOUR LE GRADE DE COMPAGNON
D. — « Etes-vous compagnon ?
li. — « Jo connais la lettre G.
D. — « Connneut etes-vous parvenu au grade de com-
pagnon ?
r {. — « En travail la tit avec ardeur et Constance, et pas*
sant de la colonne J. a la colonne B., aprcs avoir fait les
cinq voyages qui m’ont ete ordonnes, et en montant les
cinq degres du temple.
D. — « Qu’avcz-vous vu en niontant les degres du
temple ?
it. - « J’ai vu deux colonnes d’airain, hautes de dix-
liuit eoudees, ayant, une e rconference de douze doigls, et
uno epaisseur de quatre. Elies etaient creuses, aim de
renfermer les outils des Apprentis et des Compagnons, et
de tenir en surele lc tresor destine a Ieur salaire.
D. — « Comment les ouvriers recoivent-ils leur
salaire ?
it. — « En donnant le signe. ratloucliementet la parole
du grade.
D. — « Quel age avez-vous?
R. — t Cinq ans.
D. — » Donnez-moi le mot de passe.
(On le donne.)
D. — « Donnez-moi le mot sacre.
(On le donne ainsi qu’il a ete indique a la reception.)
POUR LE GRADE DE MAITRE
D. — i Comment reconnaitrai-je que vous etes Maitre ?
R. — « En m’eprouvant. I/acacia m’est connu.
D. — < Oil avez-vous et6 rec-u ?
R. — * Dans la chambre du milieu.
D. — « Et comment y 6tes-vous parvenu?
CHAP. V. — LA F.\ M.\ ET LES ANCIENS MYSTERES. 1C3
R. — « Par un escalier que j’ai monte par trois, cinq et
sept.
D. — * Qu’avez-vous vu dans cette chambre ?
R. — € Deuil et tristesse.
D. — < Pourquoi?
R. — < Parce que la etait le tombeau de notre Respec-
table Maitre Hiram.
D. — « Et qu’y avait-il dessus ?
R. — € Une branche d’acacia et un triangle d’or sur
lequel etait grave le nom du Grand Architectc de
FUnivers.
D. — « Comment appelez-vous le signe de Maitre ?
R. — c Le signe d’horreur.
D. — < Donnez le mot de passe.
(On le donne.)
D. — « Comment voyagent Ies Maltres ?
R.. — « De 1’Occident & l’Orient, et sur toute la terre,
pour repandre la lumiere.
D. — « Si un Maitre etait en danger, que doit-il
faire ?
R. — « Le signe de detresse, en criant: A. 1 . M.\ L.*.
E.\ D.’. L.*. V.*. (a moi, les enfants de la veuve).
D. — « Si un Maitre etait perdu, ou le retrou-
veriez-vous ?
R. — « Entre l’equerre et le compas.
D. — * Quel &ge avez-vous ?
R. — * Sept ans et plus (1). »
Dans l’estime du F.\ Levesque, un Macon qui con-
naitrait ce questionnaire et les reponscs que j’ai ropro-
duites devrait etre consider^ comme savant.
Yoici bien le cas de se demander, avec le F.\ Bernard-
Acarry, si cet auteur a pu se regarder sans rire en ecri*
vant de pareilles faceties.
(1) Levesque, Aper/yu geniral et histoiigue des Principu-les sectes
maconniques.
104 ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.‘.
« Lors de la reception au premier degre, dit ce dernier,
« dans l’ouvrage cite plus haut, on imite, en petit,
<r quelques-uns des actes qui se pratiquaient aux initia-
« tions d’Egypte. Si on le disait aux recipiendaires, ils
« pourraient en saisir le but,* mais comme on leuren
t donne une explication tres vulgaire, il en resulte que
« c’est, en verite, la parodie de ce qui se passait lors des
« grandes initiations. Puis, ce sont des formes d’une veri-
« table niaiserie.
« Ainsi, on previendra le neophyte qu’il doit s’armer
« d’un courage bien grand, car il va subir des eprcuvos
« terribles, et, en realite, il n’en subit aucune.
t On lui dit qu’il est indispensable que son obligation
« soit signee de son propre sang; puis, au moment de
« pratiquer la saignee, on s’aperqoit que le medecin de la
« Loge nest pas present t
« Ainsi encore, le president dit tres serieusement a un
c des surveillants de s’assurcr si les freres qui ornent les
« colonnos du temple sont reellement masons, etsouvent,
t en ce moment, la colonne est occupee par un seul frere,
« qui ne l’orne nullement.
« Puis on se fait force compliments, accompagnes de
i batteries (acclamations) sans fin; le temps se passe
* ainsi sans aucun fruit, et le nouvel initie, quand il
« vient de recevoir la lumiere, n’est pas plus clairvoyant
« qu’avant son introduction dans le sanctuaire macon-
* nique (1). »
Voila quels sont, juges par eux-memes , les conti-
nuateurs des pretres d’Heliopolis, des Mages, des Chal-
deens, des Brahmanes, des Gymnosophistes et des
Druides.
Si ces representants des grandes civilisations orientales
reparaissaient tout & coup dans le monde, ils seraient
(1) Bernard-Acarry, La Franc- MaQonnerie du Grand-Orient
CHAP. V. — LA F.\ M.\ ET LES ANCIENS MYSTERES. 105
bien e tonnes de rencontrer, dans ceux qui se disent les
depositaires de leur science, une pauvrete intellectuelle
dont leurs inities du premier degre auraient certainement
rougi.
CIIA PITRE VI
Dans le domaine des hypotheses.
Sommaire. — Ce qu'il faut penser de la Iibre-pens£e des Francs-
Macons. — Les dnMeries du F.*. BoubOe. — La devotion du F,\ Fus-
tier ft, saint Jean-Baptiste. — Le precurseur de J.-C. serait-il le con-
tinuateur de Zoroastre et l'un des patriarches de 1'Ord re maconnique?
Qu'est-ce que les £abiens? — Les Templiers descendent-ils des Man-
dates ? — Les feux de la Saint-Jean et les fetes de Minerve. — Con-
tradiction du F.-. Boub^e. — Les Francs-Magons remontent-iis au
reirne de Constantin seulement ? — Les croises et les ordres inilitai*
res. — Ilistoire ft. dormir debont. — Inflexion faite, le F.\ Boubee
vent renionter uux prct res do nSirypa 1 . — Legende du temple de
Salomon. — Les Francs-M aeons copicnt le Talmud.
Les Franc-Masons. quel quo soit le rite auquel ils ap-
partiennent, sc clonncntvolontierslequalificatif dc libres-
penseurs, oubliant que les trois quarts d’entre eux sont
incapables de penser d’une facon taut soit peu serieuse.
Les lettres de la secte ne se bornent pas a faire profes-
Auteurs consults : Boubee, Planclie trade dans la Rr. Lr.
de FAge d*or. — Planche sur Vorigine et Vetablisscment de la
Franc- Mat; annerie en France. — Fustier, Com^ d'leil sur samt
Jean- Baptiste. — Terrasson , Seth ns , Ilistoire , ou vie tirde
des monuments , anecdotes de Vancienne Egypfe . — Origny, L'E-
gypte ancicnne. — Guillkmain he Saint-Victor, Ilistoire criti-
que de Vantiquite. — Origins de la Franc- Mac onneric adonihra-
mite. — - Pernetty, La Trinity i l gyptienne . — Caillot, Annales maqon-
niques . — De la Tierce, Ilistoire des Francs- Macons. — Etrennes
aux sectateurs de VArt- Royal , par un F.\ It.*. C.-. — - Thomas
Paine, De Vorigine de la Franc - Mar onnerie. — Le F.*. Vidal
Essai historique de la Fran die- Maconnerie , depuis son origine
jnsquYi nos jours. — Clavel, Ilistoire pittoresque de la Franc -
Mac<m )icrie ct des SocUtes secretes anciennes et niodernes . —
Bonneville, La Maconnerie dcossaise comparde avec les trois pro-
fessions et le secret dcs Templiers du XI V c siecle. — Saint-Romain
Rouoayrol , Annuaire maconnique d Vusage des LLr. et Ch
agregCs d la Trr. It.'. Mr. Lr. du rite ecossais pkilosophique en
France .
CHAP. VI. — DANS LE DOMAINE DES HYPOTHESES. 107
sion de libre-pensee. Ils prennent, en outre, le titre de
philosophes, et font du positivisme leur systeme de pre-
dilection. D’apres eux, le savant doit rejeter non settle-
ment toute conception metaphysique, mais aussi tout fait
historique a l’appui duquel on n’apporte Das une serie de
temoignages palpables.
Malheureusement ces regies de critique sont mises de
cote, quand il s’agit do la Franc-Magonnerie. Les hypo-
theses les plus fantastiques sont acceptees sans discus-
sion, pourvu qu’elles tournent a la gloire de l’Ordre.
Qu’on en juge par ce morceau du F.\ Boubee :
« Ricn n’est egal, dit cet auteur, a 1'art que nous
« professons, rien n’est beau comme la Maeonnerie.
« Quelle est, en effet, MM.*. FF.\. l’instituiion qui,
« appuyee sur le berceau des premieres societes, a,
« comme la notre, traverse l’ocean des Ages, et fait la
« consolation des siecles? La Ma(;onnerie seule peut
« s’enorgueillir d’un pareil prodige ; seule, elle ne eon-
« nait point son origine ; seule, elle est aussi ancienne
« que le monde. Pour nous convaincre de cette verite,
« mettons-nous , pour un instant, A la place des deux
« premieres creatures qui pcuplerent le globe ; le premier
« mouvement qui dut frapper leurs ames a cette epoque
i heureuse ou la nature etait encore dans toute sa pu-
« rete, fut sans doute un elan de reconnaissance vers
« celui qui les avait tirees du neant. Mais le second hom-
« mage ne fut-il pas accorde A la sympathie, A la cordia-
« lite, et surtout au besoin de prevenir l’ennui, qui, sans
« une reunion de sentiments et de moyens, aurait devore
« leur existence? Ainsi, le rapprochement , la bienfai-
t same, et Yamitie, ces trois colonnes de la Maeonnerie,
« furent evidemment gravees dans le coeur du premier
« homme qui sortit des mains du G.\ Arch.*. (1). »
(1) Hoouee, Planche traces dans la R.'. L.'. de 1 'Age d'Or.
108 ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.\
Avec tie semblables raisonnements, on peut attribuer
a n’importe quelle institution les origines les plus fan-
taisistes.
C’est ainsi que le F.\ Fustier fait remonter la Franc-
Magonnerie, non plus au premier homme, mais a saint
Jean-Baptiste. Apres avoir fait l’eloge du precurseur tie
Jesus-Christ, cct ecrivain ajoute :
« Pourquoi, MM.*. FF.\, vos ai'eux l’ont-ils choisi de
« preference a tant de sages que l’antiquite leur presen-
« tait pour modeles ? C’est qu’il etait alors la colonne
« principale del’ordre dont vous descendez : je veux dire
« du Zabiisme.
* Les Zabiens, heritiers des SabSens, s’adonnaient
« particuliegement a la connaissance des astres et de
« leur influence sur les corps celestes. Leur doctrine,
« recueillic primitivemcnt par Zoroastre, se repandit
« successivomcnt de la Perse dans la Chaldee, dans
« l’Egypte, la Phdnicie, la Bactriane et les Indes, ou
< elle subsisto encore. Des branches se detacherent du
« tronc principal, et formerent ces sectes nombreuses
« qui admirent le culte du soleil et des etoiles, l’erection
« des statues, la consecration des arbres, la science des
« talismans, l’apparition des genics et mille autres extra-
ii vagances consignees dans l’histoire des folies hu*
« maines. Un petit uombre de philosophes et d’astro*
« nomes Sab^ens conserverent a travers les generations
« qui se succedaient la veritable doctrine, comme l’at-
« testent les commentateurs juifs et la plupart des ecri-
e vains orientaux, Chretiens ou mahometans. Ce d6pot
« sacre parvint ainsi jusqu’a Jean-Baptiste. L’histoire ne
« nous laisse A cet egard aucun doute ; car les Zabiens
« quitterent leur nom pour prendre celui de Mandai-
« Jahia ou chretiens de saint Jean. Les memoires post6-
« rieurs ne les designent pas autrement. Le chef-lieu
« de leur reunion fut la ville de Charan. Quand on les
CHAP. VI. — DANS LE D0MA1NE DES HYPOTHESES. 109
« interrogeait sur leurs dogmes, ils repondaient simple-
« ment qu’ils n’etaient ni juifs, ni chr6tiens, ni mahome-
* tans ; mais settlement Mandaites ou disciples de Jean.
« Le cliristianisme etant devenu, par suite, la religion la
« plus repandue, les Mandaites adopterent une partie de
« ses rites, modifies suivant leurs gouts ou leurs opi-
« nions. II eu existe, au rapport de Chardin, plusieurs de
* cette espece dans l’Orient. D’autrcs Mandaites (et c’est
4 la majeure partie) se reunirent en corps, qui engen-
4 drerent, a leur tour, des etablissements militaires et
4 religieux, dont il est inutile de vous rappeler ici la pros-
« perite et les malheurs. II suffit. Mil.*. FF.\. de vous
« observer que les Mandaites furent nos maitres dans la
« Ma?onnerie, et qu’ils ont herite, par une filiation non
< interrompue, des dogmes et des secrets d'une associa-
» tion dont Jean-Baptiste eut la gloire d’etre le restau-
4 rateur et le patron (1). »
Comme on le voit, i i serait difficile de traiter l’histoire
avecplus de sans fagon. Le F.*. Fustier rattache l’origine
des ordres militaires et, en particulier, des chevaliers du
Temple, aux Mandaites, et, par les Mandaites, a saint
Jean-Baptiste. Peu s’en faut qu’il ne fasse remonter les
Croises aux disciples de Mahomet, et les Mahometans
aux pretres d’Eleusis, dont l’Eglise catholique ne serait
elle-meme qu’une derivation.
4 La naissance de Jean-Baptiste, ajoute-t-il, aete cons-
4 tamment celebree chez toutes les nations par des feux
< de joie, et d’autres marques certaines d’allegresse
« publique. Cet usage, dont nous apercevons des traces
i parmi les Sarrasins, a l’epoque des croisades, se trouve
4 lie avec de semblables ceremonies usitees chez les an-
« dens, telles que la fete des lumieres en l’honneur de
(1) JLe F/. Fustier, Coup iVceil sur S. Jean-Baptiste.
110 ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.*.
* Minerve, celle des flambeaux dans les mysteres d’Eleu-
* sis, les torches ardentcs employees a la recherche du
« corps d’Osiris, et, dans l’Eglise catholique, les chan-
« delies h la purification, le cierge pascal, etc. (1). »
Le F.\ Boubeo, oubliant qu’il a place le berceau de la
Franc-Maconncrie au Paradis torrestre, sc borne, dans
une plandi e sur Yorigine et I'ctabUssemenl de l’Ordre en
Franco, a on fixer l’organisation au regne de Constantin.
Apres un long preambnle sur Mo'ise, los Brahmanos, Tu-
balcaiu, la Tour do Babel, los Egyptians et les Perses,
cot dcrivain ajoute :
< La ville do Jerusalem n’existait plus depuis deux
« siccles, lorsque le grand Constantin, ayanl embrasse 1c
t christiunisme, la repara, I’cmbcllit, et fit reconstruire
* le Temple avec ses propres debris. Pour prevenir la
* confusion des ouvriers , les arehitoetos adoplerent
< l’ordre ct les divisions qui avaient etc suivies par Salo-
« nion ; l’eatrepriso fut menee -X safin, et le temple fut
« domic aux Chretiens, qui en jouirent pendant quelque
« temps; mais les Sarrasins s’etant par la suite ompares
« do la ville, il uc lour fut plus permis de celobrer leurs
f mysteres; les persecutions recoinmeucerent, les Chre-
« tiens furent forces de dissimuler leur etat, plusieurs
« monies embrasserent la religion do leurs pcrsecuteurs.
t Alors ceux qui ctaient demeures lideles a la foi de leurs
« peres durent sc metier de lours ennemis et so inettre
* en garde contve leur vigilance. Leurs mesurcs durent
« etre d’autant plus severes qu’ils avaient tout a craindre
« de coux qui avaient train leur Dieu ; ils se trouverent
« dans le cas des sages de I’Egypte (2). A leur exemple,
(1) Fustier, Coup d'ocil sur saint Jean-iiaptislc .
(2) Avec cetio tliiVerence capitale que Jes Chretiens ilont parle Ijmibee
etnieni persecutes, tamiis que les Sages tie l’Kgypto jouissniont d’uiie
liberty ot il*un pouvoir absolus, Yoila, une fois encore, comment on ecrit
rhistoire.
CHAP. VI. — DANS LE DOMAINE DES HYPOTHESES. JU
* ils imaginerent de former une societe secrete dont
* le motif apparent serait de rappeler les travaux de
« leurs peres, lors de la construction du Temple ; mais
« dont le but rt'e I tendrait A 4 viter toute surprise. Cette
« construction leur ofTrait une allegorie bien mysterieuse;
« le nom de Mac. - , qu’ils prenaient les mettait a l’abri
* de tout soupQon, et la distribution des ouvriers par
« classes leur donnait le moyen de s’assurer de ceux qui
c se presenteraient pour etre admis.
« Ce n’etait qu’apres avoir pris toutes les precautions
t dans les deux premiers grades , qu’on apprenait le
« grand secret a ceux qui s’en etaient montres dignes en
t leur accordant la maitrise; chaque grade avait pour se
« reconnaitre des mots et des signes particulars puises
« dans l’histoire de la construction du Temple.
* Les maitres etaient seu’s admis dans la chambre
* secrete o£> ils se livraient sans danger la celebration
« du culte et lies mysteres de leur Dieu. Tant que cette
* chambre etait fermee, les apprentis et les compagnons
« en etaient ecartes : ils en ignoraient les travaux et
« veillaient a la garde du Temple. Les uns etaient places
it aux portes, d’autres se tenaient sur le toit ; on annon-
« (jait que ce dernier poste etait rempli, en disant : Le
« Temple est convert, et ces mots : il pleut, exprimaient
t qu’il ne l’etait pas, on bien quo les profanes appro-
t chaient. Ce fut avec ces sages precautions que ces
* pieux Macons eviterent les persecutions de leurs enne-
« mis et les vexations des infideles.
« Tel fut, pendant plusieurs siecles, le but de la Ma-
c Qonnerie Salomoniquo releguee pour ainsi dire a Jeru-
s salem. Tel etait son etat, lorsque les papes, assis sur
« le trone de l’ancienne capitale du monde, proposevent
« aux rois de la cbretiente de former une coalition pour
t arracher cette ville des mains des Sarrasins, sous pre*
8 texte de venger le tombeau du Messie (1). »
(1) Bouiuse* Planche sur Vorigine et V4tablissement de la Franc -
Maconncrle en France .
112 ORIGINES FANTA1SISTES DE LA F.\ M.\
Les croisades sont organises. L’Europe s’arme, a la
voix des souverains Pontifes, et deux cent mille hommes
appartenant a toutes les classes de la soci6te se preci-
pitent sur l’Orient. Jerusalem tombe en leur pouvoir. Le
culte catholique est retabli et l’lslamisme vaincu. Le
F.\ Boubee deplore ce resultat, ce qui a lieu d’etonner,
car le triomphe des croises arrachait a la persecution
les chretiens qui , pour sauver leur foi et echapper a la
mort, avaient dft s’organiser en societe secrete et former
ce qu'il nomine la Magonuerie Salomonique.
Quoi qu’il en soit, les soldats de Godefroy de Bouillon
ne tardercnt pas a se lier avec les chretiens de Jerusa-
lem. Ces derniers leur apprirent, nous raconte l’ecri-
vain magonnique, de quelle maniere ils avaient pu, jus-
qu’au dernier moment, se livrer aux pratiques de leur
culte. Les croises trouverent cela fort ingenieux, si bien
qu’ils resolurent de former eux-memes diverses associa-
tions, sous le nom de Magons libres, a limitation des ou-
vriers qui avaient rebati le Temple de Jerusalem. De
retour en Europe, ils raconterent ce qu’ils avaient appris
de leurs coreligionnaires de Terre-Sainte, et exciterent,
par leurs recits, l’admiration de tous. Le nombre des
associes grandit a vue d’ceil, non seulement en France,
mais encore en Angleterre, en Allemagne et en Italie. La
chevalerie militaire ne tarda pas a se former. Elle se
divisa en deux corps restes celebres, les chevaliers de
l’ordre Teutonique et les chevaliers du Temple, plus
connus sous le nom devenu populaire de Templiers.
Or, pendant que les gentilshommes enroles dans la che-
valerie se livraient a leurs exercices habituels, les Croi-
ses avaient des reunions particulieres. Dans ces concilia-
bules, on parlait souvent des chretiens de la Palestine,
de leur association et des divers grades qu’ils avaient
imagines pour echapper aux investigations de la police
musulmane, car la police date de loin. Elle remonte pro-
bablement a Mahomet lui-meme. Bientot, nous dit le
CHAP. VI. — DANS LE D0XIA1NE DES HYPOTHESES. 113
F.’. Boubee , l’enthousiasme magotmique remplaga la
fureur de la chevalerie. Les souverains eux-memes
encouragerent ces tendances. Aussi, vers le milieu du
xm e siecle , la Magonnerie libre etait-elle fondee sur
des bases indeslructibles.
Tel est, en substance, le recit romanesque du F.\ Bou-
bee. Toute cette histoire se compose d’une serie d’ affir-
mations denudes de preuves; mais cela importe peu. Les
adeptes ne sont pas exigeants, et l’on peut, sans crainte
d’etre contredit, leur faire accepter de confiance les hypo-
theses les plus invraisemblables, pourvu qu’elles tendent
a glorifier leur ordre.
Mais le F.\ Boubee ne s’arrete point la. Regrettant de
n’avoir fait remonler l’origine de la Franc-Magonnerie
qu’au regne de Constantin, il insinue d’abord et finit en-
suite par affinner que l’Art-Royal date d’une epoque plus
eloignee. Les pretres egyptiens pourraient bien etre, dit-
il, les patriarches de l’Ordre, a en juger par le soin qu’ils
mettaient a cacher la verite sous des figures inintelli—
gibles. On sait que la Magonnerie Salomonique use des
memes precedes. Elle nous parle sans cesse du fameux
Edifice dont l’histoire a perpetue le souvenir, mais, en
realite, le temple de Salomon est loin de sa pensee. Elle
s'en sert comme d’un embleme destine a derouter le vul-
gaire. Le Magon ne voit dans tout cela que le temple
immateriel qu’il a pour devoir d’ clever a la vertu. Et cet
ouvrage doit etre parfait dans toutes ses parties.
t La charite en taille les pierres, continue leF.*. Bou-
« bee ; elles sont liees par l’amitie, ce ciment de l’union
« et de l’harmonie, et l'edifice est soutenu par la discre-
« tion et la fidelite.
« A la porte du temple on trouve deux eolonnes a l’ins-
« tar de celles que Salomon avait fait elever dans le par-
« vis (1). »
(1) Boubee, Planche sur Vorigine de la i'V. en France,
F.-. M.%
114 ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.\
A l’opinion duF.\ Boubee sur les origines de la Franc*
Magonnerie se rattache l’histoire que l’on racontait aux
adeptes le jour de leur initiation au grade de maltre. On
la trouve dans la plupart des livres magonniques telle a
peu prSs que je la donne ici :
Lorsque fut bati le temple de Jerusalem, Salomon con-
fia a Adoniram le soin de diriger les travaux et de payer
les ouvriers qui etaient au nombre de trois mille. Vou-
lant que la distribution des salaires repondit au merite
de cliacun, Adoniram divisa son personnel en trois
classes, les apprentis, les compagnons et les maitres.
Chaquc classo avait son mot d’ordi'e et ses signes parti-
culiers, qui devaientetre tenus secrets, pourqu’Adoniram
pfit distinguer les apprentis des compagnons et les com-
pagnons des maitres. Trois compagnons, desireux de se
procurer la parole des maitres afin de participer ;i. leur
salairo, so cacherent dans le temple, a la sortie des
ouvriers. et se posterent ensnite a chacune des portes.
Lorsqu’Adoniram se presente pour fermer le temple, le
premier compagnon qu’il rencontre lui demande la pa-
role du maitro. Adoniram refuse et recoit un coup de
baton sur la tote. II fuit vers les deux autres portes, et y
subit le mome traitement. Ses assassins le prennent alors
et l’enterrent sous un tas de pierres, au-dessus duquel
ils placent une branche d’acacia, pour reconnaitre le lieu
ou repose le cadavre.
La disparition d’Adoniram afflige Salomon, qui or-
donne des rechercbes. Un maitre finit par le decouvrir.
II le prend par un doigt, et le doigt se detache de la main ;
il lo prend par le poignet, et le poignet se detache du
bras. Le maitre etonne s’ecrie : Mac Benac, deux mots
qui signifient , suivant les Magons, « la chair quitte
les os. »
De crainte qu’Adoniram n’ait revele la parole du guet,
les maitres decident entre eux qu’elle sera changee et
remplacee par ces mots : Mac Benac , que les Francs-
CHAP. VI. — DANS LE D0MA1XE DES HYPOTHESES. U 5
Macons regardent comme sacres , et s’abstiennent de
prononcer, lorsqu’ils ne sont pas en loge.
Comme on le voit, ce recit ne concorde en aucune facon
avec celui du F.*. Boubee. Mais ces contradictions ne
preoccupent nullement les auteurs maconniques.
C’est sur cette fable que les Macons adoniramites font
reposer tout leur system e.
Je dois ici faire observer que les ecrivains de l’Ordre
n’ont pas eu ;i faire de grands efforts d’imagination pour
trouver 1’histoire d’Adoniram ; car ils se sont born6s &
l’emprunter aux rabbins qui ontecrit la paraphrase chal-
dai'que.
Voulant prouver que Jesus-Christ n ’etait pas Dieu, ces
derniers inventercnt la fable que je viens de citer; mais
ils l’agrementcrent d’un petit detail dont les Francs-
Macons n’ont eu que faire. Ils pretendent que le fils de
Marie parvint a s’introduire dans le Saint des Saints, ou
la parole perdue etait cachee. Ils ajoutent que, l’ayant
decoiiverte, il l’emporta et la dissimula dans une incision
qu’il se fit a la cuisse, et que ce fut par la vertu toute-
puissante du nom de Jehovah qu’il reussit a operer des
miracles.
Or, les Macons reconnaissent que la parole perdue etait,
en effet, Jehovah.
D’autre part, la presque totalite do lours historiens
nous apprennent que la brancbo d’acacia rappelle la
croix de Jesus-Christ, et les trois coups de baton que
recut Adoniram, les trois clous qui servirent a fixer le
Messie a son gibet. II n’y a pas jusqu’a la decouverte du
corps d’Adoniram qui ne doive 6tre i*egardee comme une
allusion a la sepulture du Christ, dont le corps n’aurait
pas plus echappe a la corruption que celui de leur
patriarche.
CHAPITRE VII
Templiers et Assassins.
Sommaire. — Origine des Templiers. — Leur fondateur, Hugues des
Payens. — Us sont approuv^s par le concile de Troyes. Quelques details
sur Tadmission des postulants. — Services dont FEglise leur est
redevable. — Jacques de Molay, leur grand maitre, vient h Paris.
— Philippe le Bel le comble dattentions.— II le fait ensuite empri-
sonneravec ses compaguons, au grand ytonnement de tout le morale. —
Plusieurs souverains rendent bommage aux vertus et au devouement
des Templiers. — Partiality revel tantc avec laquelle les agents du roi
conduisirent le proems de ces religieux, — Courage de Jacques de
Molay en face de la mort. — Que faut-il penser des accusations
dirigees contre ce grand Ordre ? — Le concile de Vienne et le Pape
Cldment V Tont-ilscondamne ou simplement supprimd ? — Les Francs-
Magons en sont-ils les continuateurs ? — Opinion de quelques auteurs
magonniques sur ce point. — Ordre des Assassins. — Son origine et
ses progres. — Sa puissance redoutable. — Ses relations avec les
chevaliers du Temple.
3on nombre d’auteurs magonniques et profanes font
descendre les Francs-Magons de l’Ordre des - Templiers,
sans remonter soit au regne de Constantin, soit h la cons-
truction du Temple de Salomon.
Les Templiers doivent leur origine a Hugues des Payens
Ouvrages consults : Acta Latomorum , tom. II, pp. 141 etsuiv. —
Rerc*.i>, Histoire de la Franc-MaQonnerie . — Sarsena , p. 31. — Globe ,
tom. Ill, p. 304; torn. I, pp. 294 et suiv. — De Hammer, Histoire de
VOrdre des Assassins. — Petrus i>e Yineis, Episiolcc. — Marinus
Sanutus. — Elmacini, Jlist. Saracen ica. — Deguksnes, Extraits de I'his-
toire d' Abotdfeda. — Falconet, Dissertation sur les Assassins; m &~
moires de VAcadtmie des inscriptions et belles-lettres , tome XVI. —
Marco Polo, De Regionibus orientalibus . — Gesta Dei per Francos.—
Vjlken, Histoire des Croisadcs. — Anton, Histoire de Vordre des
CHAP. vn. TEMPLIERS ET ASSASSINS. 117
et k huit autres gentilshommes, qui avaient suivi Godefroy
de Bouillon en Palestine, lors de la premiere croisade (1).
Les Chevaliers du Temple joignaient aux trois voeux
ordinaires de religion celui de porter les armes contre les
infid &les, de pourvoir & la sftretd des routes, et de protdger
les pelerins contre les attaques des brigands. Baudouin II,
roi de Jerusalem, lenr c4da la partie de son palais qui
avoisinait 1’ancien temple de Salomon, d’oii leur est venu
le nom de Templiers.
En 1137, Hugues des Payens se rendit aupr&s du Sou-
verain-Pontife et sollicita la confirmation de son institut.
Le Pape le renvoya au concile de Troyes, qui devait s’ou-
vrir le 13 janvier de Fannie suiv ante . L’assemblee approu\ a
le nouvelOrdre.
Jean de Saint-Mihiel fut charge de la redaction de leurs
regies, aurefus de saint Bernard qui dGclina cette mission,
s’il faut en croire un certain nombre d’iiistoriens (3).
Templiers. — J. de Muller, Histoire universelle. — Sylvestre de
Sacy, M dm o ires sur la dynast ie des Assassins et $ur Vorigine de leur
nom. — Bonneville, La Mayrnnerie ecossaisc , comparde avcc les
trois professions et le secret des Templiers. — Roux, Histoire des trois
m'dres rdguliers et militaires des Templiers , Teutons et Hospitallers.
— J. A. J., Histoire des Templiers. — F. Nicolai, fissui sin* les crimes
qui ont etd imputes aux Templiers , et sur leurs mysteres, arec un
append ice sur Vorigine de la Franc-Maconnerie. — J.vcquoT, Defense
des Templiers contre la routine des historiens . — Raynoumid, Monu-
ments historiques relatifs d la condamnation des Chevaliers du
Temple.
NOTA. Je nedonnepas ici les titres des diverses histoires generates
et particulieres que j’ai dft consulter, li propos des Templiers et de leur
suppression, les auteurs qui les out ecrites n’ayant pas £tudie la question
au point de vue de la Macon aerie.
*1) M. le professeur F. Jacquot* de Nancy, rient de publicr une ^tfide
prdliminaire sur les Templiers. Ce premier fascicule n'est que Tintro-
duction de Touvrage qu’il ne tardera pas h mettre sous presse, et qui
aura pour titre : Defense des Templiers contre la routine des his-
toriens et les prdjugds du vidgaire. Je crois devoir signaler aux Audits
cette noitvelle publication.
(2) Voici comment s’exprime M. le professeur Jacquot h. Tendroit de cette
question : « On dit que la RCgle [dee Templiers fut rddigee par saint
.113 OIlIGJXES FANTA1 SISTES DE LA F.'. M.*.
Hugues, avant tie retourner en Palestine, parcourut
sueccssivement la France, l’Angleterre, l’Espagne et
l’Kalie, recucillant ties auinones et onrolant de nombreux
proselytes.
Lo clief de l’Ordre portait le nom de Grand Maitre et
avait rang do [>rince. Apres lui venaient les Precepteurs
ou Grands Prieurs, les Visiteurs, les Commandeurs, etc.
La reception dcs postulants se faisait pendant la nuit.
Lo recipicndairc attendait ii la porte de 1’eglise. Le pre-
sident du ehapitre lui depulait, a trois reprises differentes,
deux de ses frcres qui lui dcinanilaient ce qu’il voulait.
Puis on l’introduisait. Arriveen presencedes superieurs,
il se mettait a genoux et sollicitait par trois fois son
admission dans l'Ordre.
Le chef du ehapitre lui faisait connaitre alors les obli-
gations qu’il allait contracter.
< Vous serez expose, lui disait-il, a beaucoup de peines
« ct de dangers. II vous faudra vciller, quand vous
« voudriez dormir; supporter les fatigues, quand vous
« voudriez vous reposer ; endurer la soif et la faim,
* quand vous voudriez boire et manger; passer dans un
i pays, quand vous voudriez raster dans un autre. Vous
* soumettez-vous a tout cela ? »
Apres la reponsedu recipiendaire, qui etait affirmative,
lc chefdu ehapitre poursuivait encestermcs :
* Etes-vous chevalier? — Etes-vous sain de corps ? —
u Bernard, ce qui est au moins vraisemblable, k supposer que le fait ne
« soil j>as absolument certain. 11 en dicta I’esprit et les principales
« ord mi nances, s’ll n’est pas avere qu’il 1’ait lui-meme 6crite, conmie le
u pnUendent plusieurs auteurs qui complent pour des autorites d’assez
« grand poids. »
Ceux de uos lecteurs qui voudraient 4tudier cette question d’une
man lore approfondie pourront demander 1’ouvrage de Tauteur, ft Nancy,
librairie Not re-1 >nme, 6$, rue Saint-Georges. Le premier fascieu’e
contient la Rdglo des Templiers.
CHAP. VXI. — TEMPLIERS ET ASSASSINS. U9
< N’etes-vous point marie? — N’appartenez-vous pas
« deja a un autre ordre ? — N’avez-vous pas de dettes
« que vous soyez dans l’impossibilite d’acquitter soit par
« vous-meme soit par vos amis ? »
Si les rcponses etaient satisfaisantes, le postulant pro-
nongait les trois voeux de pauvrete, de chastete et d’o-
beissance, promettait de combattre pour la defense de la
Terre-Sainte, etrecevait le manteaude l’Ordre.
II faisait ensuite le serment d’usage, qui etait ainsi
c.ongu :
« Je jure dc consacrer mes discours , mes forces ,
« ma vie a defendre la croyance de l’unite de Dieu et
« des mysteres de la foi; je promets d’etre soumis et
« obeissant au Grand Maitre de l’Ordre... Toutes les fois
« qu’il en sera besoin, je passerai les mers pour aller
« combattre, je donnerai secours contre les rois et les
« princes infideles, et en presence de trois cnnemis je nc
« fuirai point, mais seul je les combattrai si ce sont des
« mecreants. »
Les devoirs religieux des Templiers etaient d’une
certaine severite. Void en quoi ils consistaient : assister
a l’offlce de jour et de nuit, faire abstinence les lundis,
mercredis, vendredis et samedis, jetiner frequemment,
adorer solennellement la croix trois fois I’annee, entendre
la messe et faire l’aumone trois fois par semaine, recevoir
la communion trois fois en douze mois.
Leur etendard blanc et noir avait pour Iegende ces mots
dc l’Ecriture : Non nobis , Domine, non nobis, scd nomini
tuo da (jloriam. Sur leur sceau etait grave un cheval
portant deux cavaliers avec cette exergue : Sigillum mi-
litum Christi.
Saint Bernard a fait des chevaliers du Temple un
eloge magnilique.
120 ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.‘. M.\
« Ils vivent, dit-il, sans rien avoir enpropre, pas menr
« leur voloute. Vetus simplement ot couverts de poussiere,
i ils out le visage bride des ardours du soleil, le regard
* fier et severe; a l’approche du combat ils s’armcnt de
« foi au dedans et de fer an dehovs ; lours armes sent leur
* unique parure; ils s’eu servant avec le plus grand
s courage dans les perils, sans craindre ni le nombre ni
la force des barbares : toute leur confiance est dans le
« Dieu des armees; en combattant pour sa cause ils
« clicrcheut une victoire certaine ou une mort sainte et
« glorieuse. Oh ! l’lieureuso vie, dans laquelle on peut
« attendre la mort sans la craindre, la desirer avec joie,
* et la recevoir avec intrepidite. »
L’Ordre des Tcmpliers prit en peu de temps une ex-
tension prodigieuse. Pendant les deux siecles qui suivirent
sa fondation, ils no cesserent do combattre les infuleles
avec une bravoure qui ne se dementit jamais. Ils eurent
une part glorieuse dans la guerre contre les Maures d’Es-
pagno. On les vit successivement figurer aux sieges de
Lisbonne, de Gaza et do Damiette, a la bataille de Tibe-
riade, etc., etc. Malgre le courage qu’ils deployerent, la
Terre-Sainte fluit par leur echapper, et, le 20 mai 1292,
le Grand Maitre do l’Ordre quittuit Acre, la derniere ville
qui ne fiit pas au pouvoir des inlideles, emportant les
tresovs qu’il avait pu sauver, et emmenant les dix che-
valiers qui lui restaient encore des cinq cents qui etaient
entres avee lui dans la place.
Le siege de l’Ordro flit des lors etabli a Ch ypre.
En 1290, les Tcmpliers et les Hospituliers de Saint-Jean
de Jerusalem profiterent d’une invasion des Tartares, pour
faire une nouvelle apparition sur l’ancien theatre de leurs
exploits, mais ils furent battus et obliges de retourner
it Chypre.
Jacques do Molay succeda, comrae Grand Maitre, au
moinc Gaudini.
CHAP. VII. — TEMPLIERS ET ASSASSINS. 121
Appele en France par Philippe le Bel en 1304, il s’y
rendit avec soixante chevaliers. Le souverain les combla
^attentions delicates, lui et ses compagnons. II le pria
m3 me de tenir un de ses enfants sur les fonts du
bapteme.
Le 12 octobre 1307, Jacques Molay assistait, invite avec
la plus grande courtoisie, a l’enterrement de la belle-sceur
de Philippe. Tout faisait done supposer que les Templiers
possedaient l’affection du monarque.Mais il n’en etait rien,
puisque, le lendemain de cette ceretnonie funebre, le
Grand Maitre et les cent quarante chevaliers qui etaient
alors a Paris furent arretes et incarceres.
On a beaucoup ecrit sur la condamnation des Tem-
pliers. Les uns se sont attaches a les representer sous
des couleurs on ne peut plus defavorables, les autres, au
contraire, ont soutenu, avec quelque apparence de raison,
que Philippe le Bel avait poursuivi leur suppression, afin
de pouvoir s’emparer de leurs tresors, qu’il savait fetre
considerables.
Jusqu’au moment oh le roi do France fit brutalement
emprisonner le Grand Maitre et ses compagnons, les
Templiers avaient joui de l’estimo genOale. — Aussi, le
pape Clement V se montra fort surpris des accusations
dirigees contre eux, accusations qu’il n’hesita pas a qua-
lifier d’invraisemblables et il'inoitics.
Peut-on admettre quo si l’Ordro du Temple avait ete
aussi corrompu que le pretendait Philippe, le Saint-
Siege l’eitt ignore absolument ?
D’ailleurs, tandis que les Templiers de France etaient
traques comme des betes fauves et tortures avec une
cruautd sans precedents, le roi d’Angletorre invitait les
souverains de Portugal, de Castillo, de Sicile et d’ Aragon
a ne pas ajouter foi aux calomnies qu’on repandait contre
TOrdre. Il ecrivait, en outre, au pape Clement V une
lettre ou on lisait ce qui suit :
122 ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.\
« Comme le Grand Maitre et ses chevaliers, fideles k
« la purete de la foi catholique, sont en tres grande con-
* sideration et devant nous ct devant tous ceux de notre
« royaume, tant par leur conduite que par leurs moeurs,
« je ne puisajouter foi k des accusations aussi suspectes,
« jusqu’a ce qu’enfin j’en obtienne une certitude en-
« tiere. »
Philippe le Bel lui-meme rendait justice a leurs vertus,
trois ans avant qu’il ne songeat a les proscrire. Yoici
comment il s’exprimait dans un acte date du mois
d’octobre 1304 :
t Les oeuvres de piete ct de misericorde, la liberality
« magniiique qu’exerce dans le monde entier, et en tout
« temps, le saint Ordre du Temple, divinement institue
« depuis longues annees, son courage, qui merite d’etre
« excite it veiller plus attentivement et plus assidument
« encore it la defense perilleuse de la Terre-Sainte, nous
« determinent justement it r4pandre notre liberality
« royale sur l’Ordre et ses chevaliers, en quelque lieu de
« notre royaume qu’ils se trouvent, et a donner des
« marques d’une protection speciale it l’Ordre et aux
* chevaliers pour lesquels nous avons une sincere pre-
« dilection. »
Le proces des Templiers fut conduit par les agents de
Philippe avec une partialite revoltante. Les formes
juridiquos firent place a la torture, car il fallait obtenir
des aveux it tout prix.
Plusieurs chevaliers, vaincus par les souffrances, se
reconnuvent coupables. Mais ils ne tarderent pas a sentir
l’aiguillon du remords, et a retracter les accusations
qu'ils avaient fait peser sur leur Ordre et sur eux-
memes.
CHAP. VII. — TEXIPLIERS ET ASSASSINS. 123
Le Grand Maitre avait ete de ce norabre. La maniere
dont il repara sa faute merite d’etre racontee :
Le 18 mars 1314, on dressa dans le parvis Notre-Dame
un echafaud, du haut duquel on devait lire a la foule
reunie la sentence qui condamnait Jacques de Molay et
trois autres chefs de l’Ordre k une reclusion perpetuelle.
Les accuses entendirent la sentence qui les frappait, sans
manifester la moindre emotion . Le Grand Maitre comprit
que le moment etait venu de rompre le silence une der-
uiere fois, et de dire hautement toute la verite. Prenant
a temoin les nombreux spectateurs qui l’entouraient il
s’ecria :
« Il est bien juste que, dans un si terrible jour et dans
« les derniers moments de ma vie, je decouvre toute
« l’iniquite du mensonge, et que je fasse triomplier la
* verite. Je declare done a la face du del et de la terre,
« et j’avoue, quoiqu’a ma honte eternelle, que j’ai commis
« le plus grand des crimes, mais ce n’a ete qn'en conve-
« nanl de ceux qu’on impute avec tant de noirceur dnotre
« Ordre ; j’atteste, et la verite m’oblige d’attester
* qu’il est innocent. Je n’ai meme fait la declaration
* contraire que pour suspendre les douleurs excessives
« de la torture, et pour flechir ceux qui me les faisaient
s souffrir. Je sais les supplices qu’on a infliges a tous les
« chevaliers qui out eu le courage de revoquer une pa-
t reille confession ; mais l'affreux spectacle qu’on me
« piesente n’est pas capable de me faire confirmer un
« premier mensonge par un second : a une condition si
* infdme, je renonce de bon cceur a la vie. »
En apprenant quelle avait et6 l’attitude du Grand
Maitre et de ses compagnons d’infortune, la colere de
Philippe le Bel ne connut plus de homes. Le monarque
assembla aussitot son conseil qui, apres une courte deli-
beration, condamna Jacques de Molay et celui de ses
124 ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.*. M.\
chevaliers qui avait proteste avec lui , k etre brules
vifs. Le hitcher fut dresse dans une ile de la Seine, a
l’endroit ou s’eleve maintenant la statue equestro de
Henri IV.
Les victimcs de Philippe supporterent vaillamment le
dernier supplice, pi’otestant do leur innocence et de celle
de l’Ordre, avec une fermete qui fit sur les temoins de
cette scene une vive impression. Pendant la nuit qui suivit
l’execution, de picux fideles rccueillirent les cendres des
supplicies et les conserverent comma autant de reliques
venerables.
On a pretendu qu’avant de rendre le dernier sonpir,
Jacques de Molay ajourna le Pape an tribunal de Dieu
dans les quarante jours qui suivraicnt sa mort. et Phi-
lippe le Bel avant l’expiration de la meme annee.
J’ignorc ce qu’il y a de vrai dans cette tradition. La
seulo chose qui soit certaine, c’est quo Clement V ot le roi
moururent d’une maniere fort imp vue.
Le premier fut pris d’une indisposition qui n’inspira
d’abord aucune inquietude, on sort ant du consistoiro oil
il avait promulgue les actes du concile de Vienne. Pensant
que Fair de son pays natal lui rcndrait la sante. il voulut
se faire transporter & Bordeaux. Arrive il Roquemaure,
sur les bords du Rhone, unc crise aussi violcntc qu’im-
pr^vue l’enleva presque subifement, le 13 avail 1314.
Jacques de Molay 1’ avait precede dans la tombe do vingt-
sept jours seulement.
Quelques mois apres. Philippe fut pris d'une langueur
qui derouta la science. Lc pouls etait bon, et cependant,
dit un historicn. Ia faiblesse et I’abattemcnt croissaient
tous les jours. On supposa quo lo sejourde Fontainebleau
serait favorable au retablissoment du monarque, mais il
n’en fut rion. Le malade ne tarda pas k mourir. Cct eve-
ne.ment eut lieu le 29 novembre 1314. Philippe etait age
de quarnute-six nns.
On croit generalcment que le roi de France ne pour-
CHAP. VII. — TEMPLIERS ET ASSASSINS. 125
suivit les Templiers, qu’afin de s’approprier leurs ri-
chesses. Ses panegyristes font observer, dans un but
facile & comprendre, que les proprietes de l’Ordre furent
donnees aux religieux de Saint-Jean de Jerusalem. Ils
negligent d’ajouter que leur client ne consentit a se des-
saisir des domaines qui appartenaient au Temple que
contraint et force par les murmures du peuple. De plus,
ils semblent ignorer qu’il saisit les tresors apportes
de Jerusalem par le Grand Maitre, et ceux, plus conside-
rables encore, qui se trouvaient dans la maison de Paris.
Ils oublient enfin que Philippe s’attribua les revenus des
Templiers, pendant les six annees qui s’ecoulerent depuis
l’arrestation du Grand Maitre jusqu’a la suppression de
l’Ordrc par le concile de Vienne.
Le roi de France etait cl’ailleurs coutumier du fait. On
sait que quelque temps auparavant il s’etait empare sans
le moindre scrupule des depouilles des Juifs.
La conduite du Pape a etc l’objet de critique s6veres.
Je n’ai pas l’intention de passer en revue les griefs de
toute nature que des ecrivains, meme catholiques, ont
fait valoir centre lui. Qu’il me suffise de dire que l’acte
par lequel il supprima les Templiers est irreprochable
dans la forme, quelle que soit l’opinion que l’on embrasse
sur les accusations dirigees contre l’Ordre.
Le dccret avait un caractere provisoire, et le fond de la
question n’y etait pas tranche. Clement V et le concile se
bornaient a dire que, vu les circonstances au milieu
desquelles on se trouvait , l’existence des Templiers
n’avait plus de raison d’etre et que l’abolition momen-
tance de i'Ordre s’imposait d’elle-meme : Nonpermoclum
definin' i\v sententiae, sed per viam provisionis et ordina-
ttonis aposlolicae.
J’ai raoonte en peu de mots l’origine des Templiers.
A l’exemple des historiens profanes , j’ai fait honneur de
cette fondation au zcle religieux do Hugues des Payens.
Les auteurs magonniques se separent de moi sur ce
126 ORTGINES FA.NTA.ISISTES 1>E LA. F.‘. M.%
point. Voici ce que dit, en particular, l’auteur des Acta
Latomomm :
« Jusque vers l’an 1118, les mysteres de l’ordre hie-
t rarchique de l’initiation de 1’Egypte transmis aux Juifs,
« puis ensuite aux chreticns, furent conserves sans alte-
« ration par les Freres d’Orient ; mais alorsles Chretiens,
« persecutes par les infideles, appreciant le courage et la
« piete de ces braves croises qui, l’epee dans une main et
« la croix dans l’autre, volerent, a, la defense des Saints
« Lieux, et rendant surtout une justice eclatante aux
« vertus ct a l’ardente cbarite des compagnons de Hugues
s des Payens, crurent devoir coulier a des mains aussi
« pures le depot des connaissances acquises pendant
* taut de siecles, sanctifiees par la croix, le dogme et la
« morale de l’Homme-Dieu.
« Telle est l’originc de la fondation de 1’Ordre du
« Temple, dans lequel ! fugues, insiruit de la doctrine
u esoretique, et des formules initiatoires des Chretiens
« d’Orient. fut revetu du pouvoir patriarchal, et place
« dans l’ordre legitime des successours de saint Jean-
« Bai>tiste.
« On connait les persecutions dirigces contre les
« Templicrs : dans ce temps, Jacques Molay, prevoyant
« les mallieurs qui menacaient un Ordre dont il voulait
« perpetuer l’existence, designa pour son. succcsseur
« Frbre Jean-Marc Larmenius, de Jerusalem, lequel a
t investi les GG. MM. destines a lui succedcr, de l’auto-
« rite patriarchale comme de la puissance magistrale en
<■ vcrtu de la charte de transmission qu’il a donnee
« en 1321, cliarto dont l’original cst consigne dans lc
<■ trcsor de 1’Ordre du Temple, sous le titre de Tabula
« aurea , et qui contient l’acceptation , signee propria
« manu, de tous les Grands Maitres successeurs de Lar-
« men ius.
« Apres la mort do Jacques Molay, des Templicrs
CHAP. VII. — TEMPLIERS ET ASSASSINS.
127
* ecossais 4tant devenus apostats, & l’instigation du roi
* Robert Bruce, se$ rangerent sous les bannieres d’un
« nouvel Ordre institue par ce prince, et dans lequel les
« receptions furent basees sur celles de l’Ordre du
« Temple. C’est la qu’il faut chercher l’origine de la
« Magonnerie ecossaise, et meme celle des autres rites
« magonniques. Les Templiers ecossais furent excommu-
« nies en 1324 par Larmenius, qui les appela eux Templi
« deser tores, et les Chevaliers de Saint-Jean de Jerusalem
« Dominiorum mill ties Spo/iatores. Cet anatheme a,
« depuis, ete renouvele par divers Grands Maitres contre
« les Templiers ecossais — qui ont ete declares rebelles
« a l’autorite legitime, et rejetes du giron du Tem-
* pie (1). »
D’aprSs l’auteur que je viens de citer, la plupart des
sectes maQonniques qui ont affiche la pretention de des-
cendre des Templiers sont nees du schisme d’Ecosse.
L’Ordre du Temple, s’il faut l’en croire, n’a jamais
cesse d’exister en France, ou les Grands Maitres se sont
succede sans interruption. Tous, parait-il, ont maintenu
les principes et les dogmes de l’ institution tels qu’Hs ctaient
dans Vorigine.
Du successeur immediat de Jacques de Molay, Jean-
Marc Larmenius, jusqu’ft Louis-Henri-Timoleon de
Cosse Brissac, en 1776, 1’ Ordre aurait eu vingt-trois
Grands Maitres (2).
(1) Acta. La.tomor.cm* tom. II, pp. 141, 142, 143.
(2) Voici la liste des Grands Maitres qui ont succ4d4 k Jacques de
Molay : Jean-Marc Larmenius, de Jerusalem; Theobald d’Alexandrie;
Arnould de Bracque; Jean de Clermont, second fils de Raoul de Cler-
mont, seigneur de Thorigny; Bertrand Duguesclin; Jean III, comte
d’Armagnac, de Fgzensac et de Rhodes; Bernard VIII d’Armagnac,
frere du prudent; Jean IV d’Armagnac, frere de Bernard ; Jean de
CroT, seigneur de Thou-sur-Marno, comte de Chimay; Bernard Imbault,
dont. la maltrise ne fut que provisoire : Robert de Lenoncourt, arclieveque
de Reims ; Gallers de Salazar, seigneur de Metz; Philippe Chabot, comte
de Charni et de Brion; Gaspard de Sanlx-Tavannes, marshal de
France; Henri de Montmorency, frere puine d’Anne de Montmorency;
128 OniGINES FAXTA1SISTES DE LA F.*. M.\
L’auteur des Acta Latomorum est en disaccord avec
la plupart des ecrivains maconniques en ce qui touche
1’orthodoxie de l’Ordre.
Le plus grand nombre d’entre eux, parmi lesquels le
F.\ Rebold, pretendent que les chevaliers Ecossais n’ont
pas abjure la vraie doctrine. Ce sont eux, s‘il fant 1’en
croirc, qui ont empeche l’Ordre de disparaitre pour
toujours.
« Un petit, nombre de Templiers, dit-il, echappes aux
« persecutions de Philippe, roi de France, aide par le
« pape Clement V, se refugient en Ecosse et y trouvent
« un asile au sein des Loges maconniques. L’Ordre raeme
« parut se reproduce dans la retraite qui lui fut offerte
j au milieu des montagnes de l’Ecosse (patrie de plu-
« sieurs Templiers) jusqu’au moment ou les Francs
« Macons d’aujourd’hui se separerent des anciennes
« corporations maconniques (1). »
D’apres le F.\ Rebold, la transformation de ces vieilles
confreries de constructeurs, connues en Angleterre
sous le uom de Free-Masons, date de l’epoque ou les
Templiers s’y introduisirent. Cette metamorphose fut
d’abord latente, mais Iorsque le protestantisme eut
Charles de Valois, gentilhomme normand; Jacques Rouxel de
Grancey, gouverneur de Tliionville; JacquesLIenry de Durefort,
due de Duras, marshal de France; Philippe d’Orieans, regent de
France; Louis- Auguste de Bourbon, due du Maine, tils nature! legitim^
de Louis XIV; Louis-Iienri de Bourbon-Conde; Louis-Fran^ois de
Bourbon-Conti; Louis-Hercule-TimoUon de Cosse, due de Brissac.
Lorsqu’arriva la tourmenle revolutionnaire, ce dernier remit eatre les
mains du chevalier Radix de Chevillon les archives, les insigues et ies
titres de FOrdre, alia de les mettre h Fabri. Celui-ci les contia, avant
de mourir, le 10 Juin 1801, ;i M. Jacques-Philippe Ledru. Apres lamort
de Ledru, le precieux depot tomba entre les mains de vulgairos aven-
turiers qui en abuserent d’une IVicon scandaleusc. Les vrais Templiers
se sont ellorcds, depuis, de reconsdituer l’Ordre ; mais il ne paralt pas
qu’ils y soieut parvenus.
(1) Reboi/d, Hist . gen. de In Franc- Magonnerie,
CHAP. VII. •— TEMPLIERS ET ASSASSINS. 129
obtenu droit de cite, dans le nord et la partie occidentale
de l’Europe, les Templiers ne prirent plus la peine de se
dissimuler sousle voile des corporations ouvri&res.
L’ auteur de Sarsena pense absolument comme Rebold
& l’endroit de cette question. Void comment il s’ ex-
prime :
t Le nombre 3 a son origine dans l’liistoire des Tem-
« pliers ; les trois grades symboliques rappellent les trois
« periodes de l’existence et le triple generalat des Cheva-
« liers de Saint-Jean de Jerusalem. A son apogee, l’Ordre
« comptait neitf generalats, nombre sacre pour les
« Macons, parce qu’il est le carre de trois. Neuf cheva-
« liers s’etaient associes pour donner lc jour a I’Ordre ;
« ils sediviserent en trois groupes jusqu’a l’epoque oule
« roi Bauduin leur donna une maison pres du Temple.
« Les vingt-sept (cube de trois) chevaliers qui compo-
i saientl’Ordre en 1127 deputerent neuf d’entre euxau
« concile de Troyes pour y demander une regie et la con-
« Urination de leur Ordre. Les vingt-sept se partagerent
« en trois divisions qui fixerent leur residence dans les
« trois villes de Jerusalem, d’Alep, de Cesaree. Chaque
« maison comptait neuf chevaliers. Bientot apres les
« trois groupes elurent chacun un superieur, et des trois
t superieurs un chef supreme {preefectum) (1). »
Le F.\ Dumast et le F.*. Juge affirment, eux aussi,
que l’Ordre maconnique n’est que la continuation de
celui du Temple. Ce dernier nous donne les details que
voici dans une dissertation que le Globe a reproduce :
« Un manuscrit existe entre les mains des Templiers
* de Paris ; son authenticity ne saurait etre 1’objet d’un
« doute : il a ete verifie par le celebre abbe Gregoire,
(X) Sarsena, p. 31*
130
ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.*. M.\
« ancien dveque de Blois, par le savant Dupuis, par le
* profond eveque de Copenhague, M. de Meinister ; il a
* ete vu, examine, rigoureusemcnt compulse par les
« paleologucs les plus exporimeutes. Ce manuscrit appar-
« tient a unc epoquc voisino du martyre (l'auteur parle
« id du supplicedesTempliers); scs indications prouvent
« qu’il a ete fait pour l’Ordre du Temple dont il renferme
« la doctrine religieuse secrete ; eh bien , co manuscrit
« lie presente pas une autre philosophic quo celle que
« nous venons d’analyser ot d’indiquer comme etant celle
« aussi do la Franc -Magounerie (lj. »
Le F.'. do Branville est encore plus explicite, dans le
discours qu’il prononga, le 8 aoiit 1839, a la logo dos Che-
valiers de la Croix , Orient dc Paris :
« Dans mon syslemc, dil-il, l’Ordro maQonnique serait
« une emanation dc I'Ordrc du Temple, dout vous con-
« naissez l’histoiro et les malhours, cl il ne peut pas etre
t raisonnablcment autre chose. La Mafjonnerie a du
« prendre naissance en Eeosse. Ellc fut certainement, a
« l’origino, une forme prudente et habilement combinee,
« que dcs Chevaliers de ce pays imaginerent, afin de
* derober la continuation de lour Ordre illustre aux yeux
« clairvoyants de leurs tout-puissants proscripteurs.
t L’lieroique Guillaume dc la Moore, grand-prieur d’An
« gletcrre et d’ Ecosse, put, de sa prison, oil il prefera
c mourir captif plutot que de se reeonnaitre coupable
* d’heresie, iuspircr le zoic des Chevaliers de sa langue,
« et les dirigor par ses haulcs lumieres dans la creation,
t l’organisation et les developpements du rite ma$on-
« nique, destine a cacher aux ycux des profanes l’Ordre
* du Temple, proscrit et frappe d’anathome. Par cet arti-
t lice, les Chevaliers, tout en continuant dans le mystere
(1) Globe, tom. Ill, p. 307-310.
CHAP. VII. — TEMPLIERS ET ASSASSINS. 131
* leur mission philanthropique , se r6habilitaient par
« l’exemple et l’enseignement des vertus sociales, et pre-
« paraient pour des temps meilleurs l’oceasion de se
t reveler avec uu nouvel eclat au monde Chretien. »
Plus loin, l’orateur se prononce avec plus de force
encore sur 1’origine de la Magonnerie.
* J’ose affirmer, continue-t-il, que l’Ordre Magonnique
« fut etabli dans le xiv° siecle, par des membres de
« l'Ordre du Temple, de 1’ obedience du grand-prieure
* d’Ecosse, et que cette belle institution rayonna de ce
« point et se propagea facilenicnt dans les contrees euro-
« peennes. alors couvertes de nos predecesseurs proscrits.
« A l'appui de mon opinion, que partagent plusieurs Che-
« valiers Masons presents a cette seance, il me serait
« facile d’accumuler de nombreuses preuves, tirees de la
* eomparaison des rituels en usage dans les deux Ordres,
« ct l’on serait etonne, d’abord, d’y remarquer un systeme
« identique de reception, procedant par voie d'epreuves
« physiques et morales. On ne serait pas nioins frappe
« de cette singuliere analogic, dans les deux Ordres, d’un
« raeme mode d’initiation, d’une ceriaiue serie de grades,
« parmi lesquols on trouve parfois une resseniblance
« telle avec la Chevalerie templiere, qu’elle peut a bon
« droit passer pour une parfaite similitude (1), »
Lc^F.*. de Branville, craignant que ses auditeurs ne
trouvassent trop moderne l’origine de l’Ordre, si on ne la
faisait remonter qu’au xiv® siecle, ajoutait :
« La religion des Chretiens primitifs d’Orient, qui fut
« secretement pratiquee dans l’Ordre du Temple par ses
« Grands Maitres et par un certain nombre d’inities
(1). Globe, tom. I, p|>. 2U4-2P5.
13.2
ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.‘,
t intimes, vient elle-mime de l’Egypte, on Moise d’abora,
« et Jesus le Christ ensuite,en regurentles saints dogmes
4 et la morale divine, qu’ils apportereut l’un et l’autre et
« qu’ils propagerent dans la Judee (1). »
A on croire le F.\ Boubie, les fideles de Jerusalem qui
s’etaient organises en societe secrete, afin d’echapper a
la persecution, auraient initie les Chevaliers du Temple.
L’ auteur, commo on a pu Ie voir, entre, a ce sujet, dans
une foulc de details qui font plus d’honneur a la riehesse
de son imagination qu’& 1’cxactitude de ses connaissances
historiques.
D’autres ecrivains pretendent, au contraire, que Tho-
mas Beraud, qui gouvernait les Templiers en 1273, fut
admis a l’initiation par un soudan dont il etait prison-
nier, et qu’ayant recouvri sa libcrte, il initia les religieux
de son Ordrc.
On cite, a l’appui de cette opinion, les aveux qu’auraft
faits Geoffroy de Gurncville a l'inquisiteur Guillaume de
Paris, lors dcs poursuites qui furent dirigees contre les
Chevaliers du Temple.
Quelques auteurs enfin soutiennent que les Templiers
furent inities par une secte dont le nom est devenu tris-
tement celebre.
Yers l’an 977 de l’ere chretienne, apres l’elevation des
Fatemites au trone d’Egypte, des reunions avaient lieu au
Caire, le lundi et le mei’crodi de chaque semaiue. Le but
des associes etait de travailler a l’affermissement de la
nouvelle dynastie.
On n’etait admis dans ces assemblies mystirieuses
qu’apres avoir subi diverses epreuves. La societe pro-
fessait une doctrine publiquo et une doctrine secrete. Les
adeptes n’arrivaient a connaitre cette derniere qu’apres
avoir parcouru neuf grades successes. Dans le premier
(1) Globe, ibid.
CHAP. VII. — TEMPLIERS ET ASSASSINS. 133
grade, on s’attachait a jeter la confusion dans l’esprit du
postulant, en lui mettant sous les yeux les contradictions
qui regnaient entre les enseignements de la religion posi-
tive, representee par le Koran, et ceux de la raison livree
k elle-mSme. On lui faisait ensuite prater serment de ne
jamais reveler les mysteres de l’Ordre.
Arrive au second degre, il devait reconnaitre que les
Imans etaient destitution divine. Apres cela, on lui
apprenait que leurnombre ne pouvait pas depasser sept,
ce nombre etant sacre. On lui disait, a l’appui de cette
verite, que Dieu avait cr 44 sept ciels, sept terres, sept
mers, sept planetes, sept couleurs, sept sons et sept
metaux; qu’il y avait eu sept legislateurs depuis le com-
mencement du monde, et que chacun d’eux avait eu sept
disciples . Chaque disciple s’etait entoure de douse
apotres, dont la mission consistait k repandre la vraie
foi. — Le nombre douze etait encore plus parfait que le
nombre sept. De la, faisait-ou remarquer a l’adepte, les
douse signea du zodiaque, les douse mois de l’annee, les
douze tribus d’Israel, les douze phalanges des quatre
doigts de chaque main, le pouce excepte.
Lorsque le postulant etait- arrive au sixieme degre, on
lui revelait que la religion positive devait etre subor-
donnee aux enseignements do la philosophie. Le huitieme
degre n’etait qu’une recapitulation des precedents. Au
neuvieme, tous les voiles tombaient. L’adepte devait bien
se persuader que toutes les actions humaines sont indiffe-
rentes et qu’il n’y a pour l’homme, au del a du tombeau,
ni recompenses ni chatiments. La philosophie de l’Ordre
etait renfermee tout entire dans cette courte devise : Ne
rien croire et tout oser.
Fondle d’abord dans le but de soutenir un trone, la
societe ne tarda pas & employer sa formidable puissance
k detruire toute espece de hierarchie sociale.
Les adeptes charges de propager les doctrines del’Ordre
s’appelaient Dais. Une partie de 1’Asie en etait inoudee.
ORIGINES FANTA1SISTES DE LA F.\ M.\
fill
Hassan-Ben-Sabah, le plus entreprenant de ces mis-
sionnaires , so lassa bientot du role secondaire qu’il
jouait.
Apres maintes a ventures que je n’ai pas a raconter ici,
il parcourut la Syrie, sc rcndit successivement a Bagdad,
k Khousistan. Ispahan, Yesd et Kerman, et linit par se
fixer a Damaghan, d’oit il rayonnait dans les contrees
voisines. II lit en peu de temps un grand nombre de
proselytes.
Lorsqu’il se vit entoure de disciples devoues et con-
vaincus, sa seule preoccupation fat de choisir un centre
ofi il pdt etablir le siSge de sa puissance.
Moitie par ruse, moitie par force, il parvint k s’emparer
de la forteresse d’Alamont, l’an 1090. Il l’entoura de for-
midables remparts, y amena une quantite d’eau conside-
rable, et fit planter des arbres fruitiers en tres grand
nombre. Stimules par son exemple, les habitants du pays
ne tarderent pas. de leur cote, a s’occuper d’agriculture.
L’appi’ovisionnement. d’Alamont fut des lors assure.
La secto dont Hassan-Ben-Sabah etait le chef se compo-
sait de deux classes d’adoptes, les maitres et les compa-
gnons. Les premiers etaient connus sous le nom de Dais
et les seconds sous celui de Ueliks. Les Dais avaient pour
mission de recruter des proselytes. Ils connaissaient tous
les secrets de l’Ordre.Les Iteliks, beaucoup plus nombreux,
obeissaient a l’impulsion des maitres, dont ils ignoraient
la doctrine secrete. Leur initiation n’avait lieu que par
degres. Hassan ne tarda pas a comprendre que, pour
atteimlre le but qu’il se proposait, il fallait que le
devouement et l’intelligence de ces deux classes d’inities
fussent appuyes d’une force materielle suffisante. Il crea
done un troisieme grade. Ceux qui en faisaient partie s’ap-
pelaient Fedavi.
Les disciples d’Hassan port§rent d’abord le nom d’ls-
maelites. Ce ne fut que plus tard qu’ils recurent celui d’As-
sassins, du mot haschischin (mangeurs de haschische).
CHAP. VII. — TEMPLIERS ET ASSASSINS. 135
Leur costume se composait d’une robe blanche, d’un
bonnet, d’une ceinture etde bottes rouges.
Les Ismaelites s’emparcrent successivement de tous les
chateaux qui avoisinaient Alamont. Devenus maitres de
positions inexpugnables, ils virent leur puissance grandir
et se fortifier d’une facon rapide.
Hassan prit, des lors, le titre de Sidna, ou Vieux de la
Montague , que ses successeurs continuerent a porter.
Son gouvernement n’etait ni un royaume ni une princi-
paute, mais un Ordre assez semblable, comme organi-
sation, a celui desTempliers.
Les Assassins etaient vStus de blanc comme ces
derniers.
t Seulement, dit De Hammer, une croix rouge sur le
« manteau des Chevaliers du Temple rempla<;ait le bonnet
« et la ceinture rouges. Si les Templiers, dans leur doc-
« trine secrete, reniaient la saintete de la croix, les
« Assassins rejetaient les principes de l’lslamisme. La
« regie fondamentale des deux ordres etait de s’emparer
« des forteresses et des chateaux des pays voisins, afin de
« maintenir ainsi plus facilement les peuples dans l’obeis-
« sauce; tous les deux etaient de dangereux rivaux pour
« les princes, et formaient, sans tresor ni arrnee, un Etat
« dans l’Etat. Les plaines d’un pays sont toujours domi-
« nees par les montagnesqui les eutourent etles chateaux
« qu’on y a construits : se mettre en possession de ces
e chateaux par la force ou par la ruse, iatimkler les
« princes par toute espece de moyens, telle etait la poli-
« tique des Assassins. La tranquillite se maintenait &
« l’interieur, par la stricte observation des regies posi-
« tives de leur religion; leurs chateaux et leurs poignards
* les garantissaient a l’exterieur. On ne demandait aux
« Sujets de l’Ordre proprement dit, ou aux profanes, que
« la rigoureuse observation de TIslamisme, et la privation
« du vin et de la musique;mais on exigeait des satellites
136 OttIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.\
t sacres (Fedavi) une obeissance aveugle et un bras
« fldele toujours pret au meurtre. Les recruteurs, en ve-
« ritables iniiies, travaillaient les esprits, indiquaient et
« dirigeaient les assassinats commandes par le Scheikh,
« qui, du haut de son chateau, ebranlait les consciences
* et designait les victimes.
« Apres lui les Dailkebir, ou Grands-Prieurs, oceu-
« paient le second rang; ils etaient ses lieutenants dans
« les trois provinces ou la puissance de l’Ordre etait
* etendue, e’est-a-dire le Dschebal, le KhousistA.11 et la
« Syrie. Ils avaientsous lours ordres les Dai's ou maitres
« initios; les Refiks ou compagnons, voues a la defense de
« la sccte et de sa religion, n’arrivaient que par degres a
* la dignite deDais. Les gardes de 1 ’Ordre, les Fedavi ou
« sacrifies, et les Lassiks, aspirants, semblent avoir ete
« scs novices ou ses lalcs(l). »
La regie de conduito imposee aux Dais, pour le recru-
tenicnt de l’Ordre, etait marquee au coin de la prudence.
Void la double maxime qu’ils devaient avoir sans cesse
devant les yeux : Ne jete: pas la semence dans un sol
aridc, — ne parlez point dans tine maison ou il y a une
lampe allumee, Ce qui signifiait : Ne prodiguez pas vos
paroles a des incapablos, — ne discutez pas avec des
hornmes de loi ; les uns sont hors d’etat de vous com-
prendre, et les autres vous compromettront par leur
bavardage.
La seconde recommandation faite aux Dais etait de
s’insiuucr dans l’esprit de ceux qu’ils voulaient gagner,
en flattant leurs passions.
Lorsqu’ils etaient parvenus a capter la confiance d’un
jouno homme. ils s’attachaient a le rendre scoptique. Ce
n’etait qu’ apres avoir atteint ce but qu’ils lui permettaient
de preter serment.
(1) De Hammer, Hist a ire de VOrdrc des Assassins, pj>. 1?0 suiv.
CHAP. VII. — TEMPLIEUS ET ASSASSINS. 137
La politique secrete d’Hassan-Ben-Sabah consistait a ne
faire connaitre les preceptes athees de l’Ordre qu’aux
gouvernants. Les gouvernes devaient les ignorer toujours.
Les peuples soumis a sa domination lui obeissaient aveu-
glement, car ils savaient que la mort suivait de pres toute
velleite d’insubordination.
Voici de quelle maniere les chefs de la secte parve-
naicnt a inspirer aux Fedavi le mepris de 1’ existence et
le devouement aveugle dont ils avaient coutume de faire
preuve :
« Au centre du territoire des Assassins, en Perse et en
« Syrie, a Alamontet it Masziat, etaient, dans des endroits
« environnes de murs, veritables paradis, oil l’on trouvait
« tout ce qui pouvait satisfaire les besoins du corps et les
* caprices de la plusexigeante sensuality des parterres de
* fleurs et des buissons d’arbros it fruits entrecoupes de
» canaux, de gazons ombrages et de prairies verdoyantes,
* oil des sources d’eau vive bruissaient sous les pas. Des
* bosquets de rosiers et des treilles de vigne ornaient de
« leur feuillage de riches salons, ou des kiosques do por-
* celaine garnis do tapis de Perse et d’etoffes grecques.
« Des boissons delicieuses etaient servies dans des vases
« d’or, d’argent etde cristal, par de jeunes gar^ons etde
« jeunes filles aux yeux noirs, semblables aux houris,
t divinites de ce paradis que le Prophete avait promis aux
t croyants. Le son des harpes s’y melait au chant des
n^oiseaux, et des voix melodieuses unissaient lours
« accords aux murmures des ruisseaux. Tout y etait
« plaisir, volupte, enchantement. Quand il se rencontrait
« un jeune homme doue d’assez de force ou d’assez de
* resolution pour faire partie de cette legion de
* meurtriers , le Grand-Maitre ou le Grand-Prieur
< l’invitaient a leur table ou 4 un entretien parti-
« culier, l’enivraient avec de l’opium de jusquiame et le
4 faisaient transporter dans ces jardins. A son reveil il se
lo8 0R1G1NE3 FANTATSISTES DE LA F.\ M.\
« croyait au milieu du paradis. Ces femmes, ces houris,
« contribuaient encore a completer son illusion. Lorsqu’il
« avait goute jusqu’a satiete toutes les joies que Ie Pro-
« phete promet aux elus apres leur mort, lorsqu’enivre
« par ces douces voluptes et par les vapours d’un vin
« potillant. il tombait de nouveau dans une sorte de
« lethargic, on le transportait hors de ce jardin. et, au
« bout de quclques minutes, il se trouvait aupres de son
« superieur. Celui-ci s’efforcait alors de lui faire com-
« prendre quo son imagination trompee lui avait fait voir
« un veritable paradis, ct donne un avant-gout de ces
« ineflfables jouissanccs reservees aux fidelcs qui auront
« sacrifie lour vie a la propagande de la foi, et auront eu
« pour leurs super ieurs une obeissance illimitee. Ces
t jeunes gensse devouaient alors avec joie a devenirles
s aveugles executcurs des arrfcts du Grand-Maitre (1). »
On peut se faire une idee do leur obeissance par le fait
suivant :
Henri de Champagne, se rendant en Armenie, passa
pros du territoire des Assassins. Le Grand-Prieur de
l’Ordrc lui envoya une ambassade pour le complimenter
et l’inviter a venir le voir dans le chateau qu'il habitait.
Le Comte accepta l’invitation, mais il ajourna sa visite a
l’epoque de son retour en Terre-Sainte. Le Grand-Prieur
se rendit au-devant de lui et le re^ut en grand apparat.
Il lui lit visiter tour a tour bon nombre de forteresses, et
le conduisit, en dernier lieu, dans un chateau flanque de
hautes tours, dont les creneaux otaient garnis de senti-
nelles vetues de blanc. Le Grand-Prieur, s’adressant au
Comte, lui dit : « Je suis persuade que vous n’avez pas
t de serviteurs aussi obeissants que les miens. » Puis il
fit un signe et deux hommes se precipiterent du haut des
murs. Le Grand-Prieur se tournant vers le Comte stup^-
(I) Db Hammer, Ilistoxre de I’Ordre des Assassins .
CHAP. VII. — TEMPLIERS ET ASSASSINS. 139
fait : « Si vous le desirez, ajouta-t-il, je ferai un second
« signal, et tous les homines quo vous voyez suivront
« l’exemple des premiers. » Henri de Champagne se
montra suffisamment edifie, et avoua de bonne grace
qu’aucun prince de la chretiente ne pouvait compter sur
un devouement aussi aveugle de la part de ses soldats.
Le Grand-Prieur retint le Comte plusieurs jours aupres
de lui, le combla de presents et lui offrit son amitie :
t Si vous avez quelque ennemi, lui dit-il, qui veuille vous
« nuire, adressez-vous a moi et je le ferai poignarder.
« C’est avec cos Meles serviteurs que je me debarrasse
* des ennemis de l’Ox’dre. »
Hassan-Ben-Sabah avait fait quelque chose de sem-
blable, a l’epoqueou sa puissance commencait a inquieter
les souverains orientaux. Dchelaloddin-Meiekschah, sul-
tan seldjoucide, envoya au Vieux de la Montagne un de
ses officiers, pour le sommer de se soumettre a sa domi-
nation. Hassan manda plusieurs de ses Fedavi qui assis-
terent a l’audience. Sur un signe qu’il leur fit un des
adeptes se poignarda et l’autre se jeta du haut d’une
tour, sans manifester lamoindre hesitation. II dit ensuite
a l’envoye du Sultan : « Rapporte a ton maitre ce que tu
* as vu, et dis-lui que j’ai sous mes ordres soixante-dix
« mille hommes qui tous executent mes commandements
« avec la nieme soumission. Voila ma reponse (1). »
Les ecrivains qui rattachent la Maconnerie a l’Ordre des
Assassins pretendent que les Templiers furent initiee
par les successeurs d’Hassan-Ben-Sabah, sinon par
Hassan lui-meme.
Les Chevaliers ne furent jamais en lutte avec le Vieux
de la Montagne. Egalement ennemis de l’lslamisme, ils
agirent plusieurs fois de concert contre les disciples du
Prophete. Baudouin, roi de Jerusalem, conclut avec les
(1) Petrus de Vineis* Epistolce . — Marinus Sanutus. — Elmacini,
Hist. Saracenica .
140 OIUGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.*.
Ismaelites, a l’instigation de Hugues des Payens, un traite
d’alliance, dont le resultat devait etre la livraison de la
ville de Damas aux Crois&s.
Deja, en 1102, le Grand-Maitre Hassan-Ben-Sabah
avail envoye line ambassade au roi de Jerusalem.
Voici, d’autre pail, co quo raoontent les historiens
orientaux, d’accord sur ce point avec Guillaume, eveque
de Tyr, ct Jacques, eveque d’Akka, a propos des relations
qui existaient entre les Chevaliers du Temple et 1’Ordre
des Assassins :
« Les Ismaelites etaient d’abord les plus zeles observa-
t teurs des lois de lTslamisme. Plus tard, un Grand-
c Maitre d’un esprit superieur et d’une haute erudition,
« verse dans la loi chretienne et connaissant it fond la
* doctrine de l’Evangile, abolit les priorcs do Mohammed,
« fit cesser les jeuncs et permit ;'i tous sans distinction
c de boire du vin et de manger du pore. La regie fonda-
« mcntale de lour doctrine consiste a se soumettre aveu-
« glcment a leur chef, soumission consideree comme pou-
« vant seule meriter la vie eternelle. Ce Maitre, appele
« goneralement le Vieux, reside au delii de Bagdad, dans
« la province persane qui porte le nom de D«chebal ou
« Iraki-Adschcmi. La, a Alamont, de jeunes gargons
a sont sieves dans tout ce que le luxe asiatique peut ima-
« giner de plus riche et de plus seduisant. On leur
« apprend plusieurs langues, on les anno d’un poignard,
« puis on les jette dans le monde, afin d’assassinor sans
« distinction les chretiens et les Sarrasins. Les meurtres
« avaient goneralement pour but soit de se venger des
« ennemis de l’Ordre, soit de complaire a ses amis, soit
« enfin d’obtenir de riches recompenses. Ceux a qui l’ac-
« complissement de ce devoir avait coiite la vie etaient
« considers comme des martyrs, jouissant dans le
t paradis d’uno haute felicite. Lcurs parents recevaient
« de riches presents, ou, s’ils etaient esclaves, ils etaient
CHAP. VII. — TEMPLIERS ET ASSASSINS. 141
* affranchis. Ainsi ces jeunes gens, vouSs au meurtre,
« sortaient avec enthousiasme de leur retraite pour frap-
« per les victimes designees. On les voyait parcourir le
* monde sous toutes les formes, tantbt sous les habit du
« moine, tantot sous ceux du commercant, et agir tou-
« jours avec tant de circonspection, qu’il etait presque
« impossible de se derober a leurs poursuites. Les gens du
« peuple n’avaient rien a redouter, car les Ismaelites (1)
« croyaient au-dessous d’eux de prendre leur vie ; mais
a les grands et les princes etaient reduits a acheter leur
« securite au poids de l’or, a s’entourer de gardes et a ne
« jamais sortir sans armes (2). »
Les d-crivains qui attribuent au Yieux de la Montagne
l’initiation des Templiers, s’attachent a montrer que la
doctrine secrete des Ismaelites avait de nombreux points
de contact avec celle que l’on attribue, a tort ou & raison,
aux Chevaliers du Temple. Quoi qu’il en soit, il est per-
mis de se deman der si une semblable origine est de
nature a entourer la Franc-Maconuerie d’un prestige
qu’elle n’a pas. Les Ismaelites sont des ancetres compro-
mettants pour des homines qui parlent sans cesse de
philanthropic. II est vrai que les actes de la secte macon-
nique ont inflige plus d’un cruel dementi aux discours
de ses orateurs et aux hypocrites declamations de ses
panegyristes.
(1) Qnelques auteurs ecrivent IsmaUitcs.
^2) 1)e Hammer, Ilisioire de VOrdre des Assassins*
CIIAPITRE Mil
Constructeurs romains, corporations du moyen Age,
Manicheens et Colideens
So mm a irk. — Le roman du F.*. Rebold. — Les constructeurs romains
et Numn Pompilius. — Organisation suppos^e de cette corporation. — •
Des brigades de constructeurs accompagnent les legions romnines. —
Quelle dtait leur mission. — Leurs travaux dans les Oaules et en
Angleterre. — Les premiers predicateurs de l’Evangile se melent aux
constructeurs qui adoptent avec empressement la nouvelle doctrine.
~ Les corporations sous le regne de Constantin. — Clovis ramene la
s^curit^ dans les Caules. — Prdtendues faveurs que les Papes auraient
accordees aux constructeurs du moyen age. — Ilistoirc iantaiaiste
imaginee par le F.\ Rebold. — Les Francs-Ma^ons de cette dpoque,
suivant cet dcrivain, organiserent plusieurs grandes Logos. — Les
corporations ouvrieres disparaissent par le fait du protestantisme.
— Que faut-il penser des allirmations du F.\ Rebold et consorts sur
le role des societes de constructeurs au moyen age. — Origine attribute
par Eckert la Maconnerie. — Co que le in'* me auteur nous raconte
des Colideens ou moiues ecossais. — Wat et les Masons Wicleffistes
anglais.
Un ecrivain qui jouit d’une grande autorite panni les
Masons de tous rites, le F.\ Itebold, fait remonter l’ori-
gine de l’Ordre a Numa Pompilius, second roi de Rome.
Ouvrages consult6s : Rebold, Ilistoirc des trois grandes Logos. —
Ragon, Orlhodoxie maconnique. — Acta Lutomorwn , — Eckert, La
Franc-Maconncric dans sa veritable signification. — F.\ Chkmix-
Dupontks, Travaux maronniques ct philosophiques. — Lrvrai Franc-
2 Slaton. — Uniters maconnique, annee 1837. — Findkl, Ilistoirc de la
Franc- Maconnerie. — Preston, Illustrations de la Maconnerie. —
E rlaireisseitieuts sur la Maconnerie. — F. Favue, Documents /uacon-
niques. — ■ ivi-osa, Ilistoirc de la Franc- Mar onnerie en Angletcrre t en
Irl tnde et en Ecos^e. — La Constitution des Fra ncs-M aeons. —
Origincs ct destinees des Ordrcs de Iiose-Croix ct de la Franc -
Magonncrie. — La Maconnerie so it m is e d la public ite a Vaidc de docu-
ments aiithenliyues. — Keller, La Franc-Maconnerie cn Allemugne
CHAP. Yin. — CONSTRUCTEURS ROMAICS, ETC. 143
Ce monarque classa toute la population de sa capita] e en
trente et une corporations. Le college des constructeurs
6tait la plus importante. Elle comprenait tous les corps
de metiers dont l’architectui-e civile, religieuse, hydrau-
lique et navale exigeait le concours. Elle avait non seule-
ment des juges, mais aussi des lois spSciales empruntees
aux pretres-architectes dyonisiens de l’Orient.
« Numa, en fondant ces colleges, dit le F.\ Rebold, les
< constitua comme societe civile et religieuse a la fois, et
« leur confera le privilege exclusif d’elever les temples et
* les monuments publics ; leurs rapports avec l’Etat et le
t sacerdoce sont determines avec precision par les lois ;
« ils ont leur propre juri diction, leur propre culte : a leur
* tete se trouvent des presidents ou maitres ( magistri ),
t des surveillants, des censeurs, des tresoriers, de3
t secretaires ; ils ont des medecins particuliers , des
« freres servants : ils paient des cotisations mensuelles.
« Le nombre des membres de chaque college est fixe
* par la loi. Pour la plupart artistes grecs, ils entourent
t les secrets de leur art et de leurs doctrines des mys-
* t^res de leur pays, et les enveloppent dans les sym-
« boles empruntes a ces memes mvsteres et a leurs mys-
« teres particuliers, dont un des traits caracterisques
< forme l’emploi symbolique des outils de leur profes-
« sion (1). »
— Clavel, Histoire pittoresque de la Franc-Mas onnerie Abr&ge his-
toriqite de Vovganisation en France de 33 degres du Bite Scossais
ancien et accepts. — Latomia . — Goffin, Histoire popidaire de la
Franc-M&Qcmnerie. — Cgrdier, Histoire de VOrdre muQonnique en
Belgique .
Nota. — Ne sont pas compris dans cette nomenclature, les histoirea
g£n6rales que j'ai dft consulter, les diverses revues ma$onniques aux-
quelles il Taut recourir k propos de toutes les questions qui se rat-
tachent k la Franc-Maeonnerie, et un certain nombre d’auteurs qui ne
traitent pas spOcialement des societes secretes.
(1) Rebold, Histoire des Trots Grandts Loges f p. 14.
144 ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.\
S’il faut en croire l'ecrivain que je viens de citer, Ie
soir, une fois la jouruee fmie,les ouvriers se reunissaient
dans les baraques en bois qu’ils avaient coutume de
construiro a cote des chantiers, pour s’entretenir de leurs
travaux et initier les postulants aux secrets de leur pro-
fession. Ces reunions s’ouvraient toujours, nous dit
encore Rebold, par une ceremonie religieuse. L’auteur
eut peut-etre bien fait d’appuyer ses affirmations detemoi-
gnages historiques, afin de donner a son recit une auto-
rile quc beaucoup de lectours s’obstiueront a lui refuser.
A l’cpoquc on Rome etondit sos conquotes au loin,
chaquc legion etait accompagnee d’une brigade de con-
structeurs, chargee de dinger les travaux de magonnerie,
et de tracer les routes connues sous le nom de voies
romaines.
On confiait aussi a ces ouvriers le soin de fortifier les
camps retranches, et de reconstruire les edifices que
1’armee avait dotruits ou endommages, en faisant le
siege des villcs.
Ces corporations auraient puissamment contribu6 a
vulgariscr le gout des arts parmi les peoples soumis 3,
la domination romaine. La Gaule meridionale surtout
cut line large part a leur action civilisatrico.
.Sous le regno de l’empereur Claude, plusieurs brigades
de constructeurs fureut envoyees dans la Grande-Bre-
tagne, pour y clever des camps retranches, et mettre les
legions romaines a l’abri des attaques incessantes des
Ecossais. Bientot de nombrcux edifices transformerent
en villes ces colonies militaires. L’origine de plusieurs
grandes cites remonte a cette epoque.
C ependant les montagnards de l’Ecosse continuaient 4
haiceler les Romains, qui, pour resister a leurs incur-
sions , construisirent plusieurs muraillcs au nord du
pays. La plus grande traversal l’ile tout entiere, de
l’Orient a l’Occident.
Les indigenes se joignirent aux mauouvriers etran-
CHAP. VIII. — COXSTRCCTEURS ROMAIXS, ETC. 145
gers, et contribuerent u donner un serieux essor aux
travaux que l’on executa a cette 4poque au dela de la
Manche.
« Le christianisme, dit le F.\ Rebold, se r6pandit de
« bonne lieure dans la Grande-Bretagne et donna aux
« loges maconniques ce caractere particulicr qui les a
« distinguees a toutes les epoques. Des lors ces routes
« militaires d’une etendue prodigieuse que la conqud-
« rante du monde avait fait construire par les corpora
« tions pour aller enchainer les peuplades les plus eloi-
« gn£es , devinrent la voie par laquelle fut porte &
« l’humanite le verbe regenerateur legue par lc Christ.
« Les homines penetres de la nouvelle foi, aniin.es d'une
« sainte vocation, allerent ainsi de l’Orient a l’Occident
« annoncer l’Evangile a tous les peuples de la terre. Bien
« que les nouveaux convertis fussent exposes aux plus
« sauglantes persecutions dans les villes et les bour-
« gades, les messagers de la verite pouvaient cepcndant
* suivre avec securite les corporations maconniques, qui,
« tantot seules, tan tot ii la suite des legions, parconraient
« sans cesse l’empire dans toutes les directions (1). »
La Grande-Bretagne echappa a la plupart des perse-
cutions dont les autres parties du monde furentle theatre.
Au surplus, Rebold pretend que les Chretiens y trou-
verent un asile stir, au sein de la Maconnerie. II ajoute
que bon nombre de ceux qui annoncaient l’Evangile s’en-
rolerent, comme compagnons, alln de s’assurer un
moyen <Texistence.
II fait ensuite observer que l’essencedu veritable chris-
tianisme s'harmonisant avec l’esprit des Loges, cette
alliance des ouvriers constructeurs et des predicateurs de
la foi nouvelle n’avait rien que de tres naturel.
(1) Re bo lb, Histoire des trois grandes Loges .
F.-. M.\
10
146 ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.\
Lorsque les gouverneurs, cedant a la pression du pou-
voir central, croyaient devoir sevir contre les Chretiens,
ces derniers sc refugiaient en Ecosse, ou ils introdui-
sirent, mils par un sentiment de reconnaissance, le gout
de l'architecture religieuse.
Vers l'an 287, Carausius, qui commandait la flotte
romaine alors stationnee sur les cotes de la Belgique, se
revolta contre Maximien et Diocletien, s’empara de la
Grande-Bretagnc, et s’y fit proclamer empereur. Afin
de consolider sa puissance, il traita ses sujets avec dou-
ceur ct ne negligea rien pour s’attacher les corporations
de ce pays, alors tres puissantes. II leur rendit les privi-
leges dont elles jouissaient du temps de Numa Pompilius,
privileges qu’elles avaient, perdus en partie depuis l’eta-
blissement de l’empire. De la est venu le nom de Free-
Masons (francs-macons) qu’ellcs n’ont plus cesse de
porter.
A Carausius, qui mourut assassine, succeda Constance
Ch'ore, iuvesti par Maximien du gouvernement de la
Gaule et de la Grande-Bretagne. Constance se montra
plcin de hienvcillance pour les Free-Masons. II se fixa
meme a Eboracuni (1), au centre dos Logos maconniques
les plus anciennes et les plus importantes.
Constantin, lils de Constance, etant arrive a l’empire,
mit un terme aux persecutions. Non seulement il se dedara
hautement le ]>rotccteur des chretiens, mais il se convor-
tit, et fit du christianisme la religion de l’Etat.
A partir de cette epoque, s’il faut en croire les Macons
de l’ecole de Itebold, les corporations allerent se multi-
pliant, car chacun sait que l’architecture fut en grand
honneur pendant le moyen age.
Cepcndant les Pictes et les Ecossais s’obstinaient a
harceler les legions romaines, qui finirent par quitter
rAnglcterre vers l’an 420. Les confreries ne les suivirent
(1) Au;our#nmi Yorck.
CHAP. VIII. — CONSTRUCTEURS ROMAINS, ETC. 147
pas. Elies se flxerent dans les parties montagneuses de
l’lle, ou elles continuerent aprofesser le christianisme et
& cultiver l’architecture, en conservant l’organisation des
Loges.
Les colleges de constructeurs etablis dans les Gaules ne
furent pas moins florissants que ceux de la Grande-
Bretagne. Malheureusement la plupart des edifices qu’ils
eleverent, surtout dans le midi, eurent a souffrir des
invasions barbares.
Honorius, voulantreparer le mal cause paries envahis-
seurs, envoya dans les contrees que les hordes germa-
niques avaient couvertes de ruines une veritable armee
de Macons. De nombreuses villes se releverent de leurs
cendres ; mais elles ne tarderent pas a subir de nouveaux
desastres. Clovis apparut et empecha de son mieux ces
devastations periodiques.
Sous la monarchie des Francs, les corporations se
modifierent peu a peu. A l’epoque de la domination
romaine,les Free-Masons reunissaient tous les arts neces-
saires ii l’architecture. Mais a la disparition des Romains,
chaque metier s’organisa en corporation distincte. Les
Macons, nean moins, jouirent de privileges particuliers,
soit dans les Gaules, soit en Angleterre.
Cependant, grace a l’liumeur tout a la fois nomade et
belliqueuse des vainqueurs de l’empire, la civilisation
marchait a pas lents. Les amis des arts durent meme
chercher un refuge dans les monasteres. On les y
accueillit avec d’autant plus de sympathie, que les
moines travaillaient d4j& a sauver de la destruction les
lettres cHes sciences, en recopiant les chefs-d’oeuvre de
la Grece et de Rome. Bientot ils ne se bornerent plus au
metier de copistes. Ils firent de l’architecture une etude
toute partieuliere. C’est a leur genie que nous devons les
monuments religieux dont la France a toujours ete fiere
& juste litre.
Mes lecteurs savent que les moines ne se reser.
148 ORIGtNES FANTAISISTES DE LA M.\
verent pas le raonopole de l’art. Ils associerent a leur
ceuvre de nombreux laiques, avec le concours desquels
ils parent mener a bonne fin la plupart de leurs tra-
vaux.
Les Loges, nous disent encore les ecrivains de la
Maconnerie, se tenaient, a l’epoque dont nous parlous,
dans l’interieur des monasteres. Ils ajoutent qu’a pai’tir
du vn c siecle, les hommes fibres furent seuls admis dans
les societes de Frec-Masons.
On sait que toutes les corporations du moyen age
etaient placees sous le patronage d’un saint. Les Francs-
Marons choisirent saint Jean-Baptiste, parce que la fete
etablie en son honneur est fixie au 24 juin, qui cst le
jour du solstice d’ete, epoque, dit Rebold, ou le soleil est
au plus haut degre de sa splendeur et ou la nature deploie
toutes ses richesses. Le memo auteur ajoute que pour ne
pas s’aliener le clerge,les Francs-Macons prirentsouvent
la denomination de confraternity de saint Jean, et cons-
truisirent, sous ce nom, la plupart des edifices qui
remontent au xt* siecle.
Les corporations de la Lombardie profiterent de l’elan
que les terreurs de 1’an 1000 avaient donnea l’architec-
ture religieuse, pour demander au Pape le renouvellement
des privileges dont jouissaient les colleges des construe-
teurs romains, ce qui leur fut accorde.
* Les Papes, dit a ce propos le F.-. Rebold, leur deli-
« vi-erent en outre des diplomes speciaux qui les affran-
« chissaient de tous statuts locaux, edits royaux, regle-
« ments municipaux concernant les corvies ou toutes
< autre s impositions obligatoires pour les habitants des
« pays ofi les corporations allaient travailler ; ces memes
t diplomes leur concedaient le droit de relever directe-
t ment et uniquement des Papes, de fixer eux-mimes le
* taux de leurs salaires et de regler exclusivement dans
« leurs assemblies generates tout ce qui concernait leur
CHAP. VIII. — CONSTRUCTEURS ROMAINS, ETC. 149
* administration intdrieure. Defense fut faite a tout
c artiste non admis dans la Socidte de faire concurrence
« k cclle-ci, et k tout souverain d’appuyer ses sujets dans
t un pareil acte, regarde comme un acte de rebellion
« contre l’Eglise.
« Le style d’arcliitecture qui dominait k cette epoque,
« du iv e au xi c siecle, pour la construction des Edifices
« rcligieux, tant en Allemagne que dans les Gaules,
« etait celui que Ics corporations de constructeurs
t romains de la Lombardie avaient adopt*? dans les
« constructions de leur pays, et qui dtait admis partout,
« e’est-a-dire le style romain-latin. Le style dcossais des
« Francs - Macons d’Angleterre ne parvint pas tout
« d’abox'd a dominer, malgre la beaute de ses formes;
« mais peu a peu ces formes se marierent avec celles
« gdndralement cn pratique, et la. reunion des deux
* genres d’architecture fut appele roman-ogival (de 1150
i a 1200) . Puis ce style mixte finitpar l’cmpovter com-
« pletement au xiii® siecle, sous le nom do style ogival ou
« gothique primaire ; au xiy* siecle, il fut qualifie de
« style ogival secondaire, et enfin au xv« siecle, apres
« d’autres modifications, de style ogival tevtiaire (1). »
Comme tous les historiens de la Maconnerie. Rebold
arrange les eveuements et les interprete a sa fa con.
Apres avoir fait observer que les Francs-Macons du
moyen age avaient soin de choisir, comme presidents
honouflircs, des personnages haut places, dont lc prestige
et l’autorite pussent leur etre utiles, il ajoute qu’au
xi i c siecle, ils accordorent k quelques grandes Loges
une suprematie assez semblable a celle que lo Grand-
Orient exerce do nos jours. Ces Loges , au nombre
do cinq, etaient etablies a Cologne, a Strasbourg, a
Vienne, a Zurich et a Magdebourg. Cologne et Strasbourg
(1) Usbold, Ilistoire des trots grandes Loges.
150 ORIGINES FANTA.ISISTES DE LA F.’. M.’.
se disputerent d’abord la preponderance. Mais cette der-
niere ville Halt par l’emporter, et devint le siege de la
Grande-Maitrise.
Le midi de la France, la Hesse, la Souabe, la Thu-
ringe, laFranconie et la Baviere relevaient de Strasbourg.
Le nord de la France et la Belgique obeissaient a Cologne.
L’Autriche, la Hongrie et la Styrie reconnaissaient la
suprematie de Vienne. Berne et Zurich exercerent succes-
sivement leur juri diction sur les ateliers de la Suisse.
La Saxe reeonnut d’abord l’autorite de Strasbourg, et,
plus tavd, celle de Magdebourg.
Ces cinq grandes Loges etaient independantes les unes
des autres. Elies jugcaieut sans appel toutes les causes
qui leur etaient somnises par les Ateliers de leur obe-
dience.
Les statuts de la Societe furent revises en 1459 par les
chefs des Loges reuuis a Ralisbonne, et imprimes
en 1101, sous ce titre : Slatuts cl reglements de la confra-
ternite des tailleurs dej)ie?re de Strasbourg.
Approuves d’abord par l’empereur Maximilien, ils
furent continues plus tard par Charles-Quint et la plu-
part do scs successeurs.
L’apparition du protestantisme porta un coup mortel
aux corporations de constructeurs, qui disparurent a peu
pres entierement, vers la fin du xvi® siecle, dans une
grande partie de l’Europc. La diete helvetique, en 1522,
et Francois I or , en 1589, les depouillerent de tous leurs
privileges.
A pres avoir longuement parl6 des Free-Masons du
moyen age, Rebold eprouve le besoin de nous dire com-
ment ils se sont metamorphoses en Francs-Ma?ons mo-
dernes. II le fait avec sa souplesse d’esprit ordinaire.
« Les corporations magonniques, dit-il, n’ont jamais
« presente en France ni dans aucun autre pays ce carac-
f tere particulier qu’elles avaient en Angleterre, en
CHAP. VIII. — CONSTRUCTEURS R0MA1NS, ETC. 151
t Ecosse surtout, et leur influence sur les progres de la
« civilisation y a ete beaucoup moins grande que dans
* ces pays. L’usage adopts par ces associations d’affilier
» en qualite de patron ou de membre honoraire des
« homines eminents parait cependant avoir eu en France
« le meme resultat qu’ailleurs, c’est-a-dire la formation
« par ces Masons acceptes de Loges en dehors des corpo-
« rations ayant pour but la propagation des doctrines
« humanitaires de l’institution ; car, tandis que les cor-
« porations magonniques etaient dissoutes en France
« depuis le commencement du xvi® siecle, il parait avoir
« existe a cette epoque des Loges de cette nature ; mais
« nous n’en trouvons plus aucune trace (1). »
Cette derniere phrase du F.\ Rebold est toute une
revelation. Elle montre, une fois de plus, avec quel sans-
gene les annalistes de la secte magonnique out coutume
de traiter 1’histoire.
En faisant remonter la Franc-Magonnerie aux con-
structeurs du moyen Sge, cet ecrivain abuse de l’ignorance
de ses lecteurs. Les Freres de Saint-Jean ne s’occupaient
que d’ architecture, et leurs secrets se rapportaient d’une
maniere exclusive aux moyens de construction qu’ils
avaient adoptSs. Ceux qui out quelque peu etudiS l’his-
toire de l’Eglise savent que les membres des corpora-
tions ouvrieres, auxquelles nous devons nos vieilles
cathSdrales, se faisaient remarquer par la puretS de leur
foi.
Itebold a recours & une autre hypothese pour expliquer
la transformation dont il s’agit ; il prStend, nous l’avons
deja vu, qu’on doit l’attribuer a l’introduction des Tern-
pliers dans les Loges d’Ecosse.
Bazot professe a peu pres la m6me opinion, d’accord
(1) Hjsbold, Histoire des trots grandes Loges .
152 OltIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ M.\
en cela avec Wedekind (1) et plusieurs autres non moins
autorises.
Ces divers auteurs, on nc saurait trop le repeter,
donncnt aux corporations do eonstructeurs uue impor-
tance qu’ellcs n’curcnt jamais.
Disparucs avcc los Romaius, il n’en est plus question
jusqu’au xn 6 siecle. Lcs privileges merveilleux, que les
papes et Charlemagne auraient accordes a ces confreries
de manouvriers fantastiques, peuvent etre cousideres
comme unc bourde imagince par les Franes-Macons.
Quand Louis II envoya ses Missi (lominici en province,
il lour donna dcs instructions minutieuses sur la maniere
dont ils devaiont en user avec les diverses classes de la
societe. Or le souverain no fait nunne pas allusion a ce
que Rcbold qualifie bravement de Loges mciconniques.
Les maitres-macons vivaient, alors commc aujour
d’hui. do leur industrie personnelle. Les uns etaient
libres et jouissaient do tous les avantages attaches k cette
qualite. Lcs autres, au contraire. etaient condamnes au
servage et travaillaicnt pour 1c compte ct au profit du
seigneur sur lcs terres duquel ils habitaient.
Nous lisons dans le Code carolin que lorsque Charle-
magne voulut faire elever une eglise a la sainto Yierge,
a Aix-la-Chapelle, son premier soin fnt de reunir les
Maitresctles ouvriers les plus iutelligents. Cela fait, il les
chargea de la construction de I’odilice. sous la direction
d'un savant ecclesiastique.
Ni Abbon, qui fut un Maitro tres habile, ni saint Eloi
son clove n’appartinrenl a unc corjmration quelconque.
On doit cepemlant a ce dernier un grand nombre d’d-
glises fort remarquables et plusieurs abbayes devenr.es
celebres.
Les monies observations peuvent s’appliquer soit a.
l’ltalie soit it l’Alleniagiie.
f 1} Rapport nitre Vowin' Ptjt!*figoricien c f lcs Franrs-Maronn,
CHAP. VIII. — CONSTKUCTEURS ROMAINS, ETC. J53
Un moment vint ou l’art de batir fut d6daigne par les
laiques. Les moines le cultiverent. des lors, avec autant
de zele que de succes. Chaque monastere possedait un
architecte charge d’instruire les jeunes religieux chez
lesquels on decouvrait du gout et de l’aptitude pour ce
genre de travaux. II enseignait aux uns lo dessin, aux
autres la sculpture et la statuaire, a ceux-ci l’art des
decorations, a ceux-la, et c’etait lc plus grand nombre,
le metier de la ma^onnerie.
II est bon d’ajouter que les maitres habiles dont se glo-
rifiaient, a cette epoque, la plupart des maisons reli-
gieuses, ne faisaient pas un secret de leur savoir. Ils
etaient heureux de vulgariser les connaissances qu’ils
avaient acquises. Moines et gens du monde pouvaient
assister a leurs lemons, sans passer par les initiations
preliminaires dont nous parlent sans cessc les auteurs
ma<;onniques.
Rebold nous dit que les premiers prMicateurs de
l’Evangile se melerent aux Societes de constructeurs
repandues alors dans toutes les provinces de I’Empire,
afin de propager plus aisement la doctrine nouvelle.
Cette affirmation n’est appuyee d’aucune preuve. Ni les
ecrivains qu’il a copies ni ceux qui 1'ont copie lui-meme
ne se sont mis en peine do justifier leur opinion. Ils
savaiont sans doute que le public des Loges n’est pas
tres exigeant en matiero de critique.
Pour quiconque a lu avec quelque soin les annales de .
l’Egiise, lo recit de Rebold estun simple roman, a l’usage
des naifs db la Magonnerie.
Quankau privilege exclusif de batir et de restaurer les
dglises, que les Papes auraient accorde aux corporations
dont nous parlent ces memes ecrivains, il n’a jamais
existe que dans l’imagination des aimables farceurs qui
so font un malin plaisir de mystifier lours venerables
freres. II en est de meme des indulgences que Rome
aurait accordees aux chevaliers de la truelle. On peut
154 ORIGINES FANTA1SISTES DF, LA F.\ M.\
mettre au defi les historiens de la secte maqonnique de
citer une seule ligne a l’appui de leurs dires.
Les associations ouvrieres ne remontent pas au dela
du xi c siecle. Elies n’eurent meme une organisation
serieuse que vers 1150, et seulcinent en Italie, ou le gou-
vernement des communes etait tout a la fois aristocra-
tique et populaire.
En Allemagne, les corporations n’apparaissent qu’a-
pres l’annee 1200.
Ce fut a la fin du xni« siecle qu’elles prirent en France
un developpement serieux.
En Angleterre, Edouard III aurait reorganise les mai-
trises, s’il faut en croire certains auteurs. Le premier
document officiel qui parle des Free-Masons, ou ouvriers
constructeurs, est de 1350. Or, a en juger par la piece en
question (un decret du parlement), cette corporation
jouissait des memes faveurs que les autres.
Eckert fait remontcr la Maconnerie aux Manicheens.
Void quelle est, a ce propos, l’histoire qu’il nous
racontc :
Les chefs de la secte professaient les memes idees que
les finostiques. Resolus de livrer a l’Eglise un dernier
combat, ils se concertorcnt entre eux, afin de s’entendre
sur le plan de campagne qu’ils auraient a suivre. Rome
etant le centre de l’unite religieuse, ils deciderent d’y
etablir leur quartier general. Arrives dans la Ville Eter-
nelle, les disciples de Manes s’apcrcurent bien vito que la
noblesse et le clerge etaient mailres absolus de la situa-
tion. Le pcuple se contcntait d’obeir. Les lettres, les
sciences et les arts, menaces par les barbares d’une des-
truction complete, avaient trouve un refuge dans les mo-
nasteres. Les moines etaient exclusivement charges do
l’education de la jeunesse. Grace a l’influence qu’ils cxer-
caient autour d’eux, la vie religieuse etait en grand hon-
neur dans toutes les classes de la societe.
Que faire en face d’un pared etat do choses ? Les chefs
CHAP. VIH. — CONSTRUCTEURS ROMAICS, ETC. 155
manicheens se le demanderent non sans raison. Apres y
avoir miirement reflechi, ils penserent qu’ilfallait affecter
un grand zele religieux, embrasser la vie monastique et
s’emparer de l’education de la jeunesse. Leur plan de
cainpagne reussit ti merveille. Rome comptait aussi, a
cette epoque, un grand nombre dissociations qui toutes.
jouissaient de di verses franchises. Les Manicheens se firent
initier a celle des constructeurs, paree qu’elle etait plus
favorisee que les autres. C’est ainsi qu'ils parvinrent a
propager rapidement leurs doctrines dans toutes les par-
ties de l’ltalie, grace aux freres Macons venus de Cons-
tantinople.
Une grande Loge fut etablie a Rome. Elle ex ore a ,
des le principe. une juridietion reconnue de tous sur les
Ateliers de province.
Les adherents de l’association prirent le nom de Freres
Joannites. et s’assurerent l’estime du monde i*eligieux en
construisant des eglises, dont la plupart sont encore
debout.
Leur reputation se repandit en France, en Angleterre
et en Allemagne. De toutes parts on fit appel h leur dc-
vouement. Inutile de dire que leur empressement repon-
dit a l’attente du clerge et des fideles. Lorsqu’ils arri-
vaient dans une ville, leur premier soin etait de former
une communaute independante qu’ils iuitiaient aux doc-
trines de l’Ordre. Les pretres, les medecins et les astro-
nomes qui accompagnaient les caravanes de construc-
teurs s’aclressaient a la classe instruite et s’effor^aient de
l’eclairer. ■
Telle-est. en resume, la legende d’Eckert.
Le memo auteur raconte differemment l’origine de la
Ma<;onnerie en Angleterre.
II pretend que les Bretons convertis au christianisme,
voulant echapper a la persecution de Diocletien, se refu-
gierent en Irlande et dans les montagnes de l’Ecosse. La
plupart d’entre eux vivaient en communaute, comine les
156 ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.\ MV.
moines, et professaient une doctrine oil les enseignements
de TEvangile se melaient au Druidisme et au Magisme.
Plus tard. s’il faut en croire Eckert, ils auraient adopte
leserrours dc Pelage.
Saint Augustin, rapotro de l’Angleterre, voulut. pour-
suit le merne auteur, les ramener au giron de TEglise.
Voyant qu’il no pouvait triompher de leur entetement
il on fit massacrer un grand nombre. La violence ne
reussitpas mieux que la persuasion.
Ils ouvrirent done des ecoles de philosophie et do litte—
rature et continuercnt a propager lour onseignement.
Ces moines vivaient dans le celibnt.ee qui ne les empfe-
chait pas de se faire servirpardes femmes qui avaient
embrasse, de leur cote, la vie religicuse.
Les Macons italiens disciples de Manes, ayant penetr6
dans Tile, les Colidecns les recurcnt avec sympalhie.
jBientot les deux sectes rfen firenfc qu’une. Les mccon-
tents repandus cu Angle! erre. en Ecosse et en Irlande se
reunirent h eux,et de cet amalgame naquirent les Francs-
Magons.
Ce recit est tout aussi fantaisiste que le premier.
Les moines ecossais et irlandais refuserent d’adoptcr
le calendrier gregoriem Saint Augustin cssaya vaine-
ment deleur persuader que lo nouveau comput etait plus
exact que Tandem Ils ne voulnrcnt rien entendre.
An surplus, ils d6clarercnt ncl foment qu'ils ne preche-
raient pas TEvangile anx Anglo-Saxons, parce quo ces
derniers avaient envahi leur pays et verse le sang de
leurs aneotres.
Saint Augustin leur lit observer qu'en ne pas se
r<5conciliant avec leurs ancions ennemis, ils s’exposaient
k etre massacres par eux; ce qui arriva quelque temps
apres.
Tel est, en deux mots, le fait historiquo auquel les
^crivains de la Magonnerie font allusion, et qu’ils ont
defigure pour les besoins de leur these.
CHAP. VIII. — CONSTRUCTEURS ROMAINS, ETC. 157
Si les moines dcossais revenaient en ce monde, ils ne
seraient pas peu surpris du r61e que leur font jouer
Eckert, Sclineider, Kloss et autres ecrivains de la memo
ecole.
A pres avoir assure que les Colideens doivent Stre con-
siders comme les pores de la Magomierie, les auteurs
que nous avons cites eprouvent le besoin de revenir uux
Manieheens, connus en France sous le nom de Tnxeronts
ou Tisserants, et, en Allemagne, sous celui de Cathares.
Dans la suite, on les appela Albigeois, parce qu’Albi
etait devenu le centre et le boulevard de leur puis-
sance.
En Angleterre, la secte avait pour chef un nomme
Wat, aventurier tres populaire, qui parvint a reunir
autour de lui une armee de cent mille hoinmes. II avait
comme principaux lieutenants deux pretres devoyes.
Jack Straw et John Ball.
Wat marcha sur Londres.
La, John Ball precha la nouvelle doctrine avec sa
fougue accoutumee. II enseignait la communaute des
biens et poussait a la hainc de la noblesse et du clerg6.
La foule l’applaudit. Elle fit mieux, car, prenant au pied
de la lettre les conseils du predicateur. elle massacra
l'archeveque de Londres et les principaux personnages
de la cour. Quiconquo ne declarait pas hautement qu’il
partageait les idees nouvelles etait egorge sans pitie.
Les Francs-Magons de la premiere Republique se rappe-
laient sans doute les precedes humanitaires de leurs
ancetres, lorsqu’ils mirent en honneur cette formule
devenue celebre : La liberty ou la mort !
II faut bien reconnoitre qu’entre les principes de la
Magonnerie contemporaine et les doctrines de Wat, la
similitude est saisissante. II est bon, toutefois, de faire
observer que la corporation des constructeurs ne fut pour
rion dans cette levee deboucliers. Les soldats de Wat se
composaient en partie de paysans que les impots vexa-
158 ORIGINES FANTAISISTES DE LA F.'. M.\
toires dont ils etaient charges avaient exasperes. John
Ball et Jak Straw profiterent de ce soulevement pour
prScher les erreurs de Wicleff, dont ils etaient imbus.
Les Francs-Mafons ne repudient pas plus les Albigeois
que les disciples de Wat. Ils pretendent, au contraire,
que les heretiques du Midi venaient en ligne directe des
Manicheens etablis a Rome, qui n etaient autres que des
Francs-Macons.
Ces novateurs se dissimulaient avec une adresse fort
remarquable. Ils se faufilaient parmi les catholiques et
rivalisaient de zele avec les plus fervents. Si on les inter-
rogeait sur leur foi, ils mentaiont et se parjuraient au
besoin, pour ne pas trahir le secx*et de la secte.
Les Francs-Macons n’hesitent pas, quand les circons-
tances 1' exigent, a employer les memes procedes. II sorait
diffieile, en etudiant l’histoire, de trouver une seule
heresie a laquelle ils n’aient emprunte quelque chose, de
telle sorte que la Franc-ilaconnerie peut etre consideree
comme la synthese de toutes les erreurs que l’Eglise a
eu ii combattre, depuis l’epoque de sa fondation jusqu’i
nos jours.
DEUXIfiME partie
OKIGINES VRAIES DE LA FRANC-MA<?ONNERIE
CHAPITRE IX
Les Sociniens et la corporation des 1 Free-Masons.
Sommaire, — Opinion de M. Lefranc sur Torigine de la Franc-Ma^on-
nerie. — Loelius Socin et son neveu Fauste Socin. — Progrfcs du
Socinianisme. — En quoi consistait cette hdrdsie. — Manure dont
s’y prenait Socin pour se faire (les proselytes — La doctrine des
Sociniens ne differe que fort peu de la doctrine ma$onnique. —
Symbole redige par Fauste Social son arriv4e enPologne. — Sa doc-
trine secrete reserve aux savants et sa doctrine publique. — Mode
de propaganda adopts par les Sociniens. — Leur peu de succds en
Allemagne et en Hollande. — Ils s’implantent en Angleterre et se
font accepter comme membres honoraires dans la corporation des
Free-Masons ou Magons-Librcs. — William Penn, Tun d’entre eur,
Emigre en Amdrique avec un grand nombre de ses coreligionnaires.
— Aveu et regrets du F.\ Ragon. — Contradictions de cet ecrivain.
— Opinion du F.\ Rebold sur Taction exerc^e dans les Loges par les
masons honoraires ou acceptes. — Erreurset distractions de Tauteur.
— Les lettres critiques et historiques sur la Franc-Magonnerir. —
Difficulty quMprouvent ces ycrivains h embrouiller une question dont
la simplicity les gene. — - R,yponse h une objection qui n’en est
pas une.
L’auteur du Voile leve pour les curieux assigne a la
Franc-Maconnerie une origine que je crois utile de signa-
%
Outrages consults : Lefranc, Le voile lev# pour les curieux. —
Barruel, Memoires pour servir d I'histoire die Jacobinisme . — Tierce
(de la), histoire , obligations et statuts de la tres vtndrable confra-
ternity des Francs-Magons , tires de leuvs archives. — Histoire des
Francs- Magons. — Procedures curieuses de Vlnquisition de For-
ICO ORIGINES VRAiES DE DA. F.\ M.\
ler, parce qu’elle ne manque pas d’une certaine vraisem-
blance.
Voici comment il s’exprime :
<i C'est de l’Anglctcrro que les Francs-Macons de
« France protendent lirer leur origine; c’est done chez
« nos voisins ([u’il faut examiner les progres de la Ma*
* Qonnerie. II n’y etait pas question d’eux an commence-
« ment du siecle dernier. (L’auteur eerivait cn 1791). Ce
« nc fut que vers le milieu qu’ils y furent soufferts, sous
« le rogue de Cromwel, parce qu’ils s’iucorpororent avec
« les iiulependants qui formaient alors un grand parti.
« Apres la mort du grand protecteur, leur credit dimi-
« nua, ct ce ne fut quo vers la fin du xvii c siecle qu’ils
« parvinrent a former des assemblies a part, sous le
« nom de Frey s-M aeons, d’hommes libres ou <le maeuns
« libres ; ct ils 11 c furent connus en France et ne reus-
« sirent a s’y faire des proselytes que par le moyen des
< Anglais et des Irlaudais qui passerent dans ce royaume
« avec le roi Jacques ct le pretendant. C'est parrni les
* troupes qu’ils ont ete d’abord connus, ct par leur
« moyen qu’ils ont commence a se faire des proselytes
« qui se sont rendus redoutables depuis 1700, qu’ils out
tug ’ll cont re les Francs- Masons. — 11b hold, Histoire tics trois grandee
Logos . — R*v<iok, Orthodoxie maronniqve . — Clarkson^ Hist* tire des
Quakers. — Le F.*. Vidal, Essai hislorique sur la F ranch c- Mn<;ou-
ncrie. Dl'iikhczi., Histoire des Francs- Macons* — Clavel, Histoire
pitf'-restjue de. la Franc- Moron nerie et des sodetds secretes. —
P. Zaccunk, Histoire des sucietes secretes. — Caji.lot, Annales notion-
niques. — Thomas Paine, He V origine de la Franc-Maronncrie . —
F.\ Levesque, Apcrqu general et hislorique des principals sevtes
nmQonniqucs, etc. — F.\ Lazot, Precis hislorique de VOrdre de la
Franc-Maeonncric. — Thoky, Acta Latamovian. — Lenoir, La Franc-
Moron nerie vendue d sa r evitable origine. — Histoire da Grand-
Orient de France. — LeF.\ Enoch (pseudonym <»), Le rrai Franc-Maron
qui donne Verigin? ct l: but de l<t. Franehc-Maeonnerie. — Let (rest
fnacavniqvex, po nr serrir dc sitpphinient an Vhai Franc-Macon ixj
F/. Knoch. — - G...* La tires critiques et philosophiqv.es sur laFranc-
Mitfonncrie*
O HAP. IX. — LES S0CINIEN8 ET LES FREE-MASQNS. 161
« eua leur fete M. de Clermont, abbe de Saint-Germain-
« des-Pres.
« Mais il faut remonter plus haut pour avoir la
« premiere et vraie origine de la Franc-Maconnerie.
« Vicence fut le berceau de la Maconnerie en 1546. Ce
» fut dans la societe des athees et des deistes, qui s’y
« etaient assembles pour conferer ensemble sur les ma-
i tieres de la religion , qui divisaient l’Allemagne
« dans un grand nombre de sectes et de partis, que
* furent jetes les fondements de la Maconnerie. Ce
* fut dans cette academie celebre que l’on regarda les
« difficultes qui regardaient les mysteres de la reli-
« gion cliretienne , comme des points de doctrine qui
« appartenaient a la philosophie des Grccs et non a
« la foi.
« Ces decisions ne furent pas plutot parvenues a la
4 connaissance de la Republique de Venise, qu’elle en fit
« poursuivre les auteurs avec la plus grande severite.
« On arreta Jules Trevisan et Francois de Rugo qui
« furent etouffes. Bernardin, Okin, Loelius Socin, Pe-
« ruta, Gentilis, Jacques Chiari, Francois le Noir, Darius
« Socin, Alcias, 1'abbe Leonard se disperserent oil ils
« purent ; et cette dispersion fut une des causes qui con-
« tribuerent a repandre leurs doctrines en difierents en-
« droits de l’Europe. Loelius Socin, apres s’etre fait un nom
« fameux parmi les principaux chefs des heretiques qui
« mettaient l’Allemagne en feu, mourut k Zurich, avec
« la reputation d’ avoir attaque le plus fortement le mys-
« tere de la saiute Trinity, celui de l’lncarnation ,
« l’existence du peche originel et la necessity de la giAce
« de Jesus-Christ.
* Lrnlius Socin laissa, dans Fauste Socin, sonneveu,
< un defenseur habile de ses opinions; et e’est a ses
« talents, a sa science, a son activite infatigable et it la
« protection des princes qu’il sut mettre dans son parti,
« que la Franc-Maconnerie doit son origine, ses premiers
SV. M.-. il
162
ORIGINES VRAIES DE LA. F.\ M.\
« etablissements et la collection des px*incipes qui sont la
« base de sa docti*ine.
t Fauste Socin trouva beaucoup d’oppositions a vaincre
« pom - fairo adopter sa doctrine pai'mi les sectaires de
« l’Allemagne. mais son caractere souple, son eloquence,
« ses x-essources, et sux-tout le but qu’il nxanifestait de
« declarer la guerre a 1 ’Eglise romaine et de la detruii'e,
« lui attirerent beaucoup de partisans. Ses succis furent
« si rap ides quo, quoiquo Luther et Calvin eussent atta-
« quo l’Eglise romaine avec la violence la plus outree,
« Socin les surpassa beaucoup. On a mis pour epitaphe,
« sur son lombeau, ti Luclavic, ces deux vei'S :
* Tot a licet Babylon destrvonit secta Lutherus,
« Mur os Ccilvinus, sed ftmdamenta Socinns ;
« qui signitient qua si Luther avait detruit le toit de
« l’Eglisc catholique. designee sous lc 110m de Babyione.
« si Calvin en avait ronverse lesmurs. Socin pouvait se
« gloriiicr d’en avoir arraclie jusqu’aux fondements. Les
« pixmesses de ces sectaires contre TEglise romaine
« etaient representees dans des caricatures aussi inde-
t centes que glorieuses a cliaque parti ; car il est a remar-
<t quer que* TAIlemagne etait remplie de gravures do
<r toutes especes, dans lesquelles cliaque parti se dis-
« putait la gloire d’avoir fait le plus de mal a TEglise.
« Mais il est certain, qu’aucuii chef des sectaires ne
v congut un plan aussi vastc, aussi impie, que celui que
« forma Socin contre l’Eglise; non seulement il chercha
« a renverser et a detruire, il ontreprifc. de plus, d’elever
« un nouveau temple dans lequel il se proposa de faire
« entrer tous les sectaires. en reunissant tous les partis,
« en admettant toutes les erreurs. eu faisant un tout
« monsfrueux de principes contradictoires ; car ii sacri-
st fia tout a la gloire de reunir toutes les sectes, pour fon-
« der une nouvelle Eglise, a la place de cclle de Jesus-
« Christ, qu’il se faisait un point capital de renverser,
CHAP. IX. — LES SOCINtENS ET LES FREE— MASONS. 163
< afin de retrancher la foi des mystdres, l’usagc des
« sacrements, les terreurs d’une autre vie, si accablantes
« pour les mechants.
« Ce grand projet de batir un nouveau temple, de fon-
« der une nouvelle religion, a donnd lieu aux disciples de
« Socin de s’armer de tabliers, de marteaux. d’equerres,
« d’a-plombs, de truelles, de planches a tracer, commo
* s’ils avaient envie d’cu faire usage dans la b&tisse du
« nouveau temple que Ieur chef avait projete; mais dans
* la verite, ce ne sont que des bijoux, des ornements qui
« servent de parure, plutot que des instruments utiles
« pourMtir.
« Sous l’idee d’ttn nouveau temple, il faut entendre un
« nouveau systeme de religion, eongu par Socin, et k
« l’execution duquel tous ses sectateurs promettent de
t s’ employer. Ce systeme ne ressemble en rien au plan de
« la religion catholique, etabliepar Jesus-Clirist, il y est
« raeme diametralement oppose ; et toutes les parties ne
« tendent qu’d jeter du ridicule sur les dogmes et les
« verites professes dans l’Eglise, qui ne s’accordent pas
t avoc l’orgueil de la raison et la corruption du coeur. Ce
« fut l’unique moyen que trouva Socin pour reunir toutes
« les sectes qui s’etaient formees dans l’Allemagne : et
« e’est le secret qu’cmploient aujourd'hui les Francs-
« Magons, pour peupler leurs loges des hommes de
« toutes les religions, de tous les partis et de tous les
« systemes.
« Ils suivent exactement le plan que s’etait prescrit
« Socin, quij§tait de s'associer les savants, les philo-
« sophes, les deistes, les riches, les hommes, en un mot,
« capables de soutenir leur societe, par toutes les res-
it sources qui sonten leur pouvoir; ils gardent au dehors
* le plus grand secret sur leurs mysteres : semblables
« a Socin, qui apprit, par experience, combien il devait
* user de menagements pour reussir dans son entreprise.
* Le bruit de ses opinions le forgo, de quitter la Suisse
164 ORIGINES VRAIES DE LA P.*. M.\
« en 1579, pour passer en Transylvanie, et de la en Po-
« logne. Ce fut dans ce royaume qu’il trouva les sectes des
« unitaires et des anti-trinitaires, divis6es entre elles.
« En chef habile, il commenca par s’insinuer adroite-
« mcnt dans l’esprit de tous ceux qu’il voulait gagner ; il
« afTecta une estime 6gale pour toutes les sectes ; il
« approuva hautement les entreprises de Luther et de
« Calvin contre la cour romaine; il ajouta meme qu’ils
« n’avaient pas mis la derniere main a la destruction de
« Babylone; qu’il fallait en arracher les fondements,
« pour batir sur ses mines le temple veritable
t Sa conduite repondit h ses projet6. Afln que son ou-
t vrage avan?at sans obstacles, il prescrivit un silence
* profond sur son entreprise, comme les Francs-Macons
« le prescrivcnt dans les Loges, en matiere de religion,
« alin de li’eprouver aucune contradiction sur l’applica-
* tion des symboles religieux dont lours Loges sont
« pleines, et ils font faire serment de no jamais parler,
« devant les profanes, de ce qui se passe en Loge, afin de
« ne pas divulguer une doctrine qui ne peut se perpetuer
« que sous un voile mysterieux. Pour lier plus etroite-
* ment ensemble ses sec ta tours, Socin voulut qu’ils se
« traitassent de freres, et qu’ils en eussent les senti-
« ments. De hi sont venus les noms que les Sociniens ont
« portes succcssivement (le Freres- Unis, de Freres-Polo-
« nais, de Frcres-Moraves, de Frey-Maurur , de Freres de
« de la Co nr/ relation, de Frce-Murer, de Freres- Macons,
» de Freys-Macons, de Free-Macons. Entre eux ils se
« trailent toujours dc freres, et ont pour les autres l’ami-
« tid la plus demonstrative (1). »
L’ auteur, M. Lefranc, aurait pu apporter en favour de
sa these des preuves plus convaincantes que cellos qu’on
vient de lire. Il lui eiit ete facile, par exemple, de montrer
(1) Lkfrakc, Le voile lev# jioitr les curie} pp. 32 ct suiv.
C HAP. IX. — LES SOCINIENS ET EES FKEE-MASONS. 165
la similitude qui a toujours existe entre la doctrine
maconnique et celle des Sociniens.
De part et .d’autre on rejette les mysteres; tout se
borne, pour les adeptes, au dogme de l’existence de Dieu.
Mais le Dieu des Macons, qui est celui de Socin, ne res-
semble pas au Dieu des catholiques. II n’y a ni Pcre, ni
Fils, ni Saint-Esprit dans l’etre mysterieux qui a cree
toutes choses, et auquel on a donn6 le nom de Grand
Architecte de l’Univers. Ce Dieu constructeur ne s'oc-
cupe que vaguement des actions humaines. Sa morale
n’est pas austere, et sa justice se rSvele par une mansuS-
tude qui confine au laisser-faire.
Parmi les-Francs-Macons et les disciples de Socin, se
sont rencontres des adeptes qui ont cru devoir repousser
l’idee de Dieu. C’est ainsi qu’aujourd’hui une fraction tres
importante de la Maconneric pi’ofesse l’atheisme, comme
le faisaient bon nombre de Sociniens, du vivant de Socin
lui-mome.
Un auteur a dit que le soc inianisme etait 1 'art de
de roire . Lc meme mot est applicable a la Franc-
Maconnerie.
Les Francs-Macons, comme les Sociniens, se sont tou-
jours attaches a affilier a leur secte des hommes haut
places, afin de se soustraire aux mesures repressives.
Les Francs-Macons ont des statuts connus de tons les
membres de l’Ordre, et des Monita secreta, que l’on a
soin de ne pas publier, et dont les chefs, les chefs inities
s’entend, ne s’ecartent jamais.
Yers 1G79, Fauste Socin arriva en Pologne et redigea
une sorte de symbole que ses disciples accept&rent sans
reclamation. Mais il est avere que cette confession de foi
n’ etait faite que pour le peuple. Les savants de la secte
ne s’jr sont jamais assujettis que pour la forme.
Une fois etablis en Pologne, les chefs du nouveau
culte envoyerent des emissaires en Allemagne, en Hol-
lande et en Angleterre. Ces apotres etaient choisis parmi
160 ORIGINES VRAIES DE LA F.*. M.\
les initios les plus intelligents. Ils avaient pour mission
de ne jamais precher d’une maniere ostensible. Ils de-
vaient gagner a leurs doctrines lo plus d’adeptes qu’ils
pourraient, parmi les hommes actifs et d’un esprit cultive
avec lesquels ils reussiraient a se mettre en rapport
dans les villes qui leur etaient designees.
Ce mode de propagande, il ne faut pas l’oublier, a ete
invariablement suivi par tous les rites maconniques,
au xviii 0 siecle.
Le succes des Sociniens fut loin d’etre complet en
Allemagne et cn Hollande, oil catholiques et protcstants
se rounirent pour faire echouer la secte nouvelle. Les
Anglais, au contraire, accueillirent assez bien les dis-
ciples de Socin.
La sympathie qu’ils rencontrerent au delii de la
Manche ne les lit pas se departir de leur prudence ordi-
naire. On ne les vit nulle part se produire avec eclat.
Leur propagande fut lii ce qu’clle avaifc ete partout
ailleurs, e'est-a-dire secrete.
Ils chercherent a penelrer dans les diverscs associa-
tions qui florissaient alors en Angleterre, comme mem-
bres honoraires ou acceptes. La confraternite des Macons-
Librcx. ou Frcc-Masons, se montra tout particulierement
bienveillante pour les nouveaux venus.
Les Sociniens firent de tels progres, qu’en 1631, Wil-
liam Penn passa en Amerique, avec un grand nombre de
ses compatriotes, appartenant presque tous a l’associa-
tion des ouvriers constructeurs, et y fonda la Pensyl-
vanie (foret de Penn). Ce territoire fut concede aux
emigrants par Charles II.
On doit a cette colonie la construction d’une grande et
belle ville, dont le nom suffit a reveler l’origine. Je veux
parler de Philadelphie, ville des freres, ou ville des
quackers.
Ces novateurs etaient republicans et faisaient profes-
sion de philanthropic et de deisme.
CHAP. IX, — LBS S0C1NIENS ET LES FREE-MASONS. 167
Leur doctrine ne differait en rien de celle de Socin et de
ses disciples, que la Franc-Magonnerie accepte a sou
tour.
Le F.\ Ragon, apres avoir a pen pres reconnu que la
Magonnerie descend du Socinianisme, semble le regretter,
et ajoute les reflexions qu’on va lire, sans se demander
s’il est possible de les concilier avec ce qu’il a ecrit
quelques lignes plus haut :
« Une preuve bien evidente et tres concluante, dit-il,
« que ces membres nombreux, acceptes dans la confrerie
< anglaise des ouvriers-constructeurs, n’etaicnt point et
« ne se croyaient point Francs-M aeons, e’es't qu’aucim
« Atelier franc-magonniquo, ce moyen puissant d’union
« et de civilisation, presque indispensable dans une colo-
« nie naissante ( V. settlement I'Algerie), n’a ete fonde par
« eux dans leur capitale, par la raison qu’il n’y avait
« pas encore de Franc-Magonnerie sur le globe. Ce sont
» leurs successeurs qui, cinquante et un ans apres la
i fondation de Philadelphie, virent parmi eux, le
« 24 juiu 1734, plusieurs Francs-Magons qui s’etaient
adresses a la Grande-Loge de Boston (constitute le
« 30 avril 1733, par la Grande-Loge d’Angleterre), en
< obtenir des constitutions pour ouvrir une Loge dans
« leur ville. Benjamin Franklin, si celebre depute, en fut
* le premier venerable (1). »
L’auteur affirme done qu’eu 1681 la F.\ M.\ n’existait
pas. Mais Ragon etait distrait, car a la page suivante
il dit tout le contraire. Rebold 6crit de son cdt6 :
« f)uvant les troubles qui desolerent la Grande-
* Bretagne vers le milieu du xvn® siecle, et apres la
(1) Ragon, Orthodoxie ma connique, pp. 23 et 29.
168 ORIGINES VRAIES DE LA F.\ M.\
« decapitation de Charles I er (1649), les Macons d’Angle-
< terre et particulierementcoux de 1’Ecosse travailierent
* en secret au retablissement du trone renverse par
« Cromwel; ils imaginerent et creerent dans l’interet de
« leur parti deux grades superieurs ; eu un mot, ils
« donnerent a la Maconnerie an caractere entierement
t politique. Les discussions auxquelles le pays etait en
« proie avaient dejd produit la separation des Macons
« artistes d’avee les Macons acceptes. Ceux-ci, coniine
« nous l’avons deja dit, etaient des membres lionoraires,
« que, scion un usage immemorial, on avait agreges a la
« sociotc : e’etaient des hommes influents et de haute
* position. C’est grace a leurs efforts que Charles IT,
« recu Macon dans son exil, remonta sur le trone de sen
« pere en 1660. Ce prince, dans sa reconnaissance, donna
« a la Franc-Maconnerie la denomination d’Art-Itoyal,
« parce que e’etait la Franc-Maconnerie qui avait
« principalemcnt contribue i la restauration de la
* royaute (1). »
Comme s’il avait craint de ne pas etre suffisamment
clair, l’auteur a eu soin d’ajouter que, des cette epoque,
les Logos de la Grande-Bretagne etaient composees en
majeure partie de Macons acceptes et ne comptaient
qu’un petit nombre de Macons artistes. Elies ne s’occu-
paient plus guere, dit-il encore, de l'objet materiel de
l’association.
Ainsi, apres la decapitation de Charles I er , en 1649, les
Francs-Macons travaillent activement au retablissement
du trone. En 1660, Charles II se fait reccvoir Franc-
Macon, et donne a la Maconnerie la denomination d’Art-
Royal, comme temoignage de sa reconnaissance.
Pour affirmer, apres cela, que la Franc-Maconnerie
n’existait pas encore en 1G81, epoque ou William Penn
(1) P.ebold, Pi'Scis histori'jitc de la Franc-Maronncrie*
CHAP. IX. — LES SOCINIEXS ET LES FREE-MASONS. J63
passa en Amerique 4 la tdte des Sociniens, connus dcpuis
sous lc nom de Quackers, c’est faire preuve de beaucoup
de distraction ou de beaucoup d'audace.
Les -ecrivains de la secte sont d’ailleurs coutumiers
du fait.
L’auteur des Lettres sur la Franc-Maconnerie pretend
que l’organisation de la Societd remonte a line epoque
anterieure au regne de Charles I er .
« On decouvrit, dit-il, dans la bibliotheque Bodleyenne
« d’Oxford un vieux manuscrit contenant l’interroga-
« toire subi par un Franc-Magon dans le temps de
« Henri I e ', roi d’Angloterre. Ce papier fut imprime avec
« les annotations qu’y fit le celebrc Locke, taut pour en
« expliquer le langage deja suranne, que pour jeter
« quelque lumiere sur le sujet qui motiva l’interrogatoire.
« Laissons pour un moment les auteurs d’un pared docu-
« ment reimprime a Londres avec la derniere Constitu-
« tion magonnique ; il suffit a notre objet d’observer que
« Locke garantit l’anciennete et l’authenticite du manus-
« crit. Or, celui qui connait la probite et l’etendue d’es-
« prit do ce philosophe, doit necessairement conclure
« qu’il y avait ddja des Francs-Magons en Angleterre
« dans le temps de Henri I", etpar consequent plusieurs
« siecles avant le regne de Charles I", ce qui rend abso-
« luinent inadmissible l’opinion qui date de ce dernier
« l’origine de la Franc-Magonnerie (1). »
L’ auteur en question, apres avoir declare inadmissible
l’opinion qui fait remonter au regne de Charles I cr 1’orga-
nisation de-da secte magonnique, s’apergoit, lui aussi,
qu’il a ete un peu trop affirmatif, et, dans une note reje-
tee a Isf fin du volume, il donne comme no manquant pas
(1) Lettres critiques et jpkilosojphtques sur la Franc-Maconnerie,
Paris, Cfaamerot, 1835.
170
OIUG1NKS VKA.IES 1)E LA. M.*.
do probability le sentiment qu’il a condamne au debut
de son livre.
Peut-etre a-t-il craint de s’exposer au ridicule en trai-
tant avec un dedain de mauvais gout les arguments du
F.-. Nicolai cn faveur des originos modernes de la Ma-
gonnerie.
Le manuscrit sur lequel s’appuie l’auteur des Lcttres
critiques ct philosophiques ne prouve pas que le Franc-
Magon dont il s’agit fut un Frano-Magon dans le sens mo-
derne du mot. C’est en recourant a des equivoques du
memo genre que Rebold, au commencement de son
Prdcis hislorique, fait remonter la Franc-Magonnerie aux
ouvriers constructeurs de Nurna Pompilius, sauf ii a f fir-
mer un peu plus loin que les Francs-Magons n’exislaient
pas encore en 1081.
Kagon, J’auteur sacrd de l’Ordre, est, lui aussi, en
contradiction avec llebold.
« En 1010, dit-il, le celebrs antiquaire Elie Ashmole,
» grand alchimiste, fondateur du musee d’Oxford, se
* fit admettre avec le colonel Mainwarring dans la coa-
« frerie des ouvriers magons a Warrington, dans laquelle
< on commengait a agregcr ostensiblement des individus
« Grangers a Fart de batir.
« Cette meme annee, une societe de Rose-Croix, formee
« d’apres les idees de la Nouvelle Atlantis de Bacon,
« s’assemble dans la salle de reunion des Free-Masons a
« Londres. Ashinole et les autres freres de la Rose-Croix,
* ayant reconmi que le liombre des ouvriers de metier
* etaifc surpass par celui des ouvriers de l’intelligence,
« parceque le premier allait chaque jour en s’affaiblis-
* sant, tandis quo le dernier augmentait continuellement,
* pensercnt que le moment etait venu do renoncer aux
« fonnules de reception de ces ouvriers, qui no consis-
« taient qu’en quelques ceremonies a peu pres sem-
* blables a celles usitees pavmi tous les gens de metier,
CHAP. XX. — LES SOOINIENS ET LES FREE-MASONS. 171
« lesquelles avaient, jusque-la, servi d’abri aux initids
« pour s’adjoindre des adeptes. Ils leur substituerent, au
« moyen des traditions orales dont ils se servaient pour
« les aspirants aux sciences occultes, un mode ecrit d’ini-
< tiation calquee sur les anciens mysteres, et sur ceux de
« l’Egypte et de la Grece ; et le premier grade initiatique
« fut ecrit tel, a peu pres, que nous le connaissons. Ce
< premier degre ayant recu l’approbation des inities, le
« grade de compagnon fut redige en 1648 ; et celui de
« maitre, peu de temps apres ; mais la decapitation de
« Charles I er en 1649 et le parti que prit Ashmole en fa-
« veur des Stuarts, apporterent de grandes modifications
i ace troisieme el dernier grade devenu biblique, tout en
« lui laissaut pour base ce grand hieroglyphe de la
« nature symbolisee vers la linde decembre. Celte meme
« epoque vit bientot naitre les grades de maitre-secret,
« mailrc-parfait , elu, maitrc-irlandais, dont Charles I cr
« est le heros, sous le nom d’ Hiram; mais ces grades de
* coteries politiques n’etaienl professes nulie part; nSan-
« moins, plus tard, ils feront l’ornement de Vdcos-
« sisnie (1). n
La Franc-Magonnerie existait done en 1681, quoi qu’en
ait dit Rebold.
Ici se presente une objection qu’il importe de resoudre.
Elle peut se formuler ainsi :
Les compagnons de William Penn n’etaient pas
Francs-Ma?ons, puisqu’en 1734, e’est-a-dire cinquante
ans apres leur etablissement en Amerique, les Sociniens
ou Quackers de Philadelphie s’adresserent a la Grande-
Loge de Boston pour se faire initier.
Les emigrants etaient tous inities, d’apres notre sys-
teme. Des lors les reunions en Loge n’avaient pas de
raison d’etre. La Magonnerie n’est ce qu’elle est que parce
(1) Ra c on , Ortho do xie tnafonnique, pp. 23 et suiv.
172 ORIGINES VRA.IES DE LA. F.\ M.*.
qu’elle forme un Etat dans l’Etat. Si tous les Frangais
etaient Francs-Ma?ons, les Ateliers deviendraient une
superfetation, h moins qu’on ne transformat les Iocaux
magonniques en chapelles et que l’on n’y celebrat un culte
quelconque. C’est ce que les premiers colons de la Pensyl-
vanie comprirent sans effort. Mais cinquante ans apves
leur arrivee dans la colonie, la presque totalite d’entre
eux avait dlspn.ru, pour faii'e place a une nouvelle gene-
ration, qui n’etait pas initiee, ou dont 1’initiation cessait
d’etre on rappoi't avoc les modifications qu’Ashmole
avait fait subir a l’organisation de la secte. II est done
tout naturel de supposcr quo les freres de Philadclphie
se soient adresses a la Grande-Loge de Boston pour en
obtenir une constitution nouvelle.
En 1050, les Macons acceptes, ceux que les ecrivains de
la Maconnerio appellent un pen pompeusement les ou-
vrievs de l’intelligcnco , firent prendre a la secte une
direction politique. Ils voulaient arrivor par ce moyen a
retablir sur lo trone la famillo des Stuarts. Les membres
de la Societe dont les vues n’etaient pas les mfemes furent
soignousement tenus a l’ecart. T1 ne fallait pas que la
trahison compromlt le plan des conjures. Les partisans
de la monarchic creerent done un grade templicr, auquel
ils etaient seuls admis, et a la faveur duquel ils pou-
vaient se reconnaitre.
C'est de cette epoque seulement que date Vappavition,
dans la Maconnerie, du nom de Jacques Molay. Ashmole
modifia son grade de maitre dans le sens des inities mo-
narchistes, dont il partageait d’ailleurs toutes les idees.
TROISlfiME PARTIE
PERI ODE HISTORIQUE
CHAPITRE X
La Franc-Maconnerie en Angleterre et en France.
Sommaire. — Separation definitive des Masons philosophes d’avec les
Magons ouvriers. — Les nouveau* Magons elisent leur premier
Grand-Maitre. — Pourquoi les anciens Free-Masons choisissaient
leurs dignitaires parmi le clerge. — Rivalite entre la Grande-Loge
d’Angleterre et la Grande-Loge d’York. — La Magonnerie s^tablit
en Belgique et en France. — Prog-res de la secte k Paris. —
Trouble produit dans Ja Maconnerie par rapparition du rite ecossais.
— Premiers Grand s-Maitres de TOrdre en France. — Louis XV ne
voit pas les Francs-Magous d’un bon ceil. — Poursuites dirigees contre
eux par le Chatelet. — Le comte de Clermont est nomine Grand-
Maltre. — Anarchie parmi les adeptes. — On leur donne pour chef
unmaitre de danse. — Leur irritation. — Latte entve les Macons de
Ja classe populaire et les Macons de l’aristocratie. — Le due de
Chartres est nomme Grand-Maitre. —II reunit tous les rites sous son
obedience. — Creation du Grand-Orient de France. — La Grande-Loge
refuse de reconnaitre son autorite. — Elle est vaincue dans la
lutte.
De l’annee 1717 seulement, dit Ragon, date 1’Ordre
MA goNNiQUE. On serait tente, tout d’abord, de rappeler
a l’auteur qu’il a affirme le contraire quelques pages
__ ■
Ouvrages consults : Raqon, Ortliodoxie maconnique . — Rebold,
Jlistoire des trois Grandes-Loges. — L. Dermott, Lettre sur la diffe-
rence quiexiste entre V ancienne et la moderne Maconnerie en Angle -
terre . — Principes d'Ahiman , ouvrage compose pour Vinstruction de
ctux qui sont ou veulent 6tre Francs-Macons. — Skinner, Vie du
general Monk, — J. Anderson, Constitutions de I'ancienne et
174
PfiRIODE HISTORIOUE.
avan t. Mais, en y regardant de pres, on ne tarde pas a
s’apercevoir que l’expression a tralii sa pensee, et que la
contradiction n’est ici qu’apparento.
Ce fut a cette epoque quo la Maeonnerie philosophique
se separa des ouvriers constructeurs, et fonda ;'i Loud res
la Gkande-Loge qui devint le foyer central ct unique
de l’Ordre, non sculement pour l’Angleterre, mais encore
pour l’Ameriquc et l’ancien continent.
Les trois rituels qu’Ash nole avait rediges, de 1G4G a
1649, furent adoptes par la confraternity philosophique.
Les auciens Masons no virent pas de hon oeil la fonda-
tion du nouvel Ordre. Youlant purer lo coup qui leur
dtait porte, ils donnerent a la confrerie d’Yorck la deno-
mination do Grande - Logc dc toutc VAnqleterrc. Mais
cette manoeuvre n’eut pas de succcs. Voyant qu’ils ne
pouvaicnt pas arreter les progres des Magnus philo-
sophes, les constructeurs crurcnt devoir temporiser. Ils
entretinreut mume des relations agreables sinou amicales
avec lours rivaux.
La Gramlc-Loye dc Londrcs so reunit pour la premiere
fois en assemblee generale. le 24 juin 1717. Apres avoir
elu Antoine Soycr Grand-Maitre de l’Ordre, les inities
designercnl les divers lieux oti ils pourraient se reunir.
II fut decide, en outre, qu’aucunc Society ne serai t recon-
respectable confraternite des Francs-Marons. — Anecdote a ct Icltres
secretes sur clivers sujets de lit treat*' re et de politique. • — Consti-
tutions, ft into ire, lots, charges , rrglements ct usages des Francs -
Morons (traduit de I’an^duis). — Jlistoiee , obligor inns ct stands des
Francs-Ma<;ons ; Francfort, in-8°. — Thierck (do In), Histoire des
Francs- Maqons, etc. — Sentences du Chat c let eoncernant la Franc-
Maqonnerie. — Notice hi start que de Vorigine des Francs-Marons,
Frauci’oW-sur-le-Mein , in-S°. — Quintessence de la v retie Franc -
Mofonnerir, Leipsik, in-8°. — Lett res maqonniques intercept ecs , etc.,
Leipsik , iiw8°. — Tiiory, Acta Lalomonon . — Des societies se-
cretes en Allrmagne et en d' autre s contrdes, Paris, librairie Gide fils.
— Histoire du Grand-Orient de France, Paris, chez Tessier, libraife.
— Guide ;>o rtatif dn Franc-Maqon , contcnant Voriginc , etc. Etiim -
bour£, in-8*. — Jackin ct Booz, ou collection ciulhcntiqite de tout ce qui
concemc la Fra n ch r - Maya inerie, Londres, GornLLtmo, Lettres
critiques sur la Fraachc-Muqonnerie d' Angleterre.
CH. X. — LA. F.*. M.\ EN ANGLETERRE ET EX FRANCE. 175
nue comme legitime, si elle n’avait pas obtenu, au prea-
lable, l'agrement du Grand-Maitre et l’approbation de
l’assemblee generate.
La Maitrise d’ Antoine Soyer n’offre rien de bien remar-
quable. Deux Loges seulement furent constitutes sous
son administration.
L’annee suivante, c’est-&-dire en 1718, Georges Payne
succeda a Antoine Soyer.
A l’epoque ou la Maconnerie philosophique ne faisait
qu’un avec la Maconnerie pratique, les Grands-Maitres
etaienl nommes a vie. Les Francs-Macons de la nouvelle
ecole deciderent que la Grande-Maitrise serait renou-
velee annuellement, sauf reflection ou prolongation.
Ragon fait observer, a ce propos, qu'avant la separa*
tion des deux confraternites, les ini ties , meles aux
Magons consti-ucteurs, faisaient cboisir, pour protecteurs
ou Grands-Maitres, des personnages puissants. Leur
choix, ajoute le merae auteur, tombait principalement sur
les membres du clerge, afin de mieux dissivnuler leurs
projets ; mats unefois I’etendard philosophique deploy e, le
clerge disparut du protectorat, et aucun de ses 7nembres
ne devint Grand-Maitre (1).
Comme on le voit, les tendances religieuses, politiques
et sociales de la Maconnerie ne datent. pas de quelques
annees seulement.
Georges Payne, qui etait, parait il, un Macon ze!6 et
instruit, forma les archives de la Grande-Loge. II y reu-
nit une quantite considerable de manuscrits et de vieilles
chartes interessant la confraternite maconnique.
Le 21 juin 1719, Georges Payne est remplace par
Desaguliers. C’est a lui que remonte l’usage des toasts
dans les banquets. Quelques auteurs pretendent que cela
se pratiquait dans la Maconnerie ancienne, probablement
chez les Gymnosophistes ; avec les ecrivains de la secte, il
faut s’attendre aux hypotheses les plus fantaisistes.
(1) Ragon, Orthodoocie maconnique*
170
PERIODE , HISTORIQUE.
Sous cette Maitrise, la Societe devient prospere. Des
hommes appartenant aux classes privilegiees demandent
& recevoir I’initiation.
En 1720, Georges Payne arriva de nouveau au pouvoir.
II fut decide, a cette epoquc, quo le Grand-Maitre en
exercice aurait lo droit de ckoisir son successeur. Ce der-
nier, une fois agree par la Grande-Loge, portait le titre
de Grand-Maitre designe. Le 24 decombre, Payne fixa
son clioix sur le due de Montague qui accepta.
Cependant la rivalite entre la Grande-Loge de Londres
et la Grande-Loge d'Yorck ne tarda pas a reparaitre.
La cause de cos tiraillements doit etre attribute, en
grande partic, aux precedes pen courtois des nouveaux
Macons envers les inities de j’ancicn rite. Les Francs-
Macons d’Yorck n’dtaient pas regus dans la Logo de
Londres, et ceux de Londres n’nvaient pas acees dans la
Logo d’Yorck.
Le 4 juin 1721, la villc de Mons recut la Ittmiere . La
Loge quo l’on y etablit porta le title do Parfaite-Union. et
prit, en quelques amides, une importance assez conside-
rable pour devenir le centre macouuique des Pays-Bas
autricliieus.
Le 10 octobre de la meme aunee, une Loge se constitua
it Dunkerque, sous le nom devenu commun de Loge de
Y Amide ct Fratcrnile. Ce fut conimc la prise de posses-
sion de notre pays par les Soeietes secretes.
Quatre ans plus tard (1725), Milord Dunvent-Waters
vint a Paris, avec le chevalier Maskelyne, M. u’Heguetty
et cinq ou six autres Anglais de distinction, dans le but
d’y introduirc la Franc-Maconnerio.
Le 12 juin 1726, ils ouvrirent chez Hure, traiteur, rue
des Boucheries-Saint-Germain, une Loge qu’ils bapti-
serent du nom de Saint-Thomas, et qui relevait dirocte-
ment de la Grande-Loge de Londres, Idle reunit en peu
de temps plus de six cents adeptes. Bientot apres,
e'est-a-dire en mai 1720, on etablit une seconde Loge
CH. X.— LA. F.\ M.*. EX ANGLETERRE ET EX FRANCE. 177
chez Lebreton. traiteur, a 1’enseigne du Louis-cV Argent.
La Loge prit le merae nom que le restaurant oil elle vit
le jour. Le 11 decembre suivant, une troisieme Loge
s’ouvrit chez un Anglais nommS Goustaud, sous la
denomination des Arts Sainte-Margucrite. En 1732, une
quatrieme Loge s’organisa a l’Hotel de Bud. Cette Loge
ayant initie le due d’Aumont, elle Schangea le titi'e
qu’elle avait emprunte tout d’abord au lieu de ses assem-
blies en celui de Loge d’Aumont.
Derwent Waters futinvesti par la Loge de Londres de
la dignite de Grand-Maitre provincial, et en exerca les
fonctions jusqu’a l’epoque oil il retourna ti Londres pour
y mourir sur l echafaud, victime de son attachement a la
cause des Stuarts.
Lord d’Harnouester, auquel il transmit ses pouvoirs
avant de quitter la France, lui succeda comine Grand-
Maitre.
Les Macons francais, pour ne pas avoir besoin de
recourir constamment a Londres, resolurent de fonder a
Paris une Grande-Loge provinciale anglaise, qui serait
munie de pleins pouvoirs par la Loge d’Angleterre. Les
negociations entamees, a propos de cette affaire, abou-
tirent sans trop de difficulty, et la Grande-Loge provin-
ciale se constitua regulierement en 1730, sous la Maitrise
de lord d’Harnouester.
L’origine du rite ecossais remonte h 1736. Parle fait do
cet evenement, l’anarchie s’introduisit dans la secte et
faillit en compromettro l’existence. Nous reviendrons
bientdt sur cette question, l’une des plus importantes
qui se soit agitee dans le monds maconnique, depuis
la fondation de l’Ordre.
En 1737, lord d’Harnouester ^aitta la France pour
retourner en Angleterre. Comnie Derwent-Waters, il
exprima le desir d’etre remplace, mais il voulut que son
successeur fit un Macon d’origine francaise.
Le due d’Antin recueillit son heritage en 1738. L’admi-
F.-. M.-.
12
178
PgRIODE HISTORIQUE.
nistration du nouveau Grand-Maitre provincial ne se fit
remarquer par rien d’extraordinaire.
A la mort du due, qui arriva en 1748, les Maitres des
Loges se reunirent et coniierent le gouvernement de
1’Ordre au corate de Clermont.
Les Francs-Magons, devenus suspects, eprouvaient le
besoin de choisir leurs dignitaires dans les rangs de
l’aristocratie, alin de conjurer le peril qui les menagait.
Deja, au depart de lord d’Harnouester, Louis XV, qui
soupgonnait les tendances de la secte, avait declare qu’il
ferait enfermer a la Bastille le membre de la noblesse
qui s’aviserait de presider la Magonnerie. Mais il se
ravisa, parait-il, car le due d’Antin ne fut nullement
inquiete. Le comte de Clermont put, lui aussi, accepter
la Maitrise sans encourir la colero royale.
La longanimite du souverain ne fut pas imitce par le
Chatelet. En 1787, ce tribunal condamna le eabaretier
Chapelota 100 francs d’amende et fit murer son etablisse-
ment, parce qu’il avait permis quo l’on organisat chez
lui un Atelier magonnique. L’annee suivante, la Loge qui
se tenait a l'Hotel de Soissons, rue des Deux-Ecus, fut
dispersee. On enferma au fort 1’Eveque plusieurs de ceux
qui en faisaient partie. En 1744, le pouvoir defendit aux
Francs-Magons de se reunir en Loge. Pour ne pas avoir
tenu compte de cette interdiction, l’hotelier Leroy eut a
payer 3.000 francs d’amende.
Pendant que la police traquait les scctaires, la Grande-
Loge faisait courir a l’Ordre un danger d’un autre genre,
grace a l’inintelligence de sou administration.
Voici ce que nous lisons a ce propos dans les Acta La-
lomorwn du F.*. Thory :
« La Grande-Loge anglaise de Franco se declare
« Grande-Loge du royaume (1743) et secoue le joug de la
t Grande-Loge de Londres ; mais elle conserve dans
€ les constitutions qu’elle accorde 1’usage consacre par la
CH. X. — LA F.\ M,'. EN ANGLETERRE EX EN FRANCE. 175 }
t Grande-Loge d’Yorck de donnev des titres personnels
« a des maitres inamovibles, lesquels considerent leurs
* Loges corame une propriete qu’ils gouvernent selon
* leur caprice. Ces maitres de Loges se permettent de
« delivrer des constitutions 4 d’autres maitres de Loges a
« Paris et dans les provinces; ceux-ci a leur tour consti-
« luent d’autres corps, rivaux de la Grande-Loge, qui
« se torment sous les titres de Chapitres, de Colleges, de
« Conseils, de Tribunaux a Paris et dans plusieurs villes
« de France, ou ils etablissent aussi de leur c6t6 des
« Loges et des Chapitres. II resulta de ces d6scrdres une
« telle complication qu’u cette epoque et longtemps encore
« apres, on ignorait a l’etranger et meme en France quel
t etait le veritable corps ma<;onnique constituant dans le
« royaume. L’histoire de la Maconnerie dans cette pe-
« node est d’autant plus obscure, que tous ces maitres de
« Loges et tous ces Chapitres ne dressaient aucun proces-
« verbal de leurs operations, formalite que negligeait
« souvent la Grande-Loge elle-meme (1). »
Les auteurs ma<;onniques font remonter la cause de
cette anarchic au comte de Clermont, Grand-Maitre de
I’Crdre. Ils pretendent que, circouvenu par les ennemis
secrets de I’Art-Royal, il cessa de prendre part aux tra-
vaux. Les autres membres de l’aristocratie, entraines par
son exemple, s’abstinrent egalement.
Comme on s’apercut que les Ateliers devenaient deserts,
les adeptes zeles firent entendre de vives reclamations.
Le Grand-Maitre choisit alors, comme suppleant, un
financier noinme Baui’e, qui ne montra guere plus d’acti--
vite. Non seulement il ne reunit pas la Grande-Loge,
mais, de plus, il laissa le desordre s’introduire dans l’ad-
ministration. Il n’y eut plus d’elections de Ven4rables.
Pour obvier aux inconvenients qui pouvaient resulter de
(I) Thory, Acta Latomorum, \t, 70.
180
PERIODE HlSTOIilQCE.
cette negligence, on declara que les chefs de Loges, a
Paris, seraient inamovibles.
La situation s’aggravant, an lieu de s’amoliorer, on
adressa de nouvelles representations au Grand-Maltre,
qui se decida a remplacer le F.\ Daure par un adept:;
plus intelligent. Mais ces bonnes dispositions du comic
ne furent pas de longue duree. Grace, dit-on, a une in-
fluence secrete peu favorable a la Magonnerie, il fit choix
d’un maitre do danse du nom de Lacorne.
Cette nomination ne satislit pas les membres de 1’Ordro.
« Le marcliand de llic-llacs, dit Ragon, bravant tons
« les murmures, s’empare des renes de I’administra-
< tion, people la Grande-Loge de scs creatures, et, avec
« lour appui, cet indigne chef de l’association dcvient
« puissant. Tous les liommes de bonne coinpagnie, de
« mceurs honnetcs. d»nnent leur demission ou cessent
* de prendre part aax travaux (1). *
l'emlant ce temps-ia, divers rites etrangers et indi-
genes s'etablissent a cote de ia Magonnerie symbolique,
et conferent une foule de grades inconnus jusqu’alors.
Malgre la stupefaction que lui avait causee la nomi-
nation de Lacorne, la Grande-Loge essaya de mettre un
terme a ces abus. Mais ses efforts n’ontinrent aucun
resultat.
Bientot des reclamations plus accentuees que les prece-
dent esarriverent au comte de Clermont, au sujet du substi-
tut qu’il s’etait donne. Le Grand-Maitre destitna done le
danseiu* Lacorne et le remplaga par le F.*. Chaillou de
Joinvfllc
On crut tout d’abord qira la suite de cet acte, le calme
renaitrait dans la Magonnerie. Ce fut tout le contraire.
Pendant sa courte administration, Lacorne avait eu soin
de s’entourer d’adeptes devoues a sa cause. Comme ils
appartenaient a la petite bourgeoisie, ils lui resterent
(!) II agon, Ovlhatfuxie maconniqite.
CII. X. — LA F.*. M.\ EM ANGLETERRE ET EX FRANCE. 181
fideles, de telle sorte que la scission devint definitive.
Chacune des deux fractions pretendit posseder le pouvoir
constituant et avoir le droit de delivrer des constitutions.
Un serablant de reconciliation eut lieu le 24 juin 17G2;
mais cela dura peu.
Les partisans du F.\ de Joinville, qui faisaient presque
tous partie de la noblesse, du barreau ou de la haute
bourgeoisie, souffraient de se trouver en contact avec des
initiSs de la classe ouvriere. Les adeptes de la fraction
Lacorne, a leur tour, ne voyaient pas de tres bon ceil les
F.’. F.\ de l’aristocratie, a cause de la morgue qu’ils affi-
chaient jusqu’au sein des Loges, sans egard pour les
principes Sgalitaires de l’Ordre.
En 1766, lorsqu’on proceda a la reflection des offlciers,
les partisans de Lacorne furent evinces par les nobles et
les bourgeois. De lit des recriminations et des pamphlets
de tout genre.
La Grande-Loge frappa d’excommunication et bannit
de son sein les Macons recalcitrants. Ceux-ci ne se tinrent
pas pour battus. Ils publierent de nouveauxlibelles, plus
violents que les premiers. Des personnalites et des in-
jures on en vint aux voies de fait, si bien que le gouver-
nement dut intervenir et interdire les reunions de la
Grande-Loge.
Les excommunies se reunirent secretement et consti-
tuerent un certain nombre d’ Ateliers au moyen de
diplomes antidates. La fraction Chaillou de Joinville usa
du meme procede. Elle ne delivra pas moins de trente-
sept constitutions pendant la duree de l’interdiction.
Le comte de Clermont mourut en 1671.
Les dissidents dont Lacorne etait le chef profiterent de
cet evenement pour ressaisir le pouvoir. Ils s’adresserent
pour cela au due de Luxembourg, auquel ils iirent entendre
qu’ils formaient le noyau de la Grande-Loge, a l’epoque
ou le gouvemement la frappa d’interdit, et le prierent
ncnseulement de s’interesser a la restauration de l’Ordre,
132
PERIODE HISTORIQUE.
mais encore d’engager le due de Chartres h accepter la
Grande-Maitrise. Ce dernier etait le propre neveu du
comte de Clermont. II agrea la demande des reque-
rants, et designa, pour le suppleer comme substitut, le
due de Luxembourg.
Le parti de la noblesse ne s’attendaifc pas a cette ma-
noeuvre. Force lui fut de se resigner.
Les factieux, eomme les appellent Ragon, Rebold et
bon nombre d’autres ecrivains de la Maconnerie, convo-
querent les veuerables, ainsi que les membres de la
Grandc-Loge, presenlerent k l'assemblee l’acceptation
signee du due de Chartres, et ol'frirent a ces derniers de
la leur remettre, ala condition que le decret de bannisse-
ment et d’exeommunication qui les avait frappes serait
declare nul et non avenu. La Grande-Loge ceda, ne pou-
vant faire mieux.
A la fete de Saint-Jean 1771, le due de Chartres fut
proclavne Grand-Maitre. De plus on prononca l’annula-
tion do la malencontrcuse sentence qui avait si fortirrite
les dissidents, et des constitutions quo les deux partis
avaient octroyees pendant la suspension. On decida enfin
qu’une commission de huit membres serait chargee d’ela-
borer un projet do reorganisation, et que vingt-deux ins-
pecteurs provinciaux visiteraient les Loges du royaume,
avec mission de les rappeler au respect de la discipline
et a la scrupuleuse execution des reglements.
Le parti victorieux voulut poursuivre ses succes. Dans
ce but, il poussa les Loges ecossaises etablies eh France
a ofFrir au due de Chartres la Grande-Maitrise de leur
rite.
Le due se preta de bonne gntce a cette nouvelle com-
binaison.
La Grande-Loge protesta centre un arrangement qui
donnait aux Macons ecossais unc importance et un
caractere dc legalite qu’elle eut voulu conserver pour elle
seule. Mais ses remontrances resterent sans effet.
CH. X. — LA F.\ M. - . EN ANGLETERRE ET EN FRANCE. 183
Je crois etre agitable 4 mes lecteurs en reproduisant
ici l’acte d’acceptation du due de Chartres :
< L’an de la grande Lumifere 1772, 3 e jour de la lune
« Jean, 5° jour du 2® mois de 1’an magonnique 5772, et de
« la naissance du Messie, 5° jour d’avril 1772, en vertu
« de la proclamation faite en grande Loge assemblee le
« 24® jour du 4® mois de l’an magonnique 5771, du tres
s haut, tres puissant et tres excellent prince Son Altesse
« Serenissime Louis-Philippe-Joseph d’Orleans, due de
t Chartres, prince du sang, pour G.\ Maitre de toutes
« les Loges regulieres de France et de celle du souverain
« Conseil des Empereurs d’Orient et d’Occident, sublime
« mere Loge ecossaise du 26® de la lune d’Elul 5771 pour
« souverain G.\ Maitre dc tous les Conseils, Chapitres et
« Loges ecossaises du Globe de France, office que sa
« dite Altesse Serenissime a bien voulu accepter pour
» l’ceuvre de 1’ Art-Royal et afin de concentrer toutes les
« operations maqonniques sous une seule autoritA
« En foi de quoi sa dite Altesse Serenissime a signe le
« present proces-verbal d’acceptation.
« Signe :
« Louis-Philippe-Joseph d’Orleans. »
A l’epoque ou le due d’Orleans accepta la Grande-
Maitrise, il y avait en France plus de trois cents Loges.
Mais nous n’en connaissons que les principales (1).
(1) En voici la nomenclature exacte avec la date de leur fon-
dation :
• Carcassonne, La Parfaite Amitid et les Commandeurs du Temple,
21 dec. 1744. — Le Hdvre, La Fiddlitd, 14 d^c. 1744. — Perpignan, La
Sociability 0 nov. 1744. — Brest, Vheureuse rencontre , 6 sept. 1745.
— Voiron, La Triple Union et V Amitid , 14 juin 1747. — Rennes, La
Parfaite Union , 24 juin 1748. — Troyes, L'nnion de In Shicdritd,
21 mars 1751. — La Rochelle, La Parfaite Union , 9 mars 1752. —
Clermont-Ferrand, La Franche A mi t id, 19 juillet 1753. — Thiers,
Le v Vrais Amis , 5 ao’H 1754. — Rochefort, VAimabU Concorde , 17 mai
1755. — Dunkerque, V Amide et Froternite , l or mars 1756. — (Pour la
Loge de Dunkerque, nous dounons ici la date de sa constitution regu-
184
PERIODS HISTORIQUE.
Celles qui appartenaient au rite Ecossais ne sont pas
comprises dans la liste que nous donnons. II n’est ques-
tion ici que des Ateliers constitutes regulierement et
li&re par la Grande-Loge de France, et non celle de sa creation. On
sait que cette Loge est la premiere qui a et6 4tablie en France), —
Nantes, Parfaite Harmonic , l* r mars 1757. — Strasbourg, La Con-
corde , 17 juin 1857. — Toulouse, La Sagesse, 10 juillet 1757. — Per-
pignan, L* Union, 27 mars 1758. — La cavalerie teg&ro forma une Loge
sous le litre de Parfaite Union, le 15 avril 1759. — A Paris, la Grande-
Loge constitua regulierement, en dehors de celles qui existaient dejfu
la Loge connue sous lc nom de SainUAlphonse des Amis de la Vertu ,
le 23 mars 1100. — Orleans, Jeanne d'Arc, 17 d^cembre 1700. — La-
voulte, Snijit- Vincent de la Perseverance, 23 nov. 1760. — La Marti-
nique, Saint-Pierre de la Martinique des F.\ F.\ Unis , meme nnnee
probablement. Lorient, LUnion , 27 d^cembre 1760. — Nesle, Le
Glaive d'Or, 15 Janvier 1761. — Caen, La Constante Amitid, Smai 1761.
— Toulon, La Double Union , 1" aout 1761. — Montreuil, La Parfaite
Union, 18 aoht 1761. — Maastricht, La Constante, 19 dScembre 1761. —
Paris, Saint-Louis de la Martinique des F.\ F.*. rdnnis, 30 janvier
1762. — Charleville, Les F.\ F.\ Discrets , 2 mai 17G2. — Reims, La
Triple Union , 19 juin 1702. — Sedan, La Famille Unie , 24 juin 1702.
— Lyon, Le Par fait Silence, 5 avril 1703. — Le Cateau, Les Vrais
Frdres , 19 avnl 1704. — Saint-Jean d'Angely, LEgalitd , 18 mai 1704.
— .Bordeaux, V Amide, 24 juin 1764. — Alen^on, La Fidelity, 2 juillet
1704. — Arras, L' A mi tie, 7 juillet 1704. — Le Havre, Les Vrais Amis ,
8 juillet 1704. — Paris, Saint-Pierre dn Par fit it Accord , 4 novembre
1704. — Tarbes, La Paix , 10 novembre 1701. — Montpellier, Les Amis
Fiddles , 10 janvier 1705. — Bordeaux, Francs Elus Ecossais et Amis
Heim is, l nr ievrier 1765. — Les Cayes, LesFrercs Rdunis, 20 fevrierl7G5.
— Tarascun, La Fiddlitd, 24 mars 1705. — Pont-Audcmer, La Perseve-
rance , 28 mai 1705. — Rouen, L'Ardcnte Amitie, 4 juin 1705. —
Saint-Brieuc, La Vertu Triomphante , 10 septembre 1705. — Grenoble,
La Parfaite Union , 20 avril 1706. — Perpignan, Saint-Jean des Arts
et de la Regularity, meine date. — Paris, Lrs Canirs Unis , 7 mai
1700. — Lille, Les Amis Reunis , 15 juin 1700. — Dinan, La Tendre
Fraternity, 4 juillet 1700. - — Crespy, Saint-Louis, 2 septembre 1760. —
Montpellier, La Donne Intelligence , 21 septembre 1700. — Annouay,
Vraie Vertu , l cr octobre 1700. — Besanron, La Sincerity et Par -
faite Union , 2 octobre 1700. — Dieppe. Les C cenrs Unis, 15 nov. 1700.
— Blaye, Les Canirs Unis, memo date. — Besanron, La Parfaite Union
meme date. — Marseille, La Parfaite Sincerity, 21 janvier 1707. —
Compiegne, Saint-Germain , 4 Ievrier 1768. — La Basse-Terre, Saint-
Jean d'Ecossc, 12 Ievrier 1763. — Tournay, La Constance Eprouvde ,
20 mai 1770. — Memo villa et meme date, Les Frercs Reunis. —
Bayonne, La Zclde, 19 fevrier 1771. — Lyon, La Vraie Union Hisio-
riqur, 17 aout 1771. — Dijon, La Concorde , 17 juillet 1771. — Saint-
Malo, La Triple Essence , 7 janvier 1772. — Nancy, Saint-Jean de
Jerusalem, memo date. — Dijon, Les Arts Reunis, 12 mars 1772. —
Guingamp. L'Etoile des Macons , 15 juin 1772. — Caen, Themis ,
10 juillet 1772. — Limoux, Les Enfants de la Gloire , 2G nov. 1772. —
Paris, L'Uaion,22 decembre 1772.
CH. X. — LA F.\ M.\ EN ANGLETERRE ET EN FRANCE. 185
places sous la juridiction de la Grande-Loge de France.
Nous touchons au moment ou la Magonnerie dut subir
une transformation complete. Le due de Luxembourg
joua, dans cette affaire, un role considerable, comme
administrateur de l’Ordre. Je crois done utile de mettre
sous les yeux de mes lecteurs la piece qu’on va lire :
« Nous, Anne-Charles-Sigismond de Montmorency-
« Luxembourg , due de Luxembourg et de Chatillon-sur-
« Loire, pair et premier baron chretien de Fx*ance, bri-
« gadier des armees du Roi, etc.
« Revetu par feu S. A. S. le tres respecte et tres illus-
« tre frere comte de Clermont, G.-M. de toutes les Loges
« regulieres de France, de toute la plenitude de son pou-
« voir, non seulemeut pour regir et administrer tout
« l’Ordre, mais pour la fonction la plus brillante, celle
« d’initier h nos Mysteres le tres respectable et tres
a illustre frere Louis- Philippe d’ Orleans , due de Chartres ,
a appele eusuite par les veeux de toute la Magonnerie au
a supreme gouvernement ;
a Certifions avoir regu, en qualite d •’administrateur
a general, 1’ acceptation par ecrit du prince ; ainsi man-
a dons a la G.-L. de France d’en faire part a toutes les
a Loges regulieres, pour participer a ce grand tenement
a et pour se reunir a nous dans ce qui pourra etre pour
a la gloire et le bien de l’Ordre.
a Donrie a notre Orient, l’an de la lune 5772 et de l’ere
a vulgaire l cr mai 1772, appose le scean de nos armes et
a contresigne de l’un de nos secretaires.
t Signe :
• Par Monseigneur,
« Montmorency-Luxembourg.
a Signe:
« D’OtESSEN. »
L’ancienne faction Lacorne, enhardie par ces premiers
186
PERIODE HISTOBtQUE,
succes, ne vise h rien moins qu’au renversement de la
Grande-Loge de France. Des conferences ont lieu. Les
Maitres des Loges y sont convoques. Ceux d’entre eux
qui se prononcent pour l’ordre de choses existant sont
expulsds d’une maniere violente. L’agitation ne tarde
pas a prendre des proportions tout a fait imprevues,
grace aux accusations de vol, d’exaction, de concussion,
d’abus de pouvoir que l’on dirigo contre les dignitaircs
de la Grande-Loge. II ne s’agit plus maintenant de corri-
ger les abus. On veut faire disparaitre l’ancienne admi-
nistration.
On commence par decider que les maitres de Loges
ne seront plus inamovibles. Puis, le 4 decembre 1772, la
commission chargee du remaniement des Constitutions,
appuyee d’un nombre considerable de Macons, decrete
que Vandenne Grande-Loge de France a cesse d'exister,
qu’elle efet remplacee par une nouvelle Grande-Loge na-
tionale, et qu’un nouveau corps, dont elle fera partie
integrante, administreral'Ordre sous letitre de GRAND-
OIUENT DE FRANCE.
Beaucoup dc Macons, parmi lesquels Ie F.\ Chaillou
de Joinville, abandonnent la Grande-Loge et se rallient
au pouvoir naissant.
La Grande-Loge resiste. Ceux de ses membres qui
n’ont pas fait defection s’assemblent, le 30 aotit 1773,
declarent que la Logo Nutionale qui vient de se former
est subreptice, illegale, irreguliero et doit etre consideree
comme ne jouissant d’aucun pouvoir. Elle va plus loin,
elle frappe d’excommunicatiou les maitres de Loge qui
ont pris part a ses travaux, si dans les huit jours qui
suivront la promulgation de la sentence, ils n’ont pas
reiracte lenrs erreurs. Vains efforts, foudres impuis-
sanles. L’aucienne Grande-Loge disparait pour ne plus
reparaitre, ct le Grand-Orient la remplace, en depit des
censures qui viennent s’abattre sur son berceau.
Quand l’Eglise excommunio les heretiques et les
CH. X. — IA F.‘. M.\ EN ANGLETERRE EX EN FRANCE. 187
Francs-Magons en particulier, les membres de la secte
poussent des cris de paon et parlent avec horreur de I’m-
tolerance sacerdotale. Mais ils n’hesitent pas a se servir
des memes procddes a l’egard de ceux d’entre eux qui
deplaisent aux grands dignitaires de l’Ordre, ou refusent
de se soumettre & leur autorite. Tant il est vrai que rien
n’est beau comme la logique.
OHAPITRE XI
Les annales de la en Angleterre.
Sommaiius. — R£gne de Charles II. — Cp souvcrain favorisela secte. —
Decadence de la. Ma^onnerie pendant le rdgne d’Anne Stuart. Agita-
tion en Angletcrre a pro* r.'ivdnement de Georges I cr . — Reformes
operees dans rOrdro par le Grand-Maihv Scott. — Granrip-Mnltrise
du due de Riohemond. — II <hlicte une loi somptuaire qui enntraint
les Francs-Marons h etre sobres. — Lc chevalier Ramsay et 1’Kcos-
siine. — On nccorde des distinctions aux maitresd'hotel des Logos h>us
radministrationdu comte tie Leicester. — On public unenouvelle edition
des constitutions. — Denudes entre les Grand es- Logos de Londres
et d’Yorck. — La Franc-Ma^onnerie en Ecosso et en Irlande. — La
Grande-Logo d'Edimbourg modifie sou organisation. — Dans quel but
Ramsay cr^a les liauts grades. — Tendances politiques de la Macon-
nerie. — Toils les gouvernemonts la voient de mnuvais mil. — Les
Fraucs-M&oong anglais remplacont lVtude des sciences par la gastro-
nomic. — Les inailre* d 'hotel se donnent de rimportauce, ce qui
deplait aux a litres dignitaires de la secte. — Construction h Londres
d'un local maeonnique monumental. — Xouvcaux demeles entro les
divers-** Logos. — Le Grand-Maitre a recoups h rexcoramunication. —
Une Logo de galuriens. — Emotion des adeptes libres en apprenaut
cette singulidre fondation. — Cagliostroii Londres.
Revenons maintenant sur nos pas, et voyons quclles
furent ]es diverses phases par lesquelles passa Ja Frane-
MaQonncrie en Angleterre, pendant la longue periode qui
s’ecoula entre la reformo d’Ashmole et l*apparition du
Grand-Orient de France.
Charles ll est arrive an trono, grdee, en partie, un con*
Oavrages consults : Tironv, Acta Lntamvrum . — Yeicnhks,
Essai st'r Vhistoirc tic lu Frt t nch c - Mar on neric depnis son clablisse -
menl jnsqn'd nos jours. — Thomas Paynk, Oriyinc (de V) d»» la
Franrhc-M/tconneric; traduction de Bonneville. — Krause, Lestrois
ancient duramen Is de la confraternity des F ranes-Mavons, etc. —
Tableau general drs of friers et mnubres cutnpnsnnt le Itoyal Chapitre
du Grand *’t Sublime Orel re de II.-D.-M. de Hi he Inning, etc. — Ma-
gas in pour les Freon's- Mar ons, ou Notice sur Voriginc , Vetut ou les
prog res de ft Franchc-Maeonncrie dans l'it ranger ct principals rent
CH. XI. — ANNALES DE LA F.'. M.*. EX AXGLETERRE. 189
cours de la secte a laquelle il s’etait affilie. Sous son
regne l’Ordre va progressant de l’autre cote de la Manche.
Les savants et les membres de l’aristocratie se font
initier en grand nombre.
En 1663, Henri Jermyn, comte de Saint-Alban, est
nomm4 Grand-Maitre, et choisit, comme depute ou sup-
plant , Jean Denham. Ses surveillants sont Christophe
Wren et Jean Web. Jermyn se fait remarquer par son
zele et son activity. La Loge l’ Antiquit e, de Londres, est
surtout l’objet de sa sollicitude.
Apres le Comte de Saint-Alban, on voit se succeder
comme Grands-Maitres : Thomas Savage, comte de
JRivers, elu en 1GC6 ; Georges Villiers, due de Buckin-
gham, elu en 1674 ; Henri Bennet, comte d’ Arlington.
Jacques II remplace sur Ie trone Charles H, son
frere. .
Christophe Wren arrive, de son cote, 4 la Grande-
Maitiise. Les divisions intestines auxquelles l’Angleterre
est alors en proie sont fatales a la Maconnerie.
Sous le regne de Guillaume III, elle reprend une cer-
taine vitaiite. Le roi se fait initier, confirms Christophe
Wren dans sa charge, et preside lui-meme les adeptes.
E 11 1637, Charles Lenox est nomine Grand-Maitre ;
mais il remet sa charge a son predecesseur, qui continue
dans la Graide-Bretagne. — Histoire de la Franche- Maconnerie, tirde
des sources les plus authsntiques , avec un rapport sur la Grande-Loge
d'Ecossc et son institution, — Histoire des persecutions des Francs-
Macons d Naples . — Jos. Comte de Palatjn, Chronique de la Franche -
Maconnerie . — Histoire des persecutions intentdes aux Francs
Macons de Naples . — Tschouoy, Ecossais de Saint- Andrd d'Ecosse,
con tenant le developpement total de Vart royal de la Franche-Magon-
nerie. — P rentes que la Sucidtc des Francs- Macons est dans tous les
Etats, non settlement une chose superflue , mais encore , sans restriction
dangereitse et digne d'etre interdite ; D aiitzick, iu-8°, — Guide portatif
dit Franc-Maron, con tenant Vorigine , les progres et Vetat actrucl de
cctte confraternity ; Edimbourg, in-8°. — Bulle de Eenolt XIV centre
les Fvancs-Macons. — Procedure curieuse dc V Inquisition de Por-
tugal contre les Francs- Macons, pour ddcouvrir leur secret, —
S. Pritchard, La Maconnerie dissequee, etc., 1730, iii-go.
190 PERIODS HISTORIQUE.
a administrer l’Ordre jusqu'en 1702, epoque oft mourut
le roi.
Sous le r£gne d’Anne Stuart, la MaQonnerie tombe de
nouveau en decadence. Ses fetes ne sont presque plus
celebrees, et beaucoup d’adeptes se retirent ou negligent
d’asslster aux reunions.
Georges I cr , dlecteur de Hanovre, dtant monte sur le
trone, le pays est violemment agite. Les partisans de
Jacques Stuai’t provoquent de nombreuses revoltes
contre rusuvpateur, et arretent, sans lc vouloir, les pro-
gres do la secte.
En 1717, le nombre des Loges, a Londres, est rqduit a
quatre.
Nous avons parl£, dans le chapitre precedent, de la
Grande-Maitrise d’ Antoine Soyer et de Georges Payne.
Nous n’y rcviendrons pas.
Apres lo due do Warthon, cn faveur duquel lord Mon-
tague s’etait demis, et Anderson qui succeda a ce dernier,
F. Scott, comto de Dalkeith, fut elu Grand-Maitre.
II manifesta beaucoup de zele et d'activite. Nomme en
1723, il profita de son passage au pouvoir supreme pour
operer quelquos reformes vraiment utiles. 11 fit decider
1° qu’aucun frere, A moins qu’il ne fut etranger, ne pour-
rait appartenir a plusieurs Ateliers, dans le district de
Londres, quoiqu’i! put, los visiter tons ; 2° qu’aucun visi-
teur ne serait admis dans une Lege, s’il n’etait connu et
recommande ; 3° que tout Atelier qui discontinuerait ses
travaux pendant plus de douze mois, cesserait de figurer
dans le grand livx*e, et qu’il y aun.it obligation pour lui
de se faire constituer a nouveau, ce terme une fois
expire.
Le 24 juin 1724, le due de Eichemond arriva a la
Grande-Maitrise.
Son passage au pouvoir fut signal^ par unc loi somp-
tuaire. II parait qu’il y avail peu d’adeptes qui prati-
quassent a un degre heroique la vertu de sobriete. Et le
CH. XI. — ANNALES DE LA F.\ M.’. EN ANGLETERRE. 1 91
plus grave en tout ceci, c’est qu’ils n’attendaient pas la
cloture de la seance pour se livrer a des libations scan-
leuses. Leur premier acte, en arrivant aux assemblies,
etait de boire sans discretion. Les resultats de cette in-
temperance, pour des hommes qui ont a deliberer sur des
affaires parfois tres serieuses, sont faciles h deviner.
Le Grand-Maitre, un buveur d’eau probablement, coupa
court a cet abus, en faisant decider par la Grande-Loge
que les maitres d’hotel ne donneraient du vin que lors-
que le diner serait servi. Au surplus, une fois huit heures
sonnees, les freres etaient condamnes a l’eau.
Ce fut sous la Maitrise de lord Paisle , comte
d’Abercorn, successeur du due do Richemond, quo la
Magonnerie commenga a se repan dr e en Europe.
L’administratioii de la plupart des Grands-Maitres qui
vinrent apres lord Paisle ne se fit remarquer par rien
d’extraordinaire.
Je me bo»*ne done a en dormer ici la liste, avec la date
de leur election, et a faire suivre le nom de chacun d’eux
de quelques annotations indispensables.
Le comte d’Inchiquin est elu apres lord Paisle, en 1726.
Henri Hare, connu plus tard sous le nom de lord
Coleraine, lui succede en 1727. Le comte d’Inchiquin,
ayant ete reelu apres lui et ne pouvant remplir les fonc-
tions de Grand-Maitre, parce qu’il est. retenu en Irlande,
Henri Hare continue a administrer l’Ordre.
Ce fut sous la seconde administration de ce frere, que
le Chevalier ecossais de Ramsay jeta la perturbation
dans la Magonnerie. Cet adepte pretendit que l’Ordre
descendait des Croisades et que Godefroi de Bouillon en
etait l’inventeur. D’apres lui ia Loge de Saint-Andr4, a
Edimbourg, devait etre regardee comme le centre de la
.Societe. II conferait tvois grades nouveaux, l’Ecossais, le
Novice et le Chevalier du Temple. La Grande-Loge
repoussa le systeme de Ramsay et declara qu’elle s’en
tiendrait a l’ancien ordre de choses.
192
PkRIODE HISTORIQUE.
Nous reviendrons plus tard sur cette question.
Apres Henri Hare, vint lord Kingston. Elu le 27 d6-
cembre 1728, il fit donner a Georges Pomfret le titre de
Grand-Maitre provincial. Ce dernier usa de son pouvoir
pour etablir une Loge au Uengale. Cette premiere fonda-
tion fut suivie de dix autres, dues egalement au zele de
cet adepte.
Eu 1730, le due de Norfolk ost installe a la Grande-
Maili'ise. Le 29 decembre de la meme annee. lord Lovel,
comte do Leicester, lui succede.
II parait que la question gastronomique etait une de
celles qui preoccupaient le plus vivement la Maconnerie
anglaise. Apres avoir rappele aux Freres le devoir de la
sobriete, en les mettant dans l’impossibilite de boire du
vin et des liqueurs avant les repas et apres huit heures,
la Grando-Loge eprouva lc besoin d’accorder aux maitres
d’hotol une distinction honoriiiquc, coinme temoignage
de gratitude, pour le soin qu'iis prenaient des convives.
11s eurent le privilege de porter un tablier double de soie
rouge. On ajoula a cette premiere distinction, le droit
de tenir une luiguette blanche a la main. Ils furent, de
plus, autorises a choisir eux-memes leurs successeurs.
A pres le comte de Leicester, viennent Jacques Lyon,
comte de Strathmore , et Jean Lindsey , comte de
Crawford.
La Grande- Maitrise de ce dernier fut signalee par des
evenements d’une certaine importance. En 1738, parut
une nouvelle edition des Constitutions de l’Ordre, avec
des additions considerables. Ce travail de retouche avait
ete commence des l’annee 1734. On decida, a cette occa-
sion, que les noms des Freres de la Grande-Loge qui
viendraient d mourir seraient inserits sur un tableau
necrologique et conserves avec soin.
Le nouveau Grand-Maitre, un gourmet probablcment,
s'oecupa, lui aussi, des maitres d’hotel. Les registres de
la Sociele constatent que ces Messieurs remplissaient
CH. XI. — ANNALES DE LA F.\ M.\ EN ANGLETERRE. 193
leurs utiles fonctions t la satisfaction de tous. Desireux
de prouver que les inities de la Grande-Bretagne avaient
tout au moins la reconnaissance de l’estomac, la Mere-
Loge arreta qu’ils seraient eligibles desormais aux plus
hautes dignites de l’Ordre, a l’exception neanmoins de
celle de Grand-Maitre.
Ce fat encore sous la Maitrise de sir Crawford que la
Grande-Loge de Londres empieta sur la juridiction de
celle d’Yorck, en constituant des Ateliers dans le district
de cette dcrniere. Ces procedes affecterent vivement les
Magons d’Yorck, qui profiterent de cette circonstanco
pour separer leurs interets de ceux de l’obedience de
Londres.
Nous jetterons a cette occasion un coup d’oeil general
sur la Maconnerie d’Ecosse et d’lrlande, afin de completer
ce que nous en avons dit au debut de ce chapitre.
Mes lecteurs savent que sous la Maitrise de Georges
Payne, on reunit tous les documents, manuscrits, chartes
et rituels qui avaient trait aux anciens usages de la
Societe maconnique. Anderson, predicateur presbyterien,
fut charge de ce travail.
Cette constitution qui porte le nom de son redactcur,
et dont on a fait de nombreuses traductions, en Alle-
raagne surtout, recut le visa de la Grande-Loge , le
25 mars 1723. Elle est basee sur la Charte d’Yorck, que
l’on adapta & la Maconnerie moderne. La dernierc edition
est, je crois, de 1855.
La Mere-Loge de Londres s’y posait comme la
seule autorite legitime de la confraternity tout entiere.
Les Loges dont l’existence etait anterieure, et celle
d’Yorck, en particulier, protesterent energiquement
contre une pretention que rien ne justifiait. La Loge
’ d’Edimbourg se joignit a celle d’Yorck et affirma, de
son cote, ses droits a une preeminence que la Graiide-
Loge de Londres usurpait audacieusement.
La Loge d’Yorck suscita a sa rivale de serieu x era-
f.*.
i3
194
PERIODS HISTOIUQUE.
barras, pendant que les Macons d’lrlande, se reunissant
& lettr tour en assemblee generate, constituaient un pou-
voir central a Dublin, sous le titve de Graude-Loge, et
nommaient Grand-Maitre le vicomte de Kingston.
L’ancicune Loge d’Edimbourg, comprenaut que la pros-
pSrite dcs Loges anglaises eta it due a I’etabUssement
d’une Grande-Maitrise elective et a la concentration du
pouvoir niacom que dans une senle main, adopta lo
memo svslome.
« Mais la charge hereditaire de patron, dont Jacques I"
* avait concede la dignite a la famille de Roslin en 1480,
« (lit Rebold, etait un obstacle a cette innovation ; cepen-
« dant le baron Sainclair de Roslin, alors Grand-Maitre,
« acceda au vccu genoralement exprime d’y reuoncer ; et
« les quatre plus anciennes Loges d’Edimbourg convo-
« quent, le 4 novembre 118G, toutes les aulres Loges et
» tons le.s Macons do l’Ecosse c-n assemblee general' , i
* Tellet do fonder un nouveau pouvoir maconnique. A pres
« lecture de 1’acto de reuonciation du baron Sainclair de
« Roslin. a la dignite de Grand-Maitre hereditaire ainsi
* qu'ii tons les privileges y attaches, .Vassemblde com-
« posec dcs rcpresentants de 3*7 Loges se constitue en
« Grande Loge d’Ecosse et n omme le baron de Sainclair
* de Roslm son premier Grand -Maitre pour 1737. Quel-
« qucs-unes des anciennes Loges, celle de Kilhvinning
« outre autres, avaient conserve les deux grades poli-
f tiques (templier et Maitre ecossais), introduits lors des
« troubles qui avaient agite l’Angleterre de 1055 a 1G70,
t lesquols n’etaient confers a cette epoque qu’aux fibres
« juges dignes d’etre initi.es aux plans po'itiques en fa-
* vcur des Stuarts etavaient <5te inaintcnus plus lard par
« decision du roi Chailes II, lors de l’assemblde general®
* des Macons a Yorck en 1603(1). C’est le Chat tire du
' 1 ) Ur hold t Abrrrfe dc Vhistoire de la l'i wi c- Macuniin 'le.
CH. XI. — ANNALES DE LA F.\ M.\ EN ANGLETERRE. 195
« nom de Canongate Killwinning, compose de partisans
« des Stuarts, qui propagea (de 1728 a 1740) ces grades
« anti-maconniques, crees dans un but politique, en deli
« vrant a ses partisans et en particulier au docteur baron
« Ramsay et autres £missaires des diplomes pour les
« conferer ; il est done l’linique cause qu’on a par la suite
t appele « Ecossais-* presque tous les rites k hauts
* grades, tant ceux inventes par le docteur Ramsay, que
« ceux qui l’ont ete plus tard par d’autres intrigants poli-
« tiques (1). »
Rebold n’aime nil’Ecossisme niles autres rites h hauts
grades. II pretend, avec beaucoup de Macons qui appar-
tienneut. quoique savants, a la classe des na'ifs. qu’en
dehors de la Macon nerie symbolique il n’y a que charla-
tanisme. Quoi qu’il en soit d’une opinion qui ne peut que
faire sourire les vraisinities, il est bon de remarquer que
les efforts de Ramsay furent eouronnes d’un plein succes,
non seulement au del'i de la Manche, mais encore et sur-
tout parmi nous. La question ici n’est pas de savoir si
l’Ecossisme remonte a Godefroy de Bouillon, aux Tem-
pliers ou au Vieux.de la Montagne. Ramsay etaitfixe sur
ce point aussi bien qu homme du monde.
Le seul but qu’il se proposat, a la faveur de ces fables
pseudo-liistoriques, etait de creer une Franc-Maconnerie
dans la Macounerie, dont les chefs de l’Ordre pussent se
servir, le cas echeant, pour assurer le triomphe d'une
cause politique ou soCiale, sans jeter la perturbation
parmi les societaires sur le devouement desquels il ne
serait pas possible de compter.
Les adeptes serieux le comprirent bien vite. Aussi
l’Ecossisme ne tarda-t-il pas a prendre une extension
(1) Rehold oublie, ici encore, que la Franc-Maconnerie existait en
1681, alors que William Penn partit pour l'Am^rique avec ses compa-
gnons. La meme observation peut s’appliquer au Ragon qui no
v^udrait pas non plus des Sociniens pour aucetres.
19G PERIODE HISTORIQUE.
contre laquelle la Magonnerie symbolique tenta vaine-
ment de reagir.
Les deux rites pouvaient vivre cote a cote, chacun des
deux ayant uu nombre d’adeptes fort considerable. Mais
les partisans des hauts grades no l’entendaieut pas aiusi.
Ils ne negligerent done rien pour se rapprocher de la
Grande-Loge de Londres et du Grand-Orient de Paris,
afin d’exercer sur les Loges qui ivcomiaissaient ces deux
obediences une action occulte, mn is eflicace, dans l’inte-
ret des causes qu'ils auraient a defendre.
Cree en favour des Stuarts, il vint un moment ou le rite
ecossais n’aurait plus eu de raison d’etre, si la politique
n’avaitpasetel’objectif, en dehors de toute preoccupation
dynastique, de ccux qui s’en flrent les propagateurs, en
France, eu AUemagne et ailleurs.
Rien ne prouve mieux les tendances de l'Ordre que les
mesures dont il fut l’objct, a partir de 1731. A cette date,
divers edits parurent en Russie coutre les sectes macon-
niques qui tentaient de s'y introduire. En 1737, on defen-
dit aux adeptes de se reunir dans le royaume de Hollande,
Nous avons vu qu a Paris, le Chatelet ne negligea rien
pour les decourager, en les condamnant a I’amende et a
la prison. Leurs assemblies sont interdites en Suede, a
Geneve, a Florence, a Hambourg et dans diverses autres
villes. A Rome, on les pourehasse avec obstination. L’ln-
quisition fait tout ce qu’eile peut pour les empecher de
propager leurs doctrines. Dans le canton de Berne on les
traite, en 1743, avec une rigueur que rien n’expliquerait
en pays protestant, s’ils s’etaient bornes a, faire de la
philanthropic et a se montrer antipathiques a l’Egiise
catholique. Le Sultan lui-mome, en 1748, les frappe sans
pitie, des leur apparition a Constantinople. Le roi de
Naples prohibe leurs conciliabules dans toute l’etendue
de ses Etats. Celui d’Espagne, Ferdinand VII, defend
sous peine de mort a tous ses snjets d’entrer dans la
secte, et le Pape Benoit XIV renouvelle, en 1751, la bulle
CH. XI. — ANNALES DE LA F.\ M.\ EN ANGLETERRE. 197
d’excomtnunication que Clement XII avait lancee contre
eux en 1738.
Ce qu'il y a de plus remarquable en tout ceci, c’est que
ces raesures sont prises contre la secte, en depit de
l’appui energique et perseverant que lui pretent partout
les personnages influents qui en font partie. II faut done
supposer que ia doctrine secrete des Loges n’etait pas
aussi inoffensive que les ecrivaitis de l’Ordre se plaisent
4 le dire.
Ajoutons que quelques-uns tiennent ce langage de
bonne foi, n’ayant jamais re<ju que l’initiation vulgaire &
laquelle sont admis la plupart des Masons.
Uevenons maintenant a Ia Grande-Loge de Londres,
ob tout ne se passait pas, quoi qu’en pensent les anna-
iistes de la secte, avec une gravite parfaite, a on juger
par ce que nous lisons dans une lettre de Laurence
Dermott, un rnembre de l’ancienne Ma?onnerie anglaise :
* En 1717. ecrit-il, quelques joyeux compagnons qui n’a-
« vnient passe que parun sen l grade de la confrerie, lequel
« meme ils avaient a peu pres oublie, resolurent de former
« une Loge pour rechercher, en se cominnniquant entre
« eux, ce qu’on leur avait autrefois enseigne; se propo-
« sant d’y substituer, quand la memoire leur manquerait,
« quelques autres innovations, ce qui, a 1'avenir, devait
c passer dans leur Societe pour de la Maconnerie. Lors
« de cette reunion, on questionna les personnes presentes
« pour savoir si quelqu’une d’entre elles connaissait le
« grade de Maitre ; et eomme il fut repondu negative-
« ment, on convint qn’on remedierait a cet inconvenient
« par la composition d’un nouveau grade, et que tous les
« fragments de l’ancien Ordre qu’on pourrait trouver,
« seraient reformes ou appropries a l’esprit de la nation.
« On crut convenablo d’abolir l'ancien usage de s’occu-
* per en Loge de l’etude de la geometrie, et il parut a
« quelques-uns des jeunes freres, qu'iin bon couteau et
193
PERIODS HfSrORr QUE.
« vne bonne fourchette dam les mains d’un habile frere-
t appliques sur des materiaux convcnables, donneraienf
* une plus grande satisfaction, et ajouteraient plus a lot,
t gaictd que l’echelle la plus solid© et le meilleur
« compas. »
Plus loin, le meme adepte blame l’introduction dans
les Loges des instruments de guerre et de carnage qui y
flguraient en 1778.
« On ne les y avait pas vus, dit-il, depuis le jour ou
« l’epoe ilainboyante fut placeo a l’est de 1’Edeu, jusqu’a
« cidui ou les ingenieurs Macons modernes imaginerent
« de t'aire parade de lcur grande epee au milieu do leur
« Logo. II est encore inconvenant que le tuileur receive
« dix a douze shellings pour dessiner avec de la craie ou
« du eharbon deux piliers, sur l’un desquels est cent
« JAMAIQUE (rlmm) , et sur 1' autre BARBADES
« (rlmm): je suppose que cc u’est quo pour indiquer en
« quel lieu ces liqueurs doivontdtre placees en Loge (1). *
Le 17 avril 1735, on inatalla, comme Grand-Maitre de
la Loge de Londres, lord Weymouth.
Le seul fait qui ait signale son administration fut pro-
voque, cette fois encore, par les maitres d’hotel. Le 11 de-
cembre, ces adeptes du bien vivre, ayant a leur t6te le
baronnet Robert Lawley, parurent dans l’assemblee avec
des bannieres plus ou moins fantaisistes et le buste cou-
vert de toutes sortes de cordons. Le Grand-Maitre et ses
officiers etaient eclipses par la magnificence de leurs cos-
tumes. Cela deplut, parait-il, aux gros bonnets de la Loge,
et defense fut faite & ces pretentieux dignitaires de se
presenter avec d’autres decorations que celles qu’ils
etaient antorises a porter en vertu du regleraent.
(1) Lettre de Laurence Dermott, memhre de la Grande-Loge des
«nciens Masons de Londres. V. les Acta Latomorum.
CH. XI. — ANNALES DE LA F.\ M.\ EN ANGLETERRE. 199
Apres lord Weymouth, viennent Jean Campbelle,
comte de Loudon, en 1786; Ed. Bligh, comte Darnley;
H. Bridges, marquis de Carnavon, efc lord Raymond.
La Grande-Maitrise de ces deux derniers fut quelque
pen agitee par les querelles survenues entre les Loges de
Londres et celles d’Ecosse. A la suite de ces divisions
une deuxieme Grande-Loge, dite des ancions Masons, se
const, itua a cote de la Grande-Loge de Londres, exclusi-
vement composee de Masons modernes, comme les appe-
laient dedaigneusement les sectateurs de l’Ecossisme.
Les Loges d’Ecosse et d’l rlande se prononcerent tout
nalurellement pour les anciens.
Malgre ccs divisions, la Maconnerie fit quelques pro-
gres a l’el ranger, et plus particuli&rement en Suisse et
dans les Etats du roi de Sardaigne.
Le comte Kintore devint Graud Maitre en 1740. L'an-
n6e suivante, sa succession echut au comte de Morton,
Jacques Douglas.
Lord Ward, qui vint apr5s Douglas, en 1743, fut re^lu
en 1744. II tenta vainement de reconcilier les Loges
ennemies.
Eu 1744, le comtc.de Strathmore est elu. Rien de par
ticulier pendant son passage au pouvoir.
Citons maintenant lord Jacques Cranstoun, qui fut
reelu en 1746, et sous la Maitrise duquel on decapita,
a Londres, Donvent-Waster, premier Grand-Maitre de
l’Ordre en France; — lord Byron, qui signala son
administration par divers reglements concernant les
comitSs de hienfaisance et les privileges de la confrater-
nity et par la creation de fetes magonniques champetres.
Lord Byron conserva le gouvernement de 1’Ordre jus-
qu’en 1752, epoque & laquelle on lui donna lord Carysfort
pour successeur.
Ce dernier fit prosperer les finances de la Grande-Loge.
Sous la Maitrise de Jacques Brydges, depuis due de
Chandos, lequel fut elu en 1754, la lutte entre les Masons
200
PElilODE HISTOniQCG.
de l’ancien rite et les Macons du rite moderne revetit un
caractere de violence inconnu jusqu’alors. On etablit
l’usage, a cette epoque, de constater par des diplomes les
qualites maronniques des membres de la Societe.
En 1757, lord Shotto-Douglas est installe comme Grand-
Maltre et rest© au pouvoir jusqu’en 1701. Viennent apres
lui le comtc de Ferrers, reelu une seconde fois en 1103;
lord Blanoy, qui conserve la Mai t rise jnsqu’en 1700, et
sous l’administralion duquel on fait frappcr une medaille
ayant pour exergue ces deux mots quelque peu ambi-
tieux : A l' immorlalile de VOrdre ; lord Sommerset, due
de JJeaufort, auquel succede, en 1772, Robert Edward.
Pendant la Grande-Maitrise de co dernier, on pose la
premiere pierre d’un nouveau local dcs/ineaux seances
de la Loge-Mero. L’edifice on question est inaugure
en 1770. Nouvelle guerre intestine entre les Macons des
divers rites. Les anciens fuluiinent contre les modernes
un decret d’excommunicalion. 11s out soin toutefois de
declarer, dans cette bullc d’un nouveau genre, quo les
censures de la Grande-Logo ne sent pas dirigees conti’e
les Ateliers d’Ecosse et d’lrlande.
Les Modernes, furieux de se voir retranches de la com-
munion inaconnique, decident que, lors de la re impression
du livre des Constitutions, on fera suivro les reglements
de la Societe d un appendice ou la conduite des Vieux
sera vertement qualiflee. Le l or mai 1777, Georges Mon-
tague, due de Manchester, est charge d’administrer
l’Ordre. II exerce ses fonctions jusqu’en 1781.
Un mois apres 1’election de ce nouveau Grand-Maitre,
la Loge do l’Antiquite se rend cn corps a l’eglise Saint-
Dunstan, de Londrcs, pour y assistcr au service divin, et
mecomiait, en agissant ainsi, les prescriptions de la
Grande-Loge. Apres avoir prie, les Fro res se dirigent
vers uuc taverne, ou ils celebrent la fete de l’Ordre avec
l’entrain gastronomique qui a toujours caracteriso la
Maconnerie anglaise.
CH. XT. — ANN ALES 0E LA F.\ M.\ EN ANGLETERRE. 201
La colere de la Grande-Loge, en apprenant cette nou-
velle scandaleuse, ne connait plus de bornes. Les deliu-
quants sont expulses de l’assemblee et traites en brebis
galeuses.
La Loge de l’Antiquite s’insurge contre cet acte d’in-
tolerance, se place sous la juridictiond’York, etadminis-
tre, dans une circulaire restee celebre, une volee de bois
vert aux despotes de la Grande-Loge, qui la resolvent en
grommelant, et recourent de nouveau & leurs moyens de
repression ordinaires, la censure et l’excommunication.
La concorde se retablit, apres dix ans d’une guerre
acharn^e. La paix est signSeen 1790.
Le due de Cumberland est investi de la dignity de Grand-
Maitre, en 1782, et n’est remplace au pouvoir que huit
ans apres.
En 1784, les pensionnaires de la prison de Benck, ad-
mirateurs passionnes de la Maconnerie, ne trouvent rien
de mieux que de former une Loge. Grand emoi parmi les
adeptes que des infortunes judiciaires n’ont pas conduits
sous les verrous de ce buon retiro de la vertu malheu-
reuse. Ils declarent cette societe irreguliere et supplient
le pouvoir civil de prononcer la dissolution du malen-
contreux Atelier.
Cagliostro, dont nous aurons a parler dans les cha-
pitres suivants, etait depuis Iongtemps connu a Londi'es,
ou il s’etait rendu celebre par ses operations magiques.
Yenu k Paris, quelque temps apres, il y acquit bientot
une grande reputation. Mais il eut la mauvaise fortune
de se compromettre dans l’affaire du Collier, et dut, pour
se soustraire aux recherches de la justice, passer de
nouveau en Angleterre. Arrive k Londres, il renoua des
relations avec les adeptes qui l’avaient accueilli une pre-
miere fois, et, le 2 novembre 1786, il fit paraitre, dans
le Morning- Herald, une sorte de proclamation que mes
lecteurs ne seront pas faches de connaitre. La void
reproduite integralement :
202 PERIOD B HISTORIQUE.
A tous les Masons veritables,
» Au nom de Jehova, le temps est venu Ou doit com*
« mencer la construction du nouveau temple de Jerusa-
« lem; cet avis est pour inviter tous les veri tables Macons
« de Londres a se reunir au nom de Jehova, le seal dans
« Iequel est uue divine Trinite, et de se trouver domain
« soir, 3 du present 1780, sur les neuf heures, h la ta-
« verne de Reilly, grande ruede la Reinc, pour y former
« uu plan ct poser la premiere pierre fondameutale du
« veritable Temple dans co monde visible. »
On ne sait guere quel fnt leresultat de cet appel. D’ail-
leurs, Cagliostro ne visait pas a donner aux doctrines
subversives un carat-lore trop apparent. Tout fait done
presumer que les Macons qu'il trouva moyen de grouper
autour de lui ne negligerent rieu pour se dissimuler.
Nous arrivons a une date ou la Maconnerie anglaise
»t’offre plus qu’un interet sccondaire. Quelques Loges
tenterent de soulcvcr les passions revolutionnaires de la
secte; mais elles ne reussirent pas. L’element aristo-
cratique l’emporta sur les representants do la democra-
tic, fort pen noinbreux dans les Ateliers de la Grande*
Bretagne.
Apres avoir jete un coup d’oeil general sur les divers
Etats de l’Europe et retrace, dans un rapide tableau, les
progres de la secte, pendant la derniere moitie du
xviii' siecle, nous reviendrons au Grand-Orient de
France.
Comme nous l’avons deja vu, la Belgique fut initiee en
meme temps que la France. Apres la Loge de Mons, eta-
blie en 1721 par le due de Montague, vint la Loge de
Gand. Cette derniere fut constitute en 1736. Grace aux
censures dont l’Eglise avait frappe la secte, les progres
de l'Ordre furent assez faibles. La haine des Beiges pour
l’empereur Joseph II facilita ntanmoins la propaganda
CH. XX. — AXNAI.ES DE LA F.\ SI.*. EX AXGLETERRE. 203
des adeptes. On entrait dans la Maconnerie afin de cons-
pirer plus commodement contre la domination autri-
chienne. Les membres du clerge eux-memes se faisaient
initicr, persuades que le Saint-Siege n’avait pas voulu
condamner une societe qui travaillait, d’une maniere
exclusive, a l’emancipation de lour pays. Les chefs do
l'Ordre dissimulaient adroitement co qui aurait pu frois-
ser 1’ideo religieuse et jetcr le trouble dans les con-
sciences catholiques. La Belgique possedait quinze Loges,
en 1785, lorsque Joseph II ordonna la fermeture de
tous les Ateliers, a l’exception cependant de ceux de
Bruxelles, qui resterent en activite jusqu'en 1787.
La Hollands recut la lumiere magonnique en 1725. A
cette date, une Loge s’etahlit a la Hayc, mais elle garda
soigneusemeut 1 ’ incognito jusqu’en 17 31, pour ne pas
avoir a soutenir une lutte defavoruble contre le clergy.
CHAPITRE XII
La Magonnerie dans les divers Etats du continent.
Sommaire. — La Franc-Maconnerie en Belgique et en Holland©, — Sou
role politique chez ies Beiges. — Elie est mal accueillie par les Hollaa-
dais. — Initiation de la Su&de. — Les adeptes sont patron^s par
Gustave III et son fr£re et sont nommes Grands-Maitres ft la suite Tun
de 1'autre. — Les Masons p^nAtrent en Russie, oft ils ne r&ississent ft
s’ins taller qu'apr^s beaucoup d’efforts. — Antipathie de la Grande
Catherine pour la secte ma^onnique. — Les Loges finissent par
devenir nombreuses dans l’empire des czars. — Quelques gen tils-
hommes prussiens introduisent la Franc-Maconnerie en Pologne. —
La France initie la Prusse. — Le roi Frederic est nomm$ Grand-
Maitre. — Les Macons en Saxe et en Hanovre. — La Raviere les
repousse. — Initiation des petits Etats de rAUemague. — Les Francs-
Masons et les empereurs. — Marie-Th^rdse les frappe d*interdit. —
La Suisse protestante les persecute. — Iuvasion des Loges helv^tiques
par le rite ^cossais. — Lamentations de Rebold. — La Franc-Macon-
nerie en Italie. — Le Saint-Siege la condamne ft nouveau. — Encore
Rebold et l’Ecossisme. — L’Espagne repousse obstin^ment la secte. —
Le Portugal imite son exemplc. — Les hauts grades s’introduisent
dans les Loges am<*ricaines. — Emigration des Macons portugais dans
le NouveaU'Monde.
Afin de vainci’e plus facilement les obstacles qui se
dressaient (levant eux, les Macons hollandais choisirent
comme president l’ambassadeur d’Angleterre pres le
Ouvr&ges consults : Caillot, Annates maqonniques. — Rerou>,
Prdcis historique des rites d hauts grades . — Ilistoire des Trois
Grandes-Loges. — Ragon, Orthodoxie maqonnique , — Robinson,
Preares de conspirations contre toutes les religions et tous les gouv er-
ne men ts en Europe. — Barruel, Mdmoires pour scrvir d Vhistoire du
Jacobinism e. — Onclair, La Franc-Maconnerie dans son origine ,
son d&reloppemeat physique et moral > sa nature et se$ tendances . —
Em. Eckert, La Franc-Mac onnerie dans sa veritable signification. —
F.\ de la Tierce, Ilistoire t obligations et statuts de la trds venerable
confraternity des Francs- Masons. — F.*. Chbmin-Dupotes, Travaux
CH. XII. — LA. M.\ DANS LES DIVERS ETATS. 205
, prince d’Orange. A la faveur de cette manoeuvre, ils pu-
rent fonder un certain nombre de Loges, qui se r^unirent
en assemblee generale, en 1736, et constituerent une
Grande Loge provinciale. La Maitrise en fut confiee au
comte de Wagenaer.
Une seconde assemblee, annoncee pour l’annee sui*
vante, fut interdite par le magistrat de la Haye. Les
adeptes n’ayant pas tenu coinpte de cette defense, le
peuple envaliit. ie lieu de leurs seances et les dispersa
violemment. Pour eviter le retour de pareils desordres,
le pouvoir intervint et voulut empecher de nouvelles
reunions. Les Macons resisterent. II en resulta des trou-
bles assez graves, suivis d’arrestations et de poursuites
contre les delinquants, que les magistrats ne tarderent
pas & mettre en liberty. En 1740. on voulut une troisieme
fois frapper les Loges d'interdit. Mais elles en appelerent
aux Etats-Generaux qui leur furent favorables
Jusqu’en 1770, la Macormerie hollandaise releva en
partie de la juridiction de Londres, et en partie de celle
de Paris. Mais, a, cette epoque, la Grande-Loge des Pro-
vmces-Unies se declara imlependante. La Ma<jonnerie
hollandaise fut des tors autonome.
L’initiation de la Suede remonte a l’annSe 1736. A cette
date, une premiere Loge se coustitua a Stockholm, mais
elle eut tout d’abord peu de succes. Le gouvernement
maQOnniqucs et phi losoph iq ues, — Thory, Acta Latomorum. —
Fin del, Histoire de la Franc- Ma r.onnerie. — F- Favre, Documents ma-
Conniques, — O’Eizel, Ilistoire de la Grande-Loge nationale des E tats
prussiens. — ICeller, La Franc - Maconnerie en Allemagne. —
Clavel, Histoire pitloresque de la Franc- Maconncrie. — V. Col-
LEtta ; Ilistoire du rnyaumc de Naples. — Cgrdier, Histoire de VOrdre
maconnique en Belgique. — Annates ma^onniqucs des Pays-Bas. —
Goffin, Ilistoire papula ire de la Franr-Muqonnerie* — Bazot, Precis
historiqne de VOrdre de la Franc-Mneonnerie. — Bonneville, La
Maeonnerie < f *v.sv»me co*»^«iVc nvec les trois pi'oftssions et le secret
des T emptier — Supreme Conseil du rite ecossais.
200
PE IU0D12 HISXOllIQUE.
suedois, mis au courant de 1’esprit do la secte, defen dit
aux Macons dc se rounir. Cette interdiction n’empdcha pas
de nouveaux Ateliers dc s’etablir. On organisa me me,
en 1754, uue Grande-Loge provinciate, au centre de la
cap i Laic.
La Ma?onnerie symbolique. cetto Maconnerie que les
ecrivains do l’Ordro so plaisent a nous represented de
bonne foi ou par calcul, corame absolmnont inoilensive,
ne tarda pas ii preparer la voie au rite ecossais, connu, a
cette epoque, sous les noms de Magonnerio de la Stricte
Observance et de Maconnerie Tcmpliere. La noblesse
l’accueillit avoc entliousiasme. Gustave III et son frere, le
due de Sudermanie, s’y lirent initier en 1770, seduits par
les theories Immanitaires et les protestations de fidelite
des chefs de la secte. Lc jeunc souverain accepta, on le
sait. le titro de Grand-Mailre, II en remplit les fonctions
jusqu’en 1780. Le due de Sudermanie lui succeda, a la
gx'andc satisfaction des adeptes, qui purent ainsi cons-
pirer tout a lour aise. Mais n’anticipons pas sur les
evenemeuts. Nous aurons occasion de parler de ce mal-
heureux pays et de son souverain dans les chapitres sui-
vants.
La Russie ne fut pas plus que les autres puissances
de l’Europe si l’abri de l’invasion maconnique. Une Logo
s’etablit a Moscou en 1701, mais elle vegeta longtemps.
La secte eut peut-etro memo echouo dans ses tentatives
de propagandc, si la Grande-Loge de Londres n’avait
pas eu recours aux negociants anglais - fixes a Saint-
Peteisbourg. A son instigation, ces derniors organi-
serent un Atelier en 1771. L’annee suivante,le senateur
et consciller intime Jean Ydlaguine, circonvenu par les
adeptes, consentit a se faire initior et a recevoir le litre
de Grnnd-Maitre provincial pour toutc la Russie. A sa
mort. la Maitrise echut au comte Roman Woronsow. La,
comme cu Suede, la noblesse manifesta la plus grande
sympathie pour les Mysteres de I’Ordre. Aussi ies Loges
CH. XIX. — LA M.\ DAKS LES DIVERS ETATS. 207
se multiplierent-elles, xnulgre le peu de gout que I’impe-
ratrice ne cessa de temoigner aux initios.
Les hauts grades de la Stricte-Observance se melerent
bientot a ceux de Magonnerie symbolique. dont les parti-
sans furent traites par les inities avee tous les egards
qui sont dus a l’innocence. Rien n’est change sous ce
rapport. Les Loges actuelles sont accessibles aux naifs
de la bourgeoisie, comme l’etaient cclles du dernier
siecle aux bornes des classes aristocratiques.
« Malgre ces brillantes apparences, ecrit Rebold, qui
« est un admirateur passionne du symbolisme, la vcri-
t table Maconneric, loin do fairc dcs progres en Russie,
« y avait, an contraire, degenere a un tel point, que
« l’imperatrice Catherine non seulement exprima ouver-
* tement aux hornmes de sa cour qui en faisaient partie
« son mecontentement k l’egard des abus qui s’y Staient
* introduits, mais fit publier une brochure tres severe
t contre les Francs-Magons. »
La souveraine ne fit pas preuve , en cette occasion ,
de beaucoup d’intelligence; ii moinsque son but, en agis-
sant ainsi, ne fut de miner tout ii la fois la Maconneric
veriiable et la Maconneric Tempiiere, ce qui parait fort
vraisemblable, le per.sonaage et-ant connu.
La Pologne se montra. des le d6but, presque aussi
refraclaire que la Russie. Les Polonais l’efusant d’aller
a la moniagne, 1a. montagne vint a eux, sous la figui’e de
cinq k six nobles de la cour de Berlin. Ces quelques
adeptes, pousses probablement par Frederic II, fondereut
une Loge a Yarsovie en 1709. Mais elle ne tarda pas a se
dissoudre, les membres qui la composaient ne voulant
pas encourir l’excommunication que Clement XII venait
de lancer contre les societes secretes. Quelque temps
apres, neanmoins, un second Atelier fut etabli dans la
Volliynie. En 1744, un Fraugais nomme Loncharnps en
203
PftUODE HISTORJQUE.
crda un troisieme a Lemberg. Sous le regne de Stanislas-
Auguste, on parvint a constituer, grace a la bienveillance
du pouvoir, une Grande-Loge de Pologne, a Varsovie.
Les travaux maconniques, iuterrompus un instant, a
l’dpoquo ofi ce inalheurcux pays fut demembre une
premiere fois, refurent peu de temps apres une impul-
sion nouvelle, sous l’action de la Stricte-Observance.
La Pologne compta bicntot, outre les Loges indigenes,
un certain nombre de Loges francaises, anglaises et
allemandes.
Si les sujcts du Grand Frederic eurent la gloire d’initier
la Pologne, nous eumes cello de deter Berlin de sa pre-
miere Logo. Des arlistes franc ais la coustituerent lo
23 septembre 1740. Qiiatre ans plus tard, le roi pliilo-
sophc l’elcva a la dignite de Grand e-Mere-Loge royalc et
en fut elu Grand-Maitre. En 1747, il so retira et cessa de
s’occuper de Maconnerio. La Stride-Observance et les
Templicrs nc turd brent- pas a mettre la main sur tous les
Ateliers du royaume.
La Saxe et 1c Hanovrc recurent la Jmniere en meme
temps que la Prusse, et sans plus de difficult^.
11 n’en fut pas ainsi en Baviere ofi le souverain se
montra nettement hostile aux societes secretes.
« La society des Illumines, fondee par le professeur
* Weisshaupt, dit a ce propos le F.\ Ilebokl, laquelle
« s’etait impose la noble tdche de fairc triompher la
« verta sur la folie et l' ignorance et de porter l’ instruction
• et la civilisation dans toute les classes de la saddle,
« avait trouve acces dans les quclques Loges etablies
« dans la vieille Baviere (Munich); elle fut do la part du
« prince Charles-Theodore, agissant sous 1‘iniluence des
« Jesuites,robjetde deux decretsj’unen datedu 2 mars,
* et l’autre du 10 aoiit 1785, interdisant les reunions des
• Illumines. <*t en meme temps cello des Francs-Macons.
« A la suite do cos defenses, qui furent renouvelees
CH. X ! I. — LA. M.'. DANS LES DIVERS ETATS. 209
« d' abort! par le roi Maximilien-Joseph le 4 noveinbre
« 1799, puis le 5 mars 1804, les Loges de Munich et de
€ Manheim avaient cesse leurs travaux (1). >
Nous ne tarderons pas a voir ce qu’il faut penser des
Illumines de Baviere et de leur fondateur Weisshaupt,
dont le symbolique Rebolrl nous parle avec une si grande
bienveillance.
Le Grand-Duche de Bade fut initie en 1778; le Royanme
de Wurtemberg, en 1774; le Duche de Brunswick, en
1744; le Duche de Hesse-Dannstad, en 1704; l’Electorat
de Hosse-Cassel n’eut une Grande-Loge qu’en 1811. On
y comptait, avant 1779, de nombreux Ateliers, mais tous
relevaient de diverses obediences etrangercs au pays.
Nous reviendrons un pen plus tard sur les Loges du
Grand-Duche de Brunswick a propos du due Ferdinand,
Grand-Maitre du rite Templier et de la Stricte-Obser-
vance.
* Dans tous les pays ou le clerge catholique, aposto-
« iique et romain domine, dit Rebold, la Franc-Macon-
« nerie a peine a s’asseoir sur une base solide. L’Au-
• triche en est une preuve eclatante. »
Cet aphorisme de l’historien des Trois Grandcs-Loges
est justifie par les faits.
Tout, d’abord, sembla sourire a la secte, car l’empereur
Francois I cr etait Macon. Malheureusement pour les
adeptes, Marie-Therese n’avait pas ete initiee aux Mys-
teres de l’Ordre; ce qui fit qu’en 1704 elle interdit les
reunions maconniques dans toute l’etendue do scs Etats.
Joseph II se inontra moins severe. On put sous son
regne coustitucr quclques Loges; mais le fantasquo sou-
verain fit pour la Franc-Maconnerie ce qu’il faisait pour
(1) Re bold, Hhtuirc t les Trois Grandes-Logcs*
Vr. M.%
14
210
PERIODS HISTOPJQUE.
FEglise. Apres avoir dit aux Fraues-Magons : R6uuis?cz-
vous, si cela vous plait, il les soumit a une surveillance
extremement ennuyeuse et leur suscita toute sorte de
tracasseries. Inutile de dire que ]e systeme Templier efc
la Stricte-Observance s’implanterent a Vienne comme
partout ailleurs.
A on juger par les tribulations que la Magonnerio a
essuyeos en Suisse, le Calvinisme ne voyait pas la secte
d'un ceil plus favorable que TEglise catholique. En 1737.
une premiere Loge fut etablie a Geneve par le Grand-
Maitre provincial, Georges Hamilton. Pen de mois apres.
on on fondait une autre a Lausanne. Mais en 1738. le
magistral de Berne deiendit aux freres de sereuuir. Deux
ans setuient a peine ecoules que les Macons de Lausanne
essayaient d’etablir do nouvoaux Ateliers. Le gouverne-
ment Bernois revint a la charge, et, le 8 mars 1745. les
adeptes durent s’eclipser unc secoude fois, pour ne repa-
raitre qu’en 1704. A cettc epoque. ils firent une troisieme
tentative. Plusieurs Logos furent creees simultanement
it Lausanne et dans le canton do Vaud. Le gouvernement
n’hesita pas plus en 1704 qull n’uvait hesite en 1738 et
en 1745; un troisieme edit frappa les novateurs, qui se
soumirent. comme pr^cedemment.
La Loge de Geneve avait pu se maintenir.mais avec
beaucoup de peine. Les efforts qu’elle fit pour constiiuer
des Ateliers dans les divers cantons echouerent presque
partout. exccpte dans les villes qui appartenaient a la
Suisse allemande. Ce ne fut qu’en 1780, qu’un Gran/l-
Orient pul s’organiser dans la villo de Calvin.
La Maronnerie symbolique ne leitssil pas inieux dans
la region des Alpes qu’en Allemagne,en Suede, on France
et ailleurs.
« La Stricte-Observance, nous dit Rebold avec Taccent
« de la melancolie, vint aussi porter dans les vallons de
f rilolvciie ses principes et ses distinctions auti-magon-
CH. XII. — LAM. - . DANS LES DIVERS ETATS. 211
« niques, sans toutefois y produire autant de desordres
* qu’elle en provoqua ailleurs, bien qu’elle separAt les
c Masons suisses en deux camps. Cette Stricte-Obser-
« vance fonda en 1775 un directoire ecossais helvetique a
« Bale, qui se divisa en 1777 en deux fractions, l’unepour
t la partie allemande qui residait a Bale, et l’autre pour
« la partie fran raise, sous le titre de Directoire ecossais
* helvetique roman, siegeant A Lausanne ; mais cette der-
« niere subit le meme sort que toutes les Loges du canton
« de Vaud, et dut se mettre en soinmeil, par suite del’edit
« des Seigneurs de Berne de novembre 1782, qui defendit
« pour la quatrieme fois les assemblies de Macons dans
« tout le territoire de sa juridiction. Le Directoire ecos-
« sais siegeant a Bale ne futpas plus heureux. car il dut
« egalement se mettre en sommeil. a cause de la defense
« lancee en 1785 contre les reunions magonniques par le
« magistrat de Bale. Pendant la revolution frangaise,
« tous les travaux magonniques en Suisse resterent sus-
t pendus (1). »
L’ltalie est le pays du monde ou la Franc-Magonnerie
a lutle avec le plus d’ardeur contre les obstacles que les
gouvernements lui out opposes. Elle compreuait toute
l’importance d’une pareille conquete. Aussi, des l’an-
nee 1729, nous voyons la Grande-Loge d’Angleterre eta-
blir en Toscane un certain nombre d’ Ateliers. En 1737, le
grand-due, Gaston de Medicis, partant de ce principe
qu’une societe que l’Eglise a frappee de ses censures n’est
pas inoffensive, interdit toutes les reunions magonniques.
Mais Gaston etant mort, Frangois, due de Lorraine, son
successeur. se montra moins severe, ayant ete lui-meme
initie en Hollande. II ne se borna pas a autoriscr la reou-
verture des Loges, il les protegea ; et afin de prouver aux
sectaires qu’il etait vraiment imbu de l’esprit magon-
il) Rebold, Histoire des Trois Grandes- Loges.
212
PERI ODE HISTORTQUE.
nique, il ne negligea rien pour susciter toute sorte d’cna-
terras au Souverain-Pontife. L’Onlre fit done de rapides
progress en Toseane ct dans le nord de 1’Italie.
Cependant la bulle de 1738 amena la fermeture d’un
grand nomhre (V Ateliers.
Les chefs de 1'Ordre ne se decouragerent pas pour cola.
L’orage une fois passe, ils se mirent de nouveau a 1‘ oeuvre,
et regagnerent en partie le terrain perdu. Le Saint-Siege,
qui veillail toujours, comprit le danger et eut recours,
une fois de plus, aux armes spirifcuelles, LelS mars 1751,
Benoit XIV publia une bulle qui eut pour effefc de mettre
en sommeil la prosque totality des Loges italiennes.
Les adeptes essayerent alors de s’implanter a Naples.
Les Macons do Hollande parvinrent, apres quclqucs dif-
ficulty, a y constituer une Loge provinciate, sous le titre
dal Zelo,Q t huil Ateliers quo Ton piaca sous la juridioiion
de ectte derniere.
Los Elats Sardes ct la republique de Yenise furent
initios a leur tour.
Citons nut? Ibis de plus les lamentations de Rebol i, quo
le rite ccossais a le privilege d’exasperer :
« Les partisans des Stuai’ts et autres intrigants polili-
4 ques, ecrit-il, trouverent malhenrevsemcnt moyen d'eta-
« blir en Italie leur Magonnerie baiarcle ; en 1775, ils
« avaient installe a Turin une eommandcrie de la 8 C Pro-
« vince du regime de la Slrictc-Observance, sous la direc-
ts tion du cointe de Bernez, majordome du roi de Sar-
• daigne; par lui furent etablis des prieures de ce sys-
t teinc a Modene, a Ferrare, a Carmagnola, a Yeronc, a
• Padoue, a Mondovi. a Borgoforte, a Yalenza, a Tor-
« Iona, a Aoste. a Cherasco. a Alagro, a Vogliera, a Mor-
« tara. a Savone, a Trino, a Messola, a Albe, a llondeno,
« a Treviso et a Milan.
• A Chambery. la Magonncric anglaise dut egalement
« fitir devant les hauls trades du svsteme de la Stride-
CH. XU. — LA M.\ DANS LES DIVERS ETATS. 213
« Observance, et la Grande-Loge provinciate d’Angleterre
t se transforma en 1775 en un directoire de Masons de la
t Lombavdie, qui fat dissoas en 1794. Ces hauts grades
* s'implanterent aussi a Naples et ils y effacerent ou
« neutraliserent la Mac,onnerie anglaise. Le prince de
« Caramanca fut place a la tete du systeme Templier &
« Naples (1). »
Pour le F.\ Rebold, hors des trois grades symboliques
d’Apprenti, de Compagnon et de Maitre, il n’y a pas de
ealut.
Je ne sais si je me trompe, mais il me semble qu’en le
lisant, les simples d’esprit dont la Maconnerie fourmille
doivent eprouver une douce consolation ; et si apres tout
ce que ce docte ecrivain leur a raconte sur l’Ecossisme,
le desir d’arriver aux hauts grades continue a banter leur
esprit, c’est qu’ils n’ont pas le cerveau convenablement
dquilibre.
L’Espagne et le Portugal firent longtemps le desespoir
des sectaires. La vigilance du clerge et la fai des popula-
tions furent les deux principaux obstacles que la Macon-
nerie eut & combattre au dela des Pyrenees. L’Inquisition
veillait, de son cote, non seulement dans l’interet de
l’orthodoxie, mais encore et surtout par esprit de patrio-
tisme. Il ne fant pas oublier, en effet, que la Franc-Ma-
Qonnerie etait d’origine anglaise, qu’elle s'etablit tout
d’abord a Gibraltar et qu’elle voulut de la rayonner sur
tout le reste de la Peninsule. Les Loges qui furent fon-
dees a Madrid et dans plusieurs autres villes reconnais-
saient la suprematie dc celle de Gibraltar exclusivement
composee de sujets anglais. Un gouvernement moins
soupconneux que le gouvernement espagnol n’ei'it pas
souffert une organisation qui ressemblait a une prise de
possession clandestine du pays par les etrangers. 11 ne
faut pas oublier que 23 ans avant l’epoque ou une pre-
miere Loge fut etablie a Gibraltar, les Anglais s’dtaient
214 PERIODE HISTORIQUE.
empares de cetto ville et s’y maintinrent en depit de
l’Espagne.
On raconte qu’en 1750, un membre du Saint-Office,
Joseph Torrubia, reussit a se faire initier, sous un nom
qui n’etait pas le sien. Parvenu aux grades les plus
eleves, ii put visitor tons les Ateliers etablis on Espngne,
au nombre de 07, et se rendre un compte exact des ten-
dances de l’Ordre. Lorsqu’il n’eut plus aucun doute sur
le but quo se proposaient les sectaires, il se presenta
devant le Tribunal dc ITnquisition et denonca la Franc-
Mac-onncrie com me unc institution des plus dangerouses.
Le Saint-Office sc trouva en presence d’un grand
nombre d’adeptes appartenant aux premieres families de
l’aristocratie cspagnole. Son role, en raison de cette cir-
constance, devenait fort difficile. Au lieu done de sfivir
dircctcment contre les adeptes. il engagea Ferdinand VI
a lancer conlre la Maconncrie un decret d’interdiction,
qui parut le 2 jnillet 1751. Il etait dofcmlu, sous peine de
mort. de faire partie desormais d’une association quo le
pouvoir considerait comme anti-patriotique et attenta-
toire a l’unite religieuso dont jouissait le peuple espagnol.
Ajouions que le decret royal no tomba pas en desuetude,
et que plusieurs initios payerent de leur vie la fantaisie
qu’ils avaient euedel'enfroindrc. L'Espagnogagna a cette
severife tl’echapper aux horreurs dc la Revolution. Ce ne
fnt qu’en 1807, a la suite de l’invasion fraucaise, quo la
Mnconnerie reparut au dela des Pyrenees. Sous le regne
do Joseph Bonaparte, le Grand-Orient d’Espagnc s’ins-
talla dans le local qu’avait occupe V Inquisition.
Le Portugal no se montra pas plus clement que l’Es-
pagne envers la Maconncrie. Ce no fut qu’en 1805 que la
scctc s’y introduisit d’une maniere ostensible.
Disons, neanmoins, qua la fin du xviip siecle, ces
deux pays comptaient un certain nombre de personnages
considerables appartenant A diverses Loges etablies soit
en France soit en Allemague. Parvenus, a force d’inlri-
CH. XII. — LA. M.*. DANS LES DIVEES ETATS. 215
gues, k de hautes situations officielles, ils se servirent de
leur influence dans les conseils de leurs gouvernements
respectifs pour faire penetrer en Portugal et en Espagnc
les doctrines magonniques.
Nous avons parle precedemment de l’introduction dela
llagonnerie en Amerique. William Penn et scs compa-
gnons furcnt les premiers initios que vit le Nouveau-
blonde. La Grande-Loge de Boston se constitua en 1733.
On sait que les Quakers de Philadelphie se placerent
sous sa juridieiion, 52 ans apres leur arrivee dans le pays
qui poite encore lo nom de leur fondateur.
Jusqu’en 175(3, la Magonnerie symbolique regnaen mal-
trcsse absolue dans les Etats-Unis d’ Amerique. Mais k
cette date i'Ecssisme vint lui disputer la preeminence.
L’antagonisme desdeux rites dura jusqu’en 1792, epoque
ou la Grande-Loge de Saint-Andre-d’Ecosse se reunit a
sa rivale, afln de la dominer.
Cette memo annee, les blagons portugais de Madere,
craignant les severites de la reino Elisabeth, leur souve-
raine, emigrerent en Amerique et furent accueillis par les
Logos de New-York.
bles lecteurs coimaissent les diverses phases que la
Maconnerie a traversees, depuis l’epoque oil les Soci-
niens sc melercnt aux Loges anglaises. afln de mieux se
dissimuler. et detournerent de leur but les ouvriers cons-
tructeurs dont elles se composaient. Nous allons donner
maintenant quelques details sur les rites a hauts grades
et dissiper les erreurs que l’on a repandues a dessein sur
l’Eeossisme, afln de le discrediter, tantbt au profit des
Illumines d’Allemagne, tantbt dans l’interet de la Franc-
Magonnerie symbolique.
CIIAPITRE XIII
La Franc-Maconnerie et les Jesuites.
So mm air£. — Origina tie I’Ecossisme. — Le baron de Ramsay. —
Rebold essaie de discr^diter le rite ecossais. — ■ Vaine tentative. —
Premieres Ioges ecossaises etablies en France. — Ignorance et parti
pris de Itebold. — Les rites & hauts grades seraient, d'aprSs )ui et
les partisans du symboiisme, Toeuvre des Jesuites. — Ces religieux
font propager lour Franc-Maconnerie parties Juifs, des Lutlieriens et
des Calvinistes. — Les disciples de saint Ignace sout dt'cidement trftg
habiles. — De plus fort en plus fort. — Comment les Jesuites divi-
sent TEurope maconnique. — IIs font nommer Grand-Maitre le
due de Brunswick. •— Le Grand-Orient de France consent £i les atift-
lier. — Mepvis des Jesuites pour la Maconuerie symbolique. — Con-
tradiction de Ragon et de Rebold. — Le rolfc attribue aux Jesuites
serait une aimable fac^tie, si ks nait’s de la Franc-Magonnerie vul-
gaire n'avaient pas la simplicite <Py croire.
« Le dcsir tie fairo remonter la famille des Stuarts sur
* le tr6nc ct do travailler clans l’interet du catholicisme,
« dit Rebold, suggera a leurs partisans l’idee dc former
« des associations secretes pour mettre leurs plans a
« execution ; et e’est dans co but qu’ils se iirent affilier a
« la Franc-Maconnerie.
Ouvrages consults : Ragon, Orthodo.de maronniqnc. — R>:nou>,
Precis kistorique tics rites ci hauts grades. — Instructions dcs hauls
grades Icls qiitls sc confident dans les Chi pitres de la cor respon dunce
du Grand-Orient. — Ma^onncrie symbol* yue, suivant le regime du
G.\ Or. de France , suivie de la Magonnerie des hauts grades. — Les
Francs- Masons, initiation d tons Imrs rnyslcrcs, par un Ilosc-Croix.
— Tsncounv, L'Etoile flamboyante on It socictd des Francs -Macons
consul 1 re e sons tons les aspects. — Perau, L'Ordrc dcs Fra ncs-Ma c o ns
Iraki ct lc secret dcs M apses rccchi. — Caillot, Annales maconniqn.es .
*— Clave i., Ilistoirc pittoresque de la Franc-Maconnerie et desf-Socit-
ids secretes . — J.-P. Derreuil, ffisloirr dcs Francs- Macons. — P. ZaC-
COne, Ilistoirc dcs SocUtds secretes. — Tierce (do In), Ilistoirc des
Francs-Marons. — Reguellim, Esprit du dogrne de la FranQ-MaQon-
nerie, rcchcrchcs sur son origine et celle de scs different* rites.
CH. XIII. — LA F.\ M.\ ET LES JESUITES. 217
€ Us commencerent par faire repandre en France par
* un de leurs plus eminents emissaires, le D r baron de
« Ramsay, un rite de cinq degres qu’ils avaient vaine-
« meat tente de fairo accepter a Londres. Ce baron de
« Ramsay augmenta ce rite (1736 a 1738) de deux autres
« degres et l’appela rite ecossais, parce qu’il procedait,
« disait-il , d’une autorite maconnique puissante de
« l’Ecosse. II delivrait aux proselytes, qu’il avait su se
« creer en France, des constitutions personnelles, ema-
« nant d’un soi-disant chapitre de Macons siegeant a
« Edimbourg. Ce chapitre se composait de partisans des
« Stuarts qui s’etaient eriges en autorite maeonnique
« avant que la Grande-Loge d’Ecosse cxist&t, et cela
i dans l’unique but de facilitcr lcs projets des princes
« dechus. Au dire du baron de Ramsay et des autres
* emissaires, ce chapitre possedait seul la veritable
« science de la Franc-Maconnerie , laquelle , d’apres
* l’historique qu’ils en avaient etabli , avait du etre
« creee par Godefroy de Bouillon. II ne nous est par-
« venu aucun document sur les chapitres fondes par le
« baron de Ramsay et ils ne paraissent pas avoir eu de
« 1’importance; mais deja en 1743 un autre partisan des
« Stuarts fonda a Marseille urn; Loge de Saint- Jean
* d’Ecosse, avec dix-huit degres, qui plus tard prit le
« litre de Mere Loge Ecossaise de France , et constitna
« beaucoup de Loges dans la Provence, meme dans le
« Levant. Un autre syst erne, probablement d’apres Ram-
« say, se fonda ii Lyon egalement par un partisan des
« Stuarts et fut exploite ensuite par les Jesuites (1).
Ainsi parle Rebold. Sou but evident est de jeter le dis-
credit sur laMaconnerie ecossaisse, esperant mettre ainsi
en relief les trois grades elementaires de la Franc-Ma?on-
nerie symbolique. Les partisans de l’Ecossisme pour-
(1) Rebold, Histoire des Trois (irandes-Loges .
218
PERIODE HISTORIQUE.
raient lui repond re qu’ils n’ont fait qu’imiter les pretres
d’Heliopolis et les disciples de Mithi*a dont les initiations
n’avaient pas moins de sept degres. tandis que la Ma<;on-
nerie symbolique s’cst borneejusqu’iei a plagier les tail-
leurs de pierre du moyen Age. Ils pourraient ajouter
qu’en jouant un role politique, le rite eoossais n’a pas
cesse pour cela d’etre une vraie Magonncrie, attendu que
les admiratcurslos plus passionues du symbolisme n’he-
sitent i>as a avoucr, le cas echeant, qu’ils agissent do la
memo far-on, toutcs les fois quo leur in tore t l’exige.
Le rite ecossais, cela n’est point douteux, se composait,
a l’epoque dont parlo Heboid , trinities devoues anx
Stuarts, comme il se composa, quelques annccs aprcs, de
republicans plus ou moins fanatiques.
Quoi qu’il en soit. nous voyons que Charles-Edouard
Stuart fonda un Chapitre de liauts grades a Arras
en 1717. sous le titre do Maconncric Ecossaise Jacobite. A
partir de ce moment, les Ateliers de ce rite sc multi -
plibrent en France avec unc grande rapidite.
Citons encore Heboid, afin de inontrer jusqu’ou le parti
pris ct l’ignorancc maeonniques peuvent pousser un
homme qui jouit. cependant de quelque reputation.
« Un autre partisan des Stuarts, lisons-nous encore
t dans son Precis historique des rites a hauts grades , le
< chevalier de Bonneville, un des plus zelos emissaires
« des Jbsuites, creabeaucoup de Logos sous le patronage
« du Chapitre dit de Clermont, cree en 1754 par les
« desuites du college (couvont) do Clermont, lesquels
« avaient fait installer pour l’exploitation do cette Maeon-
« nCrio un magiiilique local en dehors de Paris, appele la
« Nouvelle-France . Apres quo ccux-ci curcnt dlabore
« en 1750 un nouveau systeme maconniquo appele les
« Clcrcs de la Stride-Observance, fondution qui Cut attri-
« buec. mais a tort, au dit chevalier do Bonneville, ils la
« limit propager cu Allcmagne par un nomine Starck, ct
CH. XIII. — LA. F.‘. M.*. ET LES JESUITES. 219
« en France par divers emissaires, dont le dit Bonneville
* fut un des plus zeles (1756 a 1758), mais il eut peu de
« succes en France (1). »
J’ai cru devoir citer textuellement ce passage de Re-
bold, parce que si je m’etais borne a en donner l’analyse,
la plupart de mes lecteurs auraient suppose quej’attri-
buais aux partisans des trois grades symboliques une
opinion qu’ils ne professent pas.
L’auteur du Precis historique va plus loin. II fait
bravement remonter aux disciples de saint Ignace la
creation de tous les rites a hauts grades, sans excep-
tion aucune, ainsi qu’on peut le voir par la suite de son
article.
« Un nomme Pirlet, continue-t-il, president d’une Loge
« do Paris, homme extravagant et ambitieux, qui avait
« reconnu quels etaient les veritables auteurs de ces nou-
« veaux'systemes magonniques, chercha a les aneantir en
c leur enopposantun autre. II crea d’abord avec l’aide de
« quelques Macons le Chapitre des chevaliers d’Orient
« (1757). Puis, celui-ci ne prenant pas l’extension qu’ils
' avaient esperee, ils accepterent de pi - '' pager un autre
« rite elabore par des Jesuites a Lyon,avcc une echelle
« de vingl-cinq degres, auquel fut donne letitrepompeux
# de Conseil des Empereurs d' Orient et d’ Occident: Sou-
« verains Princes Macons , annongant aux adeptes que
« c’elait la plus elevee de toutes les Magonneries prati-
« quees dans l’Orient d’ou elle venait d’etre rapportee en
« France. Ce fut le rite appele plus tard de Perfection ou
« d'llerodom. Pirlet, dirige secretement par les Jesuites
« qui se tenaient derrierelerideau, donna a ce nouveau
« rite une origine fabuleuse comme tous les inventeurs
i ou importateurs avaient coutume de le faire dans ce
(1) Rebold, Precis hUtoriqv.c ded rites **. hnut* yvadcs*
220
P^HIODE HISTORIQUE.
« genre d’industrie. Une partie des coryphees de la Gi\-
« Loge de France s’y firent initier, bien que, d’apres la
« constitution de celte Logo, ses membres se fussent
« engages par serment a no professer que les trois grades
« symboliques du rite anglais modorne. Cost par ce con-
t sell que fut dclivre en 1701 a Stephen Morin. Israelite.
« une cliarte constitutive pour propager le rite dit de
« perfection en Amerique (1). »
Los Jesuitcs etaient decidement des hommes fort ha-
biles. Apres avoir initie Pirlet sans qu’il s’en doutat. ils
en firent un propagateur infatigable de lour rite de predi-
lection. Et, comme si cela n’avait pas suffi, ils enrolerent
parmi Icurs adeptes Israelite Morin . auquel ils con-
fioront la mission de porter aux Etats-Unis la lumiere
ma<;oimiquc.
Pendant quo les Jesuitcs faisaient initior le Nouveau-
Monde, les ofliciers dc l’armoe de Broglie et un ministre
luthcrien. nomine Rose, so mettaient a leur disposition et
fondaient dix-sept Logos dc l’autrc cote du Ellin. Ils
aileron t jnsqu aenvahir. avec leur adresse accoutum*5e, la
Grand o-Loge de Berlin. Ce qu’apprenaut, nousdit Rebold,
Frederic II laissa echapper un gros juron . en signe de
mecontentement. Les Grandes-Loges d’Allenwgne, de
Hambourg et de Suede furent Jesuitisees a leur tour avec
un rare bonhenr. II est vrai. fait observer r auteur en
question, que cos fabrications jesnitiques tomberent dans
le m opr is, a tellcs enseignes qn’en 1780 le rite de perfec-
tion ne pouvait plus se soutenir a Paris qu'en se recru-
tant parmi les gens de has etage . Heureusement pour les
Jesuitcs. les Juifs quo Stephen Morin avait initier en Ame*
riquo vinrent a la rescousse et sauverent, sans savoir ce
qu’ils faisaient. laMaconneric clericalc d’une ruine a pen
pres complete.
(1) Kkhold, Precis historique des rites a hauls grades
CH. XIII. — LA F.\ M.\ ET LES JESUITES. 221
« Connaissant le cceur et 1’esprit de l’homme, dit
« encore Rebold, les Jesuites avaient imagine une serie
* de grades inferieurs propres a entretenir lacuriosite
* des adeptes et a leur en assurer l’obeissance illimitee.
« C’est surtout cette derniere condition qu’ils exigeaient
« avant de donner de 1’avancement, promettant, du reste,
« de nouvelles revelations a cliaque degre superiour. De
« cette manic re ils parvinrent a detourner les Magons de
« la doctrine simple, pure et humanitaire de la Magonnc-
« rie anglaise, et a les faire, sans qu’ils s’en doutassent,
« cooperer a l’editication du temple et de l’ceuvre jesui-
« tique, en les faisant passer par dix degres pleins
« d'exaltation et feeonds en egarements. Afln que la foi
« aux Mystercs et le desir de les approfondir eussent de
« solides racines dans l'esprit de tous, on ajouta au sys-
« teme : La doctrine de I’ol/eissance a des supen'eurs
« inconnus ; chefs qui se servaient de 1’Ordre pour I’exo-
« cution de plans secrets qu’ils ne communiquaient
« qu’aux inities du dernier degre et m6me en partie
« seulement.
« Les chefs et inventeurs de ce systeme se trouvaient
« constamment meles incognito parmi les membres des
« degres inferieurs, qui crurent voir en eux des F. F.
t dont ils etaient les egaux (1). »
Tout cela etait bien concu. Rebold aurait du ajouter
que les Jesuites pousserent l’habilete jusqu’a se faire
excommunier par les Papes, afin de mieux deronter les
soupgons.
Mais voici oil se revele surtout l’adresse incomparable
de la compagnie de Jesus :
« Comme les institutions monacales, ajoute lecrivain
« que nous citons, et les tendances ecclesiastiques de
(1) Uedold, Precis hhtoriy vc des rites d hauts grades.
222 PKRIODE HISTORIQUE- _
* cette fausse Magonnerie ue pouvaient convenir k tous
t les esprits, ils rcsolurent de creer une autre association
« plus vaste, qui leur permit de s’6tablir aussi dans les
« pays protestants. Ce projet leur reussit mieux que tous
« les precedents. Ce fut le systeme des Templiers secu-
♦ liers, appele de la Stricte-Observance. dont le principal
« foyer fut toujours le college des Jesuites, dit de Cler-
6 mont, k Paris. Ge systeme fut d’abord transports et
« propage en Allemagne par le baron de Hand et autres
« emissaires, instruments des Jesuites, quelques-uns
t sans le savoir. Void quelle eta it la pensee fondamen-
« tale de ce systeme : La ronfrerie frrmc-maconnir/ite
« nest autre chose qu'unc continuation de V or die des
« Templiers, propage par plusieurs de ses membres refu-
« gies en Ecosse pour leur surete pei'$o?inelle. Les propa-
« gatcurs de ce systeme entretenaient on outre chez les
« adeptes la dangereuso esperancc de rentrer dans la
« possession des richesscs des aneiens Templiers (1). »
Nous venons do voir que les Jesuites avaient ete assez
habiles pour trouver des propagateurs de leur premier
systeme dans les rangs du Judaisme. C’etait, il faut
ravouer. un joli tour de force. Mais les R. R. Peres ne
s’arrOlerent point la. 11s firent plus et mieux, car aucune
difficulty ne les arretc. Merlin l’enchantcur n’etait quTm
vulgaire prestidigilateur a cute dc ces religieux. A pres
avoir transforms le sanhedrin en instrument de regne,
ils s’adresserent aux disciples de Luther ct dc Calvin et
leur dirent : Soyezaupres des vOtres los dispensateurs de
la lumiorc nmc<mni<jue dont les Templiers nous ont trans-
mis le secret. Et les protestants s’inclincrent en signe
d’adhesion.
Les eelebres religieux diviserent la vieille Europe en
neuf provinces, savoir :
(1) IvEitoLu, Precis historiqve des rites d hafts grades*
223
CH. XIII. — LA F.\ M.\ ET LES JltSUITES.
« 1° La Basse-All emagne, la Pologne et la Prusse;
t 2° 1’ Auvergne ; 3° l’Occitanie (la France de Test); 4° l’lfca-
« lie et la Grece ; 5° la Bourgogne et la Suisse ; G° la
« Haute- Allemagne ; 7° l’Autriche et la Lombardie ; 8° la
* Russie ; 9° la Suede (1). »
Le due de Brunswick devint le Grand-Maitre des rites
Jesuitiques et se fit le tres humble serviteur de la Com-
pagnie de Jesus.
Mes lecteurs trouveront peut-etre que tout cela est
invraisemblable et auraitbesoin d’etre appuye de preuves
serieuses. Quelques-uns meme laisseront echapper le
mot anti-parlementaire de mystification. Je leur repou-
drai que les profanes seuls peuvent avoir des doutes a ce
sujet. Les adeptes de la Magonnerie symbolique se mon-
trent moins difiiciles et admettent sans discussion le recit
du F. - . Robold. L’opinion de ce dernier ne diflere pas,
d’ailleurs, de celle de Itagon et d’un grand nombre
d'ecrivains dont l’autorite n’est mise en doute que par les
fideles du rite ecossais.
Ce qu’il y a de plus singulior en tout ceci. e’est que les
representants de la secte Jbsuitique demanderent en 1770
et 1781 d’etre affilies au Grand-Orient, et que le Grand-
Orient les affilia sans tropde difficulty Les enfantsde saint
Ignace s’emparerent done aussi de la M.\ symbolique.
ltebold et Bagon reprochent aux J4suites d’avoir consi-
dere les Loges anglaises comrae le fruit d’une institution
batardc issue des corporations ouvrieres. Ces deux ecri-
vains oublient qu’ils en ont fait tout autant. Ragon, cn
particulier, se mon'tre on ne peut plus categorique si
1’endroit de cette question.
A pres avoir reconnu, comme Rebold, que les membres
honoraires admis dans la Confrerie des Free-Masom
d’Angleterre, etant devenus plus nombreux que les ou-
(1) Rebold, Precis histuvi'jn* ties rites '/ hunts grades.
224
PfiRIODE HISTOIUQUE.
vricrs-coDstructeurs, la Matjonnerie changea de caractere
et devint ce qu’elle est aujourd’hui, il ajoute que 1’Ordre
franc-maQomiique n’a rien de commun avec la corporation
dont il est ne. Ce raisonnement dquivaut & celui-ci :
« Mon pere etait architecte, tandis que je suis ingenieur.
« Nous sommes done otrangers l’un a l’autre. »
La Mafonnerie a emprunte aux Vree-Masons . dans les
Loges desquels elle a vu le jour, ses initi ations, un
partie de scs epreuves, ses trois grades symboliques, ses
mots de passe, sa hierarchie, scs bijoux, sa terminologie
et jusqu’i sa pretention do posseder un secret.
Les rites jesuitiques, puisque Jesuites il y a, avaient,
coniine on !e voit, quelque peu raison de soutenir que la
Maconnerie vulgairo n ’etait qu’unc imitation des corpo-
rations du moyen age.
En 1782, le due de Brunswick convoqua un congres
maconnique a Wilhelmsbad, afin de savoir quelle etait
l’origine vraie de la Franc-Mnconnerie et quel but elle se
proposait. Au moment ou out lieu cette convocation, les
divers rites de la secte comptaicnt plus do trois millions
d’adeptes. Nous reviendrons un pen plus tard sur cette
assemblee, dont les resultats politiques, religleux et
soeiaux furent d’une grande importance, bien que la
plupart des auteurs maconniques se soient abstenus de
les signaler.
Quoi qu’il en soit d’une querelle qui a toujours divise
la Magonnerie, memo depuis que Ic rite symbolique est
uni a l’Ecossismc, nous lerons observer que le role attri-
bue aux Jesuites est une fable absolument ridicule, ima-
ginee par les Illumines d’Allcmagne, dans un but d’in-
teret personnel , ainsi qu’on pourra s’en convaincrc en
lisant avec attention les chapitros suivanis.
CHAPITRE XIV
Les Illumines et leurs doctrines.
Sommaire. — Naissance (le rilluminisme. — Swedenborg, ses voyages
et sa doctrine* — Le bgii&lictia Pemetti fonde une Loge d'llluinings
it Avignon. — Saint-Martin, disciple de Martinez Pasqualis, etablit
dans les provinces m^ridionales de la France des Loges d’Illumin4g
appeles Martinistes. — Uluminisme allemand. — Weissliaupt definit
son systeme afin de mieux cacher Je fond de ses id<3es. — II fait la
rencontre de Zwack qui Pengage & entrer dans une Loge ma§onnique.
— Weisshaupt suit ce conseil. — L’abb3 Marotti r4v61e h Zwack les
mysteres de laMaconnerie tScossaise. — Correspondance entreZwack et
Weisshaupt k Voccasion de ce fait. — Moyens que prend ce dernier
pour ne pas compromettre le secret de rilluminisme. — Differents grades
de la secte. — Weisshaupt amalgame la Maconnerie avec rilluminisme
dans un but de propagande. — La mission du Frdre Insinuant. — Pre-
cautions qu’il devait prendre h lVgard des nouveaux adeptes. — Recom-
mandations de Weissliaupt. — Obeissance & laquelle s’engageaient les
Novices. — Examen qu’on leur faisait subir avantPinidation. — C6r4-
nionie de reception. — Illumines majeurs. — Instructions qui lescon-
cernent. — Chevalier Illumine Ecossais. — Raison d’etre de ce grade.
— Initiation au grade de Pretre. — Discours de Pkierophante. —
Grade de Prince-Illumind. — C6r6monie initiatoire. — Quel etait lo
secret des Grands Mysteres.
En 1771, lorsque le due de Chartres, Louis-Pliilippe-
Joseph d’Orleans, fut elu Grand-Maltre de la Macon-
Ouvrages consult6s : Ecrits originaux de la secte IUuminde ,
ddcouverts d Landshut , lors des recherches faites cliez le ci-devant
conseillo' de la regence Zwack, les ii et i2 octobre t73G; in-8. —
Notices sur les Ecrits Originaux , contenant diver ses pieces trouvees
au chateau de Sandersdorf ; in-8. — Wei.sshaupt, Introduction d
mon apologia. — Le systeme rectifid des Illuminds. — Sur Tart de
gouvernerle monde . — Biedermann, Dernier s travaux de Spartacus et
de Philon. — Le veritable Illumine , ou le rituel authentique des Illu-
mines. — Luciiet, Essai sur la Secte des Illumines; in-8. — Vie et
aventures de Joseph Balsamo, nommd comte de Cagliostro. — Tes-
tament de mort et declaration fa its par Cagliostro , de la Secte des
IllumindSy traduit de l’italien. — Barruel, Memoir es pour servir d
*V. AI.\
15
226 pjSriode histoiuque
nerie en France, les hauts grades etaient connus et pra-
tiques dans toutes les parties du monde.
La Ma^onnerie symbolique parut tout d’abord inoffen-
sive. Aussi les gouvernements la laisserent-ils se deve-
lopper sans trop de difficulty.
L’Ecossisme, au contraire, sejetadans la politique des
le premier jour de son apparition. Partisans des Stuarts,
ses fondateurs etaient monarcbistes. Mais les tendances
de la secte se modifier ent peu 4 peu, et finirent par
devenir tout 4 fait democratiques, lorsque les Illumines
d’Outre-Ithin envahirent les Loges.
L’lllumiuisme a pris une large place dans l’histoire des
socles secretes. Nous allons done l’etudier sous ses
divers aspects et montrer quelle fut sa part de responsa-
bilite dans les evenements lamentables qui signalerent
la fin du (lix-huitiyme siecle.
Disons d’abord quelques mots de Swedenborg et de ses
disciples.
Ne 4 Stockholm en 1G88, ce novateur s’occupa, jusqu’4
PAge do 50 ans, de lUtdruture, de politique, d’algcbre
et de geometrie.
II voyagea successivement en Allemagne, en Angle-
terre et en Hollande, et ecrivit divers ouvrages qui lui
valurent une grande reputation, les bonnes graces de
Charles XII, roi de Suede, et une chaire a 1’universite
d’Upsal.
En 1730, il vint a Paris. Puis il visita Rome. Ses
courses a travers l’Europe avaient eu jusqu’alors un but
scientifique. Mais pendant son sejour en France et en
Vhistoire du Jacobinisme. — Mouniek, De Vinfluence attribute (tux
philnsophes , aux Francs- Masons ct aux Illumines sur la Revolution
de France . — Reflexions sur la persecution dirigte contre les Illu-
mines en Baviere. — Apologie des Illumines ; Francfort et Leipsik, in-8.
Kota. — Je ne fais pas iigurer dans cette liste les ouvrages ma^on-
niques qui ne troitent de l’llluniimsme qu’accidentellement.
CH. XIV. — LES ILLUMINES ET LEURS DOCTRINES. 227
Italie il so livra uniquement k des etudes de moeurs.
Ajoutons que des moeurs k la politique il n’y a qu’uu
pas, et que ce pas, il le franchit.
' Les richesses d’Amsterdam, l’6tendue de son com-
merce et l’activitd de sa population avaientd6j&6veille en
lui des idees fort avancees quelques annees auparavant.
* Quand j’ai considere tout cela, Scrit-il, il m’a semblS
* que la cause premiere et principale de cette prosperity
« c’est que la Bollande est une repnblique, forme de gou-
« vernement qui plait a Dieu plus que celle d’un gouver-
t aement absolu, comme on le voit aussi par l’histoire
* romaine. Dans une rejmblique on n’accorde culte et
i veneration k aucun homine. Le plus grand et le plus
« petit s’y estiment egaux a des rois, a des superieurs, ce
* qui se voit dans la tenue et la nature de chacun en
« Hollande. C'est Dleu seul qu’on v adore. Et, Dieu seul
* adore, nul homme ue l’etant a sa place, preud tout son
* plaisir a ce pays (1). »
En 1744 et 1745, Swedenborg fait une seconde fois le
voyage de La Haye et de Londres.
De cette epoque date une phase nouvelle dans la viedu
savant Suedois. Au math&naticien, au min£ralogiste et
au philosophe quelque pen politicien, succede le vision-
naire.
Un de ses amis, directeur de la banque de Suede, lui
ayant demande dans quelles circonstances il avait eu ses
premieres revelations, Swedenborg lui raconta ce qui
suit :
« J’etais k Londres et je dinais fort tard dans mon
t auberge, oh je m’etais reserve une piece, afin de pouvoir
« reflechir tout a raon aise.
(1) Matter, Emmanuel de Swedenborg, sa vie et ses Merits.
228
PEUIODE HISTORIQUE.
« J'avais grand’faim et je mangeais avec une certaine
< avidite. Surla fin de rnon repas, unesorte de brouillard
« se repandit sur mes yeux, et le plancher de ma chambre
« se couvrit de reptiles hideux.
« J’en fus d’autant plus efiraye que 1’obscurite deve-
« nait plus profonde. Mais bientot la lumiere rcparut et
« j’aper^us un homme assis dans un des angles de la
i salle. II etait entour6 de lumiere. Je me trouvais seul.
« Vous pouvez done vous figurer quelle fut ma frayeur,
« lorsque j’entendis ce personnage mysterieux me dire
« d’une voix menacante : Ne mange pas tantl Mavue
« s’obscurcit une seconde fois. Lorsqu’elle me revint,
« l’liomme avait disparu. Je me levai aussitot et me
« retirai a mon domicile, encore tout emu de ce qui s’etait
« passe.
* Arrive dans ma chambre, je mo pris a reflechir. Je
t compris, sans trop de peine, que ce qui venait de m’ar-
« river n’ etait ni 1’effct du hasard, ni lo resultat d’une
« cause natnrcllc.
« La unit suivante , l’homme rayonnant de lumiere
« m’apparut une seconde fois et me dit : Je suis Diet/, le
« Seigneur, le Crealeur et le liedempteur ; je t’ai choisi
« pour expliquer aux hommes le sens interieur et spiri-
« tu el des Sainles Ecritures; je te diclerai ce que tu decras
<t ecrire.
<c Cette fois, je ne fus pas efiraye du tout, et la lumiere
« dont l’homme etait entoure, quoique tres vive et tres
« eclatante, ne fit aucune impression douloureuse sur
<t mes yeux. II etait vetu de pourpre et la vision dura
* environ un quart d’heure (1). »
Les propos ct les Merits de Swedenborg furent des
lors ceux d’un hallucine. II pretendit qu’il avait recu du
ciel la mission de creer un nouvel ordre de choses.
^ 1 ) liccveil cU documents conccrnant la vie ct le cayactcre de
SwedCiihvi'fj.
CH. XIV. — LES ILLUMINES ET LEURS DOCTRINES. 229
Desireux d’atteindre ce but,ildeploya une grande activity,
prechant sa doctrine et semant l'or a pleines mains. Le
nombre de ses adherents ne tarda pas a dtre considerable,
en Suede, en Allemagne, en Angleterre, en Pologne, aux
Indes-Orientales, aux Etats-Unis, et jusqu’en Afrique,
ou se trouvait, a l’en croire, la Nouvelle Jerusalem.
La secte penetra en France, grace au zele de deux de
ses disciples qui ont, eux aussi, joue un role de quelque
importance dans les annales de l’llluminisme ; je veux
parler du benedictin Pernetti, ou Pernety, et de Saint-
Martin, le philosophe inconnu.
Pernetti naquit a Roanne en 1716. Entrd dans l’Ordre
des Benedictins, il quitta son couvent et se rendit a
Berlin, on il fut nomine conservateur de la bibliotheque
royale. Revenu en France, il obtint un arret du Parlement
qui le dispensa de reintegrer sa communautA Puis il se
retira a Avignon oh il s’occupa d’alchimie. On l’accuse
d’avoir cherche, mais inutilement, la pierre philosophale.
S’il ne trouva pas le moyen de transmuter les mStaux,
il reussit a s’enticher de Swedenborg et de son spiri-
tualisms ndbuleux. Il poussa meme le zele jusqu’a fonder
une Loge d’lllumines dans la ville des Papes.
Cette Loge etait connne, en 1789, par l’exaltation de
ses adeptes, qui prirent le nom de Martinistes, celui de
Swedenborgistes etant d’une prononciation trop difficile
pour les Fran^ais du midi.
Ajoutons que les disciples de Pernetti figurerent dans
une large proportion parmi les massacreurs de la
Glaciere.
En se reposant sur eux, l’esprit de Swedenborg leur
avait probablement communique, avec le mysticisme de
ses speculations religieuses, l’admiration qu’il professait
pour les Etats republicans.
Saint-Martin deploya beaucoup plus d’activite que le
benedictin Pernetti. Ne a Amboise, en 1745, il manifesta
de bonne heure son goht pour les etudes philoso-
SJO
PfiRIODE HISTORJQtJE.
phiques. Comme ses parents le destinaient & la magis-
trature, il dut faire son droit, mais, le moment venu, il
quitta la robe pour l’epee. Il pensait que la carriore
militaire lui laisserait plus de loisirs. Iucorpore au regi-
ment de Foix, il s’apcrcut bientot quo les exigences du
service interrompaient a chaque instant le cours » e ses
meditations. Il resolut, des lors. de rentrer dans la vie
privee.
Ayant connu, a cette epoque, la secte des Martinisies,
dont Martinez Pasqualis 6ta.it le chef, il s’y fit initier, et
en devint un ardent propagateur.
La France comptait plusieurs Loges de cet Ordre, dont
les doctrines somblaient se confondre avec celies de la
Cabale. Les principaux Ateliers etaient ceux de Tou-
louse, de Marseille et de Bordeaux. Il est bon d’obscrver
que la plupart des adeptes faisaient en memo temps
partie de la Maconnerie ecossaiso, et qu’ils so distin-
guerent sous la Revolution par V exultation de leur Jaco-
binisms.
Une autre classe dTUumines, beaucoup plus dangereux
que les precedents, apparaissaient en Allcmagne vers
177(5. Weisshaupt en etail le fondateur. Ancien eleve des
Jesuites, il obtint en 1772 unc cliaire de droit canon a
1'Universite d’lngolstadt. Depuis quelques annees deja,
il s’oeeupait d’un projet dissociation uuiverselle, et se
demaudaifc comment il parvieudrait a le realiser. Sa nou-
velle position lui en facilita le moyen.Doued’un caractere
insinuant et d’une eloquence entralnante, il ne tarda pas
il grouper autom* dc lui l’elite de ses eleves.
L’organisation du uouvel Ordre ctait calquee, dans ses
parties essenticlles, sur les constitutions de saint Ignace.
Weisshaupt avait pu, au contact de ses maitres, se
rendre un compte exact de la sagesse de leurs regies.
Il a defini en quelques lignes le but qu’il se proposait :
« Reunir , en vue d’un interdt eleve et par un lien
CII. XIV. — LES ILLUMINES ET LEERS DOCTRINES- 331
< durable, ecrit-il, des hommes instruits de toutes les
* parties du globe, de toutes les classes et de toutes les
« religions, malgre la diversity de leurs opinions et de
« leurs passions ; leur faire aimer cet intdret et ce lien
« au point que, reunis ou separes, ils agissent tous comme
« un seul individu ; qu’en depit de leurs dillerentes posi-
« tions sociales, ils so txaitent rdciproquement comme
« egaux, et qu’ils fassent spontanement et par conviction
« ce qu’on n’a pu faire effectuer par aucune contrainte
« publique, depuis que le monde et les hommes existent;
« voila ce qu’il s'agit de realiser. »
Je n’ai pas besoin de dire que la pensee de Weisshaupt
est inexactement exprimee dans cette citation.
II dissimulait a ses disciples eux-memes la nature de
ses projets. Nous verrons bientot a quelles precautions il
avait recours non seulement pour echapper a une noto-
riete compromettante, mais encore pour donner & son
Ordre un caractere exterieur absolument inoffensif.
Weisshaupt n’etait pas franc-magon lorsqu’il jeta les
bases de l’llluminisme. II comprit neamnoins que cette
societe s’occupait de politique et de religion. Si les
adeptes de la Magonnerie n’avaient eu d’autres visees
que la bienfaisance, ceux qui la dirigeaient no se se-
raient pas entoures de mystere. II resolut done de se
faire initier, afin de voir ce qu’il en etait. La Loge Saint-
Theodore de Munich l’admit parmi ses membres. II ne
tarda pas a se lier d’amitie avec un Magon nomme
Zwack, initie depuis quelque temps aux hauts grades de
l’Ecossisme.
Zwack revela a Weisshaupt les vraies tendances de la
Franc-Magonnerie, et Weisshaupt fit connaitre d Zwack
1’existence de la Societe dont il etait le fondateur. L’un et
l’autre avaient ce qu’il fallait pour s’entendre. A la suite
des confidences qu’ils se firent, Weisshaupt resolut de se
servir de la Magonnerie pour assurer le succes de 1’IIlu—
232
PERIODE IIISTORIQUE.
minisme. II donna done a tous ses adeptes l’ordre formel
de solliciter l’initiation maconnique et de recruter dans
les Loges des adherents energiques , intelligents et
devoues.
Afin d’obtenir plus facilement cet utile resultat. il
introduisit dans son Ordre les trois grades syraholiques
de la Ma^onnerie anglaise.
An debut de sa carriere maconnique, les membres de
la Loge Saint-Theodore lui repetaient, comine a tous ceux
qui n’avaient re<;.u quo les trois premiers grades, quo les
discussions politiques et religieuses etaient exclues des
Ateliers. Weisshaupt. qui tenait le memo langage a ses
Novices et A ses Minervains, comprit le cas qu’il fallait
faire de ces protestations.
Deja en 1777, il ecrivait en ces termes a l’un de ses
amis :
« Qae je vous disc une nouvelle. A vant le carnaval pro-
« chain je pars pour Munich et me fais recevoir Franc-
» Macon. Que cela no vous effraye pas; notro affaire n’on
« va pas moins son train; mais par cette demarche, nous
« decouvrons un lien ou un secret nouveau, et nous en
t devenons plus forts que les autres (1). »
Zwack avait eu dc longs entretiens, a Augsbourg, avec
un certain abbe Marotti, qui appartenait aux Loges
6cossaises. C’est a ce singulicr personnage qu’il devait
en i>artie la connaissance des Mysteros maconniqucs.
Weisshaupt, en ayant etc informe, adressait a son
confident, le 2 decembre 1778, les lignos que void :
« Jo doute quo vous sachiez reellement le veritable but
« do la Franc-Maconnerie; mais j’ai moi-meme acquis
« sur cet objet de precieux renscignements dont je veux
(1) Ecrit sort gin. y t. f, l**tt. h Ajax.
CH. XXV. — LES ILLUMINES ET LEURS DOCTRINES. 233
« faire usage dans mon plan et que je reserve pour nos
« grades plus avances (1). »
Zwack se h&ta de le detromper, en Iui donnant des
details precis sur les revelations de l’abbe Marotti. Weiss-
haupt ne douta plus et repondit a Ztvach :
« L’inappreciable decouverto quo vous avez faite a
« Nicomedie (Augsbourg), dans votrc entretien avec
« l’abbe Marotti, me rejouit on ne peut plus. Prolitez de
« cette bonne fortune et tirez-en tout le parti que vous
« pourrez (2). »
Pour que ces deux complices eprouvassentune pareille
joie, il fallait que les secrets qui leur avaient ete confies
fussent d’une grande importance, au point de vue poli-
tique et au point de vue religieux, la politique et la reli-
gion etant le double terrain sur lequel le fondateur de
rilluminisme se proposait d’operer.
Avant d’entrer dans de nouveaux details sur la secte
des Illumines, je crois utile d’indiquer en peu de mots les
mesures de prudence que Weisshaupt avait prises pour
echapper aux investigations de la police.
Chacun des principaux adherents portait un nom
emprunte a l’antiquite paienne, le seul qui figurat
dans les con'espondances. Les chefs de la secte demeu-
raient inconnus ft la foule des inities. Ces derniers ne
devaient conserver ni titre, ni piece quelconque ayant
trait aux interets de l’Ordre. Les Illumines etaient obli-
ges de se servir, pour ecrire, de signes cabalistiques et
d’alphabets de convention. Seuls les adeptes admis
aux grands Mysteres etformant l’Areopagede Weisshaupt
(1) Ecrits origin . Lett. 31.
(2) Ecrits origin .
234
PKiilODE 1IISXOEIQUE,
savaientavec certitude ce qui se tramait contre la religion
et les gouvernements (1).
(1) Voici la liste des principaux inities :
J'ai mis entre parentheses et en italique les noms d’emprunt qu’ils
adopt6r»nt :
Weissuaupt Adam (Spartacns), fouJateur de la secte.
Zwacii Xavier (Baton), conseiller Auliqueefc de Regence.
Baron Knigge [Phi Ion), au serviced© BrSme.
Bope {Amelias), conseiller intime ft Weymar.
Wics (Agrippo), professeur h Ingolstad, immismate distingud et £cri-
vain bihliographe.
Mafseniiausen {Ajax), conseiller h Munich.
Hoiieneicuer (Alcibiade), comeiller ft Freysingue.
Comte cle Pappenheim {Alexandre) , c^neral et gouverneur d’ln-
golstad.
Comte SEiNSuerM (Alfred), vice-president ft Munich.
Comte de Cobenzel (Arricn), tresorier h Eiclistadt.
Sauer (Attila), chancelier ti Ratisboime.
Comte Savioli (Brutus), conseiller A Munich.
Faader (Celse), m6decin de PEI ec trice douairifire.
Simon Zwach (Claude).
Baiereammer (Confucius), juge h Diessen.
Troponero (Coriolan), conseiller ft Munich.
Slarquis de Costanza (Diomide\ conseiller ft Munich.
Mieq (Epictite), conseiller ft Munich.
Falck ( Ephninides ), id., bourgmestre ft Hanovre, naturaliste et
physicien.
Riedl (Eaciide), conseiller ft Munich.
Baron de Bassus [Hannibal).
Solcher (Ilermts), cur6 h Haching.
RuDORFER(£iri?<s) f secretaire des Etats.h Munich,
Baron Schr.eckenstein (Mahomet).
ICappe (Marc-Aurcle), premier predicateur de la cour, et conseiller
du consistoire protestant de Hanovre.
HePvTel (Marius), chanoine. Fut exil6 de Munich.
Werner (Mtndaiis), conseiller ft Munich.
Baron Dittfurth (Minos), conseiller h la chambre imp^riale de
W etzlar.
Dufresne (Mmnius), commissaire ft Munich.
Baron Monpellay ( Musde ). Fut exil£ de Munich.
Sonnenpees (Numa), conseiller ft Vienne.
Comte Ladron {Numa Pompilius), conseiller ft Munich.
Baron Pecker (Pericles), juge ft Amberg,
Haslein ( Philon de Biblos), <$v&que in partibus. Vice-president du
conseil spirituel de Munich.
Drexl (Pythagore), biblioth^caire h Muuich.
Froniiower (Raymond Lulle), conseiller h Munich.
Ruling (Simonides), conseiller h Hanovre.
Micht (Solon), pretre, demeurant ft Freysingue.
Munter (Spmosa), procureur h Hanovre,
Baron Men genhofen (Sylla), capitaine au service de Bavidre.
Lang (Tc.merlan), conseiller ft Eichstadt.
Oil. XIV. — • LES ILLUMINES ET LEtTRS t>OCTRINES. 235
La liste que je reproduis sous forme de note n’est
qu’un abrege de celles qui furent publiees par les jour-
naux allemands,lorsque les archives delasecte tombdrent
entre les mains de la police bavaroise.
Disons maintenant un mot de la hierarchie que
Weisshaupt avait adoptee.
Les Illumines se divisaieut eu deux classes. La pre-
miere, celle des preparations, renfermait quatre grades :
le Novice, le Miuerval, l’lllumine mineur et l’lllumine
ma.jeur, auxquels on rattacha, dans un but de propa-
ganda, les grades de la Magonnerie symbolique.
La deuxicme classe se subdivisait en pelits et grands
Mysteres. Les petits Mysteres comprenaientles grades de
Kapfinjsr (Thales), secretaire du comte Tallenbacii.
Merz (libSre). Fut exil<* de Baviore et doviat secretaire d’ambassade
it Copenhague.
Baron Rornptein ( Vespasien ), a Munich.
Prince Ferdinand ae Brunswick (Aaron).
Doeteur ICoppe ( Accarius ), surintendant ii Gotha, et plus tard k
Hanovre.
ScHMERBER(^^a«AocZd5), negotiant k Francfort.
KRiEBER (Agis), gouverneur des enfants du comte de Stolberg.
Bleubetrbu (Alberoni), couseiller de la chambre it Neuwied.
Barres (Archelails), ancien major en France.
Com pe (Aristodeme), baiilif a Wieubourg (Hanovre).
Baron de Bosche (Bayard), hanovrien d'origine, officierau service da
la Hollande.
PiruasoN ( Bdisaire ), k Worms,
Comte de Stolberg (CampaneUa).
Baron de Dalberg ( Crescens ), coadjuteur de Mayence.
Kolborn (Chrysippe), secretaire du precedent.
Schweickard (Cyville), k Worms.
Moldenuauer (G-otescalc), professeur de tb^ologie protestante h Kiel.
Baron de Greifenclau (Hcgdsias), ii Mayence.
Leuchsenring (Leveller), instituteur des princes de Hesse-Darmstadt.
R^lugie k Paris.
Nicolai (Lucieti), libraireet ecrivain.
Schmelzer (Man&thon), conseiller eccl6siastique k Mayence.
Fkiier [Marc-Aurele), professeur k Gcettingue.
Comte de Kollo wrath (Numtnius), k Vienne.
Yogler (Pierre Cotton ), medecin h Neuwied.
Brunner ( Pic de la Mirandole ), pr£tre h Tieffenbach.
Frischbr (ThAognis), ministre iuth^rien.
Ernest-Louis, due de Saxe-Gotha ( Timoleon ).
Auguste de Saxe-Gotha (Walter Furst ).
Charles* Auguste de Saxe -Weimar (Eschyle).
236 PERIOOE HISTORIQUE.
Pretre et de Regent, et les grands Myst^res, ceux de Mage
et d’Homme-roi.
Le conseil du Grand-Maitre, connu sous le nora d’Areo-
page, etait choisi parmi les inities du dernier grade.
Dans le prindpc, les princes ne dovaient pas etre pro-
mus aux grands Mysleros. Mais Weisshanpt ne tarda
pas a comprendre q no cette exclusion ferait naitre dans
l’esprit de ceux qui cn ctaient l’objot des soupQons regret-
tables. 11 cliercha done le moyen <le leur conferer les
grades superieurs, sans les initier pour cela aux ten-
dances poliiiques do l’Ordre.
II est bon de remarqner ici quo le grade de Cheva-
lier ecossais avait etc adapte & rilluminismc dans un
but intcresse. Weisshanpt se proposait, on le sait, de
rocrutcr des adherents parmi les membres de la Macon-
uerie symbolique. Mais il n’ignorait pas que l’Ecossisme
lui fournirait une classe d’adeptes plus particulierement
disposes a ontrer dans sos vues.
Tout Illumine, quel quo fill son grade, dovait oxercor
au moins unefois la fonction de frere Insinuant.
On doimait ce nom a celui qui devait recruter des
adeptes. Certains initios dtaient specialement charges
de cet emploi. Ils ne so bornaient plus a faire des prose-
lytes dans le cerclo do lours connaissances. Leurs supe-
rieurs les envoyaient porter la bonne nouvcllc dans les
divers Etats de l’Europe oil ils avaiont quelque chance
do rcussite. Lorsque le frero Insinuant etait habile,
Weissliaupt lui laissait une enliere liberty. Si, au con-
traire, son intelligence ne paraissait pas a la hauteur
de son zele, il lui donnait des instructions precises, avec
rocommandation do ne jamais s’en ccarter.
Un Illumine qui n’aurait rien fait pour augmonter le
nombre des adeptes ne serait pas arrive aux grades
superieurs. Il n’y avait d’exception ii cette regie que pour
les initios qui appartenaient aux classes les plus elevees
de la societe.
CH. XXV. — LES ILLUMINES ET LEURS DOCTRINES. 237
Le Frere lnsinaant devenait le superieur imme-
diat des Novices qu’il avait conquis k l’Ordre. « C’est
« ainsi, lisons-nous dans les Statuts de la Societe, que
« tout Illumine pent se creer un petit empire, et, dans sa
c petitesse, acquerir de la grandeur, de la puissance. »
Distinguer les sujets sur lesquels il doit fixer son
ehoix ; prendre les moyens les plus eflicaces pour gagner
a l’Ordre celui qu’il en a jugd digne ; former le Novice et
l’enchainer a la secte avant meme qu’il ne soit admis :
telle est, en quelques mots, la regie de conduite dont le
Frere Insmucmt ne doit pas devier.
« Pour apprendre a connaitre les sujets qu’il peut
« enroler, (lit Barruel. tout Illumine doit commencer par
« se munir de tablettes en forme de journal, Dktrium.
« Espion assidu de tout ce qui l’entourc , il observera
« continuellement les personues avec lesquelles il se
« trouve ; amis, parents, eunemis, indifferents, tous sans
« exception seront 1’objet de ses recherches ; il t&chera
« de decouvrir leur cote fort, leur cote faible, leurs pas-
« sions, leurs prejuges, leurs liaisons, leurs actions sur-
« tout, leurs interets, leur fortune, en un mot tout ce qui
« peut donner sur cux les connaissances les plus cletail-
« lees ; chaque jour il marquera sur ses tablettes ce qu’il
* a observe en ce genre.
« Get espionnage, devoir constant et assidu de chaque
« Illumine, aura deux avantages ; l'un general pour
« l’Ordre et ses superieurs, et l’autre pour l’adepte.
« Chaque mois, il fera deux fois le releve de ses observa-
« tions;il en transmettra l’ensemble a ses superieurs;
« et l’Ordre sera instruit par la quels sont, dans chaque
c ville ou chaque bourg, les hommes de qui il doit
« csporer la protection ou redouter l’opposition. Il saura
« tous les moyens a prendre pour gagner les uns ou
g ^carter les autres. Quant a l’adepte Insinuant, il en
238
PEIUODE HlSTORiQUE.
« connaitra mieux les sujets dont il pent proposer la
« reception, et ceux qu’il croit devoir exclure. Dans les
* notes qu’il envoie cliaque mois, il ne manquera pas
* d’exposer les raisons ou de l’un on de l’autre (1). k
Tout on s’attaeliant a etudier cenx qu’il veut enrol er,
le'F.a Jnsinuanl aura soin de ne pas se livrcr lui-meme.
La dissimulation lui est recommamlee par lo foudateur
de l’Ordrc, commo une vertu indispensable aux adeptes
de niliuninismo.
Les paiens, les juifs ct les josuites sont formellcment
exclus de la secte. Los indiserets, les grands parleurs et
les entetes doivont ttre considercs commo des gens dan-
gereux. Le F.\ Insinuant ne s'occupcra pas non plus de
ceux dont la comluito est noioirement mauvaise ou l’edu-
cation trop negligee. * Laissez-moi la les brutes, les gros-
< siers et les imbeciles lisons-nous dans les Ecrits
orifjinaux, au chapitre des Exclusions.
Wcisshaupt a joule neamnoins qu’il brut faire une
exception a cette regie. — La soltiso est (pielquefois dou-
blce d’or et d’avgent. File meritc alors do sdrieux dgards,
car elle peut aider a remplir la caisse do ia Societe.
< Mettez-vous done a l’ceuvre, continue le legislateur
* de lTIluroinisme, il Jaut (pic cos sortes d'imbeciles
« mordent a l’hamecon. Nous evitorons do leur reveler
« nos secrets, tout eu leur pcisuadant que le grade dont
« ils sont iuvestis est lc dernier de l’Ordre (2). «
Malgre toutos ces exclusions, lo champ dans iequel le
F.\ Insinuant pent exereer sou zoic est encore assez
vaste.
Les jetines gens do dix-iiuit a trentc a ns etaient tout
(1) Barhuki., Mdmoires pour servir d V his to ire du Jacobinisms. —
Ecrits oriyincU'.r, r.'formt des Italic, s.
(2) Letters de iVeisshaxpt d Ajax et ci Colon.
CH. XIV. — LES ILLUMINES ET LEURS DOCTRINES. 239
specialement signales h son attention. II ne fallait pas
non plus qu’il negligent les hommes d'un age mtir
alors surtout qu’ils pouvaient rendre des services a
rilluminisme.
Weisshaupt recommandait aux F.\ F.\ Insinuants les
peintres, les graveurs, les orfevres et jusqu’aux serru-
riers. Les libraires, les maitres d’ecoles et les maitres fie
poste etaient pareillement signales a leur zele.
II ne dedaignait pas non plus les negotiants, quel que
fut d’ailleurs le genre de commerce auquelils se livraient.
Les chanoines enfin paraissaient lui sourire, ce qui prou-
verait. dans une certaine mesure, que cette fraction du
clerge allemand n’etait pas cuirassee contre les erreurs
du jour. •
* Cherchez-moi, dit Weisshaupt a ses enroleurs, des
« jeunes gens adroits et delies. II nous faut des adeptes
« insinuants, intrigants, feconds en ressources, hardis,
« entreprenants. II nous les faut energiques, souples,
« obeissants, dociles, sociables. Cherchez-moi encore de
« ces hommes puissants, nobles, riches, savants. N’epar-
i gnez rien pour m’avoir ces gens-la. Si les cieux ne vont
* pas, faites marcher l’enfer (1). »
Weisshaupt entre dans les details les plus minutieux
au sujet des qualitds que le F.\ Insinuant doit surtout
recherche?, quand il s’agit du choix d’un adepte.
«t Toutes choses egales, fait-il observer, attachez-vous
« aux formes exterieures, aux hommes bien faits, beaux
« gar$ons. Ces gens-la ont d’ordinaire les mceurs douces,
» le cceur sensible. Quand on sail les former, ils sont
« plus propres aux uegociations. Un premier abord pre-
« vieut en leur faveur. Ils n’ont pas, sans doute, la pro-
(1) Merits originaiix , — Lettre III & Ajax.
240
PERIODE HISTORIQUE.
« fondeur des physionomies sombres ; ils ne sont pas de
« ceux qu’on peut charger d’une emeute ou du soin do
« soulever le peuple ; mais c’est pour cela aussi qu’il faut
« savoir choisir son monde. J’aime surtout ces hommes
« aux yeux pleins de leur ame, au front libre et ouvert,
« au regard eleve. Les youx, les yeux surtout, examinez-
« les bieu ; ils sout le miroir de l'ame et du cceur. Ne
« negligez pas meme, dans vos observations, le maintien,
« la demarche, la voix (1). »
Les medecins et les avocats peuvent nous etro tres
utiles, a cause de leur facilite a manier la parole. 11 faut
enfin savoir tirer parti do ceux qui ont a se plaindre des
injustices de la society a leur egard, car ils seront dispo-
ses a regarder rilluminisnie commc leur asile naturel.
Aprils que leur choix ctait fixe, les F.\ F.\ enrOlcurs
groupaient les divers renseignements qu’ils avaient pu
recueillir et les adressaient aux supericurs dc l’Ordre.
Ccux-ci faisaient une ciiquetc, (le leur cote, et se pronon-
r aicn t cn dernier ressort sur 1’admission ou le rejet des
candidats proposes.
C’est ici que la prudence de Weisshaupt se faisait
remarquer d’uue facon toute particuliore.
Le Code ne permettait pas h tons les freres d ’insinuer
les sujets qu’ils avaient proposes a l’Areopage et dont
celui-ci avait admis la candidature.
< On ne laissera, dit Barruel, ni lo jeune adepte me-
« surer ses forces avec celui qui aurait l’avantage des
« aunees ou de rcxperience, ni le simple artisan prendre
« sur lui d’amencr un magistral. II faut que le supo-
« rieur choisisse ct designe l’enrolcnr lc plus conveuable
« aux circonstances, aux merites. a rage, a la dignite,
« au talent du nouveau candidat (2j. »
(1) Ecrits origin. — Lcttrc XI d Marius at d Caton m
(2) Ecrits orUjinaux cites par Uaiuiull.
CH. XIV. — LES ILLUMINES ET LEURS DOCTRINES. 241
Ce dernier mot ne doit pas etre pris dans le sens qu’on
lui attribue d’ordinaire. On pouvait btre candidat sans
avoir temoigne le desir d’entrer dans i’Muminisme. Le
Gode donnait cette qualification k tous ceux que Weiss-
haupt jugeait A. propos de faire insinuer.
Lorsque le candidat etait un personnage instruit et
qu’il avait depasse trente ans, l’enroleur devait se pre-
senter a lui comme un liomme verse dans la connaissance
des Mysteres de l'antiquite. On lui indiquait le moyen
de le faire avec succes.
^ Qu’il mette d’abord en avant , dit Weisshaupt, le
» plaisir de savoir des choses qu’il n’est pas donne a tous
« de connaitre, de marcher entoure de Iumieres, hi oil le
« vulgaire est dans les tenebres ; qu’il est des doctrines
« uniqucment transmises par des traditions secretes ,
« parce qu’elles sont au-dessus des esprits communs.
« II citera en preuves les Gymnosophistes pour les Indes,
« les Fret res d’Isis pour l’Egypte , ceux d’Eleusis et
« l’Ecole de Pythagore pour la Grece (I). »
Weisshaupt recommandait aux Freres Insinuants de
puiser dans les auteurs anciens, tels que Ciceron, Sene-
que, et autres, un certain nombre de textes choisis avec
soin, afin de prouver a leurs interlocuteurs qu’il existe
une doctrine secrete, dont le but est de rendre la vie
plus agreable et la mort moins penible. Ils devaient
ensuite faire remarquer, mais sans trop d’insistance, que
grace aux querelles theologiques des religions revelees,
l’homme ne sait rien sur la nature de l’ame et son
immortality.
Lorsque le Frere lnsinuant s’apercevra, ajoutait Weiss-
haupt, que ce sujct iuteresse le candidat, il lui domandera
s’il ne serait pas bien aise d’etre eclaire. Puis il laissera
(1) Ecrits original'#,
F.\ M.‘.
id
242
PERIODE HISTORIQUE.
entendre qu’il a ete initi6 a une doctrine secrete qui Ie
satisfait complement.
Une conversation de ce genre, adroitement conduite,
ne pouvait manquer de piquer la curiosite du candidat.
Le Frere lnsinuant cherchait alors a connaitre ses opi-
nions politiques et religieuses , pour s’assurer qu’il
ne refuserait pas, le moment venu, de marcher dans
la voie qui lui serait tracee. Si le resultat de cette
enquete n’etait pas satisfaisant, les choses en restaient
la. Si, au contraire, le nouvel adepte professait des idecs
quelque peu conformcs aux tendances de l’llluminisme,
le Frere lnsinuant le conduisait jusqu’a la porte des
Mysteres.
Quand il s’agissait d’onroler des jeunes gens, les ins-
tructions de Weisshaupt 6taient remarquables d’habi-
lete.
« Que votrc premier soin, dit-il a ses enroleurs, soit de
« gagnor l’amour. la confiance, l’estimo des sujets que
« vous etos charges d’acquerir a l’Ordre. Comportez-vous
« en tout do maniere a faire soupgonner qu’il est dans
« vous quelque chose de plus que vous n’en laissez voir;
« que vous tenez a quelque societe secrete et puissante;
« excitez dans votre candidat, non pas tout a coup, mais
« peu a peu, le desir d’etre admis dans une society de ce
« genre. Vous recourrez, pour inspirer ce desir, a cer-
€ tains raisonnements et a certains livres appropries au
* sujet. n
Ici Weisshaupt indiquait les ouvrages qui lui parais-
saient les plus propres a aider le Frere lnsinuant dans sa
mission. Puis il ajoutait :
« On montre, par exemple, afln de prouver 1’utilite des
« societes secretes, un enfant auberceau: on parle deses
« cris, de ses pleurs, de sa faiblesse; on fait observer
CH. XIV. — LES ILLUMINES ET LEURS DOCTRINES. 343
« combien cet enfant, qui, reduit & iui-mSme, est dans
« une impuissance absolue, peut acquerir de force avec
» le secours des autres. — On a soin de dire que toute
* la grandeur des princes derive de l’accord de leurs
t sujets. On exalte les avantages de la socidtesur l’isole-
« ment; on en vient a l’art de connaitre et de diriger les
c homines (1). »
Apres avoir fait l’eloge de la societe en general, le Frere
Insmuant s’attachait a discrediter les societes civiles. Ces
dernieres, au lieu de proteger l’individu, le delaissent
ou le persecuted. Le pouvoir n’est plus une force que
l’homme doit benir, mais un ennemi acharne qu’il est
tenu de combattre.
Si les citoyens d’un inline pays s’unissaient entre eux
et se pretaient un mutuel appui, tous les abus dispa-
raitraient comine par enchantement.
C’est en recourant a ce inoyen, dont on semble ne plus
comprendre la puissance, que les castes sacerdotales de
l’antiquite pai'enne etaient devenues preponderantes.
C’est par la aussi que les Jesuites ont exerce sur le
monde une si redoutable influence.
Le Frere Insinuant laissait alors entendre a son eleve
qu’une organisation de ce genre existaitdejaquclquepart,
et qu’il lui serait possible d’en faire partie.
Le candidat resistait difflcilement aux pi^ges qui lui
etaient tendus.
II y avait d’ailleurs quelque danger & tromper l'attente
du Frere Insmuant.
* Malheureux, et doublement malheureux, le jeunc
« homme que les Illumines ont en vain essaye d’entrainer
« dans leur secte ! S’il echappe a leurs pieges, qu'il ne se
« flatte pas au moins d’echapper a leur haiue, et qu’il se
(1) Ecrits original'#.
244
PJiRIODE HISTORIQUE.
€ cache bien ; ce n’est pas une vengeance commune que
« celle des societes secretes. C’est le feu souterrain de la
« rage. Elle est irreconcilable, rarement cesse-t-elle de
* poursuivre ses victimes, jusqu’a ce qu’elle ait eu le
« plaisir de les voir immolees (1). »
A ceux qui trouveraient exagerees ces paroles d'Hoff-
mann, jc ferai observer que le Code de la secte est formel
sur ce point.
On y lit que lorsqu’un candidat qui pourrait etre utile
a rOrdrc refuse d’y cntrer, il faut chercher a le perdre
dans 1’opinion publique.
Qtiand le Frere lnsinuant avait reussi dans ses de-
marches, il parlait a pep. pres ainsi i son disciple :
« Le silence et le secret sont l’ame de l’Ordre. Vous
« observerez l'un et l’autre, aupres de ceux memes que
« vous pourriez soupconner aujouvd’hui etre nos freres, et
< aupres de ceux qui vous seront connus dans la suite;
« vous reyarderez comme un principe constant parmi
< nous quo la franchise n’est une vertu qu’aupres des
« Suporieurs ; la mefiance et la reserve sont la pierre
« fondamentale de notre societe. Vous lie direz a personne,
« ni maintenant ni dans la suite, la moindre circonstance
« de votre entree dans l’Ordre, pas meme de quel grade
« vous pourrez etre, ou en quel temps vous aurez ete
« admis. En un mot, vous ne parleroz jamais, devant les
« Freres memes, des objets relatifs a l’Ordre, a moins
« d'uno vraie necessity (2). »
Apres cet avertissemeut, le Frere enroleur exigera que
le novice signe l’engagement que voici :
• Moi soussigne, promets en tout Uonneur et sans au-
(1) Hoffmann, A vis important, tome II, preface.
(2) Ecrits originaux , statuts.
CH. XXV. — LES ILLUMINES ET LEURS DOCTRINES. ,>45
* cune restriction, de ne jamais devoiler par paroles, par
« signes, par gestes, en aucune maniere possible, k
« quelque personne que ce soit, a mes parents, allies ou
« amis les plus intimes, rien de ce qui me sera confie par
« mon introducteur, relativement k mon entree dans une
« Societe secrete, soit que ma reception dans cette societe
« ait lieu ou n’ait pas lieu. Je m’engage & ce secret d’au*
« tant plus volontiers, que mon introducteur m’assure
« que dans la Societe en question il ne se passe rien de
» contraire a l’Etat, a la Religion et aux moeurs. Quant
t aux Merits qui me seront remis, et aux lettres que je
« recevrai sur le meme sujet, je m’engage a les rendre
« apres en avoir fait pour moi seul les extraits .ueces-
* saires (1). »
Ces divers Merits dtaient communiques au candidat et
avec une extreme precaution. Lorsqu’un societaire tom-
bait malade, ses amis allaient le visiter, non seulement
pour lui temoigner leur amitie, mais aussi pour faire
disparaltre tous les papiors compromettants.
Par une precaution qui revele chez Weisshaupt une
organisateur extremeinent remarquable, il avait ete sta-
tue que les diverses sections de l’Ordre porteraient des
noms differents, de telle sorte qu’une Loge pourrait etre
l'objet de poursuites administratives ou judiciaires. sans
que le reste de la Societe so trouvat compromis.
Weisshaupt ne s’dtait pas borne & imaginer cinq ou six
alphabets differents, afln de correspondre en toute secu-
rity avec ses adeptes. Il avait, de plus, compose un dic-
tionnaire special incomprehensible pour les profanes.
Les noms de pays etaient changes, de maniere a derou-
ter les plus fins limiers de la police. La Baviere portait le
nom AVI chale. L’Autriche s’appelait YEqypte. Au lieu de
Souabe, de Franconie et de Tyrol, lisez : Pannonie, lily •
(1) Ecrits originav.ee .
246
PERI0DE HJSTORIQTJE.
rie, Peloponese. Munich se transforme en Athenes; Ins-
pruck, en Samos ; Bamberg, en Antioche; Vienne, en
Rome; Wurtzbourg, en Carthage; Francfort, en Thebes ;
Ingolstadt, en Ephese pour le eommun des inities et en
Eleusis pour les adeptes des hauts grades.
Weisshaupt adopta une ere nouvelle et changea les
noms des mois. II fut, sous ce rapport comme sous beau-
coup d’autres, le precurseur des Jacobins.
11 etait defendu aux adeptes d’ecrire le nom de leur
Ordre, nom sacre qui ne devait pas tomber sous les yeux
des profanes. 11s le designaient sous la forme d’un cercle
ayant un point a son centre.
Les statuts <]uc l’on faisait passer sous les yeux du
Novice etaient a peu pros irreprochables. Le nouvel adepte
croyait sincerement, apivs avoir lu ces pages dictees par
l’hypocrisie, quo rilluminismo n’avait qu’un seal but,
celui de travailler a la perfection morale de ses membres.
Puis, au bout de quelques jours, lo Frere Insinuant lui
apprenait l’art de dissimuler. mais en lui demontrant
quo la dissimulation est- inseparable de la sagesse.
Pnrmi les ouvrages que l’on mettait a sa disposition,
et qu’on I’engageait a lire et a mediter, se trouvaient
ceux d'Epictete. Senegue, Plutarque, etc. On voulait ainsi
lui faire admirer, aux lieu et place de la morale evange-
liquc. la philosophie du paganisme, et le detacher peu a
peu dos croyauces <le sa jeuncsse.
Le Frere Insinuant devait enfin lui persuader que la
connaissance du coeur humaiu est une science de pre-
mier ordre. Une fois imbu de ce principe, le Novice
observait les personues de son entourage et consignait
cliaque jour, dans une sorte de journal, les remarques
qu’il avait faites.
Cct exercico avait une double utilite. Le Novice s’ins-
truisait, et l’Ordre recueillait une serie d’informations
que Weisshaupt et son Areopage utilisaient avec soin
dans l’interet do la secte.
CH. XIV. — LES ILLUMINES ET LEURS DOCTRINES. 247
Pendant que le Novice dtudiait les hommes avec les-
quels il etait en relation, soil instituteur l’analysait lui-
meme avec un soin meticuleux, notant le fort et le faible
de son eleve et transmettant ses observations aux supd-
rieurs de l’Ordre.
Les Illumines exigeaient surtout de leurs adeptes une
obeissance aveugle, absolue.
« Notre societe, lisons-nous dans le Code de la secte,
« exige de ses membres le sacrifice de leur liberte, non
« pas sur toute chose, mais sur tout ce qui pent lui fact •
« liter le mor/en cl'arriver d son but. Or, la presomption,
« quand il s’agit d’apprecier la moralite des actes qu’elle
« prescrit, doit toujours dtre en faveur des ordres donnds
« par les supdrieurs. Ils sont plus clairvoyants sur cet
« objet, ils le connaissent mieux et c’est pour cela qu’ils
« sont coristituds supdrieurs. Ils ont reQU mission de
t conduire leurs subordonnes a travers les tenebres ; et
« ici l’obeissance n’est pas seulement un devoir, elle est
« encore un acte de reconnaissance de la part des subor-
« (ionnes (1). »
Afln que la promesse d’obeir ne ffit pas une vaine pro-
messe de la part des inities, Weisshaupt s’etait arrangd
de fagon h connaitre en detail tout ce qui avait trait, de
pres ou de loin, dans le passe et dans le prdsent, a leur
vie privee et publique. Les supdrieurs cherchaient &
decouvrir jusqu’aux secrets les plus intimes de leurs
families. Les adeptes appartenaient done a l’Areopage de
Weisshaupt comme l’esclave appartient a son maitre.
Quand lo novice etait admis aux dernieres epreuves,on
lui posait une sdrie de questions dont mes lecteurs pour-
ront apprccier la portee. Je me borne a reproduire les
principales :
(1) Reforme des statute. — Le i-irit. III. — Statuts gen ir.
248
PERIODE HISTOIUQUE.
« 1” Etes-vous encore dans l’intention de vous faire
* recevoir dans l’Ordre des Illumines ?
* 2° Avez-vous bleu inurement pese la gravito de votre
f demarche, en prcnant des engagements que vous ne
« connaissez pas ?
« ;>° Quels sont les motifs qui vous poussent a venir
« parmi nous?
« 4° Auriez-vous egalement ce desir si vous appreniez
« que 1’Ordre ne vous offre d’ autre avantage que celui de
« de venir plus parfait?
« 5° Que feriez-vous si rilluniinisme ne datait que
« d’hier ?
« G° Si vous veniez a decouvrir dans l’Ordre quelque
<t chose de mauvais ou d’injuste a faire. quel parti
« prendriez-vous ?
« 7° Youlez-vous et pouvez-vous regarder le hien de
« notre Ordre cornme Io votre memo ?
« 8° II est bon que vous le sachiez. les membres qui
t entrent dans la societe, sans autre motif quo l’espoir
« d’acquerir de la puissance, de la grandeur, de la consi-
* deration, ne sont pas ceux que nous aimons le plus.
« Savez-vous tout cela ?
« 9° Vous sentez-vous capable d’aimer tous les mem-
« bres de l’Ordre, sans en excepter les ennemis per-
i sonnels que vous pourriez y reucoutrer ?
n 10° S’il amvait que vous dussiez faire du bien a ces
« ennemis, qu'il full ut les recommander, les exalter, y
« sericz-vous dispose ?
« 11° Au surplus, tlonnez-vous a notre Ordre ou
« Societe le droit de vie ou de mart? Sur quoi vous
* appuyez-vous pour lui donner ou lui refuser ce droit ?
« 12° Etes-vous dispose a donner, en toute occasion,
« aux membres de notre Ordre la preference sur les
« autres hommes ?
« 13° A quel genre de vengeance voudriez-vous recou-
« rir, si vous cticz victime d’unc injustice, grande ou
cn. XIV. — LES ILLUMINES ET LEURS DOCTRINES. 249
< petite, de la part soit d’un frere soit d’un etranger ?
* 14° Quelle serait votre conduite si jamais vous
« regrettiez d’etre entre dans notre Ordre?
« 15° Youlez-vous partager avec nous hettr et malheur ?
« 1G° Etes-vous determine a no jamais vous servir de
« votre naissance, de vos emplois, de votre puissance au
« mepris ou au prejudice de vos freres ?
« 17° Etes-vous membre d’une autre Societe, ou songez-
« vous a le devenir?
« 18° Est-ce par legerete ou bien dans l’espoir de con-
« naitre la constitution de l’Ordre que vous faites les
« promesses qui sont exigees de vous ?
i 19° Etes-vous decide a suivre fidelement nos lois?
« 20° Ko»s engagez~vous d une obeisscince absofue, sans
a reserve? El savez-vous la force de cet engagement ?
t 21° N’y a-t-il aucune crainte qui puisse vous detour-
a ner d’entrer dans notre Ordre ?
« 22° Voulez-vous, dans le cas qu’on en ait besoin,
« travailler a la propagation de l’Ordre, l’assister de vos
a conseils, de votre argent et de tous vos moyens ?
« 23° 3oupconniez-vous que vous auriez ft repondre &
a quelques-unes de .ces questions ?
a 24° Quelle garantie nous donnez-vous de la sincerite
a de vos promesses ? A quelle peine vous soumettez-vous
« si vous y manquez (1) ? »
L’ aspirant devait repondre par ecrit a chacune de ces
questions.
Lorsque le moment de l’admission etait arrive, on le
conduisait, le soir, dans une chambre a peine eclairee.
Le Frere Insinuant l’accompagnait seul. Deux hommes
attendaient silcncieux que ce dernier le leur presentat,
l’un debout, l’attitude severe, ct l’autrc pret a ecrire le
proces-verbal de reception. L’luitiant faisait subir au
(1) Ecrits original* x. — Protocole de la reception de deux novices *
250
PiRIODE HISTOPvIQOE.
recipiendaire un nouvel examen. Puis ce dernier 6tait
conduit dans la salle des reflexions, ou on le laissait
pendant assez longtemps plonge dans une obscurite
profonde.
Enfin l’lntroducteur, qui n’etait autre que le Frere
Insinuant, le ramenait en presence des deux dignitaires
de l’Ordre, et so portait garant dos bonnes dispositions
de son protege.
L’Initiant disait alors au Novice :
« Votre ddsir est juste. Au uora del’Ordre serenissime
« dont je tiens mes pouvoirs, ct au nom de tous ses
i membres, je vous promets protection, justice et
« secours. »
II prenait ensuite une epee, en presentait la pointe au
cceur du recipiendaire et continuait ainsi :
« Si tu n’etais qu’un traitro et un parjure, il est bon
# que tu le saches, tous nos freres seront appeles k
• s’anncr contre toi. No comptepas echapperou trouver
« un lieu dc surete. Quelque part que tu sois, la iionte,
« ies remords de ton cosur et la rage de nos freres incon-
« uus te poursuivront, te tourmenteront sans repos ni
« treve. »
L’Initiant replaoait son 6pee sur la table et- pourSuivait
en ces termes :
« Mais si vous porsistoz dans le dessein d’etre admis
« dans notre Ordro, prdtez le serment qui vous est
« demande. »
Le Novice prononeait alors posement, gravement, la
formule suivante :
CH. XIV. — LES ILLUMINES ET LETJRS DOCTRINES. 251
* En presence du Dieu Tout-Puissant, et devant vous,
« plenipotentiaires du tres haut et tres excellent Ordre
< dans lequel je demande a etre admis, je reconnais ici
« toute ma faiblesse naturelle et toute l’insuflisance de
« mes forces. Je confesse que, malgr£ tous les privileges
« durang, des honneurs, destitres, des richesses que je
« pourrais avoir dans la societe civile, je ne suis qu’un
« hommecomme les autres; que je puis perdre tout cela
< par le fait de mes semblables, comme je l’ai acquis,
« grace a eux ; que j’ai un besoin absolu de leur agre-
* ment, de leur estime, et que je dois faire tout ce qui
« dependra de moi pour les meriter. Jamais je n’em-
« ploierai au desavantage du bien general ou la puissance
« ou la consideration dont je puis jouir. Je resisterai, au
« contraire, de toutes mes forces aux ennemis du genre
« Jmmain et de la society civile. »
Si on avait dit au nouvel initie, apres la cere-
monie de reception, que l’llluminisme etait une secte
subversive de tout ordre social, il n’aurait pas manque
de protester. N’avait-il pas fait le serment solennel de
defendre la societe civile contre les altaques dont elle
pourrait etre l’objet?
Apres avoir enchaine sa liberte d’une maniere plus ou
moins vague, le recipiendaire entrait dans le detail des
engagements qu’il venait de prendre, et finissait ainsi :
« Je renonce, dans ces promesses, & toute restriction
« secrete, et m’engage a les remplir toutes, suivant le
« sens naturel des mots, et suivant celui que la Societe
€ y attache , en me prescrivant ce serment, Ainsi Dieu
« mesoit en aide (1)1 »
Le Novice await pu se demander quel sens les sup^-
(1) Ecrits oriyinauce.
252
PERIODE HISTORIQUE.
rieurs de l'llluminisme donnaient aux mots qu’on lui
mettait dans la bouehe, en dehors de celui que leur attri-
bue le genie de la langue allemande. II etait raalheu-
reusement trop tard pour se poser une question de ce
genre. La ceremonie de l’initiation terminee, le nouvel
adepte apposait sa signature au has du serment qu’il
venait de prononcer. Puis on le mettait en relation avec
cenx d’entre les societaires qui avaient rec-u le meme
grade que lui et reconnaissaient le meme superieur.
Apres sa reception, le Novice prenait le titre de Miner*
val, on frere de Minerve.
Ceux qui faisaiont partie de cette classe devaient s’oc-
cuper d’ctndes litteraires et scientifiques. Ils formaient
une espece d’academie oti on lisait, en les commentant,
la Bible, les ceuvres de Confucius, de Marc-Aurele, de
Ciceron, etc. Ccsouvrages etaient places surlepied d’ega-
lite. Le president professait la meme eslinie pour les
Merits de Platon que pour les Evangiles. Cette tactique
avait pour but d’enlever tout prestige aux Livres inspi-
res, sans recourir a des attaques directes, que les nou-
veaux initios auraient pu ne pas trouver de leur gofit.
Le president de 1’academie appartenait toujours aux
rangs les plus eleves de l’Ordro. II avait pour mission
de preparer les Minervains ii recevoir le troisieme grade,
qui etait celui d’lllumine mineur.
Pour donner une idee a pou pres exacte de cette prepa-
ration, citons un des themes que l’on proposait auxcoin-
mentaires des adoptes :
« II est assurement dans ce monde, lisons-nous dans
« les Ecrils oriqhmtx de la Secte, des debts generaux,
« auxquels le sage et 1 honnete homme voudraient met! re
« unterme. Quand nous considerons que chaque homme,
< dans ce monde si beau, pourrait litre heureux, mais
« que notre honheur est souvent trouble par le malheur
« des uns, par la inechnmcte et par l’erreur des antres ;
CH. XIV. — LES ILLUMINES ET LEURS DOCTRINES. 253
t que les mechants ont la puissance sur les bons ; que
« V opposition ou l' insurrection privee est ici inutile ; que
« la peine tombe presque toujours sur 1’homme de bien ;
< alors s’dleve naturellement le desir de voir se former
« une association d'hommes a l'ame forte et noble, ca-
t pables de resister aux mechants, d’aider les bons, de
« se procurer a eux-memes le repos, le contentement, la
« surete; de produire tous ces effets par des moyens
« fondes sur le plus haut degre des forces de la nature
« humaine. Un pareil objet, dans une societe secrete, ne
« seraitpas seulement le plus innocent, il serait leplus
« digne de l’homme sage et bien pensant. »
On voit que l’amour de la society civile commence &
se refroidir dans le cceur du Minervaiu, et tout fait sup-
poser que rillumine mineur ne tardera pas a oublier le
serment du Novice.
Les instructions donnGes par Weisshaupt aux presi-
dents d'academie revelent dans leur auteur une parfaite
connaissance du cceur humain.
Ayez assidument les yeux sur chacun des Freres con-
lies a vos soins. Observez-les surtout dans les circons-
tances ou ils sont tentes d’etre ce qu’ils ne doivent pas
etre. Etudiez-les aussi alors qu’ils croient n’etre l’objet
d’aucune surveillance et vous les verrez tels qu’ils sont
reellement.
Meflez-vous des homines qui brillentpar leurs discours.
II nous faut des actes et non des paroles. N’ayez qu’une
confiance mediocre en ceux qui sont riches ou puissants.
Leur conversion est toujours lente et rarement sin-
cere.
Lisez avec vos eleves des livres faciles a comprendre
et riches en images. Parlez-leur beaucoup, et que vos
discours partent du cceur.
Excitez en eux l’amour du but. Peignez-leur vivement
les miseres du monde. Ne vous bornez pas k leur dire
254 PfiRIODE HISTORTQOE.
ce que les hommes sont, dites-leur aussi ce qu’ils
devraient 6tre.
On peut tout faire de 1’espece humaine, quand on sait
tirer parti de ses penchants.
Formez-les k 1’ esprit d’observation . Faites-leur des
questions sur l’art de connaitre les hommes, malgre leur
dissimulation. N’hesitez pas a trouver leurs rdponses
meilleures que les votres, afin de les encourager, tout en
ayant soin de rectifier adroitement ce qu’ils ontpulaisser
echapper d’ inexact.
N’exigez pas trop d’eux. II faut etre patient.
Si l’education a seme dans le coeur et l’esprit de vos
Aleves des principes qui ne valent rien pour nous, affai-
blissez peu a peu ces convictions dangereuses, et rempla-
cez-les par d’autres.
Voyez ce que les religions, les sectes, la politique font
faire aux hommes. On peut lour inspirer de l’enthou-
siasme pour des folies.
* Ayez soin encore de saisir le moment ou votre elfrve
« est m^content de ce monde, ou rien ne va selon son
« coeur; oule plus puissant m6me sent le besoin qu’il
« a des autres pour arriver a un meilleur ordre de choses.
« C’est alors qu’il faut presser ce cceur sensible, surveil-
t ler sa sensibilite, et lui montrer combien les societes
* secretes sont necessaires pour arriver a, un meilleur
« ordre de choses (1). »
Ne croyoz pas trop aisement a la duree de ces bons
mouvements. L’indignation peut etre le resultat d’une
craintc, d’un espoir passager, ou d’une passion a satis-
faire. II faut que vous arriviez a transformer ces impres-
sions fugitives on un etat habituel de l’Ame.
Quaud l’adopte avait ete convenablement travaillc par
( 1 ) Ecrits orirjhvjux.
CH. XIV. — LES ILLUMINES ET LEURS DOCTRINES. 255
son superieur imm6diat, on le presentait au grade d’lllu-
mine majeur.
Avant de recevoir cette nouvelle initiation, il devait
repondre d’une manure satisfaisante aux questions que
voici :
1° t Connaissez-vous quelque societe qui repose sur
« une initiation meilleure que la notre, et qui tende, par
« des moyens plus surs et plus prompts, au but que
« nous avons en vue 7
2° « Est-ce pour satisfaire votre curiosity, que vous
« etes entre chez nous, ou Lien pour concourir, avec lelite
* des hommes, au bonheur general ?
3° « Ce que vous connaissez de nos lois vous a-t-il
* satisfait? Voulez-vous travailler d’apres notre plan,
t ou bien avez-vous quelque objection a nous opposer ?
4° « Comme il n’y aura plus de milieu pour vous, de-
« clarez en ce moment si vous voulez nous quitter ou
« nousrester attache pour toujours ?
5° « Etes-vous membre d’une autre society ?
6° « Cette societe exige-t-elle des choses contraires a
« nos interets, comme de lui decouvrir nos secrets ou
* bien de travailler uniquement pour elle ?
7° t Si l’on demandait cela de vous, quelle serait votre
« conduite ? »
Ces questions n’etaient ni trop indiscretes ni trop
embarrassantes ; mais elles ne tardaient pas a se com-
pliquer d’une faQon aussi desagreable qu’inattendue. On
avertissait, en effet, le candidat qu’il devait joindre a ses
reponses une confession generale de sa vie. Et afin que la
dissimulation ne put alterer en rien la sincerite de ses
aveux , on lui donnait communication des renseigne-
ments recueillis sur son compte. Il s’apercevait alors que
rien n’avait echappe aux investigations de ses supe-
rieurs.
256 PfiTUODE HISTOKIQUE.
L’adepte se resignait done a faire tout que l’on exigeait
de lui.
A partir de ce moment, il devenait l’esclave de lasecte,
pour Iaquelle il ne pouvait plus avoir de secret.
La partie du code de l’llluminisme qui concerne les
Freres Scrutateurs pourrait etre intitulee : Le Guide du
; parfait espion.
« Je ne sais, dit Barruel, ou Wcisshaupt a pu prendre
« tout cela ; mais qu’on imagine line serie au moins de
« quin/e cents questions sur la vie, 1’ education, le corps,
« l ame, le coeur, la sante, les passions, les inclinations,
t les connaissances, les relations, les opinions, le loge-
« mont, les habits, les couleurs favorites des candidats;
« sur ses parents, ses amis, ses ennemis, sa conduite,
« ses discours, sa demarche, ses gestes, son langage, ses
« prejuges, ses fai blesses; en un mot des questions sur
« tout ce qui pout faire connaitre la vie, lc caractere
« politique, moral, religieux, 1'intericur, l’extericur d’un
« hommo, et tout ce qu’il a fait, dit ou pense, et tout ce
« qu’il ferait, dirait ou penserait dans u;io circonstanco
« quelconque : qu’on imagine encore sur chacun de ces
« articles, vingt , trente, et quelquefois cent questions
« diverses, toutes plus profondes les unes que les autres.
1 Tel est le catechisme auquel 1'Illumine majeur doit
« savoir repondre, et sur lequel il doit se diriger pour
« tracer la vie et tout lc caractere des Freres, ou bien
« memo des profanes qu’il importe a l’Ordre de connai-
« trc. Tel est le Code scrutateur sur lequel la vie du can-
« didat doit avoir ete tracee, avant qu’il ne soit admis au
« grade d’lllumine majeur. Ce code est appele aussi dans
« les Statuts de 1'Ordre : Nosce teipsum, connais-toi toi-
< meme. Co meme mot sert a ce grade de mot du guet ;
< mais lorsqu’un Frere le prononce, l’autre repond :
* Nosce alios, connais les autres; cctte reponse exprime
c beaucoup mieuxl’objet d’un Code de ce genre (1). »
(]) Barruel, Mdatoires pour servir d Vhisloire du Jacobinisme .
CH. XIV. — LES ILLUMINES ET LEURS DOCTRINES. 257
Weisshaupt exigeait des Freres Scrutateurs qu’ils sui-
vissent le candidat au grade d’lllumine majeur jusque
dans son sommeil. II fallait qu’ils pussent dire s’il 6ta.it
dormear, s’il revait et s’il parlait tout haul en rev ant ;
s’il etait facile on difficile a re'veiller, et quelle impression
faisait sur lui un reveil subit, force, inattendu.
Le ceremonial de l’initiation dtait caique en partie sur
le rituel maconnique alors en usage. Weisshaupt avait
toutefois ajoute certains details caracteristiques aux chi-
noiseries plus ou moins lugubres qui accompagnaient,
dans les Loges de la Ma^onnerie, la reception des
adeptes.
Apres avoir introduit le postulant dans une chambre
obscure, on lui faisait renouveler le serment de ne
jamais reveler quoi que ce fdt de ce qu’il apprendrait
relativemenl a l’Ordre. Puis, il remettait a sou introduc-
teur l’histoire cachetSe de sa vie. Cette piece etait lue
dans la Loge et comparee avec le portrait que les Freres
avaieut trace du recipiendaire. Cela fait, l’lntroducteur
revenait aupres de l’adepte, le felicitait de la preuve de
confiance qu’il venait de donner a l’Ordre, lui mettait
sous les yeux le tableau que les Scrutateurs avaient fait
de lui, de ses godts, de ses passions, de tout ce qui le
concernait en un mot, et ajoutait : « Lisez, et repondez
« cnsuite si vous continuez a vouloir etre d’une society
< qui, tel que vous etes la, vous tend encore les bras. »
Cela dit, l’lntroducteur se retirait, laissant l’adepte &
ses propres reflexions.
On le conduisait ensuite a la Loge, oil l’lnitiant lui
adressait un discours et diverses questions, dans le but
de lui faire comprendre que la societe civile avait
besoin de reformes radicales. Ne trouvez-vous pas, lui
demandait-il , que, dans le monde, la vertu n’est pas
recompensee, tandis que le vice triomphe? Ne vous
semble-t-il pas que les mechants sontplus heurenx, plus
consideres, plus puissants que riionuete hoimne ? Ne
f.-. m.-.
17
258
rfiRIODE HISTORIQUE.
seriez-vous pas cVavis de grouper les bons. de les unir
Stvoiteme nt, afin de les rendre phis forts que les m6-
chaiits? Nc croyez-vous pas quo votre devoir sera tou-
jours de procurer a vos amis tons les avantages exterieurs
dontvous pourrez disposer, Ie cas echeant?
Chaque inois, les socictaires devaieat donner avis aux
superieurs des emplois et dignitcs auxquels il etait pos-
sible de faire arrivcr les membres de la secte. Le reci-
pienduiro s’eugageait a ne jamais s’ecarter de cette regie
dc condiiite.
Dans son discours, 1’Initiant avait soin de faire observer
au nouvcl adept© que les princes et les pretres opposaient
aux projets de reforme que l’Ordre avait en vue une
resistance interessce. Faut-il, ajoutait 1'orateur, triom-
pher par la violence de leur mauvais vouloir ? Non.
Appliquons-nous a leur licr pen a peu les mains et a les
gouverner sans qu’ils s’en doutont. Rasscmblons autour
des souverains une legion d’hommes infatigables , qui
les dirigeront suivant le plan de I’Ordro, pour lo bonheur
de 1’humanite. Nos Frores doivent se soutenir mutuclle*
incnt, et s’emparer, quand ils le peuvent, de toutes les
places qui donnent de la puissance.
Cc que Weisshaupt appelait lo grade de Chevalier
ccossais de l’llluminisme etait emprunte a la Maco li-
ne lie.
Le jour cle la reception, l’Aspirant pronongait, en pre-
sence des Chevaliers reunis, un sennent que je reproduis
en entier :
« Jo promets obeissance aux tres excellents superieurs
« de l'Ordre. — Autant qu’il dependra de moi, je m’en-
« gage ii ne favoriscr l’admission d’aucun indigne aux
« grades saints; a faire triompher I’ancimne Franc-
• Mncnnnrric de tons les faux systemes qui s’y sont
t introduits; it assister, en vrai chevalier, l’innocence,
« la pauvrete et tout honnete liomme inalheureux ;
CH. XIV. — LES ILLUMINES ET LEURS DOCTRINES. 259
* a n’etre jamais flatteur des grands ou esclave des
« princes ; a combattre couvageusement, mais prudem-
« ment, pour la vertu. la liberte et la sagesse ; a resister
t fortement, pour l’avantage de l’Ordre et dn monde, a la
« superstilioti et au despotisme. Jamais je ne prefererai
« mon interet personnel au bien general. Je defendrai
« mes Freres coutre la calomnie. Je me consacrerai a
« decouvrir la vraie religion et la doctrine de la Franc -
« Maconnerie et je ferai part a mes supdrieurs de mes
« decouverles. Je leur ouvrirai mon coeur comme ii mes
« vrais amis. Tant que je serai dans l’Ordre, je regardc*
« rai le bonbeur d’en etre membre comme raa supreme
« felicite. Au reste. je m’engage a tenir pour saints mes
« devoirs domestiques. sociaux ct civils. Ainsi Uieu me
« soit en aide (1) I »
L’Initiant, dans les avis qu’il donne au nouveau Cheva-
lier. repete a diverses reprises que les pretres et les
princes sont les ennemis de rhumanite, et qu’il fautles
combattre sans relache. On voit que la fameuse for-
mule : le clericalisme, voild I'ennemi ! n’est pas preci-
sement nouvelle.
Puis il lui fait connaltre en detail les devoirs qui
concerneut les Chevaliers ecossais.
« Les adeptes qui font partie de ce grade, lui dit-il,
t doivent chercher des plans propres a augmenter
« la caisse de l’Ordre; il est a souliaiter qu’ils trouvent
« moyen de nous mettre en possession de revenus cousi-
* derabies dans leurs provinces. Celui d'entre eux qui
« aura rendu ce service a la Societe ne doit pas hesiter
« a croirc qu’il sera fait de ces ricliesses un usage
« convenable. Tous doivent travailler energiquement &
(1) Series originaux, sect. 7.
260
PKRIODE HISTORIQTJE.
« consolider l’edificedans leur district, jusqu’a ce que les
« fonds de l’Ordre se trouvent sufiisants (1). »
Les Chevaliers ecossais avaient, en outre, pour mission
de correspomlre avec les directours des ecoles miner-
vales, et de designer les Frercs dont il fall ait hater ou
retarder la promotion. Ils devaient enfiii rappeler anx
Illumines majeurs l’engagement qu'ils avaient pris de
signaler aux superieurs de l’Ordre les emplois vacants
qui etaicnt ti donner.
L’adepte Knigge, que je ferai bientot connaitre a mes
lecteurs, consiclerait ce dernier point comme tres impor-
tant :
« Supposons, disait-il, qu’un prince ayantpourministre
« un Illumine, Ini demande quel sujet sera propre a tel
« ou tel emploi, ce ministre pourra sur-le-cliamp pre-
« sentcr un portrait fidele de divers personnages, parmi
« lesquels il lie rest ora an prince qua clioisir (2). »
Pour se rendre exactement coinpte du motif qui avait
pousse Weisshaupt iiintroduire des grades magonniques
dans rilluininisme, il faut lire sa troisieme instruction
aux Clievaliers ecossais.
« Pans chaque ville tant soit peu considerable de lcnr
« district, dit-il, les Cliapitres secrets ctabliront des Loges
« maconniques des trois grades ordiuaires. Ils feront
« recevoir dans cos Logos des homines de bonnes moeurs,
« jouissant de la consideration publiquoet d'uue fortune
« aiseo. Ces hommes-la doivcnt etre recherclies et re<;us
* Francs-Mugons. »
Voila qui est deja suffisammeut clair. Mais Weiss-
ill Merits m-ifjintufj'i l r * Instruct.
(?) Merits origin* ux.
CH. XIV. — LES ILLUMINES ET LEURS DOCTRINES. 2G1
haupt. qui a coutume d’apporter dans les avis qu’il donne
a ses adeptes la plus grande precision, ajoute imme-
diate ment apres :
c S'il se trouvedeja une Loge magonnique ordinaire dans
t ces villes, les Chevaliers de rilluminisme essaieront
« d’en etablir une plus legitime; ou du moins n’epargne
« roiit-ils rien pour obtenir la preponderance dans celles
« qu’ils trouveront etablies, ou pour les reformer ou pour
t les faire sauter. *
Weisshaupt entre ensuite dans les details les plus mi-
nutieux sur la maniere dont ses adeptes devront proceder
a l’egard des candidats qu’ils recruteront dans la Ma<;on-
nerie.
« Nos Chevaliers Gcossais, poursuit-il, auront soin que
« tout se fasse regulierement dans les Loges subordon-
« nces. Leur principale attention sera la preparation des
« candidats. C’est ici qu’il faut. entre deux yeux, montrer
« a son homme qu’on le connait bien. Embarrassez-le
« par des questions captieuses, afin de voir s’il a de la
« presence d’esprit. Est-il pen ferine dans ses principes,
« montre-t-il son cote faible ? Faites-lui sentir combien il
<: lui manque encore de choses et le besoin qu’il a d’etre
t couduit par nous (1). »
Weisshaupt veut, en particular, que le depute maitre
des Loges soit toujours Illumine, parcc qu’il est charge
de la revision des comptes, et qu’il pourra employer les
revenus de laMagonnerie suivantle but de l’llluminisme.
La seule chose qu'il recommande a ses inities, c’est de ne
pas entamer le capital dos caisses magonniques, non pas
que le crime soit pendable a ses yeux, mais parce que cet
(1) Ecrits original'#.
262
JPERIODE HISTORIQUE.
argent servira plus tard a aider les Illumines dans leurs
grandes entreprises. * - . v -
Aprt-s le grade de Chevalier ecossais, venaient les
Petits Mysteres, qui comprenaient le grade de Prelre ou
d’Epopte et celui de Regent ou Priuce-Illumine.
II semblerait. d’apres ce que j’ai dit a propos des grades
precedents, que Woisshaupt pouvait sans erainte reveler
au candidat tout ce qui constituait le fond meme de sa
doctrine.
Mais le sectaire ne le pensait pas ainsi.
Avant d’etre ad mis, 1’ A spirant devait prouver a ses
super ieurs qu’il n’avait rien oublie de cequ’on lui avait
appris depuis soti entree dans l’Ordre.
Lorsque l’examen repond ait h l'attente des superieurs,
le synode du sacerdoce illumine etait convoque,et le jour
de l'initiation iixe defmitivement.
A 1’heurc convonue l’lntroducteur se rendait chez son
proselyte et le iaisait inonter dans une volture fermee.
11 lui biindait ensuite les yeux, taudis que le cocher se
mettait on marehe ct dirigeait ses chevaux de manicre a,
derouter le candidat, qui ne savait, une fois arrive, dans
quel lieu il se trouvait.
L’introducteur le prenait par la main et le conduisait
vers le temple.
Arrive dans le vestibule, le recipiendaire est debar-
rasse de son bandeau, depouille de ses insignes mac-on-
niques ot arme d’une epee. II ne devra penetrer dans la
salle des initiations que lorsqu’on l’appellera.
Bientbt unevoix se fait entendre, et cette voix luicrie :
* Entre, malhcureux fugitif ! Les Peres t’actendent. Entre
« et forme la porte derriere toi. > Le prosedyte obeit. La
salle est tendue de rouge et brillainment illuminee.
Au fond, en face de lui, s’eleve un trbne que surmonte
un dais richement decore. Devant le trone, il voit
une table, et sur cette table, une couronne, un Sceptre,
uneepee, des pieces d’oretd’argentet des bijoux precieux.
CH. XIV. LES ILLUMINES ET LEOT.S DOCTRINES. 263
Au pied de la table est un coussin d’ecarlate que recou-
vrent en partie une ceinture, une robe blanche et divers
ornements sacerdotaux.
L’hierophante s’adresse alors au proselyte et lui parle
en ces termes :
* Considers ce trone eclatant et les divers objets qui
t l’accompagnent. Si ces couronnes et ces sceptres, si
« tous ces monuments de la degradation humaine ont
« des attraits pour toi, parle, et il nous sera possible de
« satisfaire tes vceux. Si c’est la qu’est ton coeur, si tu
« veux t’elever pour opprimer tes freres, va de 1’avant a,
« tes risques et perils. Cherches-tu la puissance, les faux
« honneurs et les superfluity? Nous te procurerons ces
« a vantages; nous temettrons aussi pres du trone quetu
« puisses le desirer, et Id nous t’abandonnerons aux
« suites de ta folie. Mais il est bon que tu le saches, notre
« sanctuaire te sera ferme pour toujours. — Yeux-tu, au
« contraire, apprendre la sagesse?Veux-tuconnaitrel'art
t de rendre les hommes meilieurs, libres et heureux ? En
< ce cas, sois pour nous le bienvenu. Tu vois, d’un cote,
* briller les attributs de la royaute ; tu decouvres, de
* l’autre, l’humble vetement de l’innocence. Choisis et
* prends ce que ton coeur prefere. »
Si, contre toute attente, le candidat se decide pour la
couronne, l’liierophante le repousse d’un geste imp6rieux
et lui fait entendre ces paroles menagautes :
« Monstre, retire-toi ! Cesse de souiller ce lieu saint i
« Fuis, tandis qu’il en est temps encore ! »
Si, au contraire, il fixe son choix sur la robe blanche,
l’hidrophante le felicite de sa voix la plus douce :
« Salut, dit-il, a l’dme grande et noble 1 C’est la ce que
204 RERIODE HISTORIQTJE.
t noas attendions dotoi. Mais il ne t’est pas encore permis
c de te revetir de ces insignes. II faut d’abord que tu.
« saches a quoitu es destine (1). »
L’Initiant adressait alors au recipiendaire un long
discours oil apparaissait assez nettemcnt lo venin dc la
secte. L’orateur rappelait, en Ies exagerant, les abus de
tout genre dont souffre la societc, et ajontait que les gnu-
vernements ne peuvent. pas ou ne veulent pas les faire
disparaitre. Ce role est reserve aux societes secretes.
L’homme, dans lc principc, etait. vertueux et libre. II
jouissait de tous les bions, ot aurait continue a en
jouir, s’il ne s’etaitpas ecarte de lavoie que lui tracaitla
nature. Au fur et a mesure quo les families se multi-
plierent, la vie crrante et libre cessa, et la propricte
naquit. Lo pouvoir se concentra dans les mains d’un
seul, ct la liberte ne fut plus qu'un reve, l’egalite une
chimere.
Mais si le despotisme naquit do la liberte, la liberte ne
tardera pas ii rcnaitrc du despotisme.
Le N'/lionalisine ou Y Amour national prit la place de
l’amour general. Avecla division du globe et de ses con-
trees, la bienveillance se rosscrra dans dcs limites qu’elle
ne devait plus franchir. Alors il fut permis de mepriser les
etrangers, de les tromper, de les offenser; et cotte vertu
s’appela Patriotism e. Le jour ou vous supprimerez le
Patriotisme, les homines apprendront de nouveau 4 se
connaitre.
Les siecles ne sont qu’une longue succession de cala-
mites, dont la rcsponsabilite remonte au despotisme des
souverains, secondes par la sottise dcs peuples.
Les oppresseurs sc sont presquc toujours servis de la
science pour domincr leurs sujets et les charger de
chaines. Mais voici que les homines de bien recourcnt a
(1) Ecrits original’.#, Instruction poxy cc grade.
CH. XIV. — LES ILLUMINES ET LEURS DOCTRINES. 265
leur tour aux lumieres do 1’intelligence pour reconquerir
la liberte.
C’est aux ecoles secretes de la philosophie que le monda
devra sou emancipation. Grace a leur action bienfaisante,
les Princes et les Nations disparaitront sans violence de
dessus la terre. La Raison sera alors le seul livre de loi,
le seul code des homines.
C’est 14 un de nos Grands Myst&res.
Laissez les hommes aux vues bornees raisonner et
conclure a leur maniere. Ils conclueront, mais la nature
agira. Inexorable 4 toutes leurs pretentions interessees,
elle s’avanee, et rien ne peut suspendre son cours majes-
tueux. Bien des choses n’iront pas au gre de nos desirs;
qu’importe, tout se retablira de soi-meme. Les inegalites
s’aplaniront, le calme succedeva a la tempete.
Celui qui veut rendre les bommes libres leur apprend
4 se passer des choses dont l’acquisition n’est pas en leur
pouvoir. II les eclaire, il leur donne de l’audace, des
moeurs fortes. Si vous etes impuissants a atteindre ce but,
eh bien, commencez au moins par vous eclairer vous*
memes. Aidez-vous , appuyez-vous mutuellement ; aug-
mentez votre nombre, soyez independants, et laissez
au temps le soin de faire le reste. Etes-vous devenus
nombreux ? N’besitez plus; efforcez-vous d’etre puis-
sants , brisez ceux qui vous resistent. Bientot vous serez
assez forts pour lier les mains aux autres, pour les sub-
jugner et etouffer la mechancete dans son germe.
Rendez ^instruction et la lumiere generales. Par 14
vous rendrez generale aussi la surete mutuelle. Or, la
sflrele et l’instruction suffisent pour se passer de prince
et do gouvernement.
La vraie morale n’est autre chose que l’art d’apprendre
aux hommes 4 devenir majeurs, 4 secouer le joug de la
tutelle.
Tu dois savoir que si nous permettons a chaque Novice
de nous amener son ami, c’est pour former une legion
2G6
PfiRlODE HISTORIQOE.
plus invincible et plus sainte que celle des Thebains,
puisqu’ici les combats de l'ami, se serrant contre son
ami, sont les combats qui restitueront au genre humain
ses droits, sa liberte et son independance.
La morale qui doit operer ce prodige n’est point celle qui
rend l’homme insouciant pour les biens de ce monde, qui
lui interdit les jouissanccs do la vie, qui prescrit l’intole-
rance, qui contrarie la raison, et qui tourmente l’espece
luunaine par la crainte d’un enfer et de ses demons.
« Notre Soci£te est nee et devait naitre de ces mfimes
« gouvernemcnts dont les vices ont rendu notre union
« uecessaire; nous n’avons pour objct quo ce meilleur
* ordre de clioses pour lcquol nous travaillons sans
« ccsse. Tous les efforts des princes, en vue d’arre-
« ter nos progres, demcurcront sans resultat. L’etin-
t celle pout encore couvcr sous la cendre ; mais le jour
* de l’incendie arrivera certainement; car la nature so
« lasse de jouer toujours 1c meine jeu. Plus Ic joug de
* l’oppression s’appesautit. plus les homines s’elTorcent
* oux-memes de le secouer, et plus la liberie qu’ils
« oherchent doit s'etendre. La semence est jetee, qui
« doit produire un nouveau monde. Ses racines s’eten-
< dent. Elies se sont trop propagees et trop fortiflees,
« pour que le temps des fruits n’arrive pas. »
Je n’ai donne , mes lecteurs l’ont compris , qu’une
courte analyse du discours de l'hicrophaute. Its pourront
voir, on lisant ce resume avee attention, quel etait le
fond de rilluminismo au double point de vue de la poli-
tique ct dc la religion.
Quand, apres avoir etudie les enseignements de cette
secte abominable, on jette un coup d'oeil atlentif sur les
dvenoments dont la France est maintenant le theatre,
on sc demande avec quelque raison si les sinistres
malfaiteurs qui nous gouvernent lie sont pas alles puiser
CH. XIV. — LES illumines et LEURS DOCTRINES. 267
une partie de leurs theories dans les oeuvres de Weiss-
haupt.
t Lorsqu'un de nos Epoptes, dit le chef de l’lllumi-
« nisme, se distingue assez par son habilete. pour avoir
« part a la direction politique de l’Ordre, c’est-si-dire
« lorsqu’il joint a la prudence la liberie de penser et
« d’af/ir; lorsqu’il sait combiner les precautions et la
* hardiesse, la fermete et la souplesse, la loyaute et la
« simplicity l’adresse et la bonhomie, la singularity
« et l’ordre, la superiority d’esprit et la dignite des
« manieres ; lorsqu’il sait purler ou se taire a propos,
« obeir ou commander ; lorsqu’il a su se concilier 1’amour,
t l’estime de ses conciloyens. et en mynie temps se faire
« craindrc d’eux : lorsque son ciour est tout eutior aux
« interets de notre society, et qu'ii a sans cesse devant
« les yeux le bicn eommun de l’univors ; alors, et alors
* seulement que le Superieur de la province le propose a
* l’lnspecteur national conime cligne d’etre promu au
* grade de Regent (1). »
Weisshaupt rappelle a ses hauts adeptes qu’ii ne faut
pas initier legereinent it la dignite de Prince-Illumine.
Ceux-la seuls doivent y et re admis qui sont libres de
toute attache offlcielle et que l’organisation de la societe
civile rend mecontents.
Lorsque le caudidat possede les diverses qualites
exigees par le Code de la secte, l’lnspecteur national
revoit avec un soin minutieux les notes qui le concernent,
et si <;et examen ne le satisfait pas entierement, il pose
diverses questions au recipiendaire, pour dissiper les
doutes qui lui restent.
Si 1’ admission est prononcye, on avertit le nouvel
adepte que, devant etre depositaire, k l’avenir, de papiers
(1) Ecrits urigintmoc.
268 . PEMODE HISTOKIQTJE. .
d’une grande importance, ii est tenu, avant toute chose,
de faire son testament, afln que ces pieces ne puissent,
en aucun cas, tomber aux mains des eti'angers.
Le jour de la reception arrive, 1 ’Aspirant est introduit
dans uno salle fenduo de noir. L’ameublement de cette
piece so compose de deux gradins, sur lesquels un sque-
lctte est debout. Aux pieds de ce squelette on a place une
couronne et une epee. Lo recipieadaire remet a l’lntro-
ducteur la declaration ecrite de sos dernieres volontes ,
apres quoi on le charge de chaines. Dans un salon voisin,
l’lnitiant est assis sur un trone. Entre ce personnage et
le parrain de 1’ Aspirant s’etablit un dialogue que nous
reproduisons a titrc de curiosite. Le candidat peut tout
entendre :
Le Provincial. — « Qui nous a amene cet esclave ? »
L' Introductevr. — * II est venu do lui-meme, et a frappe
i k la porte. »
Le Prov. — » Que veut-il 1 *
Llntrod. — « II cherehe la iiberte, ct demande a etre
i delivre de sos fcrs. »
Le Prov. — « Pourquoi ne s’advesse-t-il pas a ceux qui
» l’ont enchaine ? >
L'lntrod. — « Ceux-la rcfusent do briser ses liens. Ils
« tirent un trop grand avantage de sa servitude. »
Le Prov. — * Qui cst-ce done qui l’a reduit a cet etat
* d’esclave 1 ? »
L’lntrod. — « La societe, le gouvernement, les sciences,
r la fausse religion. »
Le Prov. — * Et ce joug, il vent le secouer, pour Stre
« un seditieux et un rcbelle ? *
L'lntrod. — « Non, il veut s’unir etroitement a nous,
« partager nos combats contre la constitution des gou-
« vernements, contre le dereglement des moeurs et la
* profanation de la Religion. Il veut par nous devenir
t puissant, afln d’obtenir ce grand but. »
CII. XIV. — LES ILLUMINES ET LEURS DOCTRINES. 369
Le Prov. — * Et qui nous repondra qu’apres avoir
* acquis cette puissance, il n’en abusera pas aussi ; qu’il
« ne se fera pas tyran et auteur de noiiveaux malheurs ? t
L'lntrod. — « Nous avons pour garants son cceur et sa
« raison. L’Ordre l’a eclaire. II a appris a vaiucre ses
« passions, a se connaitre. Nos superieurs l’ont eprouve . »
Le Pi'ov. — « C’est la dire beaucoup. Est-il aussi bien
« au-dessus des prejuges ? Pr6fere-t-il aux interets
« des societes restreintes le bonheur general de l’huma-
« nite ? s
L’lntrod. — « C’est la ce qu’il nous a promis. »
Le Prov. — « Combien d’autres l’ont promis et ne l’ont
« pas teuu I Est-il maitre de lui-meine ? Est-il homme a
i 2 'esister aux tentations? Les considerations person-
* nelles sont-elles nulles pour lui 1 Demandez-lui de quel
« iiomme est ce squelette qu’il a devaut lui ? Est-ce celui
« d’un roi, d’un noble ou d’un mendiant? »
L’lntrod. — « 11 n’en sail rien. La nature a detruit,
« rendu meoonnaissable tout ce qui annon<?ait la d&pra-
« vation de l’inegalite. Tout ce qu’il voit, c’est que ce
« squelette est celui d’un homme tel que nous. Ce carac*
« tere d’homme est tout ce qu’il estime. «
Le Prov. — « Si c’est lii ce qu’il pense, qu’il soit libre,
« a ses risques et perils. Mais il ne nous connait pas.
« Allez, demandez-lui pourquoi il recourt a noire pro-
« tection(l). »
L’lntroducteur se rend alors aupres du recipiendaire et
lui raconte en peu de mots les origines de la Franc-
Maconnerie, qu’il fait remonter au deluge. La doctrine
macoimique avait perdu, dans la suite des dges, une
partie de son eclat. Heureusement lTlliinunisme est venu
lui restituef son aneienne splendeur. Les fondateurs de
l’Ordre, par un sentiment de modestio digue de tout
eloge, veulent rester inconnus.
(1) Ritueldu grade.
270
PfiRIODE 11ISTOR1QUE.
Ces explications donnees, l’lntroducteur conduit I’aspi-
rant vers uiie autre salle. Arrives a la porte, ils sont
arretes par plusieurs adeptes, et un second dialogue,
dans le gout dc cclui qui precede, s’etablit entro eux.
Le Provincial ordonno alors de lui presenter le nou-
veau venu.
L’Initiant declare au recipiendairc qu’on lui rend toute
sa liberte, car on est persuade qu’il en usera pour le bien
de l'Ordre. II lui remet en merae temps le recueil des
actes qui lo concernent : serments , confession , pro-
messes, etc.
Mais l'adepte sait k quoi s’en tenir sur cet acte de
gSnerosite.
Le discours de l’lnitiant reproduit en partie les idees
et les doctrines quo j’ai sigualees cn parlant du grade
d’Epopte.
Nous avons ditque les Grands Mysteres se composaient
do deux grades, le Mage et lTIonnne-Roi. Id lc rituel de
rilluminisnic so tait. Los Ecn'ts urir/inaax eux-meraes
ne nous dounent que des indications Ires vagucs sur
l’initiation des liauts adeptes et les doctrines qu'ou ieur
enscignait.
Tout fait supposer que Tatheisme etait le secret que
l’lnitiant revelait au Mage, si on en juge par ce que
Weisshaup ecrivait a Cuton :
« Vous savez, lui disait-il, que l’unite de Dieu etait
* unc des choses que l’on faisait connaitre aux inities
« d’Elousis; oh bien, ne craignez pas de trouver quelque
* chose de semblable dans mes Mysteres. »
S’il continuait a conserver lo nom de Dieu dans l’ini—
tiation des Mages et de rHomme-Iloi, il avait soin d'en
combattre l'idee.
Un adopte, que les Allemands ne connaissent que sous
CH. XXV. — LES ILLUMINES ET LEURS DOCTRINES. 271
le pseudonyme de Biederman, a 6crit ce qui suit relati-
vement au secret des hauls inities :
* Pour ces deux grades de Mage et d 'Bomme-Roi, il
« n’est plus de reception, c’est-a-dire de ceremonie d’ini-
« tiation. On ne permet pas meme aux EIus de transerire
« ces grades ; on les leur communique par une simple
s lecture ; et c’est ce qui m’empeche do les joiudre a ceux
« que j’ai fait imprimcr.
* Le premier, qui est celui de Mage, appele aussi le
« Philosoplie , contient les principes fondamentaux du
« Spinosisme. Tout est ici materiel ; Dieu et le monde ne
c sont qu’une seule chose ; toutes les religions sont chi-
« meriques, et dues a l’invention d’hommes ambitieux. »
Apr^s avoir enseignd a ses adeptes que tout est Dieu,
et, par consequent, nie l’existence de Dieu, en faisant un
Dieu de la matiere elle-meme, Weisshaupt s’attachait a
miner dans l'esprit de ceux qu’il admettait au grade
d’Homme-Roi, le plus eleve de son Ordrc, le principe
d’autorite. Son systeme politique semble avoir ote copie
par les Anarchistes, les Nihiiistes et autres sectaires qui
cherchent, depuis quelques annees, a dctruire non seule-
ment tout droit de propriety, mais encore toute hierarchic
sociale.
Voici ce que nous lisons, a ce sujet, dans le meme
Biederman :
« Le second grade (des Grauds Mysteres) appele
« l’Homme-Roi, enseigne que chaque paysan, diaque
t bourgeois, chaque pere de famille est souverain, comme
« l’etaient les homines sous la vie patriarcale a laquelle
* on doit ramener le genre humain ; et qu’il faat, par
t consequent, dctruire toute autorite, toute magislrature.
« J’ai aussi lu ces deux grades, moi, qui suis passe par
« tons ceux de VOrdre. »
372
PfrllODE HISTORIQCE.
Si on supposait, d’apres ce temoignage de l’auteur
en question, que Weisshaupt ne voulait porter aucune
atteinte a la propriety et a l’autorite paternelle, on se
trompcrait etrangement.
Mcs lecteurs sc souvienncut que l’hierophante, s’adres-
sant aux adeptes le jour de leur admission aux Petits
Mysteres, s’exprimait en ces termes :
« Heureux les lxommes, s’iis avaient su se maintenir
« dans le premier etat oil ils furent places par la nature !
« Mais bientdl sc deveJoppa dans leur coeur un germe
« malheureux, et, des lors, il n’y eut plus pour eux ni
* repos ni felicite. A jnesure que les families se multi*
« ]>liaient, les moyens uecessaires a leur entretien com-
« mencerent a manqu.’r. La vie nomade cessa, la pro*
* i-riete naquit; les homines se choisirent une demeure
« lixe. »
Voila pour la propriety. Yoici maintcnant i>our l’auto-
rite paternelle :
« Le pouvoir du pere cesse avec la faiblesso de l’en-
t fant. Le pore offenserait ses enfants, s’il reclamait
« quelque droit sur euxapres cette epoque. »
Comme on le voit, la souverainete du patriarche, dans
l’esprit de Weisshaupt et de ses inities, se bornait a
fort peu de chose. De nos jours, la Franc-Ma<jonnerie fait
mieux. elle arraclie l'enfant a sa familie des Page de six
ans.D’autre part, trouvant que les Illumines se donnaient
une peine inutile, en recourant a la doctrine de Spinosa,
pour detruire dans 1’ esprit des adeptes l’idee d’une cause
premiere, elle se borne a nier l’existence de Dieu sans
songcr a se rnettre eu quete d’arguinents. Quant au droit
de propriety, les Masons qui nous gouvernent ne iiour*
raient l’etablir qu’eu se donnant a eux-mem.es un eela-
tant dementi.
CHAP1TRE XV
L’llluminisme et la Franc-Mafonnerie.
Sommaifje. — Progres rapides des Illumines. — Xavier Zwack. Son
portrait physique et moral. — II devient Valter ego de AVeisshaupt,
— L'abbd Hertel est charge de la caisse de I'Ordre. — Principaux
adeptes. — AVeisshaupt cherclie h s'emparer de l’enseignement. ,
Rapprochement singulier entre Ies agissements des Illumines et ceux
des republicains de nos jours. — Ruses ausquelles recourait le chef
de rilluminisme pour caclier aux princes les tendances de I'Ordre. —
Les Francs-Macons du noire epoque se font ies copistes du seetaire
allemand. — Weisshaupt reproche a ses adeptes l’enormite de lturs
vices. — Nos iegislateurs actuels ne valent pas mieux. — Note de
Caton Zvvack sur 1'dtafcde rilluminisme dans quelques parties del'Al-
lemagne. — Le baron Knigge est initio. — Son activity prodigieuse.
— II met la derniere main aux Constitutions de I’Ordre. — Congr^s
magonnique de Willielmsbad* — Silence des Remains oia$onniques
sur les res ul tats de cette assemblee. — Agissements de Knigge pour
gagner h rilluminisme les deputes du Congrds. — Succ6s de ses
manoeuvres. — Aveux de M. de Virieux h propos du CongrSs de
Wilhelm shad. — Les Loges une fois illumindes, rilluminisme s'etend
partout. — Activity ddvorante de AVeisshaupt et de Knigge. *— Ce
dernier attire le baron Bode dans la secte ct en fait uii adepte aussi
z£le que puissant. -» Brouille vraie ou simulee de Knigge ct de
AVeisshaupt. — L'llluminisme est d^couvert et poursuivi par le gou*
vernement bavarois. — - Les papiers de I'Ordre sont saisis et publies.
— Weisshaupt se retire hRatisbonne et poursuit Fceuvre commencee.
— Un de ses adeptes, l'abbe Lanz, est foudrojte k ses cotes. —
Quelques anciens inities d<5posent contre la secte. — Les Ecrits
original tcc sont adress^s h tous les gouvernements de l'Kurope.
Les princes ne s’en emeuvent pas.
L’llluminisme lit en quelques annees des progrfes eton-
nants.
Ouvrages consults. Ce chapitre n'etant que la continuation du
precedent, je n'ai pas eu a consulter d'autres ouvrages que ccux indiqu6
k la page 223. Mes Jecteurs pourront s*y reporter, s'ils le jugent Uile.
F.-. M.%
IS
274
PJ3RI0DE HISTORIQUE.
On ne soupconnait pas encore l’existence de la secte,
qu’elle comptait deja par milliers le nombre de ses mem-
bres. II n’y avait pas moins de cinq Loges k Munich.
Landsberg, Freysingue, Burghauson, Straubin, Vienne
et Ratisbonne etaient illuminees.
Le Tyrol, la Franconie, la Hollande, la Souabe et le
Milanais appartenaient a la secte.
Weisshaupt savait communiquer aux Freres Insinuants
une ardeur infatigable.
Xavier Zwack, connu sous le nom de Caton, fut celui
de tons les adeptes quiluirendit le plus de services, pen-
dant les premieres annees de l'Ordre.
II et ait a peine Age de vingt an?, lorsqu’il fut initie par
le Frere Ajax. Le portrait qu'en a fait ce dernier n’est
pas absolument flattour. Voici en diet ce que nous lisous
dans ses tablettes. Le physique d’abord :
« La taille de Zwack est d’environ cinq pieds. Tout
« son corps, maigri par la debauche, tourne an tempera-
« meat melancolique. Ses ycux sont d’un gris sale, faibles
« et languissants. II a un teintpalcetbldne. Sante chan-
« celante et alteree par de frcquentes maladies, nez
t allonge et crochu, cheveux brun clair, marche preci-
< pitee. Le regard est habituellement penche vers la
c terre. II porte une verrue au-dessous du nez et de
* chaque cote de la boucho. »
Je doia les prevenir d’ailleurs, que lea Ecrils origintmx, dont j'ai rite
et dont je citerai encore de nombreux passages, constituent presque la
seule source a laquelle on doive recourir, si on veut avoir sur nilumi-
nisme des renseignements exacts. II ne faut lire qu’avec circonspection
les auteurs maconniques lorsqu’ils parb-nt de AVeisshaupt et de son
Ordre. Les Loges ont adopte les principes antireligieux et autisociaux du
professeur d’lngolstailt, mais elles se refusent obstin&nent ii en faire
Taveu. — JVspere leur prouver jusqu’it la dernidre Evidence que leurs
denegations ne sont appuj^es d’aucune preuve et que la Magonnerie se
borne, de nos jours encore, ii contiuuer rilluminisme.
CH. XV. — l’illuminisme et la f.\ m.*. 275
Yoici maintenant pour le moral. L’esquisse est irr6-
prochable :
« Le coeur sensible; extraordinairement philanthro-
* pique; stoique dans ses jours de melancolie; ami du
« vrai, circonspect, reserve, extremement secret; parlant
« souvent de lui-meme d’une maniere avantageuse; en-
* vieux a l’aspect des perfections des autres ; voluptueux;
« cherchant a se perfectionner ; tres peu fait pour la
« grande compagnie ; colere et emporte, mais prompt a
* s’apaiser ; disant volontiers ses opinions secretes, quand
« on a la precaution de le louer en le contredisant; ami
« des nouveautes; fort eloigne des opinions communes
« pour tout ce qui regarde la religion etlaconscience;pen-
« sant comme nous desirons que l’on pense dans notre
« Ordre (1). »
Ajax m ettant sa patience & une trop longue epreuve,
Caton s’adressa directement a Weisshaupt qui 1’initia
lui-m&me et en fit son alter ego.
Parmi les Areopagites nous voyons encore un nomine
Hertel. C’etait un prfetre catholique. Le chef de l’lllumi-
nisme 1’avait en tres haute estime, si l’on en jnge par
une lettre qu’il ecrivait ii Zwack, et dans laquelle il
parlait ainsi de cet initie :
•
« Notre Marius est reserve au supreme degre. Dans la
* plupart des affaires, il marche en tutioriste. Sur les
« questions religieuses, menageons sa faiblesse. Son
t estomac n’est pas encore capable de digerer des mor-
« ceaux un peu durs. Pour tout le reste fiez-vous k lui.
* Ne le chargez pas de travail, jusqu'4 ce que l’usagelui
« donne de la facilite et qu’il prenne gout a la chose. S’il
* est une fois bien style, il pourra nous rend re de grands
« services (2). ^
Weisshaupt fit de Marius le caissier de l’Ordre et ne
(1) Ecrits originanx, — (2) Ibid.
27(5 t’ERIODE HrSTORIQXJE,
s’en repentit point. Administrateur intelligent et integre,
Hertel repara les ecarts financiers de sou predecesseur
Ajax, qui n’etait rien moins que tutioriste en matiere de
probity.
Pour le recompenser de sa bonne conduite, les adeptes
lui procurercnt, a Munich, un titre de chanoine.
Viennent eusuite le docteur Jjaadcretle comte Savioli,
qui trouverent moyen de recrutcr de nombreux adeptes,
l’un parmi les Studiants, et l’aulre, dans les rangs de la
noblesse; le baron de Lassus, connu sous le nora d’An-
nibal. et le marquis de Constanza, que Weisshaupt appe-
lait Diomede. Le baron deSclirceckenstein,rabbeMicht, de
Freysingue, le consciller Hoheneicher. le secn'l airo i n time
Geiser, le baron de Maggeuhoff, lecomLe Pupeinheim et
plusieurs aulres personnages tout aussi importants se
iii'cnt initier a leur tour.
Les candidats que Ton recueillait dans les rangs de la
noblesse ou qui jouaient un role considerable en poli-
tique etaient accucillis avee emprossement. Mais le
fondateur de l’Ordre ue negligeait pas pour cela les
sujets d’un rang plus modcste. II tenait surtout a
enroler les professeurs et les inailres d’dcole, a cause de
rinfluence qu 'ils exercent sur les jeuncs gens. 11 fut un
moment ou les professeurs de l’universHe d’lngolstadt
appartenaienl presque tous a rilluminisine.
On &ait quo Weisaliaupt voulait a tout prix s’emparer
de l’enseignement.
« Notre force, dit-il, dans les instructions qu’il donne
t aux Areopagites, ost en grande partie dans le nombre,
« mais ellc depend aussi boaucoup du soin que nous
« mettrons a former nos eleves. Les jeunes gens se plient,
« se pretent mioux k cet oil jet. Le Prefet Illumine n’epar-
« gnera done rien pour prendre possession des ecoles
« de son district et de leurs maitres. II fera en sorte
* qu’clles soient confiecs a, des membres de l’Ordre;
CH. XV. — l’illuminisme et la. f.\ M.-. 277
« car c’est ainsi qu’on vient a bout d’inspirer nos prin-
<t cipes, de former les jeunes gens ; c’est ainsi qu’on pre-
• pare les meilleures t§tes a travailler pour nous, qu’on
« les accoutume h la discipline, qu’on acquiert leur estime ;
• que l’attachement de ces jeunes eieves nous est assure
« et devient aussi durable que toutes les autres impres-
• sions de l’enfance. »
II ajoute un peu plus loin :
* S’il est interessant pour nous d’avoir les ecoles ordi-
« naires, il est aussi tres important de gagner les semi-
« naires ecclesiastiques et leurs superieurs. Avec ce
« monde-la, nous avons la principale partie du pays ;
t nous mettons de notre cote los plus grands ennemis de
« toute innovation; et, ce qui est par-dessus tout, avec les
« ecclesiastiques, le peuple et les gens de commerce se
« trouvent dans nos mains (1). »
Ne dirait-on pas, en lisant ces lignes, que nos gouver-
nants ont fait de ces conseils de Weisshaupt leur regie de
conduite? Eux aussi ne negligent rien pour s’emparer des
Scoles et inculquer & la jeunesse les principes atbeesde
l’llluminisme.
Mais voici on la prudence du conspirateur se revele
d’une facon merveilleuse. II ne dedaignait pas d’avoir des
princes parmi les inities; toutefois, il preferait leurs
ministres, parce qu’avec ces derniers il y avait moins a se
gener. Les chefs d’Etat auraient bien pu ne pas tronver
de leur gofit certaines theories de la secte. Ce qn’il ecri-
vait a ce propos aux membres de son Areopage est oarac-
teristique et merite une attention toute particuliere :
« Si vous montl’ez nos grades a l’Electeur, disait-
( 1 ) Kcrits originav.x .
278
P&RIODE HISTOIUQUE.
< il, ayez soin de faire les changements suivants : Dans
« celui d’ Illumine mineur, au lieu de ces mots de moines
t imbeciles , mettez des hommes imbeciles. Dans celui
» d’ Illumine majeur, effacez cette phrase : Les princes et
« les prctres sont sur noire chemin. Quant au grade de
« Pretre, n’en montrez autre chose que ? instruction rela -
« live aux sciences; et relisez-la bien, afln de n’y laisser
« aucune allusion, aucun renvoi au reste du grade (i). »
Parlant des grades inferieurs, il disait, dans une lettre
du 15 mars 1781, que son projet etait de les remanier
completement, « afin qu'il ne s’y trouvat pas une seule
« ligne tant soit peu suspecte pour l’Etat ou la Religion.
« Allans tout doucement, rien sails raison ; amenons et
« pre'parons les choses pas d pas. » N’est-ce pas a ce pas-
sage de la correspondance de Wcisshaupt que les fana-
tiques de rOpportuiiisme out emprunte leur fameux
axiome : « Marcher lentement pour arriver plus siire-
mcnt (2)? »
On sait quel usage les Masons de notre epoque savent
faire des Petits papiers, pour se debarrasser de ceux qui
les genent. C’est encore a Weissliaupt qu’ils sont rede-
vables de ce genre d’infamie. Lisons plutot :
< Lorsqu’un ecrivain professe des principes qui sont
« vrais, dit-il a ses Regents, mais quin’entrent pas encore
« dans notre plan d’ education pour le monde, ou bien des
« principes dontla pub! ication est prema turee, il faut cher-
« chor agagiiercet auteur. Si nous nepouvons pas le <ja-
* rjmrct en faire tin adeptc, IL FAUT LE DECRIER (3).»
Les honnetes gens se sont el eves, en France, contre le
crodictage des couvents et l’expulsion des religieux.
(1) Eerits originaux .
(2) Ibid
W Ibid.
uH. XV. — L’lLLUJIINISME ET LAF.\ M.‘. 279
La confiscation de certains immeubles, au profit de
l’enseignement laique, et le soin qu’a pris l’Etat de
faire trancher par une juridiction speciale ces questions
de propriety, quoique les tribunaux civils fussent seuls
competents en la matiere, ont indigne tous ceux qui
conservent encore une notion exacte de requite naturelle
et de la legalite.
Ces procedes ne sont point nouveaux. Weisshaupt en
avait fait pour les Illumines une regie invariable.
< Si un Regent, ecrit-il, croyait pouvoir faire suppri-
« mer les maisons religieuses et appliquer leurs biens a
« notre objet, par exemple a I’entretien de maitres d'ecoles
« convenables pour les campaqnes , qu’il sache que ces
* sortes de projets seraient specialement bien venus des
« Superieurs (1). »
La presse conservatrice traite parfois d’ineptes les
politiciens qui nous gouvernent, sans se douter que leur
ineptie n’est qu’un vulgaire plagiat.
II y a bien d’autres similitudes entre la secto de Weiss-
haupt ct les politiciens de la troisieme Republique.
Le fondateur de rilluminisme ne se faisait pas remar-
quer par l’austerite de sa vie. Nous savons, c’est lui-
meme qui nous l’apprend, qu’il se rendit coupable de
mefaits dont j’eviterai de raconter l’histoire, par respect
pour mes lecteurs.
Eh bien, la conduite de ses grands inities etait telle
qu’il s’en montra scandalise.
« II me vient de Thebes (de Freysingue), lisons-nous
» dans une de ses lettres, des nouvelles fatales. Ils ont
« donne a toute la ville le scandale d’admettre dans nos
4 Loges ce Properoe, vil libertin perdu de dettes, detes-
(1) Ecrits original ix*
280
PERIODE HISTORIQUE.
« table sujet... Dans cette "meme ville encore, le Frere D.
< n’cstqu’un mechant homme. Notre Socrate, qui pouvait
« cependant nous rendre de si grands services, est cons-
t tamment dans l’ivrosse. Notre Auguste s’est fait la
« plus mauvaise reputation. Frere Alcibiado soupire tout
# le long du jour et desseche aupres de son liotcsse.
« Tibere a voulu faire violence a la scour de notre Dio-
« mode ct s’est laisse surprendre par le maid. Ciel ! quels
« homines ai-jo done la pour Areopagites 1 Nous sacri-
« lions, nous autres, an bicn do l’Ordrc notre sante, notre
« fortune, notre reputation ; ces messieurs se livrent a
« leurs plaisirs, a toules les commodites, se prostituent,
« donnent des scandales , et 11 ’on veulent pas moins
* savoir tous nos secrets. Des ec moment, jo regardo
« Tibere comme efface de notre liste. O Areopagites,
« Areopagites 1 Combien j’aimerais n’en avoir point du
<i tout, ou du moins en avoir trouve de plus actifs et de
« plus sounds ! »
On ponrrait ealquer sur ccttc apostrophe de Weiss-
haupt un morccau dcs plus vehemeuts, et en fairoa nos
deputes republicans une application saisissante de verite
et d’ii-propos.
On trouverait dans les rangs de ces austeres demo-
crates, apparteuant presque tous aux Loges maeonniques,
des liber tins a profusion; des Lovelaces ayant depasse
la soixantaine, et s’exposant encore a la vengeance des
maris outrages; dos homines qui n'ont pas meme su res-
pecter les liens saeres do la famillo ct dont les innom-
mables ecarts demeureut consignes dans les feuillos jndi*
claims; dcs financiers vereux, qui n’ont pu echapper a la
vindi -to des lois quo grace a l iutervention de soli-
darity's meliculensos a l’endroit de l’Jionneur corpora-
te; ties escrocs, oublieux des depots qui leur etaieut
( 1 ) Err!** or'<)i>n.i
CH. XV. — l’illuminisme et la f.\ M.\ 281
confies en vue de telle ou telle fomlation ; des Grecs de
lapireespece qui font sauter la coupe et s’approprient un
argent qui n’est pas a eux; des boliemes sans sou ni
maille, qui, profitant de nos desastres pour s’Slever au
pouvoir, n’ont pas rougi de pilier la France, et affichent
une fortune dont ils n’arriveront jamais a oxpliquer
l’origino ; des fondateurs de tripots qui ont fait bra-
vement faillite, abrites qu’ils etaient par leur titre de
depute; des faussaires qui. comptant sur i'impunite, ont
joue du grattoir et tente de certaines compagnies. Je
pourrais continuer longtemps de la sorte et passer en
revue tous ces intrigants depourvus d’intelligence dont
les Loges ont fait autant de legislateurs, malgx-d les
tares de lour passe, ct peut-etre mcme a cause de ces
tares, car elles savent qu’un honnete liomme ne con-
sentirait pas a jouer le role qu’elles iinposent a leurs
subordonues.
Mais laissons de cote toutes ces reflexions, bien qu’elles
se rattachent a notre recit, et revenons a rilluminisme.
La secte se montrait chaque jour plus envahissante,
ainsi qu’il est facile de s’en convaincre par cettc note de
Zwaclc :
« Nous avous dans Athenes (Munich) : 1“ une Loge
« roguliero eomposee d’lllumines majeurs; 2" une assem-
« blee d'llluinines moins considerable, mais appropriee
« a notre but; S° une Grande-Loge maconnique; 4° deux
e eglises ou academies du grade Mi nerval.
« A Thebes (Freysiugue) de meme, une Loge Miner-
» vale, aussi bien qu’a Mogare (Landsberg), a Burg-
i liau'-en, a Straubing, a Ephese (Ingolstadt); nous en
« aurons bientbt une a Corinthe (Ratisbojine).
« Nous avons achete (a Munich) une maison pour nous,
« et nous avons si,bien pris nos mesures, que non seule-
« ment les boiu-geois ne se recrient plus sur nos assem-
« blees.mais qu'ils parlent denous avecestime.-Iorsqu’ils
382
PERIODE HISTORIQUE.
« nous voient aller publiquement k cette maison ou a la
« Loge. C’est la un beau resultat, etant donne 1’esprit
« de cette ville.
« Nous avons dans cette maison un cabinet d’histoire
t naturelle, des instruments de physique, une biblio-
» thoque; et tout cela de temps a autre s’accroit des dons
« des Freres.
« Le jardin est destine a la botanique.
« L’Ordre procure aux Freres tons les jdurnaux scien-
« tifiques. Par differentes pieces imprimccs nous avons
« reveille l’attention des princes et des bourgeois sur
« certains abus. Nous nous opposons aux religieux de
« toutes nos forces, et nous avons pu nous convaincre
« du bon resultat ile nos efforts.
« Nous avons dispose la Loge suivant notre systemo
« et rompu avec Berlin.
* Apres avoir reprime les enrolements des Rose-Croix,
« nous avons reussi a les rendi'e suspects.
« Nous sommes an moment do former une alliance
i plus etroite avec la Loge de et avec la Loge natio-
« nale de Pologno. >
Citons encore une piece de lueme provenance. Mes
lecteurs la trouveront tout aussi instructive que celle qui
precede.
« Par les critiques de nos Freres, dit Zwack, les
« Jesuites ont ete eloignes de toutes les places de pro-
« fesseurs ; nous eii avons purge l’universite d’lngolstailt.
« La duchesse douairicre, pour l’institut des Cadets,
* a tout dispose suivant le plan fait par notre Ordre.
« Cette maison est sous notre inspection ; tous les pro-
« fesseurs sont membres de notre Societe. Cinq do ces
« membres ont ete bien pourvus, et tons les eleves seront
« a nous.
» Sur larecommandation des Freres, Pylade est duvenu
283
CH. XV. — l’illuminisme et la f.\ m.\
« Conseiller fiscal ecclesiastique. Ea lui procurant cette
« place, nous avons mis a la disposition de l’Ordre
t l’argent de l’Eglise. Aussi avons-nous, par l’emploi de
« cet argent, deja repare la mauvaise administration de
* nos et de Nous les avons tir6s des mains des
« usuriers.
* Avec ce meme argent nous soutenons toujours de
« nouveaux Freres. »
Ouvrons une paren these : quand on etudie de pres les
agissementsdugouveniementrepublicaindont la France
est affligee, il est facile de voir que nos Francs-Mafons
out lu avec soin cette note du disciple de Weisshaupt,
et ne negligent rien pour en faire leur regie de conduite.
On dirait que nous retrains ici notre histoire contem*
poraine.
t Nos Freres d’Eglise, poursuit Cato n, ont tous ete
« pourvus, par nos soins, de benefices, de cures, ou de
t places de preeepteurs. Par nos soins encore, nos Freres
« Arminius et Cortez sont devenus professeurs ii l’uni-
« versite d’Ingolstadt. Dans cette meme universite, nous
« avons obtenu des bourses pour tous nos jeunes eleves.
i A la recommandation de notre OrJre, la Cour fait
« voyager deux de nos eleves qui se trouvent maintenant
« a Rome.
« Les <5coles germaniques sont sous l’inspection de
c 1’Ordre, ct n’ont pas d’autres prefets que nos Freres.
<t Nous dirigeons aussi la Societe de bienfaisance.
«; L’Ordre a procure a un grand nombre de Freres qui
« sont dans les dicasteres et les bureaux d’administra-
« tion, des appointements et des surcroits de paie.
i Nous avons pourvu nos Freres do quatre chaires
« ecclesiastiques. ^
« Sous peu, nous serous maitres de la fondation
« Burthelemique destinee a l’education des jeunes eccle-
284
PfiMODE HISTOUIQUE.
« siastiques. Toutes nos mesures sont prises pour cela.
« L’affaire ne saurait avoir une meilleuve tournure. Par
« ce moyen nous pourrons peupler la Baviere de pretres
« ad roits et con venables.
« Nous avons les meraes vues et le mome espoir sur
« une autre maison de pretres.
« A force de mesures, d’efforts infatigables, et par les
« menecs de divers par nous sommes venus a
« bout, non sculement do maintenir le Conseil ecclesias-
t tique quo les Jesuites voulaient faire sauter, mais de
« faire attribuer a ce Conseil. aux Colleges et aux Uni-
* versites, tous les biens dont les Jesuites avaient encore
* ^administration en Baviere, tels que l’lnstitufc de la
« Mission, l’aumone d’or, la maison do retraite et la
« caisse des convertis. Nos Illumines majeurs ont tenu
« pour cot objet six assemblies; plusieurs y ont passe
« des units eutiores; et »
Les passages que nous avons rem places par des points
do suspension etaient. sans doute compiomettants pour
des personnages haut places, et c’ost a cause de cola que
la Cour de Baviere a juge d propos de ne pas les livrer a
1‘impression.
Les choses en etaient la. lorsque Weisshaupt fit une
precieuse recrue dans la personne du baron Knigge. Ce
sectairc etait lianovrien d’origine. Apres avoir essaye
de tout, sans reussir h rien, en depit de ses brillantes
facultesintellectuelles,il sojeta dans les societes secretes.
La Maqonncrie symboliquo no l’avant pas satisfait, il se
fit iuitier aux rites a hauts grades. Puis il se lia avec le
Cagliostro de l’Allemagne, leeelebre Schi oeder. En meme
temps qu’il s’occupait de Maqonnerie, Knigge sc livrait
avoc ardeur a l’etudc des doctrines pliilosophiques alors
en vogue.
Sur ccs ontrefaites, lc due de Brunswick, Gnmd-
Maitre de la Stricte-Obser vance, out l’idee do reunir a
CH. XV. — l’illuminisme et la. f.\ M.\ 285
Wilhelmsbad une assemblee generate de tous les Francs-
Magons.
Knigge se representa cette foule d’adeptes compo-
see d’hommes de tout etat, de tout pays et de toute
condition. II se dit que si les Macons etaient unis par
1'esprit de corps, la plupart d'entre eux ignoraient quel
etait le but de leur society. Divises d’ opinions, arrive-
raient-ils jamais a, s’enteudre sur ce qu'il y avait a
faire pour assurer le bonheur de l'humanite, et celui
des Freres en particulier ? II songea done a proposer
aux representants de la Magonneric les mesures qui lui
paraissaient les plus propres a « favoriser l’avan-
« cement des Freres et a les metlre chacun en acti-
€ vite dans l’Etat, suivant la mesure de leur capacite, et
« suivant qu’ils auraient profile de 1’avantage qu’offrent
« les societes secretes, dans 1’ art de connaitre les hommes
« et de les gouverner sans violence et sans con-
« trainte (1). » Comme on le voit, Knigge et Weiss-
haupt etaient faits pour se comprendre, car les idees de
l’un ne differaient guere des idees de 1’ autre.
« J’avais concu, dit le baron hanovrien, tous mes plans
« de reforme, et je les avais envoyes a Wilhelmsbad. Je
« regus des reponses honnetes ; on promit de prendre
« mon travail en consideration dans l’assemblee qui allait
« se tenir. Mais je ci-us voir bientot combien les vues
t bienfaisantes et desinteressees des illustres protecteurs
« et chefs del’Ordre magonnique seraient mal secondees;
« combien 1’esprit de secte et d’interet mettraient d’ar-
« tifices en jeu, pour faire dominer les systemes tene-
« breux de certaines classes ; combien il serait impos-
« sible de reunir toutes ces tetes sous un meme bonnet.
« Cependant je communiquai mes projets a divers
« Magous. Je leur, parlais souvent de mes craintes,
( 3 ) Ec*'its oriyitimcc.
28G
PERIODS HISTORfQUE.
« lorsqu’cn juillet 1780, dans une Loge de Francfort-sur-
« le-Mein, je fls connaissance avec Diomede (marquis de
« Constanza), envoye de Baviere par les Illumines, pour
f etablir leurs colonies dans les pays protestants. Je lui
t fis part de mes voeux pour une reforms generale de la
« Franc-Ma$onnerie; j’ajoutai que, prevoyant toute l’inu-
« tilite de l’assemblee de Wilhelmsbad, j’etais resolu,
t avec un certain nombre de Francs-Mac-ons, mes fideles
* amis, repandus en Allemagne, de travailler a l’etablis-
« soment de inon systeme. Lorsqu’il m’eut entendu le
« devclopper : Pourquoi, me dit-il, vous donner la peine
« inutile de fonder une societe nouvelle, quand deja il en
« cxiste une qui a fait tout ce que vous voulez faire ; qui
* pent en toutes choses contenter votre ardeur pour les
« connaissances, et tous vos desirs d’etre actif et utile ;
* qui enfin est en possession de toutes les sciences, de
* toute la puissance qu’il faut pour votre but ? »
Ces revelations comblercnt Knigge de joie et d’etonne-
ment. Diomede profita de ses bonnes dispositions pour
lui conferer les grades cl’ Aspirant , do Novice et de
Minerval.
Le nouvel initie fit en peu de jours de nombreuses et
importantes recrues.
Weissliaupt, ecrivant aux Areopagites, leur exprimait,
en termes emus, son admiration pour le disciple de
Diomede :
« Philon Knigge, leur disait-il, en fait plus a lui seul
« quo vous n’cspereriez en faire tous ensemble. Philon
« est le maitre chez lequel il faut aller prendre des
« lecons ; qu’on me donne six homines de cette trcmpe,
« ct avec eux je change la face de l’univers (1). »
Mais voila qu’un serieux ennui surgit tout a coup,
( 1 ) Verniers dclaircisscments de Philon.
CH. XV. — l’illuminisme et la P. •. M.\ 287
pour le chef de rilluminisme, de la cause mSme qui
l’avait tout d’abord rendu si heureux. Les adeptes que
Knigge avait gagnes a, l’Ordre appartenaient presque
tous aux rites k hauts grades. Des proselytes de ce genre
n’etaient pas d’humeur a s’arreter aux bagatelles de la
porte. Les Petits Mysteres de Weisshaupt n’apprenaient
rien k des gens que l’Ecossisme avait dej& fa^onnes.
Knigge s’efforca done de faire comprendre cela au fonda-
teur de la nouvelle secte. Ce dernier atermoya pendant
quelque temps, car il craignait que ses Grands Mysteres
ne satisfissent pas un disciple aussi exigeant que le
fougueux baron. Force de s’executer, il manda Knigge k
Ingolstadt, et lui contia ses manuscrits. Philon se mit a
l'ceuvre, modifia queiques grades, en faisant disparaitre
ce qui lui parut defectueux, accentua certains passages
des discours de l’lnitiant, et invita l’Areopage a donner k
son travail une approbation en forme. Tout s’arrangea
pour le mieux.
Weisshaupt et ses ArSopagites se rendraient-ils au
congres de Wilhelmsbad ? Chargeraient-ils le bar on
Knigge de les y representer ? Philon pensa que l’Areo-
page devait garder l’incognito. De plus, il decida que lui-
meme se bornerait & surveiller de pres l’assemblee
maconnique et ferait manceuvrer ses confidents. Knigge
avait eu l’adresse d’introduire parmi les deputes
l’initie Minos, dont il connaissait le zele, la rare intelli-
gence et la consideration que lui valait son titre d’asses-
seur a la Chambre imperiale de Wetzlar.
Les ecrivains de la Maconnerie symbolique parlent avec
un dedain quelque peu affects du congres de Wilhelms-
bad. 11s ont pour cela les meilleures raisons du monde.
Void ce que Ragon nous dit de cet evenement :
t Le due de Brunswick convoqua, vers la fin del782,
« un nouveau convent ii Wilhelmsbad, pour rechercher
« le vrai but de la Mai;onnerie. Son resultat fut que tous
288
PEIUODE HISTORIQUE.
€ les Chevaliers reconnurent qu’ils n’etaient point tie
< vrais Chevalierstempliers. Ils convinrentqu’a l’avenir,
« ils ne donneraient, dans lour dernier grade magon
« nique, qu’une instruction historique sur l’Ordre tem-
t plier.
t A cet effct, ils composerent aussi de nonvcaux ■
* cahiers. Tout n’enrcsta pas moins comme auparavant :
« Tune des branches de la Stricte-Observance continua a
« order des Tenipliers ; une autre lit de i’alchimie, une
5 troisiemo attendit patiominent ce que feraient les supe-
« rieurs(l). »
Voila tout.
Heboid est encore pins discrct.
L’ auteur des Acta. LaOnnuntm, le F. • . Thory, se montre
assez explicitc sur les travaux du congres, nmis il ne dit
pas un mot de Taction qu’y exercureut les Illumines de
Weissluuipt.
* Dans ce convent, ecrit-il, prepare par celui des Gaules
« tenu a Lyon on 1778. ot qui avail etc assemble sous le
t pretexte dune reforme generale de l’Ordre magonnique,
« dix questions furent proposees : les principals ten-
* daient a savoir si l’on devait cousiderer l’Ordre magon-
« nique comme une soeietc purement conventionnellc, ou
« bicn sil’on pouvait deduire son origine d’un Ordrc plus
« ancien, et quel etait cet Ordre ? Si l’Ordre avait des
« supdricurs gendraux alors existants ? Quels elaient ces
« superieurs? Comment on devait les definir? S’ils
« avaient la faculte de commander ou cello d’instruire,
* etc. ? Aucune de ccs questions ne futagitee : on to borna
« a declarer que les Macons n’etaient pas les successcurs
« des Tenipliers; on institua un Ordre dc la Bionfaisance,
« et lc due Ferdinand de Brunswick fut mis a la tete des
(1) Hag on, Orthodnxie maconniqi'e.
CH. XV. — l’illuminisme et la. f.\ m.\ 289
« Loges reformees. Une chose remarquable, c’est qu’& la
« 28° seance, la Loge eeossaise de Frederic au Lion d’Or
« adressa au Convent un Memoire accompagne d’une
* lettre du prince Frederic de Brunswick, et dans lequel
« elle offrait de communiquer de nouvelles connaissances,
« d’indiquer les superieurs majeurs inconnus, d’envoyer
« sous peu le grand Rituel manuscrit conserve par les
« Freres Clerici, etc., et que le Convent determina que
« l’assemblee avait renonce a tous superieurs inconnus
« ct caches; qu’elle avait arrete de nouveaux Rituels;
« enfin, que les ancieus etaient inutiles a la reforme.
« II est certain que ce Convent n’eut d’autre objet que
« celui d’ecarter do la Franche-Magonnerie le systeme
« templier, et de mettre Ferdinand de Brunswick a la
« tete des Loges reformees : aussi eut-on grand soin d’en
« eloigner tous ceux qu’on connaissait pour manifester
« une opinion contraire; on leur refusa l’entree de l’as-
* sernblee, et particulierement aux deputes des Cha-
4 pitres et de la Mere-Loge de la Croissante aux Trois-
« Clefs, de Ratisbonne, et au F.\ marquis deC. D. B.
« ( Eques a capite Galeato) corame representant la Loge
* des Amis-Reunis de Paris (1). »
Les autres historiens de la Franc- Magonnerie gardent
presque tous un silence absolu sur l’assemblee de
Wilhelmsbad.
Est-ce a dire qu’elle fut sans importance? Assur^ment
non. S’il eut ete possible de la considerer comme un fait
ordinaire, Thory et Rebold n’auraient pas manque de
nous faire un tableau saisissant de cette magtiifique
reunion d' homines apparlenanl a toutes les tlasse de la
society, et accourus a Wilhelmsbad pour deliberer sur
les grands interets de l’Ordre inagonnique.
Ils ont tronque l’l^istoire dans un but facile a deviner.
(1) Thory, Acta Latomormn ,
F.-. M.-. 19
290
PfiBIODE HISTORIQUE.
Nous allons done reparer cet oubli volontaire. Mes
lecteurs sauront alors ce qu il faut penser de la Franc-
Magonnerie, que Ton se plait h nous representer comme
une societe absolument inoffensive.
JKnigge n’assistanfc pas aux deliberations, il chargea
Minos de faire adopter son plan do campagnc par ses
amis do rEeossisme. De cette maniere il put s'assurer
un nombre de voix considerable.
« J’avoue, difc-il dans ses Derniers ecloirci&sfiments , que
« je consensus un faible pour mes anciens Freres de la
« Strictc-Obscrvaiice. J’en avais deja illumine un si
« grand nombre, que je me ilattais de pouvoir nkinir
t leur systeme au notre. Mou intention netait pas
« de livrer au Congres memo tous nos papiers, ct de
« nous nieltre a la raerci des deputes. Je n'y 6tais
9 pas aulorise par ceux qui m envoyaient. Et nous,
« d’ailleurs, qui n'avions pas en vne cette puissance que
« donnent les grandeurs, le rang ou les richesses ; nous,
« qui nc clicrchions pas a regner dans 1‘edat et aux yeux
t du public; nous, dont toute la Constitution otait d'agir
« dans lo silence et en secret ; comment serions-nous
« alles nous mettre sous la dependanco d’un Ordre qui
« avait si peu d’unite dans ses systemes?
« J’oflris cependant mes services; je les offris de bou-
« che et par ecrit; j’eus pour toute reponse d’envoyer
« mes papiers ou de les presenter au Congres; que Ton
« verrait cc qu on pouvait en prendre, et ce qu’il faudrait
« en laisser (1). »
C’est sans doute a cette demarche de Knigge que fait
allusion Tliory dans le passage cite plus liaut.
Knigge declare qu’a partir de co moment il resolui d’at-
taquer unaun les deputes et cVarriver ainsi a s’emparer
de toutle corps, Loge par Loge.
(1) PniLON, Derniers tfclaircissements .
CH. XV. — l’illumixisme et la f.\ m.*. 291
II manceuvra done de maniere k empecher le Congrds
de faire quoi que ce fut contve les interets de l’lllumi-
nisme, et a obtenir un vote qui permit aux sectaires de
penetrer dans les Ateliers de tout rite, afin de les dominer
ensuite.
Minos se conforma aux instructions qu’il avait retjues,
et parvint k faire decreter :
1 1° La reunion de tous les systemes ma?onniques dans
« les trois premiers grades, de telle sorte qu’un Franc-
« Macon qui serait apprenti, eompagnon et maitre,
* pourrait faire partie de toutes les Loges, a quelque
« rite qu’elles appartinssent ; 2° que dans la Franc-
« Maconnerie ordinaire, il ne serait fait mention ni de
« hauts grades ni de chefs inconnus ; 3° que tout envoi
« d’argent aux superieurs magonniques serait interdit;
« 4° que l’on travaillerait a la redaction d’un nouveau
« Code; C>° que toutes les Loges auraient le choix de leurs
« maitres et de leurs directoires. c'est-a-tlire de la princi-
* pale Loge a laquelle la leur serait soumise (1). »
Thory constate le fait, mais il evite cle dire quo les
Illumines furent les instigateurs de ces ditferentes reso-
lutions.
Or, pendant que son delSgue dirigeait adroitement les
deliberations du Congres, Knigge se transformait en
Frere insinucint. On sait avec quelle habilete il jouait
ce role delicat.
« Je cherchai k savoir, difc-ii, la tournure que les
< choses prenaient dans l’Assemblee. Je sus quels etaient
« les divers systemes que 1’on s’efforoait derondre domi-
« nants. J’etablis avec les chefs du systeme Zinnendorff
* un commerce de lettres que j’entretiens encore. Je
(1) Rapport de Philox, tlaus ies Eerit* origmaux.
29*3
PERIODE HISTORIQCE.
t scrutai adroitement les commissaires des autres classes.
« Plusieurs vinrent s’ouvrir a moi et me confierent leurs
i secrets, parce qu’ils savaient que mes agissements
« avaient pour but l‘interet de In Maconnerie et non point
« un interet personnel. Enlin les deputes apprirent, je lie
« sais trop comment, l’existence de notre llluminisme.
t Us so rendirent presque tons chez moi et me prierent
« de les rccevoir. Jejugeai a propos d’exiger d’euxlos
< lettres reversales (de nos candidats) en leur imposant
« un silence absolu; mais je me qardai Men de leur com-
* muniquer la mobulre partie de nos Merits secrets. Je ne
« leur parlai de nos Mysteres qu'en tennes generaux,
t pendant toutle temps que dura le Congres.
i Je tiols leur rendre justice; jo les trouvai, pour la
« plupart du moins, remplis de la meilleure volonte;
t que si Jeur conduite n’etait pas consequente, e’est uni-
« queinent faute d’avoir ete a unc bonne ecole (1). »
Etant d mines les principos dont Knigge etait imbu,
l’eloge que fait Io mandataire de Weisshaupt de la bonne
volonte de ses nouveaux adeptes est toute unc revela-
tion.
II serait difficile, apres cela, de soutenir que la Macon-
nerie ne reufermait que des homines irreprochables au
point de vue religieux et politique. Notez bien qu’il ne
s’agit pas de quelques deputes sculement. Presque tons
se rendirent chez moi, a soin de faire observer le trop
celebre baron.
Les ecrivains du symbolisme nous disent que l’as-
semblee do Wilhelmsbad cre'a l’Ordre des Chevaliers
bienfaisants . Mais ils n’ont garde d’aj outer que cette
secte au nom philanthropique so composait exclusive-
ment des disciples de Swedenborg et de Saint-Martin.
Bavruel raconte un fait qui peut donner a lui seul une
idee cxacte de l’esprit qui regna dans ce fameux Congres.
(1) Rapport de IMiilon, dans les Edits originative.
CH. XV. — l’illuminisme et la. f,\ m.\ 293
* Je ne sais, dit cet auteur, a laquelle de ces deux
* sectes (d’llluminds) avait ete initid le comte de Virieux ;
« mais 1’une et 1’autre pouvaient egalement lui suggerer
« la maniere dont il exprimait tout ce resultatdu Congres
« maconnique. De retour a. Paris, felieite sur les aclmi -
« rabies secrets qu’il etait cense apporter de sa deputa-
« tion, pi’esse par les saillies de M. le comte de Gilliers,
« qui, dans les Francs-Ma$ons, n’avait encore vu que des
« hommes dont l’esprit et le bon sens ont droit de se
« jouer : Je ne vous dirai pas les secrets que j’apporte,
* repondit le comte de Virieux. mais ce que je croispou-
i voir vous dire , e’est que tout ceci est plus serieux que
i v jus ne pensez; e’est qa'il setrame une conspiration si
* Men ourclie et si profonde , qu’il sera bien difficile d la
< religion et aux gouvernements de ne pas succomber. —
t Heureusement pour lui, ajoutait M. le comte de Gilliers
« on racontaut ce fait, M. de Virieux avait un tres grand
« foods de probity et do droiture. Ce qu'il avait appris
€ dans sa deputation lui inspira tant d’horreur pour ces
* Mysteres, qu’il v renonga absolument et devint un
« lioimne tres religieux. C’est a cela que nous devons le
* zele qu'il montra dans la suite contre les Jacobins (1).»
On peut se faire une idee du succes qu’obtint la propa-
gandc de Knigge, par ce qu’il ecrivait a Caton an sujet
de ses nouveaux adeptes :
* Tous, disait-il, ont ete enchantds de nos grades
« d’Epopte et de Regent ; tous se sont extasies en face de
« ces chefs-d’oeuvre; car e’est ainsi qu’ils appelaient ces
« grades. Deux seulement me firent de legeres observa-
« tions sur quelques expressions, que l’on peut aisement
o changer suivant les circonstances locales et surtout
« dans les pays catholiques (2). »
(1) Barrukl, Memoires pour servir a Jjhistoire du Jacobinisme,
(2) Lettre de Philon d Catos, dans les Ecrits originaucc.
294
PfiRIODE HISTORIQUE.
Deux inities seulemeut qui, sur un pareil nombre,
crurent devoir conseiller quelques modifications absolu-
ment insignifiantes I C’est vraiment peu, etje doute fort
que les admirateurs de la Magonnerie symbolique osent
nous opposer ces deux justes, egares dans la foule, comme
un argument irrefutable en faveur de la secte. Aussi
prennent-ils le parti de se taire.
L’introduction de rilluminisme dans la Franc-Magon-
nerie ne rendit pas cellc-ci beaucoup plus mauvaise
qu’elle n’etait. sous le rapport doctrinal; m ais clle lui
donna, avec runile qu’elle n’avait jamais cue, une puis-
sance irresistible.
A partir du Congres de Wilhelmsbad, les progres de
rilluminisme devinrent chaque jour plus menagants. Le
centre de la secte passa de fait d'Ingolstadt a Francfort
oil Knigge s’etablit. Non seulemcnt la presque totalite de
la Magonnerio en Allemagno subit I’action de rillumi-
nisme, mais oil vit, de plus, s’etablir un certain nombre
de Loges exclusivement composees d’lllumines. II n’y
eut bientot plus une seule ville un peu considerable, en
Souabe, en Franconie, en Westphalie, dans les Cercles
du Haut el du Bas-Rhin, qui n’eut scs Epoptes et ses
ecolcs minervales. La Prusse et l’Autriclie no tardercnt
pas a etre illuminees a leur tour. Le Tyrol l’etait deja.
L’adepte qui avait implante la secte dans ce dernier pays
voulut initier le peuple italien. Des apotros qui n’etaient
ni moins actifs ni moins intelligents se chargerent de la
Belgique et de la Hollande. Le succes depassa partout
les esperances de Weisshaupt. La Livonie accueillit ses
envoyes, la Pologne vint a lui.
Quand il s’agira de l’Angleterre , on prendra toute
sorte de precautions. Les Freres enroleurs seront tries
sur le volet et munis de hautes recommandations.
Voici ce que nous lisons & ce sujet dans un rapport
dmane d’Agis. Cet adepte remplissait les fonctions de
Provincial, sous la direction d’Alberoni :
CH. XV. — L'lLLUMlNISME ETUP.'.M.’. 295
* Cette semaine, dit-il, nous allons recevoir un eccle-
« siastique Lutherien. qui, par ses tours d’adresse, a fait
c pourlaLoge de ce lieu une collecte de neuf mille florins.
« Aussitot la paix faite, il doit partir pour Londres,
« muni d’une foule de recommandations. Le P. F. D. B.
« (le prince Ferdinand de Brunswick) , oncle du due
« regnant, lui a promis de l’appuyer de tout son pouvoir.
• Nous voulons aussi l’employer dans ce pays-la pour
« notre Ordre. II faut qu’il illuminise finalement les
« Anglais. — Une grande perruqu-e hollandaise, un visage
« maigre et bleme, de grands yeux largement ouverts,
« une imagination feconde, une connaissancedes homines,
« acquise en courant le monde pendaiit deux ans, sous le
t costume d’un mendiant : ue croyez-vous pas qu’avec
« cela notre homme va faire des merveilles ? Nous allons
« le styler cet hiver, comme les Hernutes, leurs
« apotres ( 1 ). »
La plupart des princes etaient alors a la merci des
sectaires.
Apres avoir annonce 1 ’initiation du medeein ordinaire
clu comte de Kirchenberg, le Provincial de la circons-
cription ajoutait :
* Le comte n’est entoure que d’lllumines. Secretaire
« intime. Medeein, Pasteur, Conseillers, tout est a nous.
4 Les favoris du prince sont nos adeptes les plus zeles,
4 et nous avons pris nos precautions pour l’avenir. Que
4 l’Ordre s’etablisse aussi bien partout, et le monde est a
4 nous ( 2 ). »
Le veeu formula par cet adepte est A la veille de se
realiser, grace a l’empressement avec lequel les Francs-
Ma?ons se vallient a l’llluminisme. Le baron de Bassus,
(1) Ecrits original { Rapport rf’Aois).
(2) Ecrits original*# (oorrespondance).
298
PKRIODE HISTORIQUE.
envoye dans le Tyrol pour y travailler a l’extension de
l'Ordre, se felicite des bonnos dispositions qui animent
les Loges de ce pays. C’cst dans leur sein qu’il recrute
ses principaux adeptes. Professeurs, Conseillers de
Regence, Ministres de l’Empereur. Presidents. Vice-
Presidents, Maitres de Poste, membres de la haute et
basse noblesse sollicitent la faveur d'etre inilies.
Partout, en Europe, lTlluminisme grandit avuedceil
et cnserre peuples et rois dans ses filets.
Wcisshaupt etait d’ailleurs fecond en ressources, quand
il s’agissait de l’asservisscment d’un peuple aux doc-
trines de la secte, comme on peut en juger par la lettre
suivante :
t J’ai dans la tcte,ecrivait-il ;’i Z track, lell janvier 1783,
« d’entreprendro la Confederation Polonaise, non pas pre-
« cisement pour la mettre dans les affaires de notre Illu-
it minisme, mais simplement comme Franc-Maconnerie,
* pour ctablir un sysleme de Loges confederees, et en
« clioisir ensuile les meilleurs sujets. Nous previendrons
« ainsi la Slricte-Observance et nous la detruirons. Ecri-
« vez au plus tot a Varsovie que vous connaissez a Munich
t etdans plusieurs autres villes bien des Loges pretes a se
« confederer avec eux aux conditions suivantes : 1° Qu’on
t se contentera des trois premiers grades ; 2° que chaque
t Loge aura la liberie dc se donner tels grades superieurs
« qu’elle voudra, et autant qu’clle en voudra; 3° quecha-
« cune sera independante des autres, au moins autant
« que celles d’AUemagne le sont des Loges de Pologne ;
t 4° que toute leur union ne s’entretiendra que par cor-
« respondance et la visite des Freres. Si nous obtenons
« ce point-la, le probleme sera resolu. Je me cliargerai
* de faire le reste (1). »
(1) JCcrifs originaticc #
CH. XV. — l’illuminisme et la f.\ m.\ 297
En Allemagne, tout reussit a souhait.
Apres le Congres deWilhelmsbad, la commission char-
gee de refondre le Code magonnique pouvait entraver,
d’une maniere serieuse, les progres . de l’llluminisme.
Knigge chercha done a insinuer celui des commissaires
qni jouissait de la plus grande influence. Ce personnage
n’etait autre que re baron Bode, appele en Maoonnerie le
Chevalier du lis des vallees (Eques a Lilio conval-
lium). Son grade maoonnique etait celui de Templier-
Commandeur.
La lutte entre ces deux homines fut longue et opinuUre.
Knigge finit par triompher. II fit a son interlocuteur un
tableau si saisissant du but que poursuivait 1'Illumi-
nisme et des moyens employes par les adeptes, que Bode
ne dissimula plus son enthousiasme. II exprima seule-
ment la crainte que les Jesuites ne fussent a la tete de
l’Ordre. Knigge s’empressa de le rassurer. II fit mieux,
il lui prouva que les Illumines detestaient, comme lui,
les disciples de saint Ignace.
« A cette condition, ecrivait 1 'alter ego de Weisshaupt,
< il nous promet : 1° De travailler pour nous, et de nous
• procurer, dans le nouveau systeme ou Code de la Ma?on-
t nerie, l’empire de ses Loges; 2° de faire mettre, autant
« qu’il dependra de lui, entre les mains de nos Illumi-
« nes, les Directoires ou inspections provinciates;
« 3° d’engager les adeptes de la Stricte-Observance h
« fraterniser avec nous; 4° dans la redaction du nouveau
« Code maoonnique, d’avoir toujours devant les yeux le
« plan de notre Ordre, pour le choix des Maiti-es ou
« Venerables, etc.; 5° de faire part a nos superieurs de
« ses connaissances sur l’origine de la Franc-Maoonnerie
« etdes Rose-Croix; de faire imprimer par nos presses
* les deductions promises pour la Stricte-Observance (1);
(1) Cette derniera phrase n’est pas trds daire. Barruel suppose qu’il
298 PEIilODE HISTOK1QUE.
< de les distribuer & notre monde suivant nos arrange*
* ments(l). »
L’alliance de Knigge et d’Amelius-Bode consomma la
mine de la F r a nc - Mat; onne rie au profit de l’llluminismo.
La Loge des Trois-Globes, de Berlin- resista quelquc
temps aux sollieitations des nouveaux adeptes. Elle
essaya merne d’anatlidmatiser eeux qui contracteraient
une alliance quolconque avec les sectaires dent Weiss-
liaiipt etait le pairiarche. Mais les foudres des Macons
•Berlinois ne prodnisirent pas le moindre effet sur les
Logos, et bientot les Illumines purent ajouter aux ins-
tructions qui aecompagnaient un de leurs grades cette
affirmation significative :
« De toutes les Loges legitimement constitutes en
« Allemagne, il n’en est qu’ene seule qui ne soft pas unie
« a nos supcrieurs ; eueore cettc Loge est-elle reduite 4
« cesser ses Iravaux. »
Sur ces entrefaites, Knigge accusuit Weissliaupt de ne
pas tenir suffisamm ent compte des services qu’il avait
reudus a l’Ordre, et Weissliaupt reprochait a Knigge de
meconnaitre son autorite. La correspondanee qu’ils
echangerent a ce propos est vraiment curieuse. Je re-
grette que les limites dans lesquelles je suis enferme
ne me permettent pas de la reproduce.
Knigge quitta ou fit semblant de quitter l’Ordre. Cette
derniere hypotbese est de beaucoup la plus vraisem-
blable ; car il est constate que le fameux baron continua
4 rendre aux Illumines tous les services en son pou-
voir.
Depuis quelque temps, le gouvernement bavarois se
s'a^it du compte des contributions & d^duire pour la Stricte-Obser-
vanco «t a distribuer aux Illumines.
(1) Ecrits originaucc (correspondanee).
CH. XV. — l’illuminisme et la f.\ m.*. 299
preoccupait de l’llluminisme, sans rien decouvrir nean-
moins qui lui permit de s6vir contre ses membres. La
plupart d’entre eux, sinon presque tous, etaient inconnus.
Des lors comment les frapper? D'un autre cote, il fallait,
avant d’agir, avoir des donnees certaines sur la Consti-
tution ct. les doctrines de l’Ordre, toutes choses qui fai-
saient absolument defaut au pouvoir. Ajoutons que les
administrations et le Conseil du gouvernement lui-meme
etaient peoples d’Mumines, et l’on se fera une idee des
obstacles contre lesquels le grand Electeur devait fatalo-
ment se butter.
Prevenu du danger qui le menagait, Weisshaupt tenta
de parer le coup en donnant a ses adeptes des instruc-
tions oil brille une fois de plus sa prudence ordinaire.
Mais la fatalite voulut que l’on interecptat ses lettres.
Dans le courant de fevrier 1785. il fut depose de sa chaire
de droit, comme ayant meconnu les lois et decrets qui
interdisaient les societes secretes en Baviere.
Le gouvernement fit procedor a une enquete. "Les
charges qui peserent. des lors. sur le fondateur de l’lllu-
minisine revetirent un certain caractere do gravite; mais
le venin do la sectc ne parut qu’en partie, dans les
depositions que fireut d’anciens adeptes, dont l’initiation
n’avait pas ete complete, et qui soupgonnaient plutot
qu’ils ne connaissaient les vrais secrets de l’Ordre.
Weisshaupt s’etait retire a Ratisbonne. Ce fut la qu’il
6tablit le centre de ses operations. Plus independant et
plus libre qu’il ne l’etait lorsqu’il professait le droit, il
redoubla d’ardeur pour donner une eian nouveau a son
Illuminisme.
« Au nombre de ses adeptes, raconte Barruel, etait un
« pretre apostat nomine Lanz. Weisshaupt le destinait &
* porter ses Mysteres et ses complots en Silesie. Sa mis-
« sion etait deja fixee, et Weisshaupt lui donnait ses
* dernieres instructions; tout a couple tonnerre gronda
300
PERIODE HISTORIQUE.
« sur la tete du Maitre et de l’Apotre; l’apostat tomba
< raort ; la foudre l’ecrasa 4 coto deWeisshaupt meme (1).
« Dans leur premier effroi, continue Barruel, les Freres
« conjures n’eurent pas le temps de recourir a leurs voies
< ordinaires pour soustrairo anx yeux de la justice le
t portefeuillo dc l’adepte foudroye. La lecture de ses
« pa] tiers offrit de nouvelles preuves qui, envoyees a la
« Coin- de Baviere, la determincrent enfin a donner plus
« de suite a celles qu’avaient deja fournies les deposi-
« tions de MM. Cosandey et Renner (2). »
L'attention de 1’autorite se porta naturellement sur les
amis que Weisshaupt laissait a Ingolstadt. Ces recher-
ches eurent pour consequence la condamnation a l’exil de
plusieurs inities.
Un supplement d’enqudte eutlieu quelque temps apres.
Trois temoins, le Conseiller Aulique Vischneider. l’abbe
Cosandey et l’academicien Grunbcrger deposerent entre
les mains des C'ommissaires instructeurs une declaration
derite, ou se trouvaieut les noms de plusieurs inities
appartenant a la classe des Invisibles. Les signataires
terminaient en disant :
« Nous ne connaissons point les autres, qui vraisem-
« blablement sont des chefs plus cleves encore.
j Apres notre retraite, les Illumines nous calomnierent
« partout de la maniere la plus infame. Leurs cabales
« nous faisaient debouter de toutes nos demandes; ils nous
t rendirent odieux et suspects a nos superieurs; ils pbr-
c terent la calomnie au point de repandre sur un de nous
« le soupcon d’un assassinat. Apres une annee entiere de
« cos persecutions, un Illumine vint representer au Con-
« seiller Aulique Vischneider, que l’experience devait
* l’avoir assez convaincu qu’il etait partout persecute
(1) Apologie des Illumines, dans Barruel, Me moires.
(2) Ibid.
CH. XV. — l’illuminisme et la. f.*. m.\ 301
« par l’Ordre, et que sans recouvrer sa protection il ne
« reussirait dans aucune de ses deraandes; mais qu’il
« pouvait encore revenir sur ses pas (1). >
Toutes ces revelations pass£rent & peu pres inapergues.
On eut dit que les Illumines avaient partout en Alle-
magne des milliers de complices dont la consigne etait de
repondre aux poursuites dirigees contre la Societe par la
conspiration du silence.
Cependant, le 11 octobre 1786, des recherches ayant ete
faites chez Caton-Zwack et au chateau do Sanderdorf
appartenanl au baron de Bassus ( Annibal pour les Illu-
mines), on decouvrit les lettres, les discours, les regies,
les statuts, toutes les pieces, en un mot, que I’on a pu-
bliees sous ce titre : Ecrils orkjinaux de I'Ordre et de la
secte des Illumines,
Les coupables se defendirent dans la mesure du pos-
sible.
De son c6te, le gouvernement bavarois adressa un
exemplaire des documents qu’il avait recueillis et pu-
blics aux souverains de l’Allemagne. Cette demarche ne
produisit aucun l-esultat. On eClt pu se demander avec
quelque raison si ces princes n’etaient pas infeod£s a
l’llluminisme en qualite d’adeptes. Les autres Etats de
1’Europe se montrerent tout aussi indifferents. Cela prouvc
une fois de plus que les principes de la Secte avaient
penetre jusque dans les Cours a la faveur de la Magonne-
rie. Les families royales comptaientparmileurs membres
des disciples de Veisshaupt, sans parler des ministres,
des magistrats, des ecrivains et meme des prelats qui
trouvaient tout naturel de se faire initier.
(1) A^olcijie des Illumines, dans Barruel, Mdmoires*
CHAPITRE XVI
li’Illuminisme en Franco.
SoMMAias. — Transformation delTlluminisme. — L'Union germanique
— Organisation et but de cette society. — La troisieme Republique
en copie les proc£des tyranniques. — Initiation do Mira beau k rillu-
minisme. — Talleyrand fait partio de la secte. — Philippe-Egalite
devient Chevalier Kadosch. — Flat do la Franr-Maconnerie k cette
Spoque. — Les Loges do Paris. — Les Amis-Ueunis et la Sour<li£re.
— Les Tiidosophes dTtrmdnonville. — Cagliostro. — Ses peregrina-
tions en Europe. — Son sejour en Uussie et it Strasbourg. — II
organise des Logos h Lyon et h Bordeaux. — II revient a Paris et s’y
fixe pour «n temps indetermine. — II foitde une Logo d'adoption, et
cree une Franc-Maconnerie 11 i’ us a go des femmes du rnonde. — Inau-
guration de Ja premiere Loge. — Detail scandaleux racontd par les
historiens. — Com prom is dans l'aUaire du Collier, C’agliostro cst mis
hors do cause. — 11 quitte Paris et se rend h Londros. — Ses propheties.
— II voyage en Allemagne, en Suisse, en Ilalie, et s’anvte h Rome.
— Saisi par la police pontilirale, il est juge et condamne k uiort. —
Le Pape commue sa peine. — Singuliers details qu’il donne au tri-
bunal de rinquisition sur les Illumines. — La Loge des Xeuf-Sceurs k
Paris. Ses principaux membres. — La Franc-Maconnerie est respon-
sable des crimes de la Terreur. — A veu x de Kebold h. Pendroit de
cette question. — Pourquoi Jes Loges devinrent dcsertes quand la
Revolution eut t.riomph$. — Decheance du due d’Orl^ans conmie
Grand-Maitre etcomme depute.
Dans la pensee do Weisshaupt, la France ne devait
etro initiee que quaud tons les autres peuples le seraient.
II se mefiait du caractere impatient de la nation. Disons
Ouvrages consults : Behold, Ili stairs des Train Gr trades- Lows;
Precis historique des rites d Hants grades. — K.ioo.v, Orlhndaxic
mn<;tmnique. — . Bajirukl, IHowircs pour servir d Ihistoirr. du Jaco-
binisme. — Le franc, Le Voile levs pour les curieux ; Conjuration
contrc la religion catholiquc et les souverains. — Gyr, La Fran<‘-Ma-
(onneric cn dle-meme et dans ses rapports avee les autres sveietes
secretes de V Europe. — Onci.air, La Franc-Maconnerie dans ses
origines, son dcvdopx>ement physique et mural , sa nature et ses ten-
CH. XYL. — L’iLLTTMINXSME EN FRANCE. 303
toutefois qu’il fit une exception en faveur de 1* Alsace. Les
Loges de cettc province furent illuminees immediatement
apres le Congres de Wilhelmsbad.
Lorsque les papiers relatifs a la Secle tomberent entre
les mains du gouvernement bavarois, i’avenir de ITllu-
minisme sembla tout d’abord compromis, malgre l’in-
souciance avec laquelle les souverains accueillirent. la
revelation inattendue de cette conspiration. Mais il n’cn
fut rien.
Weisshaupt et ses affides avaient prevu le cas et
pris leurs mesures en consequence.
t Excepte Weisshaupt. qui avait su 6chapper &, ses
« juges, dit Barruel, pas un des conjures n ’avait etd
« coudamne a des peines plus fortes que l'exil on une
« prison passagere. Dans tout le reste de l’Allemagne,
* depuis le Holstein jusqu’ii Yenise, depuis la Livonie
t jusqu’a Strasbourg, pas la moindre recherche n’avait
« ete faite dans leurs Loges; la plupart des adeptes re-
« connuspour les plus coupables avaient trouve bienplus
« de protection que d’ indig nation, aupres de ceux memes
dances. — Bazot, Precis historique de VOrdre de la JFr anc-Ma Con-
ner ic . — La Franc- Ma Q.onnerie sownise d la publicity d Vaide de docu-
ments authentiques . — Galiffe, La Cliatne Symbolique . — Boubee,
Etude sur la Franc-Ma$onnerie . — Histoire de la conjuration de Louis-
Philippe-Josephd Orleans, surnommd Egalite ; — Histoire du Grand-
Orient de France. — Tuory, Acta Latomorvm. — P. Zaccone, His-
toire des Societds secretes. — Louis Blanc, Histoire de dix ans . —
Robison, Preuvcs de Conspirations centre tovtes les religions et tons
les gouverncments de Y Europe, ourdies dans les assemblies secretes des
Illuminis, des Francs-Ma^ons et des societis de lecture. — Le Couteulx
deCanteleu, Les Sectes et Sociitis secretes politiques et religicuses . —
Clavel, Histoire pittoresque de la Franc- Maconnerie. — Bonneville,
La Maconnerie icossaise comparie avec les trois perfections et le
secret des Templiers.
Xota. — Je ne fai s pas entrer dans cette liste les ournges sp^ciaux
sur les Illumines dont j’ai donn6 les titres en tete d’un autre cha-
pitre, ni les liistoires de la Revolution frangaise que j*ai dCi consulter
pour completer et contrdler les auteurs ma$onniques.
304
PERIODE HISTORIQUE.
« contre lesquels se dirigeaient tous leurs com plots;
« malgre les preuves les plus authentiques et les plus
« evidentes de sa felonie, et fort peu de jours meme apres
« toutes les preuves acquises contre lui, Zwaek obte-
« nait et produisait, de sa probite, de sa fidelite aux lols
> de son prince, dos certificats que l’on eut dit signes par
« des complices bien plus que par les membres du Cou-
* seil Aulique ; et le prince de Salm-Kirbourg l’appelait a,
« sa Cour, pour en etre servi sans doute avec la meme
« fidelite. Les conjures, Brutus-Savioli et Diomede Cons-
« tanza, pouvaient, partout ailleurs qu’en Bavierc, for-
« mer des adeptcs a leur conspiration, aux depens meme
« du prince qui l’avait dccouverte chez lui. Ce Tibere-
« Merz, dont les Ecrils originaux attestaientl’infamie, la
« portait triomphantc avec ses complots, a la suite de
« l’ambassadeur de l’Empire, jusqu’a Copenhague.
« L’adepte Alfred-Seinsheim ne faisait qu’echanger la
* faveur de son prince contre cello du due de Deux-
* Pouts, ct deja l'intrigue menageait son retour a Mu-
« nich. Spartacus lui-meme jouissait trauquillement de
« son asile et de ses pensions aupres des princes, ses
« viclimes plus encore que ses eleves. Jamais conspira-
« tion n’avait ete plus monstrueuse ct si publiquement
i devoilee; jainais conjures n’avaient trouve tant de
« moyens de la continuer a 1’ombre de ceux metnes qui
« en etaient le grand objet. Ainsi tout annongait que la
« fuite de Weissliaupt ne serait, pour la Secte, que ce
« qu’avait etc pour l’lslamisme cclle de Mahomet, i’H6-
« gire de nouveaux et plus grands sucees (1). »
Quoique la precaution fiit a peu pres inutile, les Illu-
mines curentsoin de dire et de faire dire, apres les pour-
suites dirigees contre eux, quo 1’Ordrc n’existait plus. On
saitque Weisshaupt iaissait aux Loges qu’il aftiliait it
(1) EUrrukl, Mdmoires pour servir d Vhistoh'c du Jacobinisme ,
CH. XVI. — L’lLLUlIINISME EN FRANCE. 305
i’llluminisme une autonomie apparente, afin d’eviter les
perils qui resultent presque toujours d’une solidarity
quelconque entre les membres d’une meme societe. La
manoeuvre etait habile. Nous constaterons bientot qu’elle
reussit on ne peut mieux.
En Allemagne comme en France on vit, au xvn® siecle,
une foule d ecrivains attaquer avec obstination les ensei-
gnements du Christi anisine. Des ministres Lutheriens
eux-memes ne rougissaient pas de nier dans leurs livres
les verites qu’ils avaient mission de pitcher dans leurs
yglises.
Afin que ces diverses publications eussent un plein
succes, on forma une association de propagande, dont le
but n’etait pas sculement d’exalter et de mettre en relief
ce que los sectaires publiaient. mais aussi d’entraver
l’apparition des bons livres ou d’en faire echouer la rente,
quand les auteurs parvenaient a trouver un editeur.
Le fameux Nicolai, ocrivain et libraire tout a la fois,
devint le chef de cette confederation d’un nouveau
4
genre.
Ce fut Leveller-Leuchsenring qui l’initia a rillumi-
nisme. Un autre adepte, non moins precieux pour
l’avenir de l’Ordre, etait venu se joindre aux conspira-
teurs peu de temps auparavant. Je veux parler du doc-
teur Bahrdt. quo Minos-Dittfurth avait insinue et auquel
on doit en partie la nouvelle organisation de la Secte.
Vingt-deux Illumines, choisis parmi les plus capables,
etaient places a la tete de l’association et la dirigeaient.
Les inities, repandus dans les provinces, obeissaient
aveuglement a 1'impulsion qui Ieur etait donnee.
l^es ecrivains, les libraires, les imprimeurs et les
maitres do poste avaient tout particulierement droit a
la bienveillance des affides, lorsqu’ils ne manifestaient
aucune repugnance pour les principes du nouvel Illu-
minismc.
Les societaires se divisaient en membres actifs et en
F.-. M.\ S.)
306
PfilUODE HISTOBIQUE.
simples associes. Les premiers seals etaient au courant
de ce qui se tramait dans les conciliabules de la Secte.
Les Freres devaient etablir, dans toutes les villes
de quelque importance, des cercles litteraires, dont les
biblioth^ques , soigneusement composees, devenaient
une attraction pour les jeunes gens studieux et un piege
babilement tendu it leur inexperience.
La Societe avait, au surplus, un certain nombre de
journaux. La direction et la redaction en etaient conliees
a des adeptes de talent.
Les libraires no pouvaient manqucr de protester contre
une organisation de ce genre. Les conjures avaient prevu
le cas. Us oiTrirent done ji ces modestes negotiants de
les aidera vendre leurs livres, s’ils consentaient a n’avoir
dans lours magasins que des ouvrages approuves par
rUnion-Germanique. Dans le cas contraire, la Society
refusait do s’occuper d’eux, a moins que ce ne fiit pour
les decrier dans l’opinion publique.
Les auteurs etaient circonvenus a leur tour. On ne
negligeait rion pour les amener a ecrire dans lo sens de
la Secte. S’ils se laissaient persuader, toutes les gazettes,
litteraires et autres, faisaient l’eloge de leurs oeuvres
et en assuraient le succes. Mais lorsque, fermes dans leurs
principes, ils s’obstinaient a defendre les doctrines que
les Illumines combattaient d’ordinaire, leur situation de-
venait intolerable. Tantot ils ne pouvaient trouver ni
imprimeurs, ui editeurs qui consentissent a se charger
de leurs oeuvres. Tantot leurs livres paraissaient en
retard ou etaiont cribles de fautes. Le plus souvent la
presse reussissait d en degouter le public par l’unanimite
de ses critiques.
Le moyen le plus ordinairement employe pour discre-
diter un auteur qui ne faisait pas profession d’atheisme
consistait si le traiter de Jesuite. On representait les dis-
ciples de saint Ignace comme des conspirateurs aussi
babiles que dangereux, qui se dissiraulaient sous toutes
CH. XVI. — L’lLLUMINISME EN FRANCE.. 307
sortes de costumes. Le clerge lutherien etait parfois ac-
cuse de Jesuitisme, et cette accusation, quelque insensee
qu’elle fut, suffisait presque toujours pour discrediter
celui qui en etait l’objet.
Les Francs-Magons de la troisieme Republique se sont
souvenus de Nicolai et de Bahrdt, dans leur lutte contre
l’Eglise, et a l’epithete de Jesuite ils ont substitue celle
de clerical. Et le peuple franqais, aussi stupide que les
Allemands du xviii« siecle, se persuade, & la voix de ses
maitres, que les clericaux meditent les plus noirs des-
seins contre 1’ordre de choses etabli. II ne comprend pas
que les continuateurs de Weisshaupt ne recriminent
contre les catholiques et ceux d’entre les republicans qui,
comme Jules Simon, sont respectueux de la liberty,
qu’afin d’asservir plus facilement le pays et de l’exploiter
tout a leur aise.
Los Illumines voulaient avoir le monopole de l’edu-
cation. C’est dans ce but qu’ils cherchaient a s’emparer
de la presse et de la librairie, esperant qu’ils reussiraient
a devenir les regulateurs exclusifs de la pensee humaine.
N'est-ce pas ce que nous voyons de nos jours? Non
contents de livrer lajeunesse a des instituteurs qui ne
peuvent, sans se compromettre, rappeler a l’enfant que
Dieu existe, nos hommes d’Etat s’arrogent le droit
exclusif de designer les ouvrages dont les bibliotheques
communales doivent etre composees.
Ce genre de despotisme n’avait, encore pesd sur le
monde qu’au temps des Illumines et sous le regne de
Julieii l’Apostat. II etait reserve a notre epoque de le voir
se dechainer une troisieme fois et menacer les nations
europeennes de la plus humiliante des servitudes.
Les families sont depouillees de leurs droits en matiere
deducation, en vertu de ce principe que les enfants ap-
partiennent a l’Etat. Nul desormais ne pensera autre-
ment que les hommes du pouvoir. II n’y aura d’autre
science, d’autre litterature, d’autres tendances politiques.
PERIODE HISTORIQUE.
308
soeiales on religieuses, que la science, la literature et les
tendances des aventuriers qui se sont empares de la
France, en semant autour d’eux le mensonge et la cor-
ruption.
Or, qui ne sait que les miserables qui ont fait et con-
tinuent it faire de notre pays la risee de l’Europe sont
tons, sans exception , sortis des antres de la Ma?on-
nerie ?
Je me trouvais, il y a quelques mois, dans une ville du
midi. Un hoimne du peuple, avec lequel je parlais j>oli-
tique, me posatout a coup cette question : Pourriez-vous
me dire. Monsieur, a quelle ecoleont etc formes les cretins
malfaisauts qui nous gouvernent? — A l’ecole des Leges
maconniques, lui repontlis-je. et si la France veufc sortir
une fois pour toutes du gachis ou elle se debat, elle devra
renvover a leurs Ateliers les seetaires qu’elle s’est don-
nes pour raaitres.
Lorsque l'Union-Germanique, qui n’etait autre chose
qu'uuo transformation de lTlluminisme, fut parvenue ;i.
l’apogee de sa puissance au dela (lu Rhin. en Italic et
dans le nord de 1’Europe, les chefs de la Secte songcrent
a initicrle peuple fran?ais.
Une circoustance des plus favorables leur en offrit le
moyen. Miraheau, envoye en Prusse par les ministres
de Louis XVI. qui le chargerent d’une mission secrete
pres la Cour de Berlin, entra en relation avec Nicolai.
Le rase libraire ne tarda pas a voir de quelle precieuse
ressource le nouveau venu serait pour la Secte. 11 com-
prit. en outre, que son initiation n’exigorait pas de longs
preiiminaires. Ce fut Mauvillon, professeur au college
carolin, <[ui fut charge de conferer a Mirabeau les grades
de L’liluminisme.
A son retour en France, le futur grand orateur n’eut
rien de plus pvesse ([ue d’intioduire les principes de
Wcisshaupt et de scs adherents dans la Loge qu’il pre-
sidait. Talleyrand Perigord, le trop fameux eveque
CH. XVI. — L’lLLUMINISME EX FRANCE. 309
d’Autun, fut le premier adepte de Mirabeau. Les Illumines
francais n’etaient pas assez au courant des doctrines de
l'Ordre et des precautions minutieuses que son fonda-
teur avait coutume de prendre k l’egard des candidats,
pour se passer du concours des lieutenants de Weiss-
haupt, dans l’ceuvre de propagande qui avait ponr objec-
tifies Loges maconniques. Amelius-Bode et le baron de
Busche. dont le nom de guerre etait Bayard, furent char-
ges de proceder aux premieres initiations.
Les deputes de l’llluminisme dtaient d’autant plus
assures du succes de leur mission, quo le Grand-Maitre
de la Franc-Maconnerie, Philippe d’Orleans, etait moins
eloigne de leurs doctrines.
Celui qui se donna plus tard le nom devenu tristement
cdebre d’Egalite avait ete initie, des le debut de sa Mai-
trise, aux grades les plus eleves de l'Ecossisme. Or, nous
avons vu que les Macons de ce rite etaient en communion
d’idecs avec les coryphdes de la Secto allemande. La seule
chose qui leur manquat. la concentration du pouvoir, ils
la trouverent dans la redouUtble organisation dont Weiss-
haupt etait 1’ auteur.
« Void en peu de mots un precis de la doctrine, au
» maintien et a la propagation de laquelle Louis-Phi-
« lippe-Joseph jura de contribuer de tout son pouvoir,
« lorsqu’il fut admis au grade de chevalier Kadosch. »
1* « Tons les homines sont egaux; nul ne peut St re le
« superieur d’un autre, ni lui commander.
2° « Les souverains doivent appartenir <1 la multitude ;
« les peuples donnent la souverainete comme ils veulent,
• et la reprennent quaml ils veulent.
3° * Toutc religion presentee comme l’ouvrage de Dien
• est une absurdity.
4° < Toute puissance se disant spirituelle est un abus
• ct un attentat.
310 PERIODS HISTORIQUE.
« Pour etre admis au grade de chevalier Kadosch,
« Louis-Philippe-Joseph fut introduit par cinq Francs-
« Masons appeles frcres, dans une salle obscure. Au fond
« de cette salle 6tait la representation d’une grotte qui
« renfermait des ossements eclaires par une lampe
« sepulcrale. Dans un des coins de la salle, on avait
* place un mannequin couvert de tous les ornements de
« la royaute, et au milieu de cette piece on avait dresse
« une echello double.
« Lorsquc Louis-Philippe-Joseph eut ete introduit par
< les cinq Treres, on lc fit etendre par terre, comme s’il
« eut ete mort; dans cette attitude, il eut ordre de reciter
t tous les grades qu’il avait re?us, et de repeter tous les
t serments qu’il avait fails. On Ini fit ensuite une pein-
« ture emphatique du grade qu’il allait recevoir, et on
t exigea qu’il jurat de ne jamais le conferer a aucun
« chevalier do Malte. Ces premieres ceremonies fiuies,
« on lui permit do se relever; on lui dit de monter
* jusqu’au haut de l’echelle, et lorsqu’il fut au dernier
« echelon, on voulut qu’il se laissat choir. II obeit, et
< alors on lui cria qu’il etait parvenu au nec plus ultra
« de la Ma<;onnerie.
* Aussitot apres cette chute, continue l’auteur auquel
« j’emprunte ces details, on l’anna d’un poignard, et on
* lui ordonna de l’enfoncer dans le mannequin couronne;
« ce qu’il execute. Une liqueur couleur de sang jaillit de
« la plaio sur le candidat, et inouda le pave. 11 eut de
t plus l’ordre de couper la tete de cette figure, de la tenir
« elovee dans la main droito, et de garder le poignard
« teint de sang dans la main gauche; cc qu'il lit. Alors
« on lui apprit que les ossements qu’il voyait dans la
« grotte etaient ceux de Jacques de Molay, Grand-Maitre
t de I'Ordre des Templiers,et que l’homme dont il venait
« do repandro le sang, ct dont il tonait la tetc ensan-
fi glanteo dans la main droite, etait Philippc-le-Del. roi
fi de France. On 1’instruisit tier plus que le signo du grade
CH. XVI. — i/lLLUMINISME EN FRANCE. 311
« auquel il etait promu consistait a porter la main clroite
« sur le coeur, a l’etendre ensuite horizontalement, et &
« la laisser tomber sur le genou, pour marquer que le
« coeur d’un chevalier Kadosch etait dispose a la ven-
« geance. On lui revela aussi que Tattouchement entre les
« chevaliers Kadosch se donnait en se prenant la main
« comme pour se poignarder.
« Enlin toutes ces burlesques et tragiques scenes se
« terminerent par un interrogatoire qu'on fit subir au
« nouveau chevalier, et dont voici les principaux articles :
D. — « Que prononcez-vous en venant de la grotte ?
R. — « Nekom. ( Ce mot sign /fie : Je I’ai retranche du
« nombre des vivants).
D. — - « Qu’avez-vous en mains?
R. — « La t6te du traitre qui a assassine notre pere,
« et un poignard.
D. — « Comment nommez-vous les ouvricrs qui s’uni-
« rent pour la construction du nouveau Temple ?
R. — « Pacl-Kal, Pharas-Kal. ( Ces mots signifient:
« Ceux qui mettent d mort les profanes. »
L’ auteur en question fait suivre ce recit des reflexions
quon va lire :
« Je pense, dit-il, qu'on ne saurait blamer ceux qui, au
« travers de toutes ces noires folies, croiraient voir une
« veritable conjuration contre les successeurs de Philippe-
« le-Bel. En ne considerant ces sanguinaires sottises que
« comme des divertissements, on ne pourrait s’emp£cher
« d’eu avoir horreur, parce que des jeux ou Ton manie des
« poignards, ou Ton se couvre de sang, ou Ton coupe des
« teles, son t des jeux execrables qui donnent des moaurs
« atroces; et il est acroire que si de telles plaisanteries
« fussent venues a la connaissance des souverains, ils ne
« les eussent nuliement goutees.
« Comme co qui est su de plus d’une uersonne n’est
312 P^RIOBE HISTORIQUE.
« jamais bien cache, une partie de ce que je viens de
« rapporter transpira dans le public vers les premiers
« jours de la Revolution, et, par ce penchant qu’on a
« a exagerer meme le mal,on pretendit que le mannequin
« que Louis-Philippe- Joseph avail frappe d’un poignard
« representait la personnede Louis XVI. Sans m’arroter
« aux bruits populaires. et pour m’en tenirau sens que
« presentent naturellement les actions, il me parait qu’on
« peut raisonnablement presume]* que Louis-Philippe-
« Joseph iit, parmi les Francs- JIa-;ons, apprentissage de
« cruautc; qu’en sc faisant initier a leurs plus liauts
« Mystcres, il eut l’idt'e de les bien convaincre qu’il leur
« etait entierement devoue, et qu'enfin ce fut dans leur
t sein qu’il concut Pospoir de s etayer des menees et des
« ressources de cette nombreuse societc, pour arriver au
« but que lui montraient sa vengeance et son ambition,
€ II semblait s’en ecarter en se declarant avec energie
« rennemidos rois el Tami do la- iibertd et de I’ogalitc.
« Mais la philanthropic est 1c masque de tous* les usur-
« pat ears; quaml cost h l'aide de la multitude qu’ils
« pnHemlent s’olover, il faut bien qu’ils donnent dans son
« scns,il faut bien qu’ils lui presentent un appas ; et plus
< ils soiit grands, plus ils cherohent a paraitre petits,
« afin cle la bien convaincre do rattachemeut qu’ils
« feignent de lui porter (1). »
Le Grand-Orient, a l’epoquo ou la juridiction du due
d’ Orleans fut rcconnue par tous les rites, exeivait une
puissance a peu pres absolue sur les di verses Luges de
France. Le prince ayant fait un voyage dans le Midi, peu
de temps apres son avenemeut a la Maitrise, ii fut
accueilli avee le plus grand cnlhousiasme par les Ateliers
qudl visita.
On comptait, en 1787. deux cent quatre-vingl-ileux
1 1) llisloire do la conjuration de Louis -Philippe- Joseph d'Orltans.
CH. XVI. — I/ILLUMINISME EN FRANCE. 813
villes dans le royaume ayant une ou plusieurs Loges
regulierement etablies. Paris en possedait plus de quatre-
vingts. II y en avait seize k Lyon, sept k Bordeaux, cinq
a Nantes, six a Marseille, dix k Montpellier et autant k
Toulouse.
Un grand nombre de Macons Strangers etaient places
sous l’obedience du Grand- Orient de Paris, et en execu-
taient les ordres avec la meme ponctualite que les adeptes
francais. Citons, entre autres, les Loges de Chamb^ry,
du Locle (Suisse), de Liege, dc Spa, de Leopold, de Var-
sovie, de Saint-Petersbourg, de Moscou, de Portsmouth,
de Port-Royal, et de toutes les colonies francaises.
En tete des Loges les plus importantes de la capitale
figurait celle des Amis-Reunis. Savalette do Lange en
etait l’ame. On y trouvait me les et confondus des adeptes
appartenant a toils les systemes. L’aristocratie en avait
fait un lieu de rendez-vous.
« Une musique melodieuse, les concerts et les bals y
« appelaient les Freres de haut parage, raconte Barruel.
< Iis y accouraient en pompeux equipages. Les alentours
i etaient munis do gardes, pour que la multitude des voi-
« tures ne causat point de desordre. C’etait en quelque
< sorte sous les auspices du roi meme que ces fetes se
« celebraient. La Loge etait brillante, les Cresus de la
« Maconnerie fournissaient aux depenses de l’orchestre,
« des flambeaux, des rafraichissements, et de tous les
< plaisirs qu’ils croyaient etre le seul objet de leur
« reunion (1). »
Mais, pendant que les bornes de la Secte so livraient
aux jouissances d’une vie facile, le Comite secret des
Amis-Reunis deliberait, au-dessus de la salle de bal, sur
les grandes questions qui devaient, quelques annees plus
0) Barruel, Meivoires pour srrvir ft Vhistoirc du Jacobinisme,
314
PSRIODE HISTORIQUE.
tard, soulever en France les passions les plus violentes
et bouleverser de fond en comble l’ordre de choses etabli.
C’est la qu’etaient les archives de la correspondance
secrete, etque Ton redigeait les circulaires destinees aux
Ateliers de la province et de l’etranger.
LaLoge de la Sourdiere se composait d ’Illumines fana-
tiques et de charlatans. Les disciples de Swedenborg y
coudoyaient les Martinistes, et les adeptes de Weiss-
haupt s’y melaient aux anciens Rose-Croix et aux secta-
teurs de Mesmer et de Cagliostro.
Saint-Germain avait etabli une Loge de Theosophes
au chateau d’Ermenonville. II parait que sous le falla-
cieux pretexte de ramener l’homme a l’etat de nature,
conformement a la theorie de Jean-Jacques Rousseau, les
inities de ce rite se livraient aux exces les plus revoltants.
Les femmes n’etaient pas exclues de leurs reunions. On
afflrme, et le fait parait demontre, que celles que Ton
admettait une fois aux Mysteres de la Loge devenaient
communes a tous les Freres. L’init ice que Saint-Germain
jugcait a propos de choisir pour son usage personnel
etait la seule qui echappat a cette promiscuity renou-
velee dcs Adamites.
Cagliostro lit partie. pendant quelque temps, de la Loge
dela Sourdiere. C’est la qu’il connut les projets de l’lllu-
miuisme francais, dont il fut, on le sait, un des agents
les plus redoutables. II n’y a done pas lieu de s’etonner
des predictions qu’il fit pendant son sejour a Londres,
sur les evencments dont la France etait menacee.
Balsamo passa plusicurs annees en Belgique, oil l’ac-
cueillirent avec sympathie les Macons do la Stricte-
Observance, les Templiers et les Illumines. Ces derniers
lui temoignerent une vive sympathie et lui confierent
le soin de propager leur doctrine. Afin de mieux assurer
le succes de sa mission, il completa le Rituel de l’Ordre
en ajoutant au ceremonial des initiations ce que les
Mysteres egyptiens oll'raient do plus seduisant.
CH. XVI. — L’lLLUMINISME EN FRANCE. 315
Les connaissances qu’il possedait en medecine aug-
menterent l’Sclat de sa reputation deja europeenne. II
parcourut successivement l’Allemagne, l’ltalie, l’Espa-
gne, l’Angleterre, le Holstein, la Courlande et la Russie,
operant ce que l’on appelait alors des prodiges, presi-
dant en secret les Loges Magonniques et en crdant de
nouvelles.
II obtint a Saint-Petersbourg un succes merveilleux,
grace a l’accueil bienveillant de l’imperatrice Catherine.
Mais sa femme, Lorenza, etant devenue, paralt-il, la inai-
tresse de Potemkin, la souveraine mecontente signifia
au celebre aventnrier d’avoir a quitter ses Etats dans
quatre jours. Toutefois, elle lui fit un don de vingt raille
roubles, pour le dedommager du coup qui le frappait.
Les deux expulses se dirigerent sur Strasbourg, ou. le
bruit de leur nom les avait precedes. La, Cagiiostro
raconta qu’il tenait du roi de Prusse. Frederic II, un
brevet de colonel, qu’il montrait complaisamment. Mais
il n’en continua pas moins a exercer la medecine, visitant
les hopitaux et distribuant aux malheureux de nom-
breuses aumones.
II se concilia, de cette fagon, la bienveillance du clergd,
et en particulier du cardinal de Rohan, qui voyait en
lui un chretien d’une charite inepuisable et un alchi-
miste de grand talent. On sait que, dans une seance qui
fit beaucoup de bruit en Europe, Cagiiostro reussit k
produire de l'or pour une somtne considerable. Le cardi-
nal en fut d’autant plus emerveille qu’il etait crible de
dettes.
A Strasbourg comme ailleurs, il se servit de son pres-
tige pour etablir de nouvelles Loges, et augmenter d’au-
tant la funeste influence de l’llluminisme.
En quittant l’Alsace, il se rendit a Lyon, et de Lyon k
Bordeaux, ou il organisa un certain nombre d’ Ate-
liers.
Sa mission terminee en province, il retourna a Paris
31G
PERIODE HXSTORIQOE.
et se fixa au Marais. Sa maison, entouree de jardins f
convenait on ne peut mieux au role qu’il avait a jouer.
Pendant qu’il feignait de se livrer, dans son laboratoire,
& des operations mysterieuses, Lorenza faisait l’admi-
ration de la capitale par l’eclat de sa beauts.
Cagliostro vdcut prfes d’une annee dans la retraite. Ce
fut pendant cette periode de calmo apparent qu’il se lia
avec la comtesse de Lamotte, devenue depuis si triste-
ment colebre.
En 1782, il fonda une mere-Loge d’adoption de la haute
Ma<;,onnerie egyptienne, et une Loge spdeiale pour 1’elite
de scs disciples.
On raconte que les Ateliers de Paris envoyerent leurs
deputes a une seance solennelle qu’il organisa vers cette
fipoque, et oil il deploya toutes les ressources de sa mer-
veilleuso Eloquence. Les Freres visiteurs se retirwent
enchant As.
Pen de jours apres, il reunit chez lui six convives, parmi
lesquols se trouvait Philippe d ’Orleans. A la fin du diner,
Cagliostro ovoqua six molds qui upparurent, au grand
etonuoment. dcs spectaleurs. On ajoute que ces illnstres
dei'unls, apres avoir medit de leur prochain avec l iniim-
denco de gens qui ne craignent pas plus un coup d’epee que
les arrets de la justice, ne s’epargnercut pas eux-m&nes,
joiguant lc cynisme a leur manque absolu dc charity.
Les revenants dont Cagliostro avait ainsi derange lo som-
meil n’elaient autres quo Voltaire, Diderot, d’Alembert,
Montesquieu, do Clioiseul et l’abb6 de Voisetion.
Realisant a Paris un projet quo Zwaek et les autres
Areopagites avaient conou et puis abandonne, Cagliostro
etablit une Maconnerie de femmes.
Void quel etait le plan general de cet Ordre.
« Il devait se composer de deux classes d’adeptes ayant
« chacune leur societe et leur secret a part. La premiere
CH. XVI. — l’illuminisme ex fraxce. 317
« se serait composee de femmes vertueuses, et la seconde
« de femmes volages, legeres et voluptueuses.
« Les lines et les autres, dcrivait Zwack, ignoreront
« qu’elles sont dirigees par des hommes. On fera croire
« aux superieures qu’il est au-dessus d’elles une mere*
« Loge du mSme sexe, leur transmettant des ordres qui,
« par le fait, seront donnes par des hommes.
« Les Freres charges de les diriger leur feront parve-
« nir leurs lemons sans se laisser connaitre. Ils condui-
• ront les premieres par la lecture de bons livres, et les
« autres en les formant a l’art de satisfaire secretement
< leurs passions.
« L’avantage que l’on peut se promettre de cet Ordre
• serait do procurer au veritable Ordre lout l'argent que
« les Soeurs commenceraient par payer et tout celui
« qu'elles promettraient de payer pour les secrets qu’on
« aurait a leur appreudre. »
L’inauguration de la Loge se fit avec beaucoup de
solennite. Parmi les initiees figuraient Charlotte de Poli-
gnac, la comtesse de Brienue, la comtesse Dessalles,
Mmes de Brassac, deChoiseul, d’Espinchal, deTrevidres,
de la Blache., de Boursonne , de Montchenu, d’Auvet,
d’Ailly, de la Fare. d’Evreux, de Monteil, d’Erlach, de
iirehant, de Bercy, de Baussan, de Lomenie, de Grenlis,
d’Havrincourt, etc.
La seance Unit par un diner auquel furent invites, ra-
conte la chronique, les amants de ces dames. On a meme
publie les poesies quelque peu graveleuses qui furent
r£cit£es a cette occasion et que les poetes de la nouvelle
Loge avaieut composees pour la circonstance ; ce qui
prouve une fois de plus que la Maconnerie a pour mission
f clever des temples a la vertu et de crcuser des cachots
pour les vices.
En ferine a la Bastille, a la suite de l’affaire du Collier,
Cagliostro sc defendit avec beaucoup de talent et fut mis
318
P&RIODE HISTOIUQUE.
hors de cause. Oomme le sejour de Paris ne lui offrait
plus une garantie sufiisante, il se retira a Londres, ou il
redigea sa fameuse Iettre au peuple francais. Dans cette
piSce, il annoncait la Revolution, la demolition de la Bas-
tille, la chute de la Monarchic, la convocation des Etats
Generaux, et l’avenement d’un prince qui abolirait les
lettres de cachet.
On voit par la que les societes secretes avaient un pro-
gramme politique bien arrete, programme qu’elles ont
realise dans toutes ses parties, a l’exce))tion de ce qui
concernait 1’arrivee au trone du due d’Orleans. Caglios-
tro predisait encore quo la vraic religion serait relablie.
Nous avons eu dabord la Constitution civile du clerge. et
plus tard le culte de la Raison. Tout fait supposer que
cette derniero forme de l'idee roligieuse etait celle qu’ap-
pelaient de leurs veeux les Logos mo^onniques et que
faisait entrevoir leur sinistre prrqdiete.
A Londres, Cagliostro s’occupa. comme il l’avait fait
a Paris, de l’organisation de nouveanx Ateliers. Mais il
ne tarda pas a quitter l’Angleterre et a passer en Alle-
magne. Puis il se divigea vers l’ltalie. Chemin faisant, il
fonda a Bale la mere-Logc helvetique, visita les Freres
de Turin, dc Roveredo, de Trente et de Verone. Arrive a
Rome, il essaya d’y implanter les societes secretes et
finit par se compromettrc. Arrete au moment ou il s’y
attendait le moins, il fut enfermd au chateau Raint-Ange,
juge et condamne a mort. Mais le pape Pie VI commua
sa peine en detention perpetuellc.
On s’est parfois demande d’oii provenaient les richesses
dc ce singulier personnage, car on ne lui connaissait
aucune source de revenu.
Cagliostro appartonait a lTlluminisme a titre de mem-
bre voyageur. Il trouvaitdonc dans les ca sses de l’Ordre
une partie dcs tresors qu’il se plaisait a etaler dans le
conrs de ses peregrinations.
CH. XVI. — L’lLLUMINISME EN FRANCE. 319
Void le recit, curieux a plus d’un titre, qu’il fit k
l’lnquisition de Rome, lors de son jugement.
c Je me rendis a Francfort-sur-le-Mein, ou je trouvai
« MM. N..; et N..., qui sont chefs et archivistes de la
» Ma?onnerie de la Stricte-Observance, dite des Illu-
« mines. Us m’inviterent a aller prendre le cafe avec eux.
« Je montai done dans leur carrosse, sans avoir avec moi
t ni ma femme, ni personne de ma maison, ainsi qu’ils
« m’en avaient prie ; et ils me menerent a la campagne,
» a environ trois milles de la ville. Nous enframes dans
t une habitation isolee; et, apres avoir pris le cafe, nous
« nous transportames au jardin, ou je vis une grotte ar-
* tificielle. A la faveur d’une lumiere dont ils se munireut,
* nous descendimes, par quatorze ou quinze marches, au
« fond d’un souterrain, et de la, nous enlrftmes dans une
« chambre ronde au milieu de laquelle etait une table. On
* l’ouvrit et j’apergus au-dessous une caisse en fer qu’on
* ouvrit encore, et dans laquelle je remarquai une grande
« quantite de papier s. Mes deux compagnons y prirent
« un livre manuscrit, fait dans la forme d’un missel, au
« commencement duquel on lisait *. Nous, Grand-Maitre
t des Tcmpliers, etc. Ces mots etaient suivis d’une
t formule de serment cornjue dans les termes les plus
* horribles, que je ne puis me rappeler, mais qui conte-
« naient l’engagement de detruire tons les s ouve rains.
« Cette formule etait ecrite avec du sang et avait onze
« signatures, outre mon chiffre, qui etait le premier, le
t tout encore ecrit avec du sang. J’ai oublie les noms de
« la plupart des signataires, a l’exception toutefois des
« nommes N... N..., etc. Ces signatures etaient celles des
« douze Grands-Maitres des Illumines-, maisje dois faire
« observer que mon chiffre n’avait pas ete fait par moi,
« et que j’ignore comment il s’y trouvait. Ce qu’on me dit
i sur la contenance de ce livre, qui etait 6crit en fran-
« cais, ct le peu que j’en lus, me coufirma dans l’idee que
320
PERIODE HISTORIQUE.
« cette Secte avait resolu de porter ses premiers coups sur
« la France; quapres la chute de cette monarchic, elle
t devait f rapper Vltalie ct Rome en particulier ; que
i N..., dont j’ai deja, parle, etait un des principaux chefs »
< quo les conjures otaient alors au fort de l'intrigue, et
« quo la Sociele a une grande quantite d'argont disperse
« dans les banques do l’Europo. On mo dit que cet
« argent provenait des contributions que paient, chaque
« an nee, dix-lmit cent millc Macons illumines, qu’il sert
« a l’entrelien des chefs, a colui des emissaires accredi-
« tes pres des Cours, et des missionnaires charges de la
« propagande, sans parler des adoptes qui font quclque
t entreprise enfaveur de la Societd, nides autres besoins
« de la Secte. J’appris encore que les Logos, tant de
« l’Amerique quo de l’Afrique, s’elevaient au nombre de
« vingt millc qui, toutes les annees, a la Saint-Jean
« d’hiver, sont tenues d’envoyer au t res or commun vingt-
* cinq louis d’or. Enfin. ils m’olTrirent des secours, disant
« qu’ils otaient pruts a me donner jusqu’a leur sang. Je
« recus six cents louis. Nous rotournsimes a Fraucfort,
c d’oii je partis leleudemain pour Strasbourg. »
Tout fait supposer que ce recit etait l’exprossion de la
veritc, car on n’y trouve ricn qui fat do nature a toucher
les inqnisiteurs et a les rendre plus indulgents pour
l’accuse.
Revenons maintenant anx Loges de Paris.
Celle dite des Neuf-Sceurs avait comme president hono-
raire le due de la llochcfoucauld, un naif qui comprit,
mais trop tard, qu’il avait ete joue. Le Venerable cffectif
se nommait Pastorel, un adepte d’antantplus dangcrcux,
qu’il joignait a des principos ddtestables une profonde
hypocrisio.
Les membres les plus connus de cette Logo otaient:
Condorcet, Brissot, Dolomieu, Bailly, Lacepede, Garat,
Cerutti. Camille Desmoulins, Fourcroy. Danton. Millin,
CH. XVI. — L’lLLUMINISME EN FRANCE. 321
Bonne, CMteauneuf, Lalande, Randon, Chenier, La
Metherie, de la Salle, Gudin, Merrier, Chauffart, Noel,
Pingre, Mulot, Dom Gerles, Rabaud-Saiut-Etienne,
Pethiou, Fauchet, Bonneville et Syeyes.
Quelques-uns de ces unties se detacherentde la Loge,
au debut de la Revolution.
Un peu plus tard, quand la Magonnerie aura leve le
masque, nous verrons ces memes hommes se reunir au
club des Jacobins, et pousser le peuple des faubourgs au
pillage et a l’assassinat, en compagnie de Mirabeau, de
Barnave, de Chapelier et d’une foule d’autres personnages
tristement celebres.
Tous, du premier jusqu’au dernier, ont successivement
fait partie des Loges magonniques et des clubs.
En province eomme a Paris, les plus sinistres agents
de la Revolution eommencerent par etre Francs-Macons.
II n’en est pas un seul qui, avant de se faire un jeu de la
vie de ses semblables, ne soit alle former son coeur et son
intelligence dans les Ateliers de 1’Ordre, dans ces Ateliei’S
oh l’on parle sans cesse de bienfaisance et de vertu.
Ce fait historique, dont les ecrivains de la Maconnerie
lie contesteront pas l’authenticite, est le chef d’accusa-
tion le plus formidable qui ait jamais pese sur une societe
quelconque.
Depuis 1789, la secte magounique, sans distinction de
systeme, porte au front une tache de sang que rien n’ef-
facera.
Mes lecteurs ne m’accuseront pas, j’espere, d’exagerer
le role joue a cette epoque par les Freres de tous rites.
Rebold lui-meme, le symbolique et doux Rebold, qui
parle si souvent de l’innocuite des Loges, est force d’avouer
les crimes de son Ordre. C’est en vain qu’il essaie d’en
dissimuler l’horreur,au moyen d’une phraseologie pleine
d’eupheniismes. L’embarras oh il se trouve emprunte
meme un relief particulier aux apprets inaccoutumes de
son style.
F.-. I, i.-.
si
322
p£riode HISTOFJQUE.
* Si nous jetons, ecrit-il, un coup d’ceil retrospectif
« sur l’ensemble des travaux do la Franc-Maconnerie
« pendant Jos trente annees qui ont precede la Itevolu-
« tion, nous voyons s’operer un changement remarquable
* dans les idees de la bourgeoisie, et meine dans cedes
« du bas clerge et des offitiers de l’armec jusqu’a un
« certain grade. Malgre la bigarrure des divers systemes
« maconniques cn pratique. malgre la fausse voic dans
« laquelle marchaient plusieurs d’entre dies, toutes lc«
« Loges ctaienl unanimes dans la manifestation de leurs
e principes; toutes prechaient comme doctrine l’egalite
* de tous. la liberte et la fraternito; leurs dogmes re
* confondaient dans un egal mepris des institutions
« aristocratiquos et absolutistes ex is taut alors en Europe.
« En proclamant tous les homines egaux, en dormant
« dans leur sein l’image de cette liberte qu’elles reda-
* maient pour tous,en prechant la fraternite universelle,
<t les Loges montraient en memo tenips que les dogmes
« de la Franc-Maconnerie tendent a la democratic; eu
« co ntbnnnant !c f anatisme ct la superstition dons lesrjneh
« les pretrrs cntrctcnaienl les peuples, dies enlendairnt
« soustrairo ceux-ei a cette pernicieuse influence et
« I'emancipor. Dejit la grande majority de la nation solli-
« citait des ameliorations et prolestait en secret contre
« i’etat des choses, contrc la position intolerable qui lui
« etait faito par le gouvernement et la noblesse; elle
« demandait la suppression des privileges qui divisaient
« la soeiete. Le plus grand nombre des Francs-Macons
« appartenait a la classc bourgeoise; le barreau, lo cora-
« merce, les artistes et les savants cn formaient les prin-
« eipaux Elements; on y comptait cependant aussi quel-
« ques personnages de la haute noblesse et quelques
« officiers superieurs. Plus de liuit cents Loges couvraient
« alors le sol de la France; leurs mombres portaientdans
« leurs families, dans les cercles, dans les reunions
« intimes los principes qu’ils entondaient prechcr sans
CH. XVI. — L’lLLUMlNISME EX FRANCE. 828
« relache an seen des Ateliers, et ainsi ces principes se
« repandirent peu a peu dans le peuple, chez qui une
« pareille semence ne ponvait manquer de fructifier.
i Qu’on se rappelle, en outre, les efforts tentes au
« xvin 0 sidcje par les philosophes pour affranchir le
• peup!e, pour detruire les erreurs, les prejuges qui
• 1 ‘gareut et divisent le genre humain ; qu’on songe qu’un
t grand nombre de ces savants out fait partie des Loges,
i que les Voltaire, les Franklin, les Lalande, les Hel-
« vetius, les Lafayette et tant d’autres homines non
i moins distingues ont prete leur concours au triomphe
« des verites maconniques , et Von ne s’etonnera plus que
• c’esl la propagation de ces principes qui a prepare la
« transformation profonde qui a regenere la France et
• l Europe avec elle (1). »
Quoiqu’en termes elegants ces choses-la soient dites, il
n’en restc pas moins demontre que je n’ai pas calomnie la
secte macormique, en affirmant que les Loges se sont tou-
jours occupees de politique, depuis la creation du systeme
ecossais ; que l’llluminisme s’est uni a elles, les a compe-
netrees et leur a inocule le poison de ses doctrines ; et
cufin que les crimes de la .Revolution francaise figurent
h leur actif depuis le premier jusqu’au dernier.
Cette verite ne tardera pas h hriller d’un nouvel eclat,
lorsque nous passerons en revue les faits et gestes de la
Maconnerie pendant le xix® siecle.
A partir du moment oil les sectaires purent exercer uu
pouvoir absolu au nom de la liberte, proclamer 1’egalite
de tous devant la guillotine, se livrer aux douceurs de la
fraternite ii la fagon de Marat, de Robesjderre, de Fou-
quier-Tiuville et de Carrier, les Loges devinrent a peu
pres desertes. Pourquoi les aurait-on frequentdes ?Le
(1) Hebold, IJisloirc des Trois Grcm'cs Loges .
324
PERIODE HISTOIIIQUE.
but vers lequel tendaient depuis longtemps les chefs
connus et inconnus de l’Ordre etait desormais atteint.
Louis XVI, prisonnier, allait monter sur l'echafaud; la
noblesse, depouillee de sa fortune et de ses privileges,
n’existait plus; le clerge catholique, persecute comme au
temps de Diocletien, avait peri sous le couperet de la
guillotine ou errait, mendiant son pain, chez les nations
etraugeres.
La France voyait cnfin se realiser l’ideal reve par les
Loges, et chante, de nos jours, par le doux et sympathique
Rebold.
Que seraient done alle faire dans les Ateliers lea
adeptes victorieux?
Sur l’autel oil naguere le pretre catholique offrait le
sacrifice de la messe et priait pour le pouple, h cote du
socle dore oft s’elcvait l’image radieuso do la Vierge. les
grands initios, fiddles a la doctrine maqonnique.installe-
rent ce que l’on appela Iadeesso Raison. A la superstition
calholique, la Franc-Magonnerie substitua un fetiche, et
pour que ce fetiche eut plus d’attrait qu’une statue
muette ot sans vie, les emancipateurs de l'intelligence
hurnaine ne recoururent point au ciseau de l’artiste. Ils
s’en allerent frapper a la porte des sanctuaires laiques,
mais nullement gratuits, qui firent autrefois la celebrite
de Corinthe, et la, passant en revue les nymphes con-
sacrees au dieu des plaisirs faciles, ils choisirent, pour
etre oll'ertes a la veneration du peuple, cellos qui joignaient
aux plantureux attraits d’un torse irreprochable la
maconnique effronterie du vice.
Jamais la civilisation prechee par les Loges ne brilla
davautage.
Quelques Magons plus zeles qu’intelligents se plaigni-
rent, neanmoins, de l’inaction de Philippe-Egalite comme
Grand-Maitre de l’Ordre. Une feuille de Toulouse se fit
meme l’echo de ces recriminations. Le prince ecrivit, en
repouse aux attaques dont ii etait l’objet, une lettre au
Cfl. XVI. — l’illuminisme EN FRANCE. 325
Journal de Paris , lettra dans laquelle on lisait, entre
autres. choses :
< Dans un temps od assuriment personne ne prevoyait
* notre Revolution, je m’etais attache a la Franc-Ma$on-
f nerie, qui offrait une sorte d’image de la liberte; j’ai
« depuis quitte le fantome pour la realite.
* Au moisde decembre dernier, le secretaire du Grand-
« Orient s’etant adressi a la personne qui remplissait
« aupres de moi les fonctions de secretaire du Grand-
« Maitre, pour me faire parvenir une demande relative
t aux travaux de cette Societe, je repondis a celui-ci, en
t datedu 5 janvier:
t Comme je ne connais pas la maniere dont le Grand-
c Orient est compose, et que, d’ailleurs, je pense qu’il ne
* doity avoir aucun mystere, aucune societe secrete dans
« une Republique, surtout au debut deson etabJissement,
i je ne veux plus me meler en rien du Grand-Orient ni
« des assemblies de Francs-Macons. »
Le 17 mai 1793, le Grand-Orient se reunit en assemblee
generate, et prononqa la decheance du due d’Orleans
comme Grand-Mailre et comme depute. Cela fait, le
president saisit l’epee de l’Ordre, la brisa et en jeta les
troncons au milieu de la salle.
A partir de ce jour,toutes les Loges de France entrerent
en sommeil.
CHAHTRE XVII
La F.\ M.*. sous la Repub lique et FEmpire.
Sommairb. — lioettiers de Montaleau recon stitue Ie Grand-Orient en
1705. — L’ancienne Grande-Loge reparait h son tour. — Les deux
pouvoirs magonuiques se r^concilient. — En 1802 TEcossisme et Ie
Symbolism e recommencent leur lutte. — Traite de paix entro les
deux partis. — Lo Grand-Orient veut absorber Ie rite £cossai* qui
refuse de se laisser faire. — Joseph Bonaparte est nomm4 Grand-
Maitre. — II choisit conun e adjoints Murat et Camhacerds. — Ce
dernier devient le chef effectif ou honoraire de tous les rites.
— Le syst6me dcossais se divise contre lui-mome. — Attitude
Scmurnnte de la Franc-Maconnerie en face de Napoleon et de
Louis XVIII. — Le F.\ Ragon fonde la Logo des Trinosophes. — Les
Phtladelphes. — Apparition du rite de MisraTm. — Les Freres Beiar-
rid<*. — Efforts qu'ils font pour assurer lo succes de leur syst^me.
— Le Grand-Orient exeommunie les MisraTmites et les denonce, par
sure red t, la police royale. — A r res tat ion et comlamnation de Marc
Bedarride. — Reapparition de ce rite. — Marconis de X$gre et la
Mnconnerie egyptienne de Memphis. — Le siege de cot Ordre est
transports h Londres. — Quelques reflexions sur Ie role politique jou<$
en France par les Francs-Macons depuis Napoleon I« r .
En 17D5, Roettiex's de Montaleau reunit plusieurs
officiers et presidents de Loges et tenta de roconstituer
l’Ordre. Les debris du Grand-Orient lui en ternoignereut
Ouvrages eonsuli&s : It k hold, llistoire des Trois Grandes-
Logos. — Precis historique sur le rite de MisraTm, — PrMs hist a -
rirjur sur le rite egyptien de Memphis. — It agon, Orthodor'ic uureon-
nique. — Maiic Bkhakuide, De Vordre magonnique de Mi$rahn t —
Mauoonis ini NfcGRii, Lc Sancfuairc de Memphis . — Supreme-Conseil
dn rite ecossais rtneien ct accepts . — Ftat du Grand-Orient dr France .
— Yeunhes, Fites <le MisraTm ct de Memphis. — Bazot, Precis
his tori quo dc V Ordre de la Franc- Magonneric. — Clavel, llistoire
pit to risque de la Franc-Maconnerie et des Socidtes senates. — F.\ V.
(Vidal). Esso i historique sur la Franehe-Magonnevie, depuis son ori -
ginc jusqua nos jours. — G"\ Lcitrcs historiques et critiques sur la
CH. XVII. — F.\ M.\ SOUS UA UEPUBLIQUE ET l’EIIPIRE. 327
leur gratitude eu lui conferant la Maitrise. II refusa ce
titre, mais il accepta celui de Grand-Venerable.
L’annee suivante on ouvrit un certain nombre d’ Ate-
liers.
II y en eut trois a Paris , deux a Perpignan, sept a
Rouen, quatre au Havre, un a Melun. et un a la Rochelle.
La Grande-Loge rappela, elle aussi, ses menibres dis-
perses, et en confia la presidence a un homme de lettres
nomine Guvelier.
Les Macons de Lille, desireux de reprendre leurs tra-
vaux, mais n’osant le faire de peur de se compromettre,
consulterent, eu 1798, le ministre de la police, pour savoir
s’ils pouvaient se reunir sans se mettre en opposition
avec les lois. La reponse fut affirmative.
Le Grand-Orient manifesta des inquietudes, on voyant
la Grande-Loge, sa rivale, renaitre de ses cendres. Roet-
tiers de Montaleau, voulant prevenirle retour des ancien-
nes divisions, convoqua les chefs de ces deux pouvoirs
maconniques et rSussit h leur faire conclure un traits de
paix.
Le recueil de ces negociations a ete imprime, ainsi que
les diseours et les morceaux de pocsie auxquels donna
lieu ce grand evenement, comme disent les historiens
de la Secte.
Franc-M'ivonnerie. — Oaliffe, La Chains symboliqne. — His to ire clu
Grand-Orient de Fr ance. — Extrait du litre d' architecture de la
R. L. de St. Napoleon d Paris. — Fete tie VOrdre an G.-O. de
France, pres idee par le sdrdnissime Grand- Maitre (at {joint) le 28 dd-
cembre. — Caillot, Pedcis historique de la fete donnde dans le
sein de la Mere-L. ecossalse de France, le 30 mars 1807. — Fustier,
Hants grades die rite fran^ais (avec des notes reJig^es par AI.) —
Pyron, .Vrdgd historique de V organisation en France , jusqitn Vdpo-
qt<c du l* r mars IS 14, des 33 degres du rite ecossais ancien et
acceptd, etc.
Xota. — Pour ne pas trop allonjrer cette liste, je n’indique pas les
divers comptes remlus des f£tes maconnico-politiques c^lebrees par le
Grand-Orient sous le premier empire, et autres brochures relatives &
TOrdre et que j'ai du consul ter.
828
PEMODE HISTOBIQUE.
En tete du volume est une circulaire que l'on dirait
empruntee aux Precieitses ridicules. Mes lecteurs ne
seront point filches d’en connaitre les passages les plus
saillants.
« Depuis plus de trente ans, dit le redacteur de ce
« factum , il oxistait, a l’Orient de Paris, deux Grands-
« Orients qui, tous deux, creaient ensemble des Loges
« sous des titres distinctifs et guidaient leui*s travaux.
« Ces deux Grands-Orients pretendaient it la suprema-
« tic : les Macons de l’un n’etaient point admis dans
« l’autre. L’entree des temples, au lieu d’etre celle de la
« concorde, devenait celle de la discorde.
t Les Freres invoquaient en vain les principes innes
« de la Maconnerie, que tout Macon est Macon partout...
« En vain plusieurs officiers de ces deux Grands-
« Orients avaient-ils tente, cn 1778, de se reunirpourn’en
« former qu’un seul, et voir enfm cesser ces discussions.
« La discorde sccouait ses flambeaux sur nos tetes.
* Des genies bienfaisants de ces deux Grands-Orients
« so sont enfin armes contre elle.
« Yous verrez sfirement avec la meme sensation que
« nous la reunion qui s’est operee le vingt-deuxieme jour
« de ce mois, entre ces deux Grands-Orients : ils n’en
« forment plus qu’un scul. Tout sentiment de priority,
« de suprematie, de distinction frivole a disparu. Notre
* tenuc de la St-Jean derniere a ete un des plus beaux
« jours de la Maconnerie; plus de cinq cents Macons
« de l’une et de l'autre association se sont mutuellenient
« jur6 union, fralernile, ami tie, reunion, bonheur d jamais
« durable. Le baiser de paix s’est doune mutuellement
« par tous les Fibres avec une effusion de coeur qui en
« garantit pour toujours la sincerite. »
Void quels sont les principaux articles du traits
d’union.
ch. xvrr. — ■ p.'. ar,\ sous &&. kepueliqub et l’empire. 329
1° Suppression irrevocable de l’inamovibilite des Maltres
de Loges ;
2° Prorogation, pendant neuf annees seulement, de la
presidence de ces dignitaires inamovibles;
3° Nomination par chaque Loge, a la majorite des suf-
frages, de tous ses officiers ;
4° Reunion des archives des deux corps;
5“ Obligation pour toutes les Loges de correspondre
desormais avec le Grand-Orient, centre commun de
l’Ordre;
G° Les Officiers, Venerables et deputesdes deux grands
corps jouiront des memes prerogatives ;
7° Les Macons possesseurs de certificats emanes des
deux associations seront regus dans toutes les Loges
indistinctement.
On trouve dans ce protocole quelques dispositions
encore, mais je crois inutile de les citer ici.
Rien de particulier a signaler jusqu’en 1802.
Ce fut 4 eette date que 1’on vit renaitre la vieille que-
relle un moment assoupie des partisans de l’Ecossisme
et des Macons du rite symbolique.
La froideur avec laquelle les adeptes de la Stricte-
Observance accueillirent la reconciliation des deux sceurs
ennemies irrita les dignitaires du Grand-Orient.
Ces despotes au petit pied voulaient absolumeut que
quiconque avait le ventre ceint du tablier ma^onnique se
livrat aux elans de la joie la plus viveen les voyant se
donner le baiser de paix.
Les Magons 4 hauts grades ne se bornerent pas a
manifester leur indifference pour la fete lieroi-comique off
Ton celebra en prose boursonflee et en vers de tout rythme
la conclusion d’une paix si longtemps attendue.
Ils allerent, dit-on, jusqu’arire des acteurs et m&nede
la piece.
Le Grand-Orient jura de se venger.
II declara done qu’il excluerait de sa correspondance
380
PEHIODE HJfSTORIQUE.
toute Logo et tout Chapitre qui fr&terniseraifc avec des
rites etrangers non reconnus par lui.
Les partisans do l’Ecossisme, pou disposes a se laisser
intimider par cet exclusivisme, se reunirent en fraction
dissidente et fonderent une Grande-Loge ecossaise qui
se posa cn rivale du Grand-Orient.
Lc Frere Roeltiors de Montaleau et les dignitaires de
l’Ordre symbolique revinrent alors a d’autres sentiments.
A la suite de pourparlers avoc mix qu’ils avaient voulu
frapper d’ excommunication, ils deeiderent que lo Grand-
Orient reconnaitrait et professerait desormais tous les
rites dont les principes seraient en harmonie avec ceux
de la Maeonnerie anglaise.
Apres avoir accepte le patronat du sysfeme dcossais, ils
n’hesiterent pas davautago a faire bon accueil an Suprrme-
Conseil de France , dont le comte de Grasse-Tilly etait le
fondateur.
Malgre sa condescendance. le Grand-Orient eprouva
d© nouveaux deboires.
Les superieurs de l’Ecossismo, s’apei'cevant que la
Ma$onncrio symbolique avait le projet de les absorber,
prierent Rocttiers de Montaleau et son conseil do no pas
oublier que reunion et fusion sont deux choses dif—
ferentes. Les Ecossais consentaient k dependre du
Grand-Orient pour les trois premiers grades, mais non
pour ceux qui leur appartenaient d’une maniere exclu-
sive. La logique etait pour eux, quoi qu’en dise le F.*. Ba-
zot, qui leur adressc une apostrophe des plus vehementes
dans son Precis historique de la Franc-Maconneric :
t Eh quoi 1 s’ecrie-t-il, est-ce done parce que vous
« frappez dans vos mains par trois temps egaux, que
* vous arborez la couleur rouge au lieu de la bleue :
« est-cc done pour de pareillcs futilites quo vous vous
< croycz d’uuo autre origine que nous, quo vous voulez
* vous constituer cn famille separeo ? Nos outils ne sont-
CH. XVII. — F.\ M.'. SOUS Li REPUBLIQUE ET l’EMPIRE. 3}J1
« ils pas pareils, et ne vous reunissez-vous pas comnie
« nous autour de l’antique acacia ? Maitres ecossais,
« pourquoi ces regards qui dissimulent malle dedain
« sous l’apparence de la fraternite ? Votre rite possede
* des grades eleves, des titres somptueux, dites-vous.
« Iielas f que cette riehesse est pauvre, ct que nous
« devrions bien plutot deplorer la triste manie de ceux
« qui ont invente ces distinctions anti-fraternelles, et
« surtout la faiblesse de ceux qui, les premiers parrni
« leurs Freres, se sont laisse entrainer au ridicule de se
« faire appeler Prince, Souveuain-Puixce, et surtout de
* porter le nom infame d’lxQUisiTEUR, d’avoir Tabsurdite
« de sedecorer depoignards,de porter des couronnes, etc.
* etc. ! Eli quoi ! des poignards ? mais cette anne, m£me
« comme un simple symbole, est une anomalie mons-
« truense avec nos principes; n-ms somrnes frei’es et
« philanthropes, notre morale vivifie et ne tue pas... Nos
« armes ne sont qu’un embleme, je le sais ; e’est le fana-
i tisme, e’est la superstition quo nous combattons ; notre
« bouclier, e’est la science et les lumieres; notre glaive,
« le flambeau de la verite; mais a quoi bon ces vains
« simulacres ? Rejetons toutes ces decorations mondaines
« qui denaturent nos ceremonies sans les ennoblir;
* revenons a cette belle simplicity primitive qui fit l’age
« d’or de la Magonnerie, qui sufflt aux cceurs vertueux,
* et a fait, pendant plusieurs siecles, le bonheur de nos
« ancetres : les dissensions disparaitraient bientbt, et
* nous ii’aurions point a enti-etenir nos lecteurs des
« combats acharnes qui desoleront plus tard le temple de
« la fraternite (1). »
Cette philippique du F.\ Bazot pourrait etre retournee
dune maniere fort plaisante contre la Magonnerie vul-
gaire.
(1) J. C. B., Precis historique de la Franc-Maconnerie.
332
PfiHIODE HISTORTQUE.
Quoi qu’il en soit, le rite ecossais, se basant sur ce fait
indeniable que les clauses du traite n’etaient pas exe-
cutes par le Grand-Orient, separa ses iaterets de ceux
de la Ma?onnerie symbolique.
En 1805, Joseph Bonaparte fut nomme Grand-Maitre
de 1’Ordre. On lui adjoignit comme suppleants le futur
roi de Naples, Joachim Murat, et le prince Cambaceres.
L ’autorite effective etait oxercee par ce dernier. Ce
vaniteux personnage, disentles partisans du Symbolisme,
no se borna pas a presider le Grand-Orient, il accepta les
litres de Grand-Maitre protocteur du rite ecossais ancien
et accepte, do Grand-Maitre d’honneur du rite d’Herodom,
de Grand-Maitre du rite primitif, de Grand-Maitre des
Chevaliers bienfaisants, de Grand-Maitre du Directoire
de Septimauie de Montpellier, et enfin do Venerable
d’honneur de tous les corps ma^onniques dont lc person
nel se composait d’hommcs litres.
L’amour cffrene de Cambaceres pour la ferblanterie
maronnique n’utaitpasdo nature a ramener dansl’Ordre
1'unite de pouvoir que lc Grand-Orient reclamait a son
profit.
Que fairo ? Protester contre les fantaisies de cet ambi-
tieux personnage ? C’eut ete dangereux, car Napoleon,
pi’obablement , n’etait pas etrangcr a la manoeuvre de
rarclii-chancolier.
Or, le vainqueurde Lodi etd’Arcole ne supportait pas
la contradiction. Le Grand-Orient le comprit et fila doux.
Cependant le Supreme-Conseil de France, quelque
Ecossais qu’il fut, ne tarda pas a trouver plus Ecossais
que lui. Des Masons recemment arrives des Etats-Unis
organiserent a Pai’is une autorite rivale sous le titre de
Conscil d’Amerique.
Le Supreme-Conseil frappa d'excommunication les
partisans du trente-troisieme degre americain. Les ana-
thematises regimberent sous la verge et firent mine de
se defeudre. Le Supreme-Conseil, affeetant alors des
CH. XVII. — F-*. M.\ SOUS LA REPUBLIQUE ET L’eMPIRE. 333
allures conciliantes, chargea une commission d’examiner
les titres des nouveaux Masons. Le comte Muraire fit un
rapport dans lequel il conclut contre les novateurs, et la
guerre continua, avec ce caractere de mansuetude phi*
Janthropique et desinteressee qui caracterisa toujours la
Franc-MaQonnerie.
« Les evenements politiques de cette annee (1814), dit
« le F.\ Thory, ralentissent les travaux du Grand-Orient
< et des Loges ; dans plusieurs departements les autorites
« locales font fermer les Ateliers ; les meinbres de ces
« Ateliers se soumettent sans murmurer.
« Un des principes sages de la Magonnerie, continue
« le meme auteur, est qu’elle doit rester etrangere a tout
« mouvement politique etn’adopter aucune couleur(l). »
Mes lecteurs savent a quoi s’en tenir sur la sincerity de
ces declarations. Nous ne tarderons pas, d’ailleurs, a
aborder ce sujet, et nous prouverons, j’espere, que si la
politique cessait d’exister, la Franc-MaQonnerie disparai*
trait comme par enchantement, car elle n’aurait plus de
raison d'etre.
Apres avoir encense Napoleon avec une hypocrite obse-
quiosite, le Grand-Orient salua l’arrivee de Louis XVIII,
en courtisan bien appris.
Dans sa sdance du 2 aout, il declara la Grande-Mai-
trise vacante et le F/ . Cambaceres dechu. Puis il se
donna trois Grands-Conservateurs : Macdonald, le comte
de Beurnonville et le comte de Valence.
Ces deux derniers furent installes le jour ou on celebra
la fete de St-Jean d hiver.
Le Grand-Orient ne se borna pas 4 confier son admi-
nistration a des homines connus pour leur attachement k
la monarchie legitime. Il fit mieux : oubliant que, la
(3) Tuorv, Acta Lcttomorum •
334
PERfOIXE HISTORIQOE.
veillc encore, ses grands offlciers etaient les plats valets
de Bonaparte , il fonda la Loge des Sontiens de la
couronne III
Philosophes athees a la fin du dix-huitieme giecle,
Jacobins altfres de sang sous la Revolution, jouisscurs
pourris jusqu’a la moellc pendant le Directoiro, adora*
tears de la force et libres-penseurs, taut quo Napoleon
fut sur le trone, ils acclamerent sans sourciller le Fils
aiue dc rEglise.Hl
Voila pourtant les sycophantes qui ont la pretention de
nous emandper ! Rampants comme des eunuquesen face
du pouvoir, ils se relevant licremont quand lour maitre
n’est plus, ct parlent avec effronterie de leur indepeu-
dance, comrae si l’on ne savait pas qu’ils ont perdu toute
virilite.
Ce fut en 1815 que le F.\ Ragon, dont j’ai plusieurs
fois cite les ouvrages dans le cours de cette liistoire,
fonda la Loge des Trinosophes. Le merite inconsteste
des oratcurs qui s’y firent enteudre attira beaucoup de
curioux aux reunions de ce nouvel Atelier. Les profanes
n’en furent pas toujours cxclus, car il devint parfois
difficile de s’assurer de la qualite des assistants. Les
deux freres Dupin faisaient parlie de cette Loge.
Reportons-nons de quelques annees en arriere, et
disons un mol d’une societc secrete qui fut avant tout
militaire. Fondee, parait-il, a Bcsangon par quebpics
jcunes gens a la t<Ho desquels se trouvait un oflicier
superieur nomme Oudet, clle avait pour but l’organi-
sation en Franco d’une rei)iiblique federative.
Ses membres chercherent a organiser uno conspiration
militaire contre Napoleon. Sous le Consulat. plusieurs
regiments avaient ete gagnes, et si lc succ.es ne vint pas
couvonner les efforts des adeptes, e’est parcc que la
gloire de Bonaparte rendait leur propagande a peu pres
impossible.
Les sourdcs mcnees des Philadelphes sent peu comiues.
CH. XVII. — F.*. SI.*. SOUS LA. UEPUBLIQUE ET L’eMPIRE. 335
On sait seulement que Moreau fut pendant quelque temps
& leur tete, et que les tentatives infructueuses du general
Mallet se rattachent a l’histoire de cette societe.
En 1816, un systeme maQonnique absolument nouveau
s’implanta a Paris, au grand etonnementdes autres rites,
qui ne s’attendaient pas a pareille innovation.
Les freres Bedarride, originaires de Cavaillon, passent,
aux yeux de beaucoup de gens, pour en etre les inven-
teurs ; mais ils n’en ont ete que les propagateurs zeles et
tnalheureux.
Le rite egyptien de Misrai'm est un compose, dit
Rebold, de legendes et d’agregations monstrueuses.
t C’est un pillage de l’Ecossisme, du Martinisme et de
« l’Hermetisme. Depuis le G7 e degre, il ne roule que sur
c des sujets bibliques ; c’est de l’israelisme tout pur, et
c l’on pourrait avec plus de raison l’appeler vitejiidaiqiie
« que rite egyptien. On retrouve egalement dans cette
i oeuvre des grades, ainsi que la division en quatre
« series, empruntes au rite appele egyptien cree par
« Joseph Balsamo dit Cagliostro, lequel avait ete pro-
« fesse par la mere-Loge La Saqesse triomphante fondee
« par lui a Lyon en 1782. Ce rite egyptien n’a eu qu’une
« existence ephemere, et il est assez probable que quel-
« quesrituels de Cagliostro ont servi h completer l’oeuvre
« deplorable du rite de Misraim, qui eut pour auteur le
« F.\ Lechangeur, de Milan (1). »
Des officiers frangais en garnison dans cette ville et
qui avaient ete initios, pendant leur sejour h Paris, au
33 c grade de l’Ecossisme, eurent la pensee d’etablir
dans la cit6 italienne un Supreme-Conseil de leur rite, a
l’instar de celui ou ils avaient 6te regus. Ceci se passait
en 1805. Un president de Loge, nommd Lechangeur,
(1) Resold, Prdcis historique du rite crjyptiea dit de Misraim,
336
PERIODE HISTOMQUE.
expritna Je desir d’en faire partie. Sa demand© fut
agreee, mais on refusa de lui conferer les derniers
grades.
Froisse dans son orgueil, il declara aux membres du
Supreme-Con seil qu’il trouverait le moyen de s’elever
au-dessus d’eux.
II tint parole, en donnant le jour au monstnieux echa-
faudarje du soi-disant rite oriental, comme l’appelle
Rebold.
L’Ecossismo avait S3 degres. Lecbangeur en donna
90 a son systeme. II va sans dire qu’il se les confera tous
a lui-meme. Cela me parait fort naturel. Le F.\ Rebolil,
que la vue de ces 90 degres liom pile, trouve qu’en agis-
1 sant ainsi, Lechangcur a suivi rcxemple de ceux qu'il
nomme avec dedaind.es fabricants de rites. L’historien ties
Trois Grandes-Loges oublie que l’inventeur du Symbolis-
me it du en faire tout autant.
Michel Bedarride etaifc negociant et habitait Naples.
Son frero Marc faisait partie de l’armee commc officier
d’eiat-major. Tous deux appartenaient it la Franc-Ma^on-
nerie ct possedaient le grade de Maitre.
Le 3 decembre 1810, uu Napolitain, auquel le F.\ Lc-
changeur avait delivre des patentes constitutives, initia
Michel Bedarride jusqu’au 73 e degre. l.’annee suivante,
Lechangeur accorda lui-meme aux deux freres le pouvoir
d’initier des adeptes jusqu’au 71° degre inclusivement.
Mais il ne voulut pas aller plus loin.
Cependant les nouvcaux Misraimites tenaicnt a arriver
jusqu'au 90« grade. Lechangeur se montra inflexible.
Michel s’adressa alorsitun juif de Yenise, nomme Polacq,
qui s’etait, lui aussi, prodame Giv. Conservateur, ou
Grand-Maitrc independant. Polacq fut moins scrupuleux
que Lechangeur, et accorda aux deux freres la favour
qu’ils sollicitaieni.
Le fondateiu* du rite etant venu a mourir, son succes-
seur, Theodore Gerber, regularisa la situation de Michel
CII. XVII. — F.\ M.'. SOUS LA KEPUBLIQUE ET L’EMPIRE. 337
et de Marc Bedarride, en leur delivrant une nouvelie
patente.
Arrives a Paris en 1813, ils y trouverent quatre z41es
partisans du systeme Lccliangeur, en possession comme
eux de titres irreprocliablos. Cette rencontre leur fut
(Viintant plus desagreable, qu’ils voulaient exploiter la
nouvelie Maconnerie, et qu’ils ne pouvaient le faire
qu'avec la complicite de leurs competiteurs.
Tout fin it par s’arranger. Grace a la protection du
comte Muraire, Michel et Marc Bedarride reunirent au-
tour d’eux un certain nombre de Magons ecossais, avec
le concours desquels ils constituerent la Supreme-Puis-
sance de l’Ordre.
i Pour faire accepter un rite avec une echelle de grades
« si uombreux, dit encore P*ebold, et dont les chefs se
* donnaient des titres si pompeux, certes, aucune ville
« au monde ne convenait mieux que Paris, ce centre de
* toutes les folies et de toutes les extravagances, comme
* il Test de toutes les grandes choses (1). »
Des personnages considerables ne tarderent pas a se
faire initier. Nous voyons iigurcr sur la listo des adeptes
des hommes de lettres, des geueraux, des membres de la
noblesse, des consuls et jusqu’a des ambassadeurs.
M. F. de Lesseps etait du nombre.
En depit de ces brillants debuts, les frt'res Bedarride
ne furent pas a l’abri des ennuis. On allajusqu’a leur
constester le pouvoir qu’ils s’attribuaient de constituer
des Loges. L’orage neamnoins se calma peu a peu.
Mais bientot on apprit que le Grand-Maitre de la
Magonnerie neerlandaise mettait en question leur liono-
rabilite, dans une circulaire adressee d toutes les
Loges do son obedience, et frappait d’intcrdit le rite de
(3) Re bold, Precis historique du rite dgyptien dit de Mis ret 2m,
338
PfiRIODE HISTORrQtTE.
Misraim. Malgre cet anatheme et l’excOtnmunicalfOii du
Grand-Orient, Michel et Marc Bedarride l'eussirent a
etablir six Loges a Paris, ce qui semble prouver que les
foudres magonniques ne portent pas malheur.
Plusieurs villes de province repondirent aussi a leur
appel et ouvrirent des Ateliers.
Lo Grand-Orient, irrite de voir que ce malencontreux
rival faisait mine de grandir, lan?a contre les Misraimites
une seconde bulle plus violente que la premiere. Les
redacteurs de cetle piece allaient jusqu’a solliciter
contre les nouveaux venus le seeours du bras seculier.
disant que, par leurs formes mysterieuses, ces pretendus
Macons comprometlaicnt I’Etat, la stirete, Fhonneur des
citoyens paisibles, troublaient le repos des magistrals et
eveilla '^nt Vattention de 1’ autorite.
a Tant de fiel entre-t-il dans Tame ».♦. des Macons?
,y. <} l’ou nous dise encore, apres cela, que les inities
uu rite symbolique ne sont pas des modeles accomplis
de douceur et de tolerance I Cette circulaire, simultane-
ment adressee aux Loges et aux depositaires de l’auto-
rite, eut pour consequence une descente de police chez
Marc Bedarride, qui fut poursuivi et condamne pour
violation des articles 291 et 292 du Code penal sur les
reunions de plus de vingt personnes.
Tombees en sommeil, a la suite de cet evenement, les
Loges Misraimites ne se rouvrirent qu’en 1832.
Les questions d’argent surgirent alors. La probite
des deux Freres fut gravement soupconnee par les
adeptes eux-memes. Les debats de cette affaire n’euront
une conclusion qu’en 1856, a la xnort du G.\ Conser-
vateur, le F.\ Michel.
Un rite caique sur celui des Bedarride, le rite do Mem-
phis. apparut eu 1838. Le F.\ Marcouis de Ncgre en est
l’auteur.
Dans un livre qu’il a publie sous ce titre : Le sanctuaire
CH. XVII. —P.'. M.\ SOUS LA REPUBLIQUE ET l’EJIPIRE. 33y
de Memphis, Marconis a fait en peu de mots l’historique
de son Ordre.
* Le rite de Memphis ou oriental, dit-il, fut apporte en
« Europe par Ormus, pretre Seraphique d’Alexandrie,
« sage d’Egypte, converti par saint Marc, l’an 46 de J.-C.,
« et qui purifia la doctrine des Egyptiens selon les priu-
« cipes du Christianisme.
« Les disciples d’ Ormus resterent jusqu'en 1118 seuls
« depositaires de l’ancienne sagesse egyptienne, puriiiee
« par le christianisme, et de la science salomonique.
« Cette science, ils la communiquerent aux Templiers;
« ils etaient alors connus sous le nom de Chevaliers de
« Palestine ou Freres Rose-Croix de 1’Orient. Ce sont eux
« quo le rite de Memphis reconnait pour fondateurs
« immediats. »
On est tente de penser, en lisant ces lignes, qu’un vent
de folie secouait le cerveau de celui qui les a ecrites.
« Le rite de Memphis, dit encore Marconis, est l’uni-
« que depositaire de la haute Maconnerie, le vrai rite
« primitif, le rite par excellence; celui qui nous est par-
ti venu sans aucune alteration, et par consequent le seul
« qui puisse justifier son origine et son exercice constant
« dans ses droits, par des constitutions dont ilest impos-
« sible de revoquer en doute l’authenticite. Le rite de
• Memphis ou oriental est le veritable arbre maconnique,
« et to us les syst£mes, quels qu’ils soient, ne sont que des
« branches detachees de cette institution respectable par
• sa haute antiquite,laquelle apris naissance en Egypte.
« Le depot reel des principes de la Ma^onnerie, ecrit en
• chaldeen, se conserve dans l’arche veneree du rite de
« Memphis, et en partie dans la Gr.-Loge d’Ecosse &
« Edimbourg et dans le couvent des Maronites sur le
« montLiban. »
340
rEIUODE HISTORIQUE.
Le F.*. Marconis ne croyait pas un mot de toute cetto
histoire aTusage des nai'fs. II n’asonge a creer ce nouvel
Ordre qu’apres avoir ete expulse deux fois des Logos do
Misraim, a Paris d’abord, sous le nom de Jacques-
Etieune Marconis, le 27 juin 1833, et a Lyon ensuite,
sous colui de Negre, le 27 niai 1883.
En presence de la situation desagreable qui lui etait
faite, Marconis de Negre pensa qu’il se mettrait desor-
mais a l’abri de pareilles mesaventures, en fondant lui—
meme une Matjonnerie, dont il serait le Grand Hiero -
p haute Sublime Maitre de la Lwniere.
Le F.\ Marconis trouva des adeptes, lui aussi, et
etablit un certain nombre de Loges que la police fit
termer en 1 851. Le centre de l’Ordre fut alors transport^
a Londres. Sur la liste de ses adherents figuraient Louis
Blanc et quelques autres pcrsounages plus ou moins en
vue de la colonic francaise.
En 1802. a pres diverses peripeties d’un mediocre int&ret,
le rite de Memphis s’aflilia au Grand-Orient de France.
Jusqu’a present nous avons parcouru les phases diver-
ses qu’a traversces la Secte maQonnique. II m’a semble
que jc serais agreable a mes lecteurs en leur montrant
les transformations successives de 1’ Ordre, depuis lejour
ou les Masons theoriques se separerent des ouvders
constructeurs. Desormais, nous negligerons les menus
details, pour nous occuper exclusivement de Taction
politique et sociale de la Maconnerio, comme nous
l’avous fait en parlant des Illumines d’Allemagne.
Depuis le jour ou Napoleon I or nettoya les ecuries non
d’Augias, mais de la France, en jetant aux egouts la
pourriture du Directoire, les societes secretes ont joue
un role trop considerable dans nos revolutions, pour que
nous nous attardions a raconter les querelles du Grand-
Orient avoc les divers rites qui ont voulu se soustraire a
sa juridiction. D’ailleurs ces luttes intestines qui pou-
vaient exercer autrefois une serieuse intluence sur la
CII. XVII. — F.\ M.\ SOUS LA REPUBLIQUE ET L’EMFinF. 841
Magonnerie, passent maintenant a peu pres inapercues.
La Societe ne court un peril serieux que lorsque, arrives
aupouvoir,comme en 1789 et en 1877, les adeptes s’avisent
d’experimenter sur le corps social leurs theories de philo-
sophes en goguette.
Grace a la vivacite de son imagination et a cet amour
de la nouveaute qui lui a ete si souvent funeste, le peuple
francais se laisse parfois entrainer par les ideologues et
les fripons dans le pays des reves ; mais il bondit et se
re volte lorsque, sentant la pointe du scalpel, il comprend
que ses bourreaux veulent se livrer a un travail de vivi-
section dont les resultats ne sauraient 6tre doutcux pour
les praticiens eux-memes.
Les Macons de tout rite sont alors frappes de discredit.
La reaction triomphaute menace de sevir contre
eux, a la satisfaction do l’opinion publique. Mais les
sectaires arborent le drapeau du parti victorieux, sacri-
fiant ceux des leurs que les Loges avaient pousses au
pouvoir, et protestant de leur devouement a la cause du
triomphateur. Ils echappent ainsi au peril qui les mena-
?ait, a force d’hypocrisie et de dissimulation, en atten-
dant qu’ils puissent de nouveau conspirer sourdement et
preparer la chute de l’idole qu’ils viennent d’encenser.
Cette verite ressortira saisissante, irrefutable de ce
qui me reste a dire dans les chapitres suivants.
CHAP1TRE XVIII
Patriotism© ©t Frane-Maconnerie.
Sommaiiie. — Les Franes-Magons courtisans de FEmpire et de la lies-
tauruti<>n. — Le F.\ Rebold plaide en leur faveur les circonstances
attenuantes. — Opinion de Louis Blanc sur le role de la Maconnerie
sous la premiere Revolution. — Les Franes-Magons allemands et le due
de Brunswick. — Manifeste de ces derniers. — Les Loges d’Outre-Rlun
tom bent en sommeil sans renoncer pour cela Si leur role politique. —
Une parent liese. — Opinion des domains maconniques h Fendroit du
patriotisme. — Les Franes-Magons allemands trahissent leur pays au
profit ues armies de la Revolution. — Preuvea et tSmoignages h,
l’appui de cette vdritd. — Le3 Ecrivains de la Secte travaillent
partout a popular iser les bides revolutionnaires, — La Convention
soudoie les traitres avec generosity. — Adeptes strangers qui ont frayd
la voie aux armees franchises. — Victoire de Custine. — Retraite du
roi do Prusse et du due de Brunswick api'ds le siege et la prise de
Verdun. — Role de la Maconnerie en cette circonstance. — Conquete
de la lit Jlnmle avec lc concours des adeptes do ce pays. — Mort de
Fempereur d’Autriche et du roi de Sudde. — Quelle part y ont prise
les Francs-Macons. — Conduite de Xapoldon a 1’egard de la Secte. — II
est adult} et tralii par le Grand-Orient. — Odieuse conduite des Magons
appartenant h Fannee frangaise pendant los dernieres campagnes de
Fempereur: — Les Adelphes et les Pliiladelphes. — Les generaux
Oudet, Mallet et Moreau. — Precedes anti-patriotiques des Loges
irancaises dans leurs rapports avec les (Strangers. — Le Grand-Orient
et le Supreme-Conseil jettent le masque et fraternisent avec nosennemis.
— Les Francs -Macons aceablent Louis XVIII de flatteries. — Aprds
Waterloo, Paris et la France ne se defendirent pas, bien que la defense
fut possible et meme facile, par lo fait des Francs-Magons. — La
Franc. -Maconnerie est une dcole do trahison.
Lc F.\ Rebold, qui a clans le coeur des tresors d’indul-
gence pour la Maconnerie symbolique, no peut s’empe-
Ouvrages consulted : ffistoire des Saddles seerdtes dans Varmde et
des conspirations in Hilaires qui ont ext pour objet he destruction du
goureracment de Bonaparte, — Barruel, Memoir cs pour servir d
Vhistoire du Jacob in is me. — Grit, La Franc-Maconnerie en elle-
CH. XVIII. — PATRIOTISME ET FBANC-SfAgONXERIE. 343
eher, tant les choses lui paraissent graves, tie Warner
l'attitude du Grand-Orient en face de Napoleon.
Les adeptes sont voues corps et ame au culte de l’Em-
pire, comme ils etaient voues naguere a celui de la deesse
Raison. II n’est plus question parmi eux de liberte, d’e-
galite et de fraternity. On se borne a brdler de l’encens
aux pieds de I’homme extraordinaire qui repandait tant
de (jloire sur la France.
« Son genie, ecrit l’&utear, ses succes militaires etaient
« l’unique sujet des discours des orateurs du Gr .-Orient.
< Mais si l’on reflechit que ccs hauts dignitaires occu-
f paient des postes eleves dans l’armee ou dans la
• magistrature, on comprendra que cette autorite maqon
« nique se trouvait tellemont lice au gouvcrnement, que
« son personnel l’entrainait a des manifestations politi-
« ques, contraires aux principes de l’institution. »
mhne, et dans ses rapports avec les cmtres socidtds secretes de l' Europe.
— Onclair, La Franc-Magonnerie dans ses origines, son dcveloppe -
mem physique et moral, sa nature et ses tendances . — Tiiohy, His
toive de la fondation du Grand-Orient dc France. — AYrr, Fragments
extraits de Vhistoire dc ma vie etde mon epoque. — Eckert, Maya sin.
— ICloss, Ilistoire de la Franc-Magonnerie en France. — Custixe,
moires. — Ragon, Cours philosophique et interpretaiif. — Rebold,
Ilistoire des Trois Grandes-Loges. — Louis Blanc, Ilistoire de dice ans;
Hisroire do la Revolution frangaise. — Ilistoire du Grand-Orient de
France. — Goffin, Ilistoire populairc de la Franc-Magonnerie . —
Luchet, Essai sur la secte des Illumines. — Extrait du I Acre d'or du
Sourer ain-Cliapitre metropolitain, sous le rite le phis ancien , connu et
pratique en France {Proces-verbal d' installation du S. Gr.-M. adjoint
au Grand-Orient de France). — Fete de VOrdre de Saint-Jean d'Etc,
celchrde cm G.-Orient de France , le2ojnin. — Fete de VOrdre de Saint -
Jean d'Hivcr , cdlebrde au G.-O. de France , le 2S ddeembre. — G.-O. de
France , Saint-Jean d'Hivcr, 21° jour clu 10° mois 5808, etc. —
G.-O. de France , Saint-Jean d'Ete, 25® jour du 4° mois 5S10. —
G.-O. de France, Saint-Jean d'Ete, 24® jour du 4° mois 5811. —
G.-O. de France , Saint-Jean d' Hirer, le 30° jour dulQ c mois 5811 . —
fircidaire du G.-O. de France , du vingt-cinquieme jour du sixieme
mois 5814 , contenant V envoi des noms des nouveaux Grands Ligni-
I’ircs ct Ofjiciers d'honneur. — G.-O. Saint- Jean d'Ete 5814; fete de
VOrdre, le 25° jour du 4 e mois de la V.-L. 5814.
Ml
PltRIODE HISTORIQUE.
Apres ce petit plaidoyer ou il invoque, en faveur de
sos clients, les circonstances attenuantes, l’historien des
Trois Grandcs-Loges continue en ces termes :
« Lo 27 ddcembre^l805 » le Grand-Orient cdlebra le
< solstice d’liiver, et feta e:>. meme temps les victoires de
« Napoleon. Cette reunion fut uno des plus belles et des
« plus importantes qui aient encove eu lieu au Grand-
« Orient ; toutefois, commc nous l’avons fait observer
« plus liaut, olio laissa tout a desirer sous le rapport des
« principcs maconniques. La voute du temple, qui n’eut
« du rctentir que des louanges du Grand Architecte de
* l’Univers, de doctrines philosophiques et de philan-
* thropie, n’entendit plus que l’eloge de l’Empereur, et
« dans des termes tellement exageres que celui-ci les
« aurait blames sans aucun doute, s’ils fussent parvenus
* a ses oreilles (1). »
Plus loin, l’auteur aborde uno seconde fois le meme
sujet :
« Ce fut encore le F.\ Cambaceres, archichancolier de
t I'Empire, dit-il, qui presida la fete du solstice d’hiver
« de 1800. Ces fetes, nous le repefons, avaient perdu leur
« caractere symbolique et plnlosophiquo ; on n’y enten-
« dait plus que des amplificjitions vides et sans portee,
« les louanges du InSros du jour. Cette degeneration des
« travaux maconniques a d’autant plus lieu d’etonner,
« que ces discours, qui ne tendaient a rien moins qu'd
« alterer les principes monies de l’institution, a fausser
« ses anciennes devises, etaient prononeds par les ora-
« teurs du Gr.-Orient devant les homines les plus distin-
« gues de 1’armee, du barreau et de la magistrature, qui
« tons avaient pris une part plus ou moins aclioe a la
^A) Heuolu, Jlistoire des Trois Grandes-Lofjcs.
CH. XVIII. — PATRIOTISME ET FRA.NC-MACONNERIE. 345
« Revolution , et luttd pour le triomphe des principes
* maconniques, et qui eussent du, par consequent, avoirs
« cceur d’arreter de si funestes tendances (1). >
Rebold comprend que le peuple frangais ait regardd
Napoleon comme un lieros et un libera tern*. II avoue que
lui-meme a professe envers le grand liommo des senti-
ments de ce genre, & ime epoque oil il y avait quelque
danger a le faire ; mais il ne congoit pas que des Magons
serieux aient pu sans rougir enchabier la Franc-Macon-
nerie au char triomphal d’un guerrier qui a rempli I'Eu-
rope du bruit de ses victoires.
Ce qui nous etonne en tout ceci ce sont les etonnements
du F.\ Rebold.
Quelques annees apres l’epoque oil les Magons fran-
gais se faisaient remarquerparleur enthousiaste devoue-
ment a la cause de l’Empire, le vainqutiir de l’Europe
voyait tout a coup sa puissance s’ecrouler.
Quelle sera l’attitude du Gr.-Orient en presence du
coup de foudre qui vient de flapper son idole ?
Rebold va nous le dire :
* La Franc-Magonnerie travaillant uniquement dans le
« domaine des idees et defendant, avec raison, toute
t discussion sur les actes des gouvernements sous les-
* quels se trouvent les Magons, ses reprdsentants de-
« vr aient , pour etre consequents , s’abstenir de toute
« manifestation politique, car alors ils sont obliges d’en-
< censer tous les pouvoirs qui se succedent, ce qui dinii-
* nuc de beaucoup la valeur des demonstrations. Le
« tableau des membres du Gr.-Orient en 1805 (que nous
« avons donne a cette epoque) prouve combien le senat
« magonnique etait devoue au gouvernement imperial ;
* cependant, le 1" juillet 1814, il s’empresse de declarer
(X) Rerold, Ilistuircs de Trois Grandes Loges.
346
PERIODE HISTORIQUE.
t dechu de la grande-maitrise de I'Ordre le prince qu'il
« avait encense tout recemment encore ! Le 11 mai, il
< avait vote 1000 francs pour le retablissement de la
« statue de Henri IV ; le 21 juin, a la fete de I’Ordre,
« tons les orateurs celebrcrent la joie qu’eprouvait le
« peuple maconniquc, en voyant , enfin 1 son roi legitime
» entoure de son aligns te famillel A la meme epoque des
« Loges de Caen, de Falaise, de Pont-l’EvSque, etc., se
t reunissaientpour celebrer le retour de Louis XVIII etde
« la famille royale; les travaux sont termines par un
« serment unanime de defendre les lis et de moarir pour
t le mainlien de la famille des Bourbons! A Marseille,
« les Loges, precedees de leurs dignitaires decores, ainsi
* que les Freres, de leurs orncments maoonniques, pro-
« menent dans la ville le busto du roi, dont ils font
« l’inauguration dans leurs temples. Ce fait est, en outre,
* remarquable, en co qu’il ost le premier exemple, le
« seul memo , d’uno procession publique de Francs -
« Masons en France (1). »
A en croire Rebold, co fut par le fait d’une aberration
momentanee ct diflicilement explicable que, sous l’Em-
pire et en 1814, la Ma$onncrie s’occupa de politique. Est-
il vrai qu’en dehors de cette courte periode I’Ordre ait
constamment fait preuve de sagesso et ne soit jamais
sorti du domaino des iddes philosophiques ? L’auteur
s’eflorce do le faire entendre, mais il n’ose l’aflinner. II
sait quo des ecrivains appartenant a la Sectc et jouissant
d’une autorite uuiversellement reconnue, lui donneraient
un dementi categoriquc, s’il’s’avisait de pousserj usque-
la les hardicsscs de sa plaidoirie en faveur de ses clients.
Le F.\ Louis Elauc nous parlo du role politique de la
Revolution, uvec uue nettete qui defie toute affirmation
(1) Rebold, Ilistoive des Trots Grandcs-Logcs.
CH. XVIII. — PATRIOTISMS ET FRANC -MA<J0NNER1E. 347
contraire. II n’y a dans ses paroles ni doute, ni restriction,
ni attenuation d’aucune sorte.
« A la veille de la Revolution francaise , dit-il, la
i Franc-Maconnerie se trouvait avoir pris un develop-
« pement immense. Cependant, dans l’Europe entiere, elle
« secondaitle g6nie meditatif de l’Allemagne, agitait sour-
* dement la France, et presentait partout l’image d’une
< societe fondee sur des principes contraires d ceux de la
< snciele civile
* Le cadre de Institution s’elargissant, la democratie
« courut y prendre place ; et, a cote de beaucoup de Fre-
« res dont la vie ma<jonnique ne servait qu’ii charmer
« l’orgueil, a occuper les loisirs, ou a mettre en action la
i bienfaisance, il y eut ceux qui se nourrissaient de pen-
« sees actives, ceux que l’esprit des revolutions agitait.
« ..... Bientot se produisirent des innovations d’un
« caractere redoutable. Comme les trois grades de la
« Maconnerie ordinaire comprenaient un grand nombre
« d’hommes opposes par etat et par principes a tout
« projet de subversion sociale, les novateurs multiplie-
« rent les degres de l’echello mystique a gravir ; ins
< tituerent les hauts grades d’Etn, de Chevalier du Soleil,
« de la Stride-Observance, de Kadosc/t, ouliomme rege-
« nere, sanctuaires tenebreux, dont les portes ne s’ou-
« vraient a l’adepte qu’apres une longue serie d'epreuves,
« calculees de.maniere a constater les progres de son
« education revolutionnaire, d eprouver la Constance de
« sa foi, a essayer la trempe de son cceur.
« 11 plut a des Souverains, au grand Frederic, de
« prendre la truelle et de ceindre le tablier. Pourquoi
« non? Li existence des limits grades lour etant soigneuse -
* ment derobee, ils savaient settlement de la Franc-Macon -
« nerie ce qu’on ponvait montrer sans peril; et ils
« n’avaient point a s’en inquieter, retenus qu’ils etaient
« dans les grades inferieurs, ou le fond des doctrines ne
SIS
puriobe msTORi^rr:.
* pcrgait que confusement a tracers 1’allcgorie.... JSMs,
« en ces matures, la comedie touche au dramo ; et il
« arriva, par une juste et remarquable dispensation de
« la Providence, que les plus orgueilleux contempteurs
o du peuple furent amenes a couvrir de leur nom, a
« servir aveuglement de leur influence les cntreprises
« latcntes dirigecs contre eux-memcs.
« Cependant, pavmi les princes dont nous parlous, il y
« en eut un envers qui la discretion no fut point necessaire.
« C’etaitle due do Chartres, le futur ami de Danton, ce
« Plnlippc-Egalite, si celebre dans les fastes de la Revo-
lt lution, a laquelle il devint suspect et qui le tua (1). »
Les memhres du Grand-Orient qui encenserent tour k
tour Napoleon et Louis XVIII. apres avoir col labors, do
l’aveu dc Rcbold, aux evenements de 89 et de 93, s’etaient
fait les pourvoyeursdela guillotine comnvFrancs-Macons
et non commc simples citoyens. Louis Blanc le recommit,
avee une bonne foi que n’ont pas toujours les auteurs
maronniques.
La Revolution venait k peine d’dclater en France,
qu’une agitation des plus significatives so manifesta de
l’autrc cote du Rhin. Cette surexcitation des esprits,
partout mi les soeietes secretes avaient pu s'organiser
librement. fut pour les Souverains comme un trait de
lumiere. Ils s’apcrcurent, mais trop tard, qu’ils auraient
dft no pas accucillier avee indifference le cri d’alarmo
pousse naguero par le gouvernement bavarois.
Desireux de reparer leur faute. ils s’adrcsserent au due
de Brunswick, Grand-Maltre des rites tl hauts grades, le
priant de mettre un frein aux passions subversives de la
Sectc.
Ils no comprirent pas que ce pei’soanage etait a la
nierci des siens.
(1) Louis B\anc, Histoirede disc arts.
CH. XVIII. — PATRIOTISMS ET FRAXC-MAgONNERIE. 349
Le due lui-meme ignorait, la veille encore, qu’un pou-
voir occulte gouvernait la Magonnerie en dehors de lui.
Pour la premiere fois, il se demanda si le sceptre que
les deputes du Congres de Wilhelmsbad lui avaient
placd dans les mains n’etait pas un sceptre derisoire,
emprunte par les adeptes au regisseur d’un theatre quel-
conque.
II ne laissa pas neanmoins que d’adresser h ceux dont
il avait cru etre le chef un manifeste devenu celebre.
Parlant des Illumines, auxquels il attribue sottement
la corruption de la doctrine magonnique , comme si
Weisshaupt ne s’etait pas borne a discipliner les diver-
ses fractions de l’Ordre, le due de Brunswick s eerie :
« Le pr6tendu secret de ces fanatiques pour le bien-
i etre de l’hommc degenera bientot en une veritable
« conjuration contre le bonheur de l’humanite ; il fut un
t moyen habile qui servit efficacement la cause de leur
* egoi'sme. Une grande secte surgit. qui, tout en prenant
« pour enseigne le bien et le bonheur de l’homme, tra*
« vailla dans les tenebres de la conjuration k faire du
« bonheur de l’huraauite une pdture pour elle-meme.
« Cette secte, tout le monde la connait ; ses Freres ne
* sont pas moins connus que son nom. C’est elle qui a
« sape les fondements de l’Ordre jusqu’a ce qu’il fat
« completement renverse ; c’est par elle que toute l’hu-
« rnanite a ete empoisonnee et egaree pour plusieurs
« generations. La fermentation qui regne parmi les
« peuples est son ouvrage. Elle a fonde les ])rojets de son
« insatiable ambition sur l’orgueil politique des nations.
« Ses fondateurs s’entendaient a introduire cet orgueil
* dans la tete des peuples. Us commence rent par verser
* l’odieux sur la religion.
« Raillerie ct dedain, telles fuvent les armes de cette
« secte, d’abord contre la religion elle-meme, ensuite
* contre ses ministry's. Si elle s’etait contentee de conte-
350
PfiRIODE HISTORIQUE.
« nir son mepris dans son sein, elle n’aurait ete digne que
« de pitie ; mais elle ne cessait d’exercer ses compagnons
« au maniement le plus habile de ces armes. On precha,
* du haut des toits, les maximes de la licence la plus ef-
r frenee, et cette licence, on 1’appela liberte. On invcnta
« des droits de l’homme qu’il est impossible de decouvrir
« dans le livre meme de la nature, et I’on invita les peu-
« pies h, arraclier a leurs princes la reconnaissance de
« ces droits supposes. Le plan que l’on avait forme de
« briser tous les liens sociaux et de detruire tout ordre,
« sc revela dans tous les discours et dans tous les actes.
« On inonda le mondc d’une multitude de publications;
» on recruta des compagnons de tout rang et de toute puis-
« sance, on trompa les homines les plus perspieaces, en
t alio quant faussement d’autres intentions. On repandit
# dans le coeur de la jeunesse la semencc de la convoitise,
« et on l’excita par l’amorce des passions les plus insa-
« liables. Fierte indomptable, soif du pouvoir : tels furent
« les uniques mobiles de la Secte. Ses maitres n’avaient
« rien moins on perspective que les trbnes de la terre, et
« le gouvcrncmcnt des peuples devait etre dirige par
« leurs clubs nocturnes.
« Voila ce qui s’est fait et so fait encore. Mais on re-
t marque que les princes et les peuples ignorent comment
« et par quels moyens cela s'accomplit. C'est pourquoi
« nous leur disons avec toute liberte : L'abus de notre
a Ordre, la meprise sar notre secret ont produit tous les
« troubles politiques et moraux dont la terre est aujour -
« d’hui remplic. Vous qui avez cte inities, il faut que vous
« vous joignicz a nous pour clever la voix et apprendre
« aux peuples et aux princes que les sectaires, les apos-
« tats de notre Ordre ont seuls ete et seront les auteurs
» des revolutions presentes et futures (1). >
( 1 ) Mcmifeste du due de Brunswick aux Francs-Maqons de son
obedience.
CH. XVIII. ^ patriotisms et prauc-maconnerie. 35l
Les Loges qui reconnaissaient l’obedience du due de
Brunswick furent fermees, mais l’action des adeptes n’en
continua pas moins a §tre ce qu’elle avait ete jusqu’a-
loi’s. Mes lectern's pourront s’en convaincre, en lisant
avec attention les details qui vont suivre.
Avant d’exposer les faits que je me propose d’apporter
a Tappui de cette affirmation, je prends la liberte d’ou-
vrir une parenth&se.
Les ecrivains de laMaconnerie nous parlent sans cesse
de leur patriotisme.
La masse du public ne songe pas a mettre en doute la
sincerite de leur langage. Mais l’historien a le devoir de se
montrer plus exigeant, quelque repugnance qu’il eprouve
a dinger contre une societe composee de plusieurs mil-
lions d’hommes, l’accusation de felonie.
Cette accusation prend un caractere saisissant de vrai-
semblance, lorsqu’on sait que l’elite des Macons regarde
le devouement k la patrie comme un vieux prejuge dont
il importe de se defaire.
« La society civile, dit Lessing, ne saurait unir les
« hommes en corps sans les repartir, ni les repartir sans
« occasionner de profondes scissions entre eux... De la le
« droit de reagir contre de semblables separations. Pour
« cet eflet, il serait grandement d desirer qu’il y efit,
« dans chaqae Etat , des hommes depouilles des preju-
« ges de nationality, qui sachent bien a quelle limite le
« patriotisme cesse d'etre une vertu.... des hommes que
« la grandeur civique n’aveugle pas. » « Je me figure les
t Francs-Macons , ajoute-t-il quelques lignes aprSs,
« comme des gens qui ont pris sur eux la charge de tra-
il vailler contre les maux inevitables de I'Etat (1). »
Ce langage est d’une clarte eblouissante. Reagir contre
(1) Ernst, tend Falk , Gwivtiche far Frcimaurer* Gesp. 11. 1775.
352
PERI0DE HISTORIQUE.
la separation des societes entre elles c'est vouloir etouf-
ferl’idee cle patrie. Et comme s’il avait craint de ne pas
avoir exprime sa pensee d’une maniere assez precise,
l’auteur ajoute qu’il faudrait que, dans chaque Elal, il y
eut des hommes disposes it fouler aux pieds ce qu’il
nomme les pkejuges de nationality Lessing n’ignorait
pas qu’un adepte imbu de pareils sentiments & 1'egard
de son pays ne eonsentira jamais & se faire tuer pour
repousscr une invasion.
Fichte, dont la phrnseologie est d’ordinaire fort nebu-
leuse. parle avec beaucoup de nettete a l’endroit de cette
question :
t II serait aussi ridicule, fait-il observer, que les Ma-
« cons se reunissent en secret pour faire de beaux sou-
« liers, que de supposer qu’ils s’litudient h reformer
« l’Etat en tout ou en partie. Le Macon qui parlerait au-
« trement serait, non seulement deprecie, comme un
« homme depourvu de toutc connaissancc magoiinique,
« mais il mettrait en doute la sante de son cerveau. »
Quel est done, suivant l’auteur, le but que poursuivent
les inities?
Le voici :
« Sup primer l’organisation appliquee aux societes et
« les ineonvenients qui on resultent, transformer la
i forme particaliere de I’Etat en la forme commune et
s universelle de tous les hommes envisages en tant
» qu' hommes (1). »
Ce but est noble, continue Fichte, puisqu’il a pour ob-
jet les imerets de rhumanite. Il est, de plus, raisonnable,
et, en le poursuivant, nous accomplissons un devoir
(l) Onclair, La Franc-Moronncrie dans ses origincs , etc, Livrc I.
— ciiajj.
CH. XVIII. — PATRIOTISMS ET FRANC-MAQONNERIE. 353
sacre. Quand je dis que nous devons nous separer de
la society civile, je n’entends pas qu’il faille vivre dans la
solitude. Cela signifie qu’il faut nous efforcer de rennir
tous les hommes dans un etat social d’oii l' idee de fron-
tieres sera exclue .
Ramsay, le patriarche de l’Ecossisme, professait des
principes absolument semblables a ceux des Masons
allemands ; void ce que nous lisons dans un discours
qu’il prononqa comme grand orateur, a une reception
d’adeptes :
« La diversity des langues qu’ils parlent, des vete-
t ments dont ils se couvrent, des pays qu’ils occupent,
« des dignites dont ils sont investis ne cree pas entre les
« hommes de distinction essentielle. Le monde cnlier
t n'est qu’ime grande republique de laquelle chaque na-
i tion est une famille , et chaque individu un fils. C'cst
» pour faire revivre et pour propager ces maximes an-
t ciennes prises dans la nature de I’homme que notre
« societe est etablie. »
Fischer, perorant enl849 a laLoge d’ Apollon, s’ecriait,
de son cote :
* Notre principe fondamental, la fusion de tous les pen-
i pies dans la meme fraternite, est a peine comprise dans
« sa plus simple acception (1). »
Rebold partage le meme avis. A l’exemple des Freres
d’Allemagne, il professe un mepris absolu pour cette bil-
levesee que les profanes ont baptisee du nom de patrio-
tisme :
* La Franc-Maconnerie de nos jours proclame la
(1) V. Gyr, La Franc-Maconnerie en elle-rnime.
F.-. M.-.
£3
854
PfiRrODE HISTORIQUE,
« fraternity universelle, comme le but qu’elle s’est propose
« d’atteindre ; ses efforts tendent constamment a. etouffer
* parmi les hommes les pr 6 jug 6s de caste, les distinctions
i de couleur, d’origine, d opinion , de Nationalite ; i
* aneantir le fanatisme et la superstition, a extirper les
< haines Rationales, et, avec elles, le tleau de la guerre ;
« en un mot parvenir, par le moyen d’un progres libre
« et pacifique, a l’etablissement du droit etgrrte^ et uni-
« vei'sel . Elle veut, qu’en vertu do ce droit, chatju&imli-
« vidu puisse librement et completement developper
« toules sesfacultos, et concourir, avectoute la plenitude
« do ses forces, a la felicitc de tous. L’emploi de ce moyen
« est destine a former, de tout le genre humain, une
* seule et meme famille de freres unis par le triple lien
* de l’amour, de la science et du travail (1). »
Je pourrais continuer encore ce genre de citations et
prouver que la Franc-Magonnerie est une secte essentiel-
letnent cosmopolite, ennomio irreconciliable des nationa-
litcs. A ses ycux, 1’amour du pays natal est une aberra-
tion et parfois un crime. On retrouve cette idee a chaquo
page dans les livres magonniques. Elle est sassee ct res-
sassee dans la plupart des discours que prononcent les
orateurs aux l-eceptions d’adeptes et aux fetes solsti-
ciales. II n’y a pas jusqu’aux rituels qui en sont impre-
gnes.
II n’est, done pas etonnant que l’amour de la patrie
s’affaiblissc peu a peu dans le cceur du Macon, et finisse
par s’y eteindre tout a fait.
Les cvenements dont l’Europe fut le theatre pendant la
Revolution et sous Io premier Empire viennent a l’appui
de mon assertion.
Apres avoir constate que nos gendraux a cotto epoque
ont fait preuve de talents militaires incontestables,
(1) Rebold, llistoire des Trois G ramies- Lo g .
CH. XVIII. — PATRIOTISM ET FRANC-MAQOXNERlE. 355
et que quelques-uns se sont reveles eorame des hommes
de genie, Bai’ruel ajoute :
« Nous avons vu des chefs sans experience et sans m4-
i rite deconcerter la sagesse et les mesures des heros les
« plus consommes dans la science militaire; nous avons
« vu des hordes carmagnoles et des guerriers d’un jour
« celebrer leur entree triomphante dans des provinces od
t toute la valeur, toute la discipline des legions d’Au-
ii triche, de Hongrie et de Prusse, depuis tant d*ann4es
« instruites a manier les armes. elevees dans les camps
« par de grands capitaines, devenaient inutiles. Malgre
« Tart des Yauban et des Cohorn, les citadelles sc sont
« ouvertes al’aspect seul de ces nouveaux vainqueurs;
* et lorsqu’ils se sont vu reduits a recourir aux armes,
« une victoire seule, ou meme une defaite, leur a valu,
« dans un jour, des contrees qui auraient cout4 vingt
« combats et de longues eampagnes aux Malborougli et
« aux Turenne. Par un nouveau prodige, les heros Jaco-
« bins sont accueillis comme des freres par les peuples
« vaincus; leurs legions se multiplient 1& ou celles de
i tout autre ennemi auraient ete aneanties. Ils imposent
t le plus dur de tous les jougs; les concussions, les de-
« vastations, les sacrileges, le bouleversement des lois
f divines et humaines out signale partout leur marche ;
* et ils sont regus aux acclamations et aux transports
< d’une multitude que Ton dirait aller au-devant de son
« liberateur. Ce sont la des merveilles dont l’histoire
< chercherait eu vain Texplication dans les annees vi-
* sibles de la Revolution. Pour en developper le mystere,
« disons-le hardiment, la Sect© et ses complots, ses
« legions d’emissaires secrets devancerent partout ses
« armees et ses fouclres ; elle avait fait marcher l’opinion
« avant que d’envoyer ses Pichegru et meme ses Bona*
< parte. Ses moyens etaient prets, les traitres etaient
« dans les forteresses pour en ouvrir les portes; ils etaient
356
PERIODS HISTOUIQUE.
t j usque dans les armies de l’ennemi, dans les conseils
« des princes, pour en faire avorter tous les plans (1). »
L’accusation est formelle. Yoyons si elle est fondoe.
Des les premiers jours de la Revolution, le comite du
Grand-Orient de Paris, queles einissaires de Weisshaupt
avaient gagno a rilluininisme, ainsi que nous l’avons vu
dans les chapitres precedents, adressa un manifoste 4
toutes les Loges maconniques et a tons les Directoires,
avec priere d’cn donner communication aux Fibres dis-
perses cn Europe.
Cette piece etait signee : Philippe d’Orleans. Hoffmann
afiinne, preuves en main, qu’elle fut tout specialement
repandue en Allemagne, et quo Joseph II en recut un
excmplaire.
Le Comite dirigeant sommait toutes les Loges. en vertu
du pouvoir dont les adeptes l’avaient investi, de se con-
federer, d'unir leurs efforts pour le maintien de la Mevo-
lulion , dc lui faire parlout des partisans, des amis, des
protecteurs, d'en propagcr la flamme, d’en snsciter I’es-
prit, d'en exciter le zele et Vardeur dans tous les pays, et
par tous les mayens en leur pouvoir.
Un appel de ce genre aurait ete repousse avec indi-
gnation, si les membres de la Maconnerie n’avaient
pas ete prepares d’avance a envisager cet ordre d’idees
comme le but vers lequel devaient tendre tous leurs
efforts.
11 s’agissait, pour eux, non du triomphe d’un peuple
sur les autres, mais de l’ecrasement de la vieillo societd
au profit d’un monde nouveau. L’Europe cliretienne et
monarcliique allait faire place a l’Europe maconnique et
athee. En presence des resultats que promettait cette
lutte de geants, les Magons ne pouvaient pas liesiter. Ils
se croyaient tenus de fouler aux pieds leurs prejuges
(1) Datuiuel, Mcmoires pour servit* d Vliistoire du Jacob inis?ne.
CH. XVIII. — PA.TRIOTISME ET FRA.NC-MA.COXNERTE . 357
nationaax. Ils le firent avec le stoicisme de gens qui n’ont
plus de prejuges.
En Angleterre, en Hollande, en Allemagne, en Prusse,
en Italie, les ecrivains de l’Ordre publierent des ou-
vrages, des brochures et des articles de journal oil ils
exaltaient les doctrines de la Revolution. Ces auteurs
n’ambitionnaient d’autre recompense, pour les services
que leur plume rendait a la cause de la Maconnerie en
armes, que le titre de citoyen francais. Parmi ceux qui
en furent honores se trouvent Payne, Campe et Cramer.
Des Illumines d’Outre-Rhin, tels que Darsch et Blau,
vinrent se fixer a Paris pour y rediger des feuilles perio-
diques destinees it entretenir l’enthousiasme revolution-
naire dans les rangs de la Maconnerie allemande.
Pendant que ces adeptes ecrivent, il en est d’autres qui
remplissent les fonctions de propagandistes. Le tresor
public est mis a leur disposition, si bien que, d’apres les
Memoires de Dumourioz, trente millions sont absorbes en
un an, pour acheter les Macons dontla conscience etait a
vendre.
Strasbourg devint le centre ou se reunissaient les agents
francais et allemands du Jacobinisme. Stamm, Hermann
et Dietrich avaient une correspondance suivie avee le
ininistre calviniste Eudemann, le syndic Peterson, le
chanoine Sclvweickard, Khceler, Janson, Hiillen, "Winc-
klcmann et Bcehmer. De leur cote, ces divers person-
nages que Weisshaupt comptait parmi ses adeptes les
plus ardents et les plus connus, ainsi qu’on peut le
voir en se reportant a la note oil nous avons donne la
liste des principaux Illumines, etaient journellement en
relation avec ia Loge de Mayence. Au nombre des initios
de ce club figurait le colonel de genie Eickenmayer,
charge par son gouvernement de la defense de la ville. II
avait pour compagnons d’Atelier et complices de sa
trahison Benzel, Kolborn, Blau, Metternich, Yedekind,
Forster, Hauser, Haupt, etc.
858
PERIODE HISTOIUQUE.
Ces details nous sont donnas par Hoffmann, dont on
n’a pas, que je sache, eonteste la veracite.
Le travail preliminaire des adeptes consista surtout a
faire l’eloge de la Revolution frangaise . C’est ainsi
qu’ils parvinrent a emousser le patriotisme de leurs coin-
pat riotcs.
Lorsque Custine, lo plus incapable et le moins coura-
ge ux des officiers de la Republique, regut ordre d'entrer
en campagne, Stamm devint son homme do confiance. Peu
de jours apres, une deputation de Magons allemands se
reudait pres du general et le conjurait de francliir le
Rhin, ajoutaut que les poj)ulations l’accueilleraient avec
syuqtalhie. Les seclaires lui disaienl en outre de ne pas
s’inquieier des difficultes apparentes de l'entreprise,
attendu qu’eux et leurs amis les feraient disparaitre
comme par enchantement. Ils lui apprenaient oiifin qu’ils
etaient les organes d’une societe nombrouse dont le de-
vouoment a la cause de l’armee republicaine ne faisait
aucun doute.
Le Franc- Magon Boohmer etait a la tete de ces delegues
des Lnges germaniques.
Le fait dont je parle est indeniable. Custine lui-meme
le raconte dans ses Memoir es, quoiqu'il edt interet a le
passer sous silence.
€ Aides de tous, les Freres deputes Stamm et Bcehmer
t dirigent les mouvements de l’armee ; ils lui font prendre
« Worms; ils veulent 1’entramer a Mayence; Custine
t est cll’raye do l’entreprise; ils insistent; ils le pressent;
« il se resout enfin; son armee est devantce boulevard
« de l’Allemagne. A l’aspect de ses remparts tout l’clTroi
« de Custine rcnalt; les Freres le rassurent, dictent la
4 sommation qu’il doit faire au general Gimnich; la
i reponse qu’il en regoit le fait penser a la retraite avant
« meme d’avoir commence l’attaque. La nuit suivante,
4 une lettro des Freres de Mayence change ses iuquie-
CH. XVIII. — PATRIOTISMS ET FRANC-MAgONNERIE. 359
< tudes en nouvelles esperances. Elle est adressee au
* Frere Illumine Boshmer, et lui apprend que l’ami pos-
t sedant la conflance du commandant est decide a tout
« employer pour lui persuader qu’il est impossible de
« defendre la place ; que les Freres ont travaille la hour
« geoisie ; qu’il suffit d’ajouter a la premiere sommation
« de nouvelles menaces. Fidele a l’impulsion, Custine
« prend le ton d’un vainqueur qui prepare un assaut
« general, qui va livrer Mayence au pillage et a toute la
« fureur du soldat. L’adepte ami, c’est-a-dire ce meme
« Eickenmayer, qui possedo la conflance du comman-
t dant, et le baron de Stein, envoye de Prusse, unissent
« lours suffrages pour demontrer dans le Conseil la pre-
« tendue impossibility de resister a un ennerni qui n’apas
« memelemoyend’attaquer; qui est bienresolu as’enfuir
«' pour peu qu’on lui resistc.Lcs autres Fibres repandent
« l’alarme parmi les bourgeois. Le brave capitaine Au-
« dujar et ses onze cents Autrichiens ont beau s’indi-
« gner de la capitulation, elle est deja signee. Custine,
« avec une armee de dix-huit mille hommes seuleinent, et
« sans canon de sierje, Custine tremblant deja lui-meme
« qu’une prompte fuite ne sufflse pas acouvrir sa retraite,
« est maitre, dans trois jours et sans coup ferir, de ces
t remparts dontl’aspect seul le remplissait d’effroi. Ainsi
« se prennent les villes off la Secte domine (1). »
La derniere partie de ce recit, que nous empruntons
a Barruel, n’est pas une oeuvre de pamphlctaire.
L’auteur en a pris tous les details dans Yllistoire de la
Revolution , par Fantin-Desodoards, citoyen fran^ais, et
dans les Memoires de Custine.
Francfort tomba a son tour au pouvoir des vain-
queurs.
Cependant, par un coup de la fortune adverse, l’armee
Barruel, Merruircs pour servir d Vhiatoire du Jacobinismc.
360 P^RIODE HISTORIQUE.
republicaine est repoussee et obligee de repas'ser la
frontiere.
Mayence et les autres villes sont mises de nouveau en
etat de defense. Rien ne fait prevoir la possibility d’une
seconde invasion. Mais les generaux de la Convention
laissent derriere cux des amis devoues.
Pendant que l’Europe confiante s’en rapportait a la
valeur de ses soldats et a la solidite de ses forteresses,
les Macons l'ecommencaient leur oeuvre de termites. Le
succes venait une fois de plus couronner les efforts des
adeptes. Les armees de la Republique rentraient victo-
ricuses dans les places qu’elles avaient evacuees quelque
temps auparavant. Cette fois le gouvernement francais
reconnaissant accordait aux traitres la recompense qui
leur etait due. Metternich devenait commissaire directo-
rial de Fribourg ; Hoffmann etait nomine receveur gene-
ral du Rhin, aux appointements de cinquante mille
livres ; et Rebmann endossait la robe de premier juge
cisrhenin.
Dans la correspondance de M. Y z de Paris a M. de
S z a Vienne, on lit l’anecdote suivante :
« C'etait au moment de la premiere alliance contre la
« France revolutionnaire. Le roi de Prusse avait franchi
t nos frontieres, et se trouvait, jc crois, a Verdun ou &
« Thionville. Un soil’ un de ses amis lui fit le signe ma-
in connique et l’atlira dans une route souterraine off il le
« laissa seul. A la lumicre des lampes qui eclairaient ce
« lieu, lo roi vit venir a lui son aieul Frederic le Grand.
« C’etaiont sa voix, son costume, sa contenance, les traits
« de sou visage. Le fantome fit sentir a son neveu la
« faute qu’il avait commise en s’alliant avec rAutriclic et
« lui enjoignit de se retirer sur-le-champ. Vous savez
« quo le roi agit en consequence, au grand mocontente-
« mcnt de ses coallies auxquels iln’osa pas communiquer
* la cause de sa resolution. Quelques annees plus tard
CH. XVni. — PA.TEIOTISMB ET FRiNC-MAgONNERIE. 36l
« notre fameux comedien Fleury, qui s’etait acquis une
« si brillante imputation sur le theatre frangais dans la
« piece intitulee Les deux pages, avoua que, cedant aux
* instances de Dumouriez, il avaitjoue le role de Fre-
« deric II dans cette mystification. On sait, en effet, qu’il
c imitait le roi defunt jusqu’a donner le change aux plus
« defiants . * (V. Gyr.)
L’authenticite de cet evenement est loin d'etre demon-
tree. II peutsefaire que la retraite inexplicable du due de
Brunswick ait seule donne lieu a cette legende. Ajoutons
toutefois qu’etant donne le caractore du roi de Prusse,
les choses ont bien pu se passer ainsi. Guillaume appar-
tenait la secte des anciens Rose-Croix, et Ton sait qu’il
avait en eux une confiance illimitee. Ces dangereux sec-
taires lui faisaient croire les choses les plus invraisem-
blables. Ils etaient, dit-on, parvenus a capter son estime
en flattant sa passion pour les femmes.
Sa courtisane preferee etait une nommee Riez, qu’il fit
comtesse de Lichtenau. On a pretendu avee raison qu’elle
contribua pour une large part a la paix que le roi conclut
avec la Republique, malgre la haine qu’il professait pour
les Jacobins. Enfm, il ne faut pas oublier que les Rose-
Croix et les Illumines, d’abord ennemis irreconciliables,
arriverent h s’entendre et a ne former qu’une seule et
meme secte. Or, tandis que Guillaume et Brunswick
guerroyaient en France, les emissaires de la Magonnerie
frangaise negociaient, a Berlin, avec I’lllumine Bischofs-
Werder et autres inities dont les conseils etaient d’un
grand poids sur l’esprit du souverain.
* Le Brabant et les Flandres furentegalement livres k
« Dumouriez. Yandernoot, sous le nom de Gobelscroix,
* etait ii la tete des Loges magonniques des deux pro-
« vinces. Les plans projetes etaient par lui envoyes aux
« Frcres de Paris qui les communiquaient a Dumouriez.
3G2 P^RIODE HISTORIQUE.
« Aveuglees et excitees par les Loges, les deux provinces
« se souleverent et furent conquises sans que les repu-
« blicains eussent a bruler une amorce.
« La conquete de la Hollande ne couta pas plus cher 4
« Pichegru. Dans la seule ville d* Amsterdam se trou-
€ vaient quarante Loges : les maisons Roscier, Coudere,
« Hocliercau et le juif Sportas fournissaient des fonds a
« la conjuration. Le complot fat decouvert et le general
« Eustache Ait incarcere avoc trcnte mcrabres, ses com-
« pliccs. Amsterdam, Nimegue, Utrech et Berg-op-Zoom
* furent livrees par des traltres plus adroits et plus
« lieureux.
* Dans bon nombro de petites principautes, quelques
« Macons, assez audacicux pour so croire les souls repre-
« scntants de leurs coucit ovens, ecrivaient a la Conven-
« tion pour demander Faunexion a la France; et les
« troupes lranQaises venaicnt prendre possession du nou-
« veau territoire au nom de la Republique une et indi-
« visible ; malkeur aux princes ou electeurs qui osaient
« protester contre cette odieusc violation du droit des
« nations !
« L’Allemagne donna alors un spectacle etrange, inex-
« plicable. Ses troupes aguerries qui, naguere encore,
« avaient donne la preuve de lour bravoure, semblent
« tout a coup frappees d’impuissance; ses generaux
« paraissent aveugles. Dans toutes les rencontres avec
« les troupes republicaines et, plus tard, avec les troupes
« imperiales, elles se montrent iiulignes de leur antique
« reiiomniec. Les garnisons dans les forteresses mettent
« bas les armes sans coup ferir. Les renseignements rccus
t par les chefs sont faux; les decisions arretees dans les
« conseils de guerre sont aussitut commnniqiices d fen-
f nemi; les ordres oil ne sont pas donnes on sont mal
« executes ; les renforts n'arrivcnt pas a temps opportun;
« les munitions font defaut; la fidelite des officiers est sus -
t pectce ; le deconragement est repandu dans Carmee par
CH. XVIII. — PATRIOTISMS ET FRANC-MAQONXERIE. 363
« des bruits sinistres. Comment expliquer ces faits etran-
t ges? Eckert, dans son ouvrage Magazin fur Verur -
* theihmg des Freimaurer-Ordens, pretend qu’ils ne sont
« dus qu’a la trahison des officiers allemands, sur
« l’ordre des chefs supremes de la Maconnerie (1). »
Vers l’epoque dont nous parlons deux evenements tra-
giques vinrent prouver une fois de plus quo la Franc-
Maronnerie n’hesite jamais a subordonner le patriotisme
au triomphe de ses doctrines.
L’empereur Leopold, successeur de Joseph II, voulut
se rendre compte de la puissance des Macons et de la
nature de leurs projets. Le professeur Hoffmann lui
donna tous les details dont il avait besoin, dans l’interot
de sa couronne et de ses sujets. II lui revela que le plan
des conjures etait de revolution!; or l’Allemagne, que le
programme adopte circulait dans les Loges, et que les
propagandistes travaillaient deja a soulever les popula-
tions de la frontiere franco-germanique. II lui cita, en
particular, ce passage d’une lettre que Mauvillon ecrivait
k l’lllumine Cuhn et que la police avait interceptee : Les
« affaires de la Revolution vont toujours mieux en France ;
« j’espere que dans peu d’annees cette flamme gagnera
« les autres pays, et que l'embrasement deviendra gene-
i ral : alors notre Ordre pourra accomplir de grandes
« choses. s Leopold dut faire alors un retour sur lui-
meme, ct regretter amerement d’avoir servi, en Toscane,
les interets de la Secte avec une coupable etourderie (2).
Quoi qu’il en soit, une coalition plus redoutable que la
premiere etait a la veille de se former contre la Repu-
blique. Gustave III, roi de Suede, devait recevoir le com-
mandement des armees alliees.
Le roi de Prusse venait de rappeler Kloest son ambas-
sadeur a Vienne, et l’avait remplace par le comte de
(1) Gyr, La Franc -Ma$onnerie en elle-mime.
(2) Hoffmann, Avis important .
864
PERIODE HISTORIQUE.
Haugwitz. Lcs Freres de Strasbourg s’empressaient
d’annoncer & leurs superieurs cotte triste nouvelle et
ajoutaient, en forme de post-scriptum, les reflexions que
voici :
* Les politiques augurent de la que 1 ’union 4tablie
t entre ces deux Cours sera consolidee. II est certain du
« moins qu’il est bon de le faire croire aux Francois ;
« mais dans les pays despotiques, dans les pays ou lo
« sort de plusieurs millions d’hommes (Upend d'un mor-
« ceau de pate , ou de la niptare d'une petite veine, on ne
« pent plus compter sur rien. Quand mdme on suppose-
« rait que la Cour de Prusse agit de bonne foi avec celle
« d’Autriche, co qui est bion difficile a, croire ; ou celle
t d’Autriche avec cello de Berlin, ce qui est bien plus
« incroyable encore, il ne faudrait qu’une indigestion,
« unc goutte de sang extra. vase pour I'ompre cette bril-
« lante union. »
Lc 1 CT mars suivant, c’est-a-dire trois jours apres la
date de cette lettre, Leopold mourait empoisonne.
Quelques historiens pretendent qu’il succoraba a la
dysenterie. Cela n’exclut pas, que je sache, un empoi-
sonnement.. Tel fut d’ailleurs l’avis des medecins, qui
proceddrent avec un soin minutieux a l’autopsie du
cadavrc.
Le suceesseurde Leopold n’eut rien de plus pressd,
la suite des constatations qui furent faites, que de
renvoyer en Italie les cuisiniers de son pere. II ne suppo-
sait done pas que la maladie du souvorain defunt put
etre confondue avec une vnlgaire inflammation d’en-
trailles.
La fin prdmaturee de l’empereur fut suivie, quelques
jours apres, de l’assassinat du roi de Suede. Le meur-
trier do ce prince faisait partie des Loges. II se noramait
Anckarstroem et avait a peine trente-deux ans.
CH. XVIII. — PATRIOTISMS ET FRANC-MAQONNER1E. 365
Des qu’il eut re?u les premiers soins, Gustave III fit
appeler auprSs de lui les ministres etrangers et les
entretint a diverses reprises. « Je voudrais bien savoir,
« leur dit-il entre autres choses, ce que Brissot et son
i assemble penseront de ma mort. »
Le club des Jacobins repondait sans retard a la question
du prince, en plagant la statue d’Anckarstroem dans la
salle de ses reunions.
Ainsi se realisait a la lettre la prophetie des adeptes
de Strasbourg. Leopold ne put pas digerer le bouillon de
Naples que lui administrerent ses cuisiniers, et le porte-
enseigne des gardes bleues trouva moyen d 'exlravaser
le sang de Gustave III a Faide d’un pistolet.
Et que l’on ne dise pas que la Maconnerie fut etrangere
a 1’assassinat du roi de Suede; car, dans cette hypothese,
nous nous trouverions en presence d’une probleme inso-
luble. II est constate, en effet, que les inities connurent 4
I’avance et annoncerent a qui voulut l’entendre la fin
tragique de Gustave.
D’autre part, Anckarstroem subit seul la peine de son
crime, quoiqu’il .eut des complices averes. Ces dcrniers,
tels que le comte de Horn, Lilienhern et Ribbing, furent
simplement expulses du territoire.
Le due de Sudermanie, frere du roi, et Grand-Maitre
des Loges ecossaises, se montra d’une bienveillance
coupable a l’egard des conjures, et l’on put se demander
avec raison, s’il n’etait pas d’avance au courant de la
conjuration.
Yoila ce qu’ont 6td, k cette dpoque nefaste, les Francs-
Maqons du Nord et de 1’ Allemagne.
Non contents de tuer leurs souverains, ils livrerent leur
pays aux armees etrangeres. Quoi de plus naturel ! Les
inities ne doivent-ils pas etouffer en eux tout esprit de
nationalite et de famille? Ne leur a-t-on pas repete qu’il
faut savoir renier le SENTIMENT de PATRIE ? Ne
clierche-t-on pas a leur faire comprendre qu'il est des
366
PERIODE HISTORIQUE-
circonstances oil le patriotisme cerse d'etre une veutu?
Ne met-on pas sous leurs yeux cles livres ou Ton enseigne
que les efforts de la Maqonnerie tendent constamment d
deraciner du coeur humain les prejuges de caste , les
distinctions de couleur , d'origine, d f opinion. de NATIO-
NALITY ?
Et vous voudriez que des hommcs imbus de pareilles
theories nc devinssent pas des traitres, Routes les fois
quo leurs passions ou l’interet les y poussent?
II faudrait, pour ccla, quo les Francs-JIagons fussent
en contradiction perpetuclle avec eux-mbmes. Or, il est
demontre qti’ils ont coutume d’etre logiques.
Ce que les adeptes etrangers ne rougirent pas de faire
sous la Revolution, le Grand-Orient de Paris et les Ate-
liers de son obedience le fxrent, a lour tour, sous le pre-
mier Empire.
Napoleon laissa subsistcr la Franc-Magonnerie, dans
l’espoir de s’en faire une force. II ne voulut pas, nean-
moins, qu’olle put sc mouvoir on tonte liberte. Lorsqu’on
discutait.au conseil,lcs articles 291 et 294 du Code penal,
interdisant les reunions dc plus do vingt personnes, le
Fiv. Muraire demanda que l’on fit une exception en faveur
des Francs-Magons. Najxoleon repondit avec vivacite :
« Non, non; protegee, la Franc-Magonnerie n’est pas a
* craindre; autorisee. clle pout devenir trop forte et
« meme dangcrcuse. Telle qu’elle est anjourd’hui, elle
« depend de moi : je ne veux pas depcrulre d’elle. » L’Empe-
reuretait danslovrai; rnaisil eut peut-etre agi avec plus
do sagosso si, usant do sa puissance, ilavait empeche les
trongons du inonstrueux reptile de se reunir a nou-
veau.
Les chefs de la Secte n’hesitorent pas & s’incliner (levant
lc colosse. Ils firent mieux, ils se montrerent je ne dis
pas sounds, mais obsequieux et rampants. Les eunuques
du serail auraient pu leur donner des legons de dignite.
Napoleon s’y laissa prendre. II crut au devouement des
CH. XVIII. — PATRIOTISMS ET FRANC-MAgOXXERlE. 867
sectaires et k la sincerite de leur admiration pour ses
victoires.
Le prefet de police, plus soupconneux, surveilla de
pres le Grand-Orient et les diverses Loges de son obe-
dience, pensant avec raison que l’imperialisme des inities
6tait trop excessif pour etre sincere.
Un jour, il acquit la certitude que la Magonnerie fran-
enise trahissait l’Empereur au profit de l’Aliemagne,
comine les Macons allemands avaient trahi leur pays au
profit de la France quelques annees auparavant.
II voulut done appliqiier aux Loges la loi sur les
reunions. Le Grand-Orient protesta de son devouement
patriotique a la cause du souverain, mais ces protesta-
tions ne toucherent pas le prefet.
Les Macons recoururent alors k Cambaceres, qui usa
de toute son influence aupres de Napoleon pour soustraire
la Secte aux severites de Savari.
L’Empereur commit, en cette circonstance, une nou-
velle faute. Les aveux des auteurs maconniques viennent
k l’appui de mon assertion. En ne sevissant, pas contre
les adeptes, il leur facilita le moyen de correspondre
avec les Loges etnmgeres. Eckert affirme, sans hesiter,
que les Macons francais et allemands se coalis^rent pour
preparer la chute de Napoleon.
On a observe que depuis la creation du royaume de
Westphalie, la fortune du grand capitaine n’etait plus la
meme.
* Mai renseignS sur la force et la situation de l’ennemi,
c mal seconde par ses generaux, souvent pris a l’impro-
« viste, ne ralliant que bien difficilement les debris de son
« annee, prive du concours de nombreux regiments au
* moment decisif, Napoleon semble avoir perdu son
« genie militaire. Cette assertion est tellement vraie,que,
« dans son Histoire du Consulat et de 1' Empire, Thiers
« croit devoir traiter ex professo la question de savoir
3C8
PEKIODE HISTORIQUE.
« s’il y avait dans l’immortel heros affaiblissement de
< ses facultes intellectuelles (1). »
Napoleon necessa pas d’etre un grand strategiste, mais
ie devouement de ses ofiiciers Ini faisait dcfaut.
On a pretendu que lc reveil de l’AHemagne avait
amend la chute du conquerant. Cela est vrai, dans une
certaine niesure; seulement, on oublie de dire quo ce
re veil etait l’ccuvre de la Maconncrie.
On oublie surtout de fairc observer que lors de nos
campagnes au dela du Rhin, les Francs-Macons do l’ar-
mee franchise etaient accueillis dans les Loges alle-
naandes. Ces relations coupablcs ne purent qu emousser
le patriotisms des officiers. Celui qui fraternise avec
les ennemis de son pays est bien pres d’oublicr ses
devoirs.
On saitque les Adelphes et les Philadelphes s’introdui-
sirent, a cette epoque, dans les rangs de l'armee et ne
negligerent ricn pour organiser contre l’Empereur une
formidable conspiration.
Nous avons dit un mot de cetto societe secrete. Laplu-
part des ecrivains en parlent comme d’une secte etran-
gere a la Franc-Maconnerie. llien n’est plus faux. Un des
homines les mieux places pour connaitre la verite sur ce
point, puisqu’il etait Franc-Ma(;on, Carbonaro, et grand
dignitaire de l’une et 1’ autre secte, Wit Doering, a ecrit ce
qui suit :
t A proprement parlor, dit-il, la Carbonarie est issue
« dc la Magonnerie. Des que Napoleon arriva au pouvoir,
o il aneantit la Maconncrie qti’il croyait dangereuse, en
c faisant de cette association une succursalc de la police.
« . 1 lors sc rcunirenl les Macons qui etaient lc plus at ta-
il, cites d la Rcpubliquc et formerent dans les Loges mimes
1) Gyr, La Fran c- Maro nn eric en cllc-mcme .
CH. XVIII. — PATRIOTISME ET FRAXC-MA.QONXERIE. 369
« une association tres etroite. Besancon fat le siege princi-
< pal de ces Macons , de ces Carbonari et de ccs Freres
« Philadelphes (1). »
Le general de brigade Oudet fut le premier chef des
Philadelphes. Mais il ne tarda pas a comprendre que
pour assurer le succes de la conspiration militaire qu’il
meditait de concert avec ses amis, il fallait placer a la
tete de la societe un hommo de grande reputation. Ce fut
alors qu’il se dechargea sur Moreau de la direction de
l’Ordre. Celui ci ayant eu la mauvaise fortune de se
compromettre, Oudet reprit le pouvoir avec le titre de
pro-censeur. Disgracie a son tour, Oudet ceda le gouver-
nement des Philadelphes a Mallet dont l’etourderie faillit
6tre funeste aux projets de la Secte. Le F.\ Lemare, un
des confidents du general, aecrit sur la premiere conspi-
ration de son ami une brochure pleine de reserve, mais
oh l’on trouve cependant un aveu qui est toute une reve-
lation.
« On saura, dit-il, que sans le secours d’encres sympa-
« thiques ni d’ecritures chiffrees, Mallet assistait a toutes
« les operations de l’armee, connaissait toutes les anec-
« dotes de quelque importance, et recevait des nouvelles
« de Moscou mome. »
La tentative avortee de Mallet 6veilla l’attention du
Grand-Orient qui vit dans les Philadelphes de precieux
auxiliaires et les traita comme tels.
A l’epoque ou le Tugcndbund s’organisa en Allemagne,
la plupart des officiers francais etaient Masons-Phila-
delphes et entretenaient des relations avec les Loges
etrangeres.
Napoleon se sentait entoure d'ennemis. Les soldats
(1) AVit D<ering, Fi'agmeats ex traits de Vhistoire de ma vie ct de
mon rpoque.
Mr.
21
370 PERIODE HISTORIQUE.
eux-memes comprenaient que leur Empereur ne pouvait
plus compter sur ses lieutenants et prononcaient , au
moindre echec, le mot de trahison.
C’est pendant la campagne de France que le genie mili-
taire de Napoleon a brille de tout son eclat. Les hommes
de guerre sont unanimes sur ce point. On a constate, au
surplus, que la victoiro accourait a la voix do l’Empereur,
toutes les fois qu’il paraissait sur un champ de bataille,
memo avec des forces insufftsantos, tandis que ses gene-
raux subissaient defaites sur defaites.
Quelques historiens semblent s’en etonner.
C’est qu’ils ignorent les accointances criminelles de
ceux de nos ofliciers qui appartenaient aux Loges avec
les adeptes de I’anneo allemande.
Eckert nous raconte qu’apres la bataille de Leipzig, ces
Francs-Maf'ons en epaulettes sc reunissaient clans les iles
du Jthin avec les inities de la Prusse victorieuse (1).
Lorsquc les allies entrerent en France — c’est avecune
douloureuse indignation que jo constate ce fait — on vit
presque partout les Ateliers maejonniques accueillir avec
sympatliio les inities d’outrc-Rhin.
Citons, en particulier, la Logo de Chaumont, parmi
cellos qui meconnurent impudemment les inspirations du
plus vulgaire patriotisme. C’est Ivloss qui nous donne ce
detail dans son Ilistoire de la Franc-Maconnerie en
France. (Tom. II, p. 2.)
Qu’importaient aux initios de la Haute-Marne et d’ail-
leurs les desastres de la patrie ! Nos vainqueurs etaient
pour cux des freres, puisqu’ils avaient re?u la ineme
initiation, et ils les traitaient en consequence.
Lors de la seconde invasion, la capitale se rendit
commo se rendaient autrefois les places fortes de l’Alle-
magne. Paris, cependant, pouvait etre defendu. La
situation etait meme telle, qu’il y avait possibility pour
(1) Eckert, Magasin.
CH. XVIII. — PATRIOTISME ET FRANC-MAQONNERIE. 371
Napoleon de reprendre l’offensive et de battre les Allies.
II suffit, pour s’en convaincre, de passer en revue les
forces qui nous restaient apres Waterloo.
Nous reviendrons tout a l’heure a cette grave question.
Disons, en attendant, quelle fut la conduite des Francs-
Magons en 1814.
Cinq jours apres 1’entrSe de 1’armee d’occupation k
Paris, le Conseil-Supreme enjoignit k toutes les Loges de
son obedience de supprimer jusqu’aux denominations
qui pouvaient rappeler de pres ou de loin le regime
dechu. Le Grand-Orient, de son cote, voulutfairepreuve
de galanterie envers les ennemis de la France, en invi-
tant a un banquet devenu tristement celebre, les officiers
allemands qui appartenaient a l’Ordre, afin de celebrer
avec eux la chute de Napoleon, ou, ce qui revient au
meme, les victoires de l’etranger sur les heroiques sol-
dats de notre armee.
Je mets au defi les ecrivains magonniques de me citer
un seul fait plus odieux que celui-la dans les annales de
la France.
Apres avoir adule, choye nos vainqueurs, bu au succes
de leurs armes et k l’humiliation de nos soldats, les hauts
dignitaires de la Magonnerie crurent devoir celebrer leur
ffite solsticiale avec une solennite exceptionnelle. Toutes
les Loges, nous dit un historien, se mirent en licsse et
prodigueretit a Louis XV 111 les plus basses adulations.
Le nouveau souverain n’ignorait pas le bon vouloir
des Francs-Magons a son egard.
* Aussi s’empressa-t-il de decorer Roettiers, le sauveur
« de la Franc-Magonnerie, a l’epoque de la Terreur, an-
* cien representant particular du Grand-Maitre et alors
« representant particulier des trois Grands-Conserva-
« teurs. Les Freres Choiseul-Stainville, Leger de Bresse
* et sept autres Magons regurent la meme distinction, en
« recompense des services qu’ils avaient ?'endus u la cause
372
PEIUODE HISTORIQUE.
t du rot dans la journee a jamais memorable du 30 mars,
t On chargea les Grands-Conservateurs de se rend re eu
« deputation aupres de Sa Majeste pour Iui exprimer
5 l’assurance du respect et de l’amour des Loges. bites a
< ce 'prince aussi desire que cheri, telles etaientleurs ins-
« tructions, diles-lui que les Macons ont etc les premiers
« a celebrer dans leurs reunions Iheureux jour ou il a ale
* rendu d nos vamx (1). »
Dans les rangs de cette valetaille malfaisante dont
Louis XVIII avait a subir les adulations, on aurait pu
compter des milliers d'liommes qui s’etaient couverts de
sang pendant les mauvais jours de la Terreur.
II y avait jusqu’a des regicides contre lesquels 1’assas-
sinat juridique de Louis XVI criait vengeance.
Au retour de l’ile d’Elbe, la Maconnerie, redoutant la
vengeance de Napoleon, fit scmblant de se mettre en
sommcil. Mais, a la seconde invasion, elle reparut tout a
coup, donnant une fois de plus le spectacle de la trahison
la plus ehontee.
Si les allies entrerent de nouveau dans les murs de la
capitalo, ce fut, comme avant les Cent-Jours, grace a la
connivence des Adeptes.
La victoire de l’ennemi n’etait pas ce qu’un vain peuple
pense. Les Anglo-Prussiens avaient perdu en deux jours
pres de 70.000 liommes, tandis que nos pertes a nous n’ar-
rivaient pas a 30.000. II nous reslait 70.000 soldats que le
marechal Boult venait de rallier entre Paris et Laon.
30.000 liommes de troupes fraiches devaient les rejoindre,
sans compter les 25.000 soldats d’elite du general Rapp.
Nous avions 500 pieces de campagne. Paris etait defendu
par 3C.OOO gardes nationaux, la plupart anciens soldats,
30.000 tirailleurs, G.000 canonniers et 600 bouches a feu.
Les retranchements qui protegeaient la rive droite de la
(1) Gvr, La Franc-Maqonneric en elle-mcme .
CH. XVIII. — PATRIOTISMS ET FRANC— MAgONNERIE. 373
Seine valaient mieux que de solides remparts. En quel-
ques jours, ceux de la rive gauche allaient etre acheves.
L’armee chargee de couvrir Paris possedait un train d’ar-
tillerie de 350 pieces de divers calibres et des munitions
en quantity suffisante.
L’armee des allies, affaiblie de plus de 80.000 hommes,
depuis le commencement de la campagne, ne pouvaitrien
entreprendre de serieux avant d’avoir recu des secours.
Nos places fortes de l’Est et duSud-Est avaient ete mises
en etat de defense et pouvaient arrdter dans leur marche
les troupes Austro-Kusses. L’intention de Bonaparte etait
de reprendre l’offensive, d’ecraser l’armde Anglo-Prus-
sienne et de se porter ensuite au-devant des autres coa-
lises.
Mais l'Empereur avait compte sans les chefs de la
Franc-Maconnerie.
La nouvelle de notre defaite etait a peine connue, que
Fo’iche, Lafayette, Pontecoulant, Sebastiani et Benjamin
Constant, tous grands dignitaires de l’Ordre, entrerent
en negociation avec les generaux ennemis et mirent Napo-
leon dans la necessity d’abdiquer.
Decidement, les hommes du Quatre-Septembre, Francs-
Macons, eux aussi, se sont contentes de plagier leurspr^-
decesseurs, en faisant une revolution sous les yeux de
l’ennemi.
A defaut despreuves que je viens de donner,il suffirait
de lire ce que les ecrivains de la Secte ont ecrit en faveur
de Moreau, pour justifier l’accusation qui pese sur les
Macons de tout x’ite.
Non content de conspirer contre l’Empereur, l’ancien
Macon-Philadelphc n’hesita pas a olfrir ses services k
l’empereur de Russie. Tue a Dresde. au moment oh il
s'avancait pour observer les mouvements de l’arm6e
francaise, les ecrivains infeodes a l’Ordre en ont fait une
espece de martyr. Quoi de plus naturel ? Comme tous les
Francs-Macons, Moreau savait a quelle limite le patrio-
374
PERIODE HISTOR1QUE.
tisme cesse d’etre line vertu. II avait efcouffe en lui les
prejuges d’origine, d’opinion ct de NATIONALITE,
comme l’ont fait plus tard les inities de 1870.
Je puis done affirmer que, depuis 1792, MAQONNERIE
et TRAHISON sont deux mots synonymes.
Le Marechal Soult en etait si bien convaincu, lui an-
cien Macon, qu’etant devenu Ministre de la Guerre, il
crut devoir interdire a tous les militaires de s’affilier aux
Loges.
Presse par le due Decazes, Grand-Maltre du rite ecos-
sais, ct par les delegues du Grand-Orient de retirer sa
circulaire, le marechal repondit par un refus categorique
quoi qu’en dise Bebohl , dans son Histoire des Trois
Grandes-Loges .
Ajoutons que le general Billot vient de prendre une
mesure ii peu pres semblable, ce qui prouve qu’aux yeux
de ce republicain la Franc-Ma^onnerie n’est pas une
ecole do patriotisme.
CHAPlTRE XIX
Le Tugendbund et le Carbonarisme.
Sommaire. — Apr6s Waterloo, la Maconnerie fran$aise demande un
etranger pour roi. — Ne pouvant obtenir le prince d'Orange, elle
acclame Louis XVIII et l’entoure d’adeptes. — Talleyrand et Fouclid.
— Les electeursd£jouentles calculs dela Secte. — Le due Decazes. —
Role odieux qu'il joue auprds du roi. — Double but que se proposait
le Tugendbund ou Maconnerie allemande. — * M. de Bismarck
realise une partie de son programme; la M.\ fera le reste. —
Lettre du cardinal Consalvi h M. de Metternich en 1813 sur les
dangers que les societes secretes iont courir a Ja soci&d.— Le Carbo-
narisme. — Ses origines.— Le Carbonarisme dans le royaume de
Naples avant Inoccupation francaise et sous le r£gne de Murat. — Ce
dernier pers4cute les adeptes et s’en fait des ennemis.— Retour de
Ferdinand dans ses Etats.— II interdit toutes les reunions de Macons
et de Carbonari. — Le Carbonarisme en France. — A quelle epoque
s’y est-il introduit? — Opinion de Louis Blanc et de Vaulabelle. —
Erreurs de ces deux dcrivains. — Modifications que subit la secte en
s’etablissant en France. — Ses progres h Paris et en province.—
Premieres tentatives d’insurrection. — Le Carbonarisme et la Macon-
nerie ne font qu’une seule et meme chose. — Opinion des Masons
allemands h propos de cette question. — Charbonnerie italienne. —
Son organisation. — Police inUrieure des Ventes. — Programme de
la Secte. — Victor Emmanuel l’ex^cute partiellement danslaP4ninsule.
— Emprunts que les republicans francais font au Carbonarisme
italien. — Les sectaires en Espagne. — Transformation que le Car-
bouarisme a subies depuis la Restauration.
Nous venons de voir que la Franc-M aconneri e se fit
remarquer en 1815 par le zele ardent de son royalisme.
Les demonstrations dont Louis XVIII fut l’objet de la
Cuvragres consults : Eckert, La Franc-Maconnerie. — Consalvi,
llano ires.— Clavel, Histoire pitt ores que de la Franc-Maconnerie
cl des societes secretes. — L'Orient, revue tcniverselle de la Franc-
Maconnerie (1845). — Janssen, Zeit itnd Lebensbilder . — d'Horrer,
Les societes secretes en Suisse (V. le Correspondant du 25 mars 1845).
— Vaulabelle, Histoire des deuse Restaur at ions. — Louis Blanc,
370
PEiRIODE HISTORIQUE.
part des adeptes n’etaient pas aussi sincSres que mes
lecteurs pourraient le supposer. La Secte ne serallia ila
mon archie legitime qu’apr&s avoir tente de lui barrel’ le
chemin.
On sait, en effet, qu’apres la bataille de Waterloo, les
chefs de la Maconnerie se rendirent au camp des allies,
pour demander aux vainqueui-s un roi qui n’appartint
pas a la famille des Bourbons. Par deux fois, ils expri-
merent le desir d’avoir le prince d’Orange comme souve-
rain, affirmant aux monarques elrangers que la France
n’hesiterait pas a reconnaitre la nouvelle dynastic, si
elle etait patronnde par les cent trente mille baionnettes
de l’armee d’occupation.
Ce fut le fameux Teste qui se chargea de faire cette
demarche au nom du Grand-Orient.
Rappele en France, au lendomain de 1830, apres un
exil assez long en Belgique, il devint successivement pair
de France, president de la Cour de Cassation, ministre
de l’instruction publique, ct enfin des travaux publics.
Accuse et convaincu de concussion, il se vit condamn6
par la Cour des pairs a la prison et a l’amcnde. *
Les allies ne voulureut pas de cette combinaison. Su
ces entrefaites, Louis XVIII promit de donner la Charte.
Les Macons comprirent sanstrop de peine qu'un gouver-
Histoirc de disc tins . — Jean Wit, M (‘moires secrets , pour servir d
Vhistoire dc ma vie . — Mdmoires des societies secretes. — Frost,
Secret societies . — Blumenhagkn, Cofifession politique . — Thory, His-
toire de la fondation dn Grand-Orient en France. — Ivloss, Histoirc
de la Franc-Maqonnerie en France. — P. Zaccone, Histoire des
societe's secretes. — Gy it. La Fra > i c- MrtQo nn er ie en ellc-mCme. —
De IIense, Frdddric-Guillaume et son Cpoqne. — De Haller, La
Franc-Maqonnerie et son influence stir la t Suisse. — Ragon, Riiv.el
de la Maconnerie forestiire . — Saint-Pi* .me, Constitution et organise*
Hon des Carbonari. — My stores des socidtis seerdtts .
Kota. — Jo ne cite ni les revues maconniques dont j’ai d\'\ consulter
les collections, ni les histoires profanes auxquelles il m’a falln recourir
pour controlcr les evenements politiques qui se rattachent aux annales
de la Magonnerie.
OH. XIX. — LE TUGENDBUND ET LE CAKBONARISME. 377
nement constitutionnel n’avait rien de redoutable pour
eux, et protest^rent de leur ddvouement 4 la cause du
nouveau souverain.
Gr&ce & l’habiletd de cette manoeuvre, Talleyrand et
Fouche purent arriver au minis t^re, en depit de leur
passA et assurer a la Secte la protection du pouvoir. Le
Grand-Orient esperait que la Chambre a 61ire se compo-
seraiten majorite de deputes favorables aux Loges. II n’en
fut rien. Le corps electoral, instruit par les derniers eve-
nements , choisit ses mandataires parmi les homines
dont le passe etait irreprochable.
Afin de parer le coup qui leur etait porte, les Francs-
Magons eurent soin de se menager des intelligences dans
les regions officielles. Ils pousserent done au pouvoir
un adepte sur le devouement duquel ils pouvaient
compter. Nous voulons parler du due Decazes. Par la
souplesse de son caractere et son hypocrisie, ce person-
nage parvint a gagner la conliance de Louis XVIII et a
faire dissoudre l’Assemblee.
Les societes secretes purent, dt>s lors, recommencer
leur travail souterrain et battre en breche le pouvoir des
Bourbons.
J’ai dit, dans le chapitre precedent, que le Tugendbund ,
fonde depuis peu en AUemagne , avait pour but de
ruiner la puissance de Napoleon , de concert avec la
Franc-Magonnerie frangaise.
Je dois ajouter, pour etve complet, que cette societe se
proposait, en outre, de faire disparaltre les petits Etats
de la Confederation Germanique au profit de la Prusse.
€ La Magonnerie allemande avait d’abord accordd
c toutes ses sympathies a Napoleon, dit un ecrivain que
« j’ai cit6 plusieurs fois dej&, dans l’espoir qu’une monar*
* chie europeenne une fois erdee, il serait facile d’y
« substituer insensiblement, ou par la violence , une
« republique democratique. Trompde dans son attente,
378
PERIODE HISTORIQUE.
« elle fut contrainte de borner ses voeux a l’erection d’une
* Allemagne une, en faisant disparaitre les nationality
< distinctes, et d’attendre ou de provoquer des evene-
t ments qui permettraient d’inaugurer le regime repu-
* blicain dans la commune patrie allemande (1). »
Fichte s’exprime dans le meme sens.
Eckert ecrit de son cot£ :
« La lutte commune de tons les peuples allemands
« contre l’Empereur des Francais avait anime les
< armees et les peuples do V Allemagne du meme senti-
« ment de la nationality. A l’exccption des provinces
« secondaires de l’Autriche et des anciennes provinces
« de la Prusse, on desirait ardemment le retablissement
« de l’antique alliance des peuples allemands, mais on
« ne voulait trouver cette alliance que dans le concert
« des souverains entre eux.
« Ce sentiment national qui germait dans les coeurs,
« ces efforts vers Turnon des differents Etats do l’Alle-
« magne , la Magonnerie s’efforca de s’en emparer pour
« les dirigor vers le renversement de tous les trones et
« de toutes les nationality elles-memes. L’unite de toutes
« les nations n’etant pas compatible avpc l’independance
* des monarchies v individuelles, ils esperaient qu’apres
* avoir obtenu l’union entre les differentes contrees de
* l’Allemagne, on en viendrait a reclamer l’unite ou la
« fusion complete. L’UNITE DE L’ALLEMAGNE devint
« done le theme exclusif de la presse ; du Titgendbund
* sortit, sous la haute direction magonnique, l' Association
« allemande, qui l’absorba bientot tout entier. Le but de
« cette association, d’apres le rapport aathentique stir les
« associations secretes de V Allemagne, par Mannsdorf,
« un des membres des Hautos-Loges, etait de DE-
(1) Gyr, La Franc-Maconncric en elle-mv,ne.
CH. XXX. — LE TUGENDBUND ET LE CARBONARISME. 379
« TRONER TOUS LES PRINCES ALLEMANDS, A
« L’EXCEPTION DU ROI DE PRUSSE ; DE DE-
« CERNERA CELUI-CI LA COURONNE IMPERIALE
« DE L’ALLEMAGNE, et de donner a I’Etat une Cons-
« titution DEMOCRATIQUE. Si I’on en croit Mannsdorf,
« APRES AVOIR REFOULE LA FRANCE DANS
« SES ANCIENNES LIMITES, on voulait doter l’Alle-
« raagne d’une rep oblique sociale. L’orateur, qui avait
« propose de detroner les princes allemands au profit
< du roi de Prusse, modifia sa proposition et se contenta
« de demander une simple mediatisation. Mais ces
« divergences aboutissaient de fait au m6me resultat
< pratique, soit parce qu’elles ne sont toutes qu’un ache-
* minement vers une republique allemande, ou qu’elles
< ne sont qu’un antecedent, dont celle-ci serai t l’inevi-
« table consequence, soit parce que leur explication
« pratique se trouve dans les instructions des grades,
• tels que la Magonnerie a coutume de les donner (1). »
La Secte a realise son programme avec un succes aussi
complet qu’inattendu. L’unite allemande est un fait
accompli. Le roi de Prusse, apres avoir depouille les
petits souverains de la Confederation germanique, a
reussi, trop bien reussi, helas 1 a refouler la France dans
scs anciennes limites et a placer sur son front la couronne
imperiale.
Apres la campagne de 1870-1871, Ie vainqueur, ne
voulant pas doter ses Etats d’une Constitution democra-
tique, suivant le voeu de la Magonnerie, a cru pouvoir
dedommager la Secte en persecutant les catholiques. On
sait, en effet, que la democratic des Loges ne serait pas
ce qu’elle doit etre, si l’Eglise continuait de jouir de la
liberte.
Reste a faire que ce commencement de democratic se
(1) Eckert, La Frane-Matmnerie.
380
P^EIODE HISTORIQUE.
transforme en Constitution republicaine. L’Empereur
s’arretera devant cette nouvelle concession. Mais les sec-
taires ne renonceront pas pour cola a leurs projets, et un
jour viendra ou des bas-fonds des Loges prussiennes sor-
tiront les emeutiers que la Maeonnerie allemande en-
role depuis longtemps, en vue de la lutte supreme.
En 1818, trois ans apres les manifestations royalistes
du Grand-Orient, le danger etait dovenu tel pour les puis-
sances curopeennes, que le cardinal Consalvi ecrivait au
prince de Metternicti les reflexions suivantes :
« Les choscs ne vont bien nulle part, et je trouve, cher
« prince, que nous nous trouvons beaucoup trop dispen-
« ses do la plus simple precaution. Ici j'entretiens chaque
« jour les ambassadeurs de l’Europe des dangers futurs
« quo les socictcs secretes preparent a 1’ordre a peine re-
ft eonstitue, ct je m'aper<;ois qu'on ne me repond que par
« la plus belle de toutes les indifferences. On s’imaginc
ft que Ic Saint-Siege est trop prompt a prendre peur; Ton
& s’etonne des avis que la prudence nous suggere. C'est
« une cvrciir manifesto que je serais bien heureux de ne
« pas voir partagerpar V. A. Vous avez trop d’experiencc
« pour ne pas vouloir mettre en pratique le conseil qu 7 il
« vaut mieux prevenir (pie reprimer ; or, le moment est
« venu de prevenir : il faut en profiler, a moins de se
« resoudro d’avance a unc repression qui ne fera qu’aug-
« mentor le mal. Les elements qui composent les societes
« secretes, ceux surtout qui servent a former le noyau
« du Carbonnrisme, sout encore disperses, mal fondus, ou
« inovo; mais nous vivons dans un temps si facile aux
ft conspirateurs et si rebclle au sentiment du devoir, que
« la circonstance la plus vulgairc peuttres aisement fa ire
« une rcdontable abrogation deces conciliabules epars...
« Un jour les plus vieillos monarchies, abandonnees
« de leurs ddfenseurs, sc trouveront a la merci de qiie!-
« ques intrigants do bas etage auxquels personae ne dai-
CH. XIX. — LE T0GENDBUXD ET LE CARBONARISME. 381
« gne accorder un regard d’ attention preventive. Vous
« semblez penser que dans ces craintes manifestoes par
« moi, — mais toujours d’ordre verbal du Saint-Pere, —
* il y a un systeme precon^u et des idees qui ne peuvent
« naitre qu’a Rome. Je jure a V. A. qu’en lui ecrivant et
« qu’en m’adressant aux hautes puissances, je me de-
« pouille completement de tout interet personnel, et que
« c’est d’un point beaucoup plus el eve que j’envisage la
« question. Ne pas s’y arreter maintenant parce qu’elle
s n’est pas encore entree, pour ainsidire, dans le domaine
« public, c’est se condamner a de tardifs regrets. »
Les avertissements reiteres du Saint-Siege furent sans
resultats. Les gouveruements de 1'Europe se montrerent
tous aussi indifferents qu’a l’epoque ou la Cour de Eaviere
publia les Ecrits originaux de l’llluminisme. Le Tugend-
bund et les autres societes dont l’AUemagne pullulait
alors continuerent a se mouvoir librement, tandis que le
Carbonarisme ou Charbonnerie italienne s’organisait
d’une fa<;on redoutable.
Les Carbonari ont la pretention de remonter a la plus
haute antiquite. Quelques-uns d’entre eux soutiennent
que leur Ordre a pris naissance sur les bords du Nil,
comme la Macjonnerie elle-meme , qu il s’est perpetue
sous divers noms jusqu’au regne de Francois I er , que ce
prince la patronna et reussit a lui donner une impulsion
nouvelle.
Plusieurs historiens maponniques pretendent que le
Carbonarisme doit son origine a la corporation des char-
bonniers dissemines autrefois dans les Vosges, les Alpes,
le Jura et les Apennins.
Je laisse a d’autres le soin de resoudre ce probleme.
* Pcut-etre faut-il attribuer la similitude des appella-
« tions ii l’existence d’un ancien devoir de compagnons-
« charbonniers ; mais, ce qui est decisif, c’est le caractere
382 PfiRIODE HISTOUIQUE.
* essentiellementmoderne du Carbonarisme, dit 1’auteur
* des My uteres des Societes secretes. Les allures roysti-
« ques et religieuses que lui imprimerent ses fondateurs
« italiens ne parviennent meme pas a donner le change.
« Organisee pour Taction, dans un but politique, en vue
« de revendications patriotiques ou liberates, la Char*
« bonncrie dei’ive, immediatement ou non, de Tlllumi-
« uisme : certainement, elle est posterieure a la Rcvolu-
« tion, et contemporainc du Tugendbund , dont elle a
« plus d’un trait (1). »
Saint-Edme ne partage pas ce sentiment. II croitqueles
Carbonari jouerent un role polii.ique en Italie, de 1707
a 1734, epoque ou la Secte tomba dans Toubli, pour ne
reparaitre qu’a la fin du xviii® sic cle.
A la suite de Tentree des Franoais a Rome, en 1798, la
Cour de Naples fut pendant quelque temps frappee de
stu 2 >eur. Mais le depart de Bonaparte pour l’Egypte, les
intrigues de l’Angleterre et les cJlorts de 1’AUemagne ne
tarderent pas a ramener le calmc dans les esprits.
La reine, qui gouvernait le roi et la nation, de concert
avec Acton, son trop fameux ministre, ne snt pas mana-
ger les susceptibilites du peuplo napolitain. Lercsultat
de cette politique, aussi maladroite que dangereuse, fut
un engouement pour les idees revolutionnaires. Ces ten-
dances inquieterent la souveraine. Acton en prolita pour
se debarrasser de ses rivaux ct consolider son pouvoir.
On etablit une junte dont la mission fut dejuger les indi-
vidus soupconnes de tendances republicaines. Ce tribunal,
plus violent qu’equitable, repandit la terreur dans les
rangs du peuple.
En presence d’un pareil etat de choses, quelques hom-
mcs, cnnemis du pouvoir absolu, cureut l’idec dercconsti-
tuer le Carbonarisme.
( 1 ) My stores des Society secretes.
CH. XIX. — LE TUGENDBUND ET LE CARBONARISME. 883
« Les regenerateurs de cette secte, dit Saint-Edme,
< userent d’un subterfuge qui reussit toujours en pareil
* cas. II ne fut question que du bien public, et ils solliei-
< terent l’appui du gouvernement, en lui faisant entendre
< qu’ils seconderaientsesvues et rameneraient peut-etre
» aux souverains l’opinion publiqueegareepar quelques
« abus de pouvoir (1). »
Le stratageme eut un plein succes.
Le Carbonarisme reunit bientot de nombreux adep-
tes. Cependant, lorsqu’en 1799 les Fran^ais s’etabli-
rent a Naples, les inities ne virent pas d’un tres bon oeil
les Francs-Magons rivaliser avec eux de zele et d’in-
fluence. II est bon de faire observer que les premiers
grades de la Charbonnerie etaient empreints d’un carac-
tere profondement religieux, tandis que ceux de l’Ordre
maconnique s’appuyaient sur un deisme voisin de l’im-
piete. La foule des Carbonari eprouvait done une repul-
sion toute naturelle pour des sectaires qui affectaient de
repousser toute revelation.
Afin d’arriver it la fusion des deux Ordres, les hauts
adeptes de la Magormerie et du Carbonarisme se firent
initier ostensiblement, les Francs-Ma?ons a la Charbon-
nerie, et les Carbonari & la Maconnerie.
Grace a cet expedient, Charbonniers et Magons vecurent
d<Ts lors en bonne intelligence.
Lorsque Murat prit la succession de Joseph Bonaparte
au royaume de Naples, le Carbonarisme eut k subir une
sanglante persecution. Le nouveau souverain, soupQon-
nant peut-Stre la fidelite des Carbonari, publia contre
eux plusieurs decrets extremement severes. Pour arriver
aux fonctions publiques, il fallut desormais etre Mason.
Les Carbonari qui voulaient obtenir des places ou con-
server celles qu’ils occupaient se firent done recevoir
(1) Saint-Edme, Constitution et organisation des Carbonari •
384
PERIODE HISTORTQUE.
dans la Magonnerie. Ceux, au contraire, qui n’avaient
rien & demander au pouvoir continuerent a se reunir
secretement.
Des bandes de brigands dcsolerent h cette epoque les
regions montagneuses de la Calabre. Le general Menes
fut charge de les soumettre. Les populations interessecs
s’en montrerent tout d’abord reconnaissantes, mais elles
finircut par constater quo le gouverneinent se preoccu-
pait avant tout des Carbonari, qu’il traquait sans
pitie , pendant que les inalfaiteurs pillaient impune-
ment le pays. On accusa Menes de toutes sortes de
cruautes. « II allait parfois, disait-on, diner chez des
« particulars qu’il soupcounait d’appartenir a la society
a proscritc, et les faisait fusilier ensuite. On m’a rap-
« porte, ajoute Saint-Edme, qu’il avait fait attacher a des
« arbi’es, des Carbonari depouilles de leurs vetements,
« qu’il les avait fait enduirc de miel et abandonner aux
« mouches (1). » La conduite de Menes n’ayant pas meme
ete l’objet d’mi bl&me, les Napolitains en conclurent que
Murat etait lc premier coupable.
Lorsque 1’ Empire vaincu fit appel au devouement de
ses allies naturels, Murat se montra hesitant. Compre-
nant le danger qui le menaoait lui-mSme, il essaya de sc
rapprocher des Carbonari, afin de s’assurer tout au
moins leur neutrality. On put croire un moment a la
reconciliation du souverain avec ses sujets. Mais on ne
tarda pas a $tre detrompe, et, en 1815, les Carbonari
contribuerent pour uno large part a lui aliener le reste
de la nation.
Iiappele sur le trone de ses aieux, Ferdinand interdit
les societes secretes, sous les pcines les plus severes.
II fufc. des lors, cn butte a la haino des adeptes.
« Les Carbonari, ecrit le general Colletta, formerent
(1) Saint-Edme, Constitution ct organisation des Carbonari,
CH. XIX. — LE XOGENDBUND EX LB CARBONARISME. 885
« d’abord le noyau des mecontents ; insensibiement tous
« ceux qui pensaient autrement que les ministres se fai-
« saient seetateurs; et l’on peut sefaire une juste idee
« des mecontentements, par le grand nombre de per-
* sonnes inscrites sur les registres de la Carbonara :
* il y en avait 642.000 dans le mois de mars der-
« nier(1820).
« Nous etions sur un volcan : et cependant le minis-
i tere dormait. Reveille quelquefois par des souleve-
* ments partiels, ou par les discours des Amis de la
« patrie, il employait ces intervalles it commettre de
« nouveaux actes arbitrages, qui aigrissaient les esprits
« et faisaient grossir la liste des Carbonari.
< Ainsi le mecontentement s’emparait de toutes les
« classes. L’armee, qui avait des motifs particuliers pour
« etre plus mecontente encore que les Carbonari, desirait
« aussi vivement que les seetateurs une reforme salu*
t taire. Dans son organisation, une economie mal
« entendue avait rendu miserables les offleiers et les
« soldats, tandis que la masse de ces economies etait
* prodiguee aveuglement a des hommes habitues a ne
i point rougir de ces injustices.
« Il ne fallait done qu’une etincelle pour embraser tout
« un royaume. Cette etincelle partit de Nola le 2 juillet. »
Peut-etre serait-il bon d’ajouter que les Anglais se
firent, en cette circonstance, les complices du Carbona-
risme, tout en protestant de leurs bonnes dispositions
envers le roi de Naples.
Louis Blanc a publie les details qu’on valire sur l’ap-
parition de la Charbonnerie en France. Son recit contient
quelques inexactitudes, que je signalerai, apies l’avoir
reproduit dans ses parties essentielles :
« Le l cr mai 1821, dit-il, trois jeunes gens, MM. Bazard,
* Flottard et Buchez, se trouvaient reunis devant une
r.-. w.-.
£3
386
PERIODE IltSTORIQUE.
« table ronde, rue Copeau. Ce fut dea meditations de ces
« trois hommes inconnus, et dans ce quartier, l’un des
« plus pauvres de la capitals, que naquit cette Charbon-
<i nerie qui, quelques mois apres, embrasait la France.
« Les troubles de juin 1820 avaient eu pour aboutisse-
« ment la conspiration niilitaire du 19 aout, conspiration
« etouflfee la veille meme du combat. Le coup frappe sur
« les conspirateurs avait retenti dans la Logo des Amis
« de la verite, dont les principaux membres se disper-
<c sercnt. MM. Joubert et Dugied partirent pour l’ltalie.
« Naples etait en pleine revolution. Les deux jeunes
< Frangais oiTrirent leurs services, et ne durent qu’a la
« protection de cinq membres du gouvernement napo*
* litain l’honneur do jouer leur tete dans cette entrc-
« prise. On sait de quelle sorte avorta cette revolution,
« et avee quelle triste rapidity l’armee autrichienno
« dementit les brillantes predictions du general Foy.
« Dugied revint a Paris, portant sous son habit le rubau
« tricolore, insigne du grade qu it avait regu dans la
« Charbonnerie italienne. M. Flottard apprit de son ami
« les details de cette initiation h des pratiques jus-
« qu'alors ignores en France. II en parla au conseil
« magonnique des Amis de la verite , et les sept membres
* dont le conseil se coroposait resolurent de fonder la
« Charbonnerie frangaise, apres s’etre jure l'un a l’autre
« de garder inviolablement ceredoutable secret. MM. Lira-
« perani ot Dugied furent charges de traduire les regie-
« ments que ce dernier avait rapportes de son voyage.
« Us etaient merveilleusement appro pries au caractere
« italien, mais peu propres a devenir en France un code
« a 1’ usage des conspirateurs. La pensee qu’ils expri-
« maient etait essentiellemeut religieuse, mystique
« meme. Les Carbonari n’y etaient consideres que
« COM ME LA PAItTIE MX LITANTE DE LA FRANC-MaCON-
« nehie, que comme une armee devouee au Christ, le
«. palriole par excellence. On dut songer a des modiflea-
CH. XIX. — LE TCGENDBUND ET LE CARBO.VARISME. 387
* tions; etMM. Buchez, Bazard et Flottard furent choisis
* pour preparer les bases d’une organisation plus
* savante.
« La pensee dominante de I’association n’avait rien de
« precis , de determind : les considerants , tels que
« MM. Buchez, Bazard et Flottard les redigerent, se
* reduisaient a ceci : Attendu que force n’est pas droit,
« et que les Bourbons ont ete renverses par l’etranger,
« les Charbonniers s’associent pour rendre a la nation
i francaise le libre exercice du droit qu’elle a de choisir
* le gouvernement qui lui convient. C’etait decreter la
« souverainete nationale sans la definir. Mais plus la
« formule ctait vague, mieux elle repondaita la diversity
« de la haine et des ressentimeuts. On allait done cons-
« pirer sur une echelle immense, avec uiie immense
« ardeur, et cela sans idee d’avenir, sans etudes prea-
* lables, au gre de toutes les passions caprieieuses (1). »
Que Flottard, Bazard et Buchez se soient reunis, en
1821, autour d’une table ronde, qu’ils aient eu la pensee
de fonder une Charbonnerie quelconque, cela n’est point
douteux. Mais l’auteur a tort d’en conclure quo nous
devons a ces trois jeunes gens l’introduction des Carbo-
nari dans notre pays. Wit nous affirme le contraire, et
son autorite est d’un tout autre poids que celle de Louis
Blanc.
• Aussitot aprfes 1’occupation de Naples par les Autri-
« chiens, ecrit ce.t auteur, 1 ' Alta-V endita (Haute-Vente)
» ou le Directoire supreme de la societe des Carbonari,
« se separa. Cette dissolution ne fut pas due h la crainte
* d’etre decouvert, car il n’y avaitaucun danger de l’etre,
« mais au desir de mettre des bornes a l’influence de«
(1) Louis Blvnc, Histvire de dix errs.
388 P^RIODE HISTOKIQUE.
« succursales, et k la necessity de faire des modifications
« que la masse d’aflilies des trois pi’emiers grades ren-
« dait indispensables.
« Dans l’ete de 1821, les onze chefs s’assemblerent k
« Capoue. Ils resolurent d’envoyer a l’etranger deux
i inities charges de s’entendre avec les chefs du Gratid-
« Firmament (synonyme de Grand-Orient) et de voir
s s’il ne convenait pas de deplacer le siege du Directoire
« des Carbonari. Ils penchaient h croire qu’il serait bon
« de le transporter j'i Paris. Cette capitate est celle qui a
« le plus do communications avec le reste de l’Europe.
« Elle eta.it iiaditee par les membres les plus in-
« fluents be la SocjEte , ct possedait les moyens de
« finances les plus abondants. Je puis entrer dans quel-
« ques details sur le Firmament ou le Directoire des
« Societes secretes en France... Le plus ancien decret
« autlientique du Grand-Firmament que je connaisso
« est adresse aux adeptes comme supplement aux statuts
« des Sublimi Maestri perfetti. Le Grand -Firmament
« decrete ce qui suit 2° L’association des Adelphcs et
« des Philadelphcs est incorporee a l’Ordre ; 3° chaque
« Adclphc ou Philadelplic recevra, aussitot admis, s’il
« n’etait pas deja Franc-Macon, les trois grades symbo-
« liqucs. DonnS sous l’equateur, le 22 m0 du 7 mo mois 5812
« (1812). »
II resulte clairement de cette citation 1° que les mem-
bres les plus influents du Carbonarisme etaient a Paris en
1821 ; 2° qu’ils disposaient de ressources financieres plus
considerables que leurs Freres d’ltalie; 3° eniin que les
Adelphcs et les Philadelphcs, dont nous avons parle dans
Je chapitre precedent, appartenaient a l’Ordre des Carbo-
nari. D’autrc part,je crois avoir demontre que les Phila •
delphes et les membres du Tugcndbund etaient unis par
des liens tres etroits, et ne formaient, en quelque sorte,
qu’ime seulc e! memo societe, dont le but principal etait
CH. XIX. — LE TUGENDBUND ET EE CARBONARISME. 889
de renverser la puissance de Napoleon , au profit des
institutions republicaines.
Wit continue en ces termes :
« Le trait distinctif du Grand-Firmament dtait une
« tendance continue a se rendre maitre des autres socie-
« tes, en menageant les apparences, et de les faire servir,
« sans en avoir l’air, a l’execution de ses plans.
« Tout 4tait prepare pour fondre ensemble YAlta-Ven-
t dita (Haute-Vente) et le Grand- Firmament. Les deux
« deputes charges de cette operation etaient le due sici-
« lien de Garatula et le napolitain Carlo Chiricone Kler-
« ckon, fils du due Framarino, prefet du palais du rof.
« Ce dernier avait dans ses attributions I’AUemagne, la
« Suisse et la France. An'ive a Geneve, ou j’etais passe
« de France, il m’apporta des lettres d’un de mes amis
« in times, qui avait ete agent a Naples des mecontents
« polonais. Klerckon me communiqua l’objet de sa mis-
« sion ; il me pressa instamment d’accepter la place
* d’inspecteur general des Carbonari de Suisse et d’Alle*
« magne et m'en delivra le brevet qu’il avait apporte de
« Naples (1). »
L’ autorite souveraine, dans le Carbonarisme, porte le
nom de Haute-Vente. Viennent ensuite les Ventes centra-
les, autotir desquelles se groupent les Ventes particulie-
res. Afin que la police neput saisir l’ensemble del’organi-
sation,ilfut statue en France que les Ventes particulieres
ne pourraient se mettre en rapport avec la Haute-Vente
que par les deputes des Ventes centrales.
Un charbonnier ou carbonaro qui appartenait a une
Vente ne pouvait s’introduire dans une autre sans
encourir la peine de mort.
En dehors de l’organisation que je viens d’indiquer,
(1) W t it, Md moires secrets.
390
P&UODE HISTORIQUE.
ill y avait encore, pour l’armee, la Legion, la Cohorte, les
Centuries , les Manipules.
L’adepte 6tait oblige d’ avoir un fusil et cinquante car-
touches. II devait , en outre , obeir aveuglement aux
ordres qu’il recevrait de ses chefs inconnus.
La Societe fit a Paris de rapides progres. Des horames
considerables, ft la tetedesquels se trouvaient Lafayette,
les deputes Koechlin et de Corcelles, l’avocat Merilhou et
de Schonen, conseiller ft la cour royale, entrerent dans la
Haute-Vente.
Les adeptes songerent aiors a organiser la province.
Cette mission fut confide aux plus jeunes d’entrc eux.
Flottard alia dans l’ouest, Dugied en Bourgogne, Rouen
aine en Bretagne, Joubert en Alsace.
Pour les Ventes centrales et particulieres des departe-
ments, la Haute-Vente prit le nom de Vente Supreme.
Ce fut comme une trainee depoudre. En quelques mois
la plupart des villes un peu importantes compterent un
nombre considerable d’inities disposes ft prendre les
armes et a descendre dans la rue.
« Dans les derniers jours de 1821, dit M. Louis Blanc,
« tout etait pret pour un soulevement a la Rochelle, a
* Poitiers, ft Niort, a Colmar, a Neuf-Brisacli, a Nantes,
« & Belfort, h Bordeaux, a Toulouse. Des Ventes avaient
« ete creees dans un graud nombre de regiments, et les
« changements memes de garnison etaient pour, la Char-
« bonnerie un rapide moyen de propagande (1). »
II ne faut done pas s’etonner qu’a diverses epoques
le gouvernement ait voulu empecher les militaires de
s’enroler dans les societes secretes.
* Le president de la Vente militaire, forc6 de quitter
(1) Louis Blanc, Histoire de dtx ans.
CH. XIX. — • LE TUGENDBUND ET LE CARBONARISME. 39l
t ime ville, dit 1’auteur que je viens de citer, recevait la
« moitied’une piece de metal, dont l’autre moitie etait
« envoyee dans la ville oil se rendait le regiment, a un
* membredelaHaute-Yenteoudela Vente cent rale. Grace
« a ce mode de communication et de reconnaissance,
« insaisissable pour la police, les soldats admis dans la
« Charbonnerie en devenaient les commis-voyageurs, et
« emportaient,pourainsi dire, la conspiration dans leurs
* gibernes (1). »
Le moment de l’action etait venu. Les membres de la
Haute-Vente nommerent un comity que l’on chargea des
preparatifs de la lutte. Les adeptes auxquels cette mis-
sion fut confiee deployment une activite devorante.
Trente-six jeunes gens prirent un jour le chemin de
Belfort pour donner le signal de l’insurrection. On
decida que le colonel Pailhes et le general Lafayette
iraient les rejoindre, afin d’assurer le succes de ce
premier mouvement.
Les conjures attendaient avec impatience le moment
d’agir; mais les chefs ne donnaient aucun signede vie.
Ils passaient leur temps a rediger une Constitution cal-
quee sur celle de l’an III. Le nouveau gouvernement
devait se composer de cinq directeurs : Lafayette, de
Corcelles pere, Kcechlin, d’Argenson et Dupont (de l’Eure).
'En lisant ce detail, on se rappelle involontairement le
chasseur du fabuliste, qui vendit la peau de l’ours avant
de l’avoir tud. Ajoutons que quelques instants avant de
s’eloigner de la cdpitale, Lafayette, circonvenu par ses
amis, declara qu’il ne partirait qu’apr^s avoir recu de nou-
velles informations. On envoyadonc lepeintre Ari-Schef-
fer a Belfort, avec mission de voir oil en etaient les choses.
Ce dernier s’acquitta de sa mission en homme intelligent,
et revint a Paris en toute Mte. Lafayette, instruit de ce
(1) Louis Blanc, Histoire de dice ans.
392 PERIODE HISTORrQUE.
qui se passait, finit par se raettre en route en compagnio
de son fils.
« L’insurrection, dit Pierre Zaccone, etait fixee pour le
« 30 decembre a minuit. Un poste de douaniers s’etait
< mis au service de la conspiration. Plusieurs officiers de
« la garnison etaient prets : le sergent-major Pacquetet
* retint pendant deux lieures les soldats dans les chara*
« bres de la caserne, sac au dos, et disposes a marcher.
« Les dispositions etaient assez heureusement prises;
« mais il arriva ce qui arrive presque toujours dans de
« pareillcs circonstances, c’est qu’il est bien dificile de
« reunir un certain nombre d’hommes, sans que parmi
« ces liommes il ne se glisse un lache 1 Le lache fut un
« sous-officier qui, eflraye des suites que pourrait avoir
« une pareille entreprise, si elle venait h manquer, pour
« tous ceux qui y auraient pris part, ne vit d’autre
« ressource que de tout ddvoiler au commandant de place,
« et de sauver ainsi ses jours aux depens de ceux de ses
« Freres.
< Le commandant de place une fois prevenu,il devenait
« impossible que l’entreprise n’echouftt pas. La troupe
« est, en effet, immediatement mise sous les armes, et les
« conjures surpris n’eurent que le temps de se rendre en
« toute hate sur la place publique. Le lieutenant du roi
« qui arrive re^oit en pleine i)oitrineun coupdepistolet;
« mais la balle s’aplatit sur sa croix, et il en est quitte
< pour la peur. Deja toute tentative etait jugee inutile,
« par les conjures aussi bien que par leurs ennemis; la
« conspiration avorta done meme avant d’avoir rien fait
t qui prouvat son existence.
« Un fait assez singulier se passa a l’heure meme ou la
« conspiration echouait Au moment ou le coupde
« pistolct etait lire sur la place de Bcfort, une chaise de
« poste arrivait dans le faubourg : e’etait Joubert et un
t officier de la portion de regiment en garnison a Neuf-
CH. XIX. — LE TUGENDBUND ET LE CARBONA.RISME. 893
« brisach, envoye comme commissaire par ses camarades
« pour assister au mouvement de Befort, et venir imme-
« diatement apres provoquer celui de Neufbrisach. Ils
« furent assez heureux l’un et l’autre pour pouvoir
t rebrousser chemin saus accident. Get officier qui
« accompagnait Joubert etait Carrel, alors lieutenant au
« 29° de ligne. Le commandant du bataillon de Neuf-
* brisach, sachant que Carrel s’etait absente sans per-
< mission, et voulant le prendre en contravention aux
« regies de la discipline, orclonna une revue de bataillon,
« a laquelle il savait bien que Carrel ne pouvait pas
« assister; mais le double trajet avait ete parcouru si
« lestement, que cet officier, qui etait parti en grand
« uniforme, rentrait justement en ville au moment ou
« l’on prenait les armes, et, au grand desappointement
« du commandant, il alia prendre son rang dans le
« bataillon. »
Apres cet echec , le point capital pour les conjures
4tait d’empecher que Lafayette n’arrivat a Belfort.
Bazard monte a cheval et prend la direction de Paris.
Il arrive a uu village ou le fils Corcelles attendait le gene-
ral. Lafayette n’a pas encore paru, mais bientot une
chaise de poste se montre a l’horizon. Bazard court a sa
rencontre et informe le voyageur de ce qui s’est passA
La voiture rebrousse chemin, et le general, pour d4-
tourner les soupcons, se rend chez son collegue, M. Mar-
tin, de Gray, depute de la Haute-Saone.
Presque en m4me- temps que ceci se passait a Belfort,
le general Berton echouait a Thouars, apres avoir rem-
porte un premier succes, dont il ne sut pas tirer
profit.
La plupart des conjures purent echapper aux mains de
la justice. Les autres furent juges a Colmar et condam-
nes a une peine derisoire. C’etait un echec pour le
gouvernement.
894
PERIODE HISTORIQUE.
La conspiration des trois sei’gents de la Rochelle
remonte a cette epoque.
De toutes parts, on n’entendait parler que de complots
et d’emeutes. Le pouvoir connaissait 1’ existence de la
Charbonnerie , mais tout se bornait la. Vainement il
essaya d’en decouvrir les chefs.
La societe se clissimulait d’ailleurs sous divers noins.
Ellc s’appelait tantot la Jeune-Europe, tantot la Jeune-
France ; mais, au fond, Charbonnerie, Jeune-France et
Jeune-Europe n’etaient autre chose que la Franc-Maoon-
nerie lnxbilement deguisec.
Acerellos, un ccrivain maconnique de grande reputation,
n’hesite pas a en faire l’aveu :
* Les Macons et les Carbonari, unis par les liens d’une
« etroite amilie, dit-il, ne formaient, pour ainsi dire,
« qu’un seul corps. »
Puis il ajoute :
« Lorsqu’un Macon veut btre re?u au nombre des
« Bons Cousins (Carbonari), il est dispense des epreuves
« ordinaires; s’il a re?u un grade superieur aux trois
« grades symboliques, il devient d’emblee maitre Carbo-
« naro et son nom est inscrit au livre d’or. Dans ses
« diplomes et certificats ses grades ma?onniques sont
t mentionnSs (1). »
On ne saurait etre ni plus clair ni plus precis.
Blunienhagen constate le meme fait et le deplore en un
langage eloquent :
« Les Carbonari, s’ecrie-t-il, portaient ostensiblement
« le poignard degaine, pour s’en servir contre les preten-
(1) Acerellos, cit6 par Gyr. V. ce dernier : LaMa$onnerie enelle -
mime*
CH. XIX. — LE TUGENDBTJND ET LE CARBONARISME. 395
-« dus ennemis de la lumiere : au nombre de 20.000 dans
« un seul royaume, ils fournirent 12.000 hommes armes
« pour executer leur projet. Les plaies sanglantes de la
* Suede ne sontpas encore cicatrisees ; des villes entieres
« devenues desertes, les cadavres des citoyens ^gorges
t deposent contre eux; tous les princes et tous les
« peoples fixent un regard inquiet sur eux et sur les pays
* ou ils osent se raontrer. Leur nom seul doit rappeler au
« Macon instruit la degeneration et les sectes de noire
« socidte. Ils ont conserve le charbon (carbone, d’oii le
« nom Carbonade) et l’ontlaisse couver dansl’obscurite;
« puis, lorsqu’ils ont cru le moment opportun, ils en ont
« fait jailiir la ilamme. Le lion blesse, mend par tine
» corde, les deux colonnes renversdes, unies d la croix de
« Saint-Andre , tous ces symboles des grades ecossais
« avaient tine signification ulcntigu - ; ils n’etaient que des
« hieroglyphes magonniques entre lesquels il n’est pas
< difficile de reconnaitre un lien de parents et une grande
« similitude d’expression. Le bdtard n’est-il pas un en-
« fant ? L’ enfant denature u’eveille-t-il pas aussi la-dou-
« leur paternelle ? Oui, plaignons des freres egares ; le
« coeur plein de tristesse et d’angoisse, suivons de l’ceil
« ces enfants d’une meme mere immaculee. s’egarant sur
i la trape des bandits, et se perdant dans la sauvagerie
« de la passion ou dans l’isolement d’un egoiSme
t effrene (1). »
Ces lamentations de Blumenhagen prouventfort claire -
ment, en depit des circonlocutions dont l’auteur se sert,
que Carbonarisme et Franc- Maeonnerie ne sont qu’une
seule et m6me chose sous des etiquettes differentes.
Cela n’empechera pas les adeptes de repeter sur tous
les tons que la politique leur est etrangere, et qu'ils n’ont
d’autre but que la bienfaisance. Mais nous connaissons.
(1) Blumenhagen, Confession politique*
390
PERIODE HISTORIQUE.
depuis longtemps, les rengaines philanthropiques des
orateurs de l’Ordre et nous savons, de plus, quelle con-
fiance elles mevitent.
Nous verrons, d’ailleurs, que la Franc-Maconnerie con-
temporaine s’approprie lo programme du Carbonarisme,
et en poursuit l’execution avec une perseverance que rien
ne decourage.
Toutcfois, avant d’aborder cette question, nous donne-
rons quelques details sur 1’ organisation que les chefs de
la Secte avaient adoptee pour l'ltalie.
En France, en Suisse et en Allemagne, les Carbonari
travaillaicnt avec une passion egale ft la destruction de
l’Eglise et h la mine ties monarchies.
En Italie, les hauts adeptes avaient le meine pro-
gramme, mais ils le cachaient soigneusement aux initios
des deux premiers grades.
Chaque Yente etait presidee par un Grand-Maitre dont
les fonctions ne differaient pas de celles qu’exercent les
Venerablcs dans la Maconnerie. Les Assistants devaient
veiller an mainticu de la discipline, et prevenir le
Grand-SIaitrc, par un coup de liachette, chaque fois qu’un
lion Cousin demandait la parole. Le Maitre des Ceremo-
nies etait charge de recevoir les visitenrs, apres lew
avoir fait subir les epreuves cxigees par les Constitu-
tions. 11 guidait les r6cipiendaires pendant leur reception
et veillait a ce que lo ceremonial fut scrupuleusement
observe. L ’Orateur avait pour mission do faire les dis-
cours exiges par les circonstanees et prevus par le regle-
ment, de sanctionner les deliberations et de conclure, de
faire connaitre aux Bons Cousins ies resultats obtenus
par la Vente, et de donner les explications reserves au
Grand-Maitre, quand ce dernier ne jugeait pas a propos
de les donner lui-m6me. Le Secretaire devait enregistrer
les deliberations, terminer les proees-verbaux par cette
formule : /I la gloirc de notre lion Cousin, Grand-Maitre
de 1’ Univers , y inscrire le jour, le mois et l’an; reunir la
CH. XIX. — LE TUGENDBUND ET LE CARBONATUSME. 397
Vente, rediger la planche et y noter tout ce qui se disait
et faisait pendant les tenues. Le Tresorier encaissait les
fonds provenant des receptions et des retributions men-
suelles, reglait les depenses, et presentait chaque mois a
la Vente l’dtat de sa caisse. Le Gardien couvrait la Vente
dans la chambre d’honneur et dans le bois, siegeait der-
riere les Assistants, les prevenait des coups frappes a la
porte, pour entrer, et recevait, apres qu’on lui en avait
donne l’ordre, ceux qui arrivaient en retard. L'Aunidnier
recevait les amendes et en conservait le montant jusqu’a
ce qu’on lui indiquat l’usage qu’il devait en faire.
Lorsque la Vente etait ouverte, tous les Bons Cousins
observaient un silence profond. Celui d’entre eux qui vou-
lait obtenir la parole etendait le bras vers 1’ Assistant de
sa ligne et se levait. Puis il restait dans cette position,
tant que le Grand-Maitre ne lur avait pas permis de par-
ler. Celui qui manquait a cette regie versait un sou au
sac des pauvres.
II etait defendu aux Bons Cousins de s’entretenir de
politique. Cette interdiction, cela va sans dire, ne s’eten-
dait pas aux adeptes du dernier grade.
Celui qui manquait aux Vcntes d’obligation payait
cinq sous au sac des pauvres.
Lorsqu’un Bon Cousin arrivait apres 1’ouverture de la
Vente, il demeurait a l’ordre, entre les deux Assistants,
jusqu’a ce que le Grand-Maitre lui efit permis de prendre
sa place. S ’il manquait k cette formalite, il devait verser
trois sous d’amende au sac des pauvres.
Si un Bon Cousin refusait d’obeir a l’Assistant, il avait
trois sous d’amende a payer, et le double de cette somme
en cas de recidive.
Le Secretaire ne pouvait etre l’objet d’aucune accusa-
tion pendant la tenue de la Vente. On devait adresser un
rapport au Grand-Maitre, apres la seance, si on croyait
avoir un motif de plainte contre ce dignitaire. Celui qui
ne se conformait pas a cette regie etait condarnne a une
393
PEIilODE HISTORIQUE.
amende dont le Grand-Maitre seul determinait le chiffre.
Un Bon Cousin qui ne remplissait pas exactement les
devoirs de sa charge payait au sac des pauvres, la pre-
miere fois, cinq sous d’amende, la seconde fois, dix sous;
et s’il y avait une deuxieme red dive, on le dcpouillait de
son emploi.
On ne pouvait recevoir un profane que s’il avait ete
presente en seance et accepte, apres une serieuse infor-
mation.
Les ivrognes, les blasphemateurs, les bavards, les me-
disants etaient exclus do la Sociute. On refusait egale-
ment de recevoir ceux qui avaient etc condamnes a une
peine infamante ou qui se faisaiont remarquer par des
defauts gravemcnt repreheusiblcs.
Les profanes qui etaient accepts, payaiont, avant
d’etre inscrits, pour la medaille de reception, dix-huit
carlins (7 fr. 92 cent.), et quinze sous de medaille chaque
mois.
Pour son passage au grade de Maltre, le r6cipiendaire
versait douze carlins (5 fr. 28 cent.).
Tous les denx mois, et lors de la fete do saint Thibaldo,
il y avait banquet d’obligation.
Un Bon Cousin qui ne se couformait pas aux prescrip-
tions du Grand-Maitre ou des Assistants dova.it payer
deux sous d’amende ou boire un verre de mauvaiso braise.
Toutes les annecs, le jour de Saint-Thibaldo, on nom-
mait, au scrutin, les officiers de la Veute. Les dignitaircs
sortants etaient reeligibles.
Les apprentis pouvaient solliciter le grade de Maltre
apres trois seances.
Un Bon Cousin qui dSguisait quelque chose d’important
a la Yente, et en etait convaincu, payait vingt sous
d’amende que i’on versait a la caisse des pauvres. S’il
retombait dans la meme faute, l’amende etait doublee. et
si le fait se rcproduisait une troisieme fois, on briilait son
nom en seance publique.
CH. XIX. — LE T0GENDBUND ET LE CARBONARISME. 399
II y avait une Yente d’obligation chaque mois. Ce
jour-14, on ne pouvait donner qu’un seul grade et 4 une
seule personne.
Le Grand-Maitre faisait comparaitie les Bons Cousins
qui negligeaient leurs devoirs et les invitait 4 travailler
regulierement.
A la fin de chaque Yente, on procedait 4 l’appel nomi-
nal des societaires. Ceux qui etaient absents payaientcinq
sous d’amende au sac des pauvres.
La parole sacree de l’Ordre etait : Fede, speranza ,
caritd (Foi, esperance, charite). La foi etait representee
par la couleur rouge, l’esperance par la couleur bleu
celeste, et la charite par la couleur noire.
Les grades etaient ceux d’/l pprenti, de Maitre et de
Grand-Elu.
Les deux premiers n’offraient pas beaucoup cVinteret.
C’est dans le troisieme seulement qu’etait contenu le
venin de la Secte.
Le grade de Grand-Elu, disaient les instructions desti-
nees aux superieurs, ne sera jamais confere qu’avec les
plus grandes precautions, secretement, et aux Carbonari
bien connus par leur sagesse, un zele inalterable, un cou-
rage sans bornes, un amour, un devouement 4 toute
epreuve pour les succes de l’Ordre. Finalement les can-
didats qui seront presentes dans une grotte de reception
ne seront jamais admis s’ils ne se montrent prets a com-
battre les gouvernements tyranniques, dont le pouvoir
abhorre s’etend sur l’antique et belle Ausonie.
Le candidat sera rejete s’il y a troisboules noires dans
l’urne. 11 devra etre age d’au moins trente-trois ans et
trois mois, comme le Christ 4 l’epoque de 3a mort (1).
(1) Les details qui suivent sont empruntds & Saint-Edme, l’un des
auteurs qui oat ecrit avec le plus d'exactitude sur le sujet qui nous
occupe.
400
PERIODE HISTORIQUE.
La Vendita, ou Vente, se tientdans une grotte obscure.
La salle est triangulaire, Ironquee de toutes les pointes.
Le Grand-Maitre Grand-Elu qui preside la reunion est
place sur son trone, a Forient, figure par l’angle tronque
superieur. En face de lui, au milieu de la ligne droite qui
termine la salle, et qui se nomme l’Occident, est la porte
interieure de la grotte. qui if est jamais ouverte qu’aux
vrais Grands-Elus. Deux gardiens, nommes Flanmies,
sont places aux deux flancs de la porte, avec deux sabres
faits comme des flammcs de feu. Les dispositions de
I’interieur de la Vendita sont les memes que dans les
Vcndite d’apprentis. Tous les mcmbres, sans aucune
exception, font face au centre de la Vendita, et ont l’ceil
sur le Grand-Elu pour se couformer a tous ses mou-
vements.
Trois lumiercs, en forme dc soleil, de lune et d’etoile,
sont suspendues aux trois angles, pour eclairer la Ven-
dita. Le trone et les bancs sont converts de drap rouge
avec de nombreuses flammes jaunes.
Le Grand-Elu, en robe et costume de l’Ordre, ainsi que
tous les autres Grauds-Maitres assistants, sont debout
devant leurs places respectives, et a l’ordre du Grand-
Elu.
Alors commence le dialogue suivant :
Le Grand-Elu : — Bon Cousin premier Eclaireur, quelle
heurc est-il ?
Le premier Eclaireur : — Respectable Grand-Elu, le
tocsin sonne de toutes parts, et retentit jusque dans les
profondeurs de noire grotte : je pen sc quo e’est le signal
du reveil general des homines libres, et qu’il est minuit.
Le Grand-Elu : — Bon Cousin second Eclaireur, 4
quello lieure doivent s’ouvrir nos travaux secrets ?
Le second Eclaireur : — A minuit, respectable Grand-
CH. XIX. — LE TUGENDBUND ET LE CARBONARISME. 401
Elu, lorsque les masses populaires, dirigees par bos
affides les Boas Cousins directeurs, sont rassemblees,
organisees, marchent contre la tyrannie, et sont pretes a
frapper les grands coups.
Le Grand-Elu : — Bons Cousins, Flammes et Gariliens
de notre asile, etes-vous stirs qu’il lie s’est glisse parmi
nous aucun profane, et que tous les Carbonari minis
dans cette Vendita sont bien Grands-Maitres Grands-
Elus ?
Une des Flammes : — Oui, venerable Grand-Elu. Les
introducteurs ont fait leur devoir ; il n’existo id ni pro-
fane ni Carbonaro subalterne.
Le Grand-Elu : — Tous les Directeurs des grades car-
boniques, destines au mouvement general qui va s’operer,
sout-ils a leur poste, bien eclaires, bien a rates, mes Bons
Cousins Lune et Soleil ?
Les deux E clair eurs : — Oui, tres venerable Grand-
Elu ; tous sont partis apres avoir reit^re le serment sacre
de perir ou de vaincre.
Le Grand-Elu: — Puisque tout est si bien dispose, mes
lions Cousins, je vous invite a m’aider dans l’ouverture
de nos travaux nocturnes, en celebrant, ainsi que tous
nos Bons Cousins Grauds-Elus, le septiqde avantage que
je commence a l’instant. A moi, mes Bons Cousins !
1° Au Createur de Tunivers ;
2“ Au Christ son envoye sur la terre, pour y retablir la
philosophic, la liber te,Y eg alite ;
3° A ses apotres et predicateurs ;
4° A saint Thibaldo, fondateur des Carbonari ;
5° A Francois I et , notre protecteur, et l’exterminateur
de nos anciens tyrans ;
0° A la chute eternelle de tous les despotismes ;
A l’etablissement d’une liberte sage et sans fin, sur
la ruine eternelle des ennemis des peuples.
— Les sept avantages etant celebres par les acclamations
d’usage, le Grand-Elu frappe de son maillet sur le tronc
F.-. M.-.
25
402
PERIODS HISTORIQUE.
les coups reglementaires, et fait signe aux Bons Cousins
de s’asseoir. Ils obeissent, placent leurs mains a 1’ordre,
c’est-a-dire en croix sur leurs genoux, sauf le Grand-Elu
et les Eclaireurs, qui ne peuvent abandonner la hachette
et s’appuient sur les troncs.
Le Grand-Elu : — Les travaux sont ouverts, mes Bons
Cousins, et la brillante Etoile qui nous sert d’Orateur est
invitee a nous faire une couvte explication de ce qui doit
nous occuper cette nuit, aussitot apres la lecture, par le
secretaire, du proces- verbal de notre derniere seance.
Lisez le proces-vcrbal, Bon Cousin Secretaire.
— Le proces-verbal est 3u a haute voix. Chaque assistant
est le maitre de faire ses observations, apres avoir obtenu
la permission de parler suivant la methode accoutumee.
Puislo Grand-Elu met aux voix l’adoption etlaproclame.
Le Grand-Elu ; — Vous avez la parole, Bon Cousin
notre Orateur, Etoile de nos rassemblements nocturnes.
L'Etoile. — Dans l’origine des siecles, que l’on appelle
l’age d’or, nos reunions etaient inutiles, mes Bons Cou-
sins. Tous les hommes, obeissant aux simples lois de la
nature, etaient bons, vertueux ct serviables; toutes leurs
vertus n’avaient pour but que de primer dans l’cxercico
de la bienfaisance. La terre, sans maitres particuliers,
fournissait abondamment le necessaire a tous ceux qui
la cultivaient. Les besoins etaient moderns; des fruits,
des racinos, de l’eau pure suflisaient a la subsistance des
lionimes et de leurs compagnes. D’abord ils se couvrirent
de feuillages, puis, lorsqu’ils se furent avises, en se cor-
rompant. de faire la guerre aux innocentes creatures sur
lesquelles ils s’arrogerent depuis le droit de vie et de
mort, la peau des animaux servit a les vetir. Ce premier
oubli de l’humanite detruisit bientot la fraternite gene-
rale et la paix primitive. Los haines, les jalousies, l’am-
bition s’emparerent du cceur des hommes. Les plus
habiles sc saisirent du pouvoir, accorde d'abord par la
mediocrite sans lumieres, dans l’espoir d’etre plus conve-
CH. XIX. — LB TUGENLBUND ET LE CARBOXAUISME. 403
nablement dirigditLa majority s’etant choisi des chefs,
elle leur consentit des concessions d’autorite, leur donna
des apanages, des gardes, le droit de faire executor des
lois faites par et pour les peuples ; mais, dlus librement,
les ddtenteurs d’une puissance temporaire essayerent
bientot de la conserver et de l’augmenter. A cet effet, ils
se servirent des hommes armes et places sous leurs or-
dres, pour charger de chaines le peuple leur bienfaiteur.
Ils osc-rent publier que leur autorite venait du ciel et se-
rait desormais hereditaire et toute-puissante. La force,
qui ne devait scrvir qu’u la defense generale du territoire
des diverges peuplades, fut employee contre les citoyens
desavmds. Leurs chefs ingrats les contraignirent a, payer
d’enormes contributions pour soutenir leur faste, leurs
gnerres injustes, et solder des persecuteurs. Ils concen-
trerent le droit de faire des lois dans quelques mains
devoudes et mercenaires ; et lorsque les peuples voulurcnt
s’assembler et detruire la tyrannic, une poignde de ban-
dits audacieux se disant sucres, impeccables, couverts
d’une inviolability usurpee, traiterent de rebelles les vd-
ritables souverains de l’Etat, qui ne peuvent dtre que la
multitude on la totality des individus composant la na-
tion. Le pauvre fut mepriso, traits de brigand, eompte
pour rien. Les favoris du monarque regnerent ou tyran-
niserent en son nom, et le plus affreux despotisme rem-
plara, sur presque tous les points du globe terrestre, la
liberty primitive et l'egalite que le ciel avait voulu etablir
pour tous les hommes, et qui n’existe plus maintenant
qu’ii la mort des individus.
Dans bien des circonstances, des hons citoyens do tous
les pays tenterent de ramener l’age d’or par l’aneantisse-
ment de la tyrannie. On vit, en Grece, a Dome, la liberte
triompher quelque temps, parce qu’ii y fut permis de rd-
pandre chez les peuples les principes de la lumiere. Trop
souvent les prestiges de la gloire entourerent d’une con-
fiance aveugle, imprudente et daugereuse, d’illustres
401
PKRIODE HISTORIQUE.
guerriers, qui d’abord sauverent leur patrie et finirent
par 1’opprimer. Alors les satellites qui les avaient eleves
plongerent la multitude dans l’ignorance, pour se divider
toute la puissance et toute la fortune. Les grandes et les
petites republiques disparurent ; un sceptre de fer pesa
sur les nations, et des brigands couronnes triompherent
seuls et se jouerent du destin des peuples.
Telle est, mes Bons Cousins, l’affreuse destine de la
riche et belle Ansonie, m£re des beaux-arts, patrie des
her os les plus illustres, libre autrefois, maitresse des trois
quarts du monde ! Elle obeit main tenant a trente soi-di-
sant souverains, qui, retrecis dans ce qu’ils appellent
Ieurs domaines, n’en tyrannisent qu’avec plus d’impu-
deuce les peuples infortunes soumis a leur autorite dure,
mais chancolante.
C'est pour en debarrasser le sol italien que nos ai'eux,
les premiers Bons Cousins, ont etabli la respectable Car-
bonara. Exilees du monde, n’osant se montrer au grand
jour, la liberte, legalitc se refugieront dans les forbts. se
caeherent dans les Vendite , dans les grottes les plus re-
culees, et lit, reprenant la robe virile dont nous sommes
revetus, aiguiserent leurs hachettes et leurs poignards,
et jurerent de renverser en un seul jour tous les oppres-
seurs de ces belles conlrees. Nous l’avons tous fait, sur
le signe eclatant de la redemption du Sauveur du mon ’.e,
le serment sacre de retablir sa sainte philosophic. Le mo-
ment est arrive, mes Bons Cousins, le tocsin de l’insur*
rection generale a sonnd, les peuples armes sont en
marche ; au lever de l’astre du jour, les ty rails auront
vecu, la liberte sera triomphante. Employons le peu
d’heures qui vont secouler, pour arriver aux moments
d’unc courte et terrible vengeance, k relire et proclamer
les nouvelles lois qui vont regir la belle Ausonie, la reu-
nir en un seul peuple dans ses limites naturelles, et la
rendre libre, heureuse, florissante, et l'exemple du reste
de l'univers.
CH. XIX. — LE TUGENDBUND ET LE CARBONARISME. 405
— En lisant ce discours de l’Etoile, on peut constater
Sans peine queles doctrines des Carbonari ressembiaient de
tous points k celles des Illumines d’Allemagne. Pours’en
convaincre, il suffit de revoir les instructions que Weiss-
haupt adressait aux adeptes de ses Grands Mystferes.
Ce sont, de part et d’autre, les memes idees et souvent
les mSmes expressions.
Les sectaires italiens et les sectaires allemands avaient
entre eux un autre point de contact. Dans la Peninsule,
les Carbonari revaient la disparition violente des petits
Etats qui se partageaient le pays au profit d’une Repu-
blique unitaire. En Allemagne, les Illumines, devenus
plus tard les membres les plus zeles du Tugendbund ,
voulaient rlunir tous les peuples de la Confederation
Germanique sous le sceptre du roi de Prusse, qui dispa-
raitrait & son tour, pour faire place ii la democratic.
En France, la Charbonnerie, de complicity avec lasecte
maconnique, s’efforqait, i la mSme epoque, de provoquer
df>s insurrections sur tous les points du territoire, afin de
briser le sceptre des Bourbons et assurer le retour d’une
Republique dont les conspirateurs seraient les chefs.
La harangue terminee, le Grand-Elu engageait les
Boils' Cousins a renouveler avec ensemble le septuple
applaudissementparlequelils avaient ouvertles travaux
de la Vendila.
II priait ensuite le Secrytaire de lire les instructions
que l’on avait remises aux directeurs du mouvement qui
se preparait pour l’affranchissement de l’Ausonie.
Le Secretaire : — J’obeis, tres vyneruble Grand-Maltre
Grand-Elu :
Chaque directeur se transportera vers onze lieures pr6-
cises de la soiree du dans le lieu de rassemblement
ib’signe aux Maitres Carbonari reunis en Vendita de
1 ur grade. II leur declarera verbalement le but des ras-
spmblements genyraux qui se preparent, et indiquera les
s 'accs publiques et autres lieux ou chacun d’entre eux
406
PERIODE HISTORIQUE.
devra former un corps de ses apprentis et autres parti-
sans, meme profanes reconnus dignes, par leurs opinions
liberates, de concourir a la gloire de cette journee. II
choisira les hommes devoues qui seront volontairement
determines k frapper les premiers coups, les lierauts
qui proclameront immediatement la chute et la fin des
oppresseurs du peuple, ennemis mortels de 1’Ordre car-
bonico, et remettra aux principaux chefs de l’expedition
les listes des satellites du pouvoir rcnverse qu’il sera
hon d'arretcr, d’einprisonner, ou de combattre et mettre
a mort en cas de resistance. II chargera ces memes
chefs de faire afficher la proclamation qui constitue un
nouveau gouvernement provisoire, charge de retablir la
liberte ausoniennc, et de rassembler la chambre unique
elue par tous les citoycns parvenus a l’age de vingt
ans revolus , et qui devra so reunir a M...., dans un
mois au plus tard, a dater du jour du soulevement
general de la patrie. Co gouvernement provisoire, choisi
par les Grands-lIaUrcs Grands-Elus reunis et reconnus
par rilalie cntiere pour les plus zeles partisans d’une
liberte sage et forte, incorruptible a toutes les seduc-
tions, devra s’installer au palais encore occupe par les
tyrans aussitot qu’ils en seront chasses, et qu’on les aura
livres ii la vengeance du people. Deja sa garde peu
nombreusc ct romposee de citoyens fibres ot fidclos a
nos principes d’egalite, so sera mise on possession des
portes du palais et des hotels ministeriels, ainsi que de
toutes les caissos publiques. La proclamation, contenant
un aporeu do ces diverses dispositions, declarcra traitres
a la patrie ceux qui s’opposeront au nouvel ordre de
ehosos, et ne pretermit pas sennent d’obeissance au
gouvernement populairc des vingt et un membres que
nous avons provisoirement designes, et qui siegent dans
cette grotte tenebreuse, d’ou vont jaillir les premiers
rayons de lalumiere, quo la tyrannic forea si longtemps
de s’y earlier .
CH. XIX. — LE TtTGENDBUXD ET LE CXRBONMUSME. 407
Si le mouvement s’effectue sans trop de resistance,
on evitera cle combattre autant que possible, et les
individus coupables ou suspects seront mis en lieu de
surete jusqu’apres la reunion de la chambre et l’organi-
sation du gouvernement definitif. Les chefs designes par
les directeurs rendront un compte exact de toutes les
operations politiques et guerrieres qu’ils auront exe-
cutes, d’abord a ceux qui leur auront fourni leurs
instructions, ensuite au gouvernement provisoire, etabli
sur les ruines de la tyramiie.
Les directeurs du mouvement veilleront a tout, se
repandront parmi les masses du peuplc, encourage-
rout les faibles, engageront les indecis a se reunir
aux braves, et promettront les recompenses les plus ecla-
tautes de la reconnaissance Rationale a tous les patriotes
Carbonari, Fruncs-Tdacjons ou profanes, qui se seront
signales par leurs actes de bravoure et de patriotisine
dans cette guerre courte et legitime, pour l’affranchisse-
ment des peuples de 1’Ausonie.
— Le Grand-Elu, s’adressant aux Bons-Cousins, apres
cette lecture, leur fait remarquer la sagesse de ces
instructions. II ajoute qu’une fois arrives au pouvoir, ils
devront l’cxercer d’une maniere irreprocluible, afin que
lorsqu’ils rentreront dans la vie privec pour no plus en
sortir, le peuple n’ait pas ii fletrir la conduite qn’ils
auront tenuo.
Les deux Eclaireurs proposent ensuite de renouveler
les serments que les adeptes ont dej it prates dans les
reunions precedentes. L’Orateur appuie cette motion, qui
est mise aux voix et votee par l’asseniblee.
Sur un signe des Eclaireurs, les Bons Cousins descon-
dent au milieu de la Vendita et se disposent on triangle
tronqui'jde maniere a ce que Lune et Soleil.et entre eux,
les Experts Introducteurs, Flammes et Servants, foment
la ligne triangulaire occidentale. Le Grand-Elu, autour
duquel se groupent les dignitaires, se place a la pointe
408
PEBIODE HIST01UQUE.
tronquee du triangle oriental derriere le tronc couvert des
bases carboniques.
Lc Grand-Elu : — La forme mysterieuse, sacree, est
parfaite, mcs Bons Cousins. Invoquez interieurement la
toute-puissance divine, pour qu’elle vous donne la force
de tenir le serment terrible que vous allez proferer, et
tombez au pied du tronc qui supporte le signe de la
redemption generate et du retour des lumieres philoso-
phiqucs.
A moi. ines Bons Cousins ! Le genou a terre. — A l’or-
dre des sermcnts. — A l’ordre.
— Co dernier mot acheve, tout le monde s’agenouille
sur le cute droit, la main gauche appuyee sur le coeur, la
droite elevee a la hauteur de la tete et tendue vers le
tronc.
Le Grand-Elu prononco alors d’une voix forte et solen-
nello la formule suivante :
Moi, citoyen libre de l’Ausonie, place sous le gouver-
nement et les lois populaires quo je me devoue a etablir,
dut-il m’en couter tout mon sang, je jure, en presence du
Grand-Maitre de P uni vers ct du Grand-Elu Bon Cousin,
d'employer tous les moments de mon existence a faire
triompher les principos de liberte, d’egalite, de haine a la
tyrannic, qui sont l’ame de toutes les actions secretes et
publiques do la respectable Carbonado. Je promets de
propager l’amour de legality dans toutes les times sur
lesquelles il me sera possible d’oxercer quelque ascen-
dant. Je promets, s’il n’esfc pas possible de retablir le
regime dela liberte sans combattro, de le faire jusqu’4
la moil
Je consens, si j’ai le malheur de devenir parjure a mes
sormonts, ii etre immole par mesBons Cousins les Grands-
Elus de la maniere la plus douloureuse. Je me devoue a
etre inis en croix au sein d’une Vendila , d’uno grotte ou
d’une chainbre d’honneur, nu, couronne d’epines, etde la
menie maniere que le fut notre Bon Cousin le Christ, notre
CH. XIX. — LE TUGENDBUND ET LE CARBONARISME. 409
redempteur et notre modele. Je consens, de plus, k ce
que mon ventre et mes entrailles soient arraches et bru-
les, que mes membres soient coupes et disperses, et mon
corps prive de sepulture.
— Le Grand-Elu ajoute ensuite :
Telles sont nos obligations a tous, mes Bons Cousins ;
jurez-vous de vous y conformer ?
— Tous les assistants k la fois :
Nous le jurons!
Le Grand-Elu : — Dieu vous entende, mes Bons Cou-
sins ! Son tonnerre gronde, vos serments sont agrees. Le
peuple est pret a combattre. II triomphera. Malheur a
vous si vous deveniez perfides !
Reprenez vos places, mes Bons Cousins.
— Le Grand-Elu poursuit eu ces termes :
II va vous etre donne lecture, mes Bons Cousins, du
pacte social constitutionnel que votre comite de legisla-
tion a prepare dans sa sagesse, pour etre soumis a la
sanction de la nation ausonienne, libre et rSunie.
— Je vais reproduire une partie de ce document. Mes
lecteurs voudront bien noter au passage les differents
articles que je citerai et les mettre en regard des eve-
nements qui se sont accomplis, depuis 1859, dans la-
peninsule italique.
Article i er . — « L’Ausonie se compose de toute la
( peninsule, limitee au couchant par la Mediterran^e, au
« Sud par la meme mer, au Nord-Ouest par les crctcs
t des plus hautes Alpes, depuis la Mediterran«5e jus-
« qu’aux montagnes les plus elevees du Tyrol, qui la
« separeront, au Septentrion, de la Baviere et de l’Au-
• triche. Tous les anciens Etats Venitiens seront compris
« dans l’Ausonie jusqu’aux bouches du Cattaro. Ses
t limites avec la Turquie seront fermees par les monts
« de Croatie, Trente et Sienne comprises. Toutes les lies
i de l’Adriatique et de la Mediterran^e, situ£es A moins
410
P^KIODE HISTORIQtJE.
« decent milles des cotes de la nouvelle republique, feront
t partie de son territoire, et les troupes ft sa solde les
« occuperont. »
En 1859, Napoleon III avait pris l’engagement d’ex6-
cuter ce programme : « L’ltalie sera libre des Alpes d
TAdriatiquc », disait-il dans une proclamation demeuree
celebre. S’il no tint pas ses engagements, c'estparcc que
les menaces de la Prusse et do la Itussie le forcerent de
conclurc la paix.
Article u. — « Tous les gouveruements existants dans
* Fdtcnduo du territoire qui vient d’etre designe, cesse-
« ront lours fonctions immodiatement apres la publica-
« tion du present pacte social ot se soumettront ft celui
« de la republique ausonienne.
« Lours archives, annes, caisses et proprietes mobi-
« liercs et immobilieres do toute nature seront remises
« intactcs entre les mains des agents de la republique.
« Toutopposant ft cette volonte iuebranlable du peuple
« souverain de l’Ausouie sera deporte pour la vie dans
« l’uno des iles qui seront designdos pour I'internement
< des onnemis de l’Etat. »
On sc souvienl que notre campagne contre l’Autriche
eut pour conseiiuence l’oxpulsion des petits souverains do
l’ltalie. Leurs Etats fureut annexes au Piemont avec
lequel ils n’etaient pas en guerre, et leurs proprietes par-
ticulieres conlisipioes au profit de la maison do Savoie.
Leurs sujetsacclamerent l’usurpateur, preferant au bien-
etre dont ils jouissaient sous le sceptre d’un pouvoir
debonnaire les charges accablantes d’un grand Etat.
Peu de temps apres, Garibaldi, ft la tete do ses bnndcs,
envahissait la Sicilc ct somparait du royaumc do Naples,
aide par les troupes du roi de Sardaigne. Le celebre
aventurier otait pnrtout acclaino, non par le peuple qui
CH. XIX. — LE TUGENDBUND ET LE CARBONARISME. 411
aimait son souverain, mais par les adeptes du Carbona-
risme devenu ]a Societe de I'ltalie reunie. Mettez a la
place du mot Republique le nom de Victor Emmanuel, et
le reve du Carbonarisme deviendra j usque dans ses
moindres details une triste realite.
Les doctrines des Carbonari se divisent on deux par-
ties : celles qui concernent I’ltalie seulement, et celles
qui, etant d’une application plus generale, peuvent pas-
ser dans les Constitutions des sectaires francos, alle-
mands ou espagnols, et agrementer leur programme
politique.
Voici, en particular, quelques articles dont la Magon-
nerie frangaise, aujourd’hui au pouvoir, a adopte les
principales dispositions :
Article xi. — « Tous les emplois seront dlectifs et
« temporaires.
Article xiii. — « Les emplois militaires seront seuls
« exceptes de cette regie generale.
Article xiv. — « Toutes les elections emaneront du
« peuple directement ou indirectement. >
Nous en sommes la aujourd’hui. II est question d’en
fmir avec l’inamovibilite de la magistrature. L’idee n’est
pas nouvelle. Le Carbonarisme italien l’avait trouvee,
longtemps avant que l’on songe&t & la troisieme Repu-
blique :
Article xyi. — « Les assemblees cantonales nomme-
« rontles juges de paix de cantons.
Article xvii. — « Les assemblees de district (d’arron-
« dissement en France) nommeront les juges des tribu-
< liaux de premiere instance etablis dans le chef-lieu de
« chaquo district.
Article xviii. — « Les assemblees de dSpartement
« nommeront les tribunaux d’appel
412
PERI0DE HISTORIQUE.
Article xix. — « Les assemblies provinciates nomme-
« ront les membres des cours souveraines de cassation,
« qui decideront deiinitivement sur toutes les procedures
< autres que celles qui concerneront. la siirete de l’Etat, et
« qui arriveront jusqu’a la haute cour nationale, dont il
* sera parle plus bas, »
Les divers projets de loi sur la reorganisation de la
magistrature, que deputes et ministres ont elabores ces
temps dernicrs, semblent avoir eto caiques sur ces dis-
positions du pacte social de I'Ausonie.
II est encore question, dans le dernier article que jc
viens de citer, de l’tleclion des eveques et des cures. Nos
legislateurs Francs-Macons n’ont pas encore ose aborder
cette question delicate, genes qu’ils sont par le Concor-
dat. Mais ils s’efforcent de tourner la difficultc en sup-
primant. quand ils le jugent a projios, et au mepris do la
loi, le traitement des cures et des eveques eux-memes.
_ Article xxiii. — « Tons les employes de l’Etat seront
« salaries suivant les ressources de la Republique, qui
« arretera, chaque annee, le budget de ses depenses. »
Les republicans francais font de cet article une appli-
cation vraiment abusive.
Le service obligatoire que la France a adopte n’est pas
d’invention prussienne. Le Carbonarisme avait concu tin
plan d’organisation militairc exactement semblable au
notre. Nos Macons du Parlement lui ont emprunte jus-
qu’aux bataillons scolaires, ainsi qu’on peut le voir en
lisant Particle suivant :
Article xxv. — « Tous les citoyens valides, de Page
« de seize a soixante-quatre ans, feront partie de la
* garde nationale. Tous les citoyens se devront au sor-
« vice militaire de l’armeo reguliere, depuis Page de dix-
CH. XIX. — LE TUGENDBUND ET LE CARBON ARISMB. 413
« hoit ans jusqu’a vingt-cinq, mari£s ou non, et quelque
* etat qu’ils puissent professer. »
Sauf le service de sept ans, notre loi militaire est la
reproduction developpee de cet article du Pacte social
de l’Ausonie.
L’articie xxx complete la ressemblance des deux
legislations. Yoici quelle en est la disposition princi-
pals :
« L’armee permanente (ce que nous appelons, nous,
« l’armee territoriale) occupera les ports et les forte-
« resses, et no pourra jamais etre employee que pour la
« defense generate. »
Nos legislateurs se sont bornes & copier & peu pres
textuellement ces quelques lignes du Code a eux connu
de la Cbarbonnerie italienne.
On sait que nos deputes Francs-Magons songent depuis
longterops a etablir en France ce que l’on nomme l’impot
progressif. Ils ont plusieurs fois deja aborde la question
d’une maniere incidente.
C’est encore un emprunt que ces legislateurs d’un nou-
veau genre font au Carbonarisme.
Article xxxviii. — « L’impot sera progressif et con-
* forme a l’aisance des citoyens, proprietaires ou nego-
» ciants. Lataxe en sera faite par jur6s ou prudhommes
« de chaque commune. Le plus pauvre ne paiera qu’un
« septieme de son revenu, le plus riche en paiera les
« six septiemes. On observera la regie progressive pour
« les classes intermediaires. »
En vertu de l’article l, les hopitaux, asiles, colleges,
lycecs, ecoles secondaires et primaires devaient faire
partie du domaine de l’Etat. La Rcpublique ausonienne
414
PfiRIODE HISTORIQUE.
voulait done monopoliser, non settlement l’enseignement
primaire et secondaire, mais la charite elle-mdme.
N'est-ce pas la le but que poursuivent les Carbonari
du gouvernement fran^ais ? Ils ne [se bornent pas a nous
imposer leurs ecoles sans Dieu, ils poussent J’ou-
trecuidance jusqu’a vouloir s’approprier le produit des
quotes qui se font dans les eglises, sous le singulier pre-
textc que les bureaux de bienfaisance ont exclusivement
le droit de distribucr des secours aux pauvres.
Ilcvettons maintenant a I'ltalie.
Le Pacte social statuait d’une maniero explicite quo les
Etats pontiiicaux seraient annexes au territoire de la
Republique.
C’est ce qtii a eu lieu en 1870.
L’article qui a trait a cette question merito une atten-
tion toute particuliero. La plupart de mes lecteurs ne le
liront pas sans etonnement.
Article xxxv. — « Le conrito elira un patriarcho pour
« 1’Ausonic, ct son traitement sera decuple de celui des
« arclicvoques. Le Pape actuel sera prie d’accepter cette
« (lignite, et recevra, comme dedomrnagement de ses re -
« vemts temporels, retails au domains de la Republique,
« une indefinite personelle, payee annuellcment tout
« le temps de sa vie, en sus du traitement de patriarchs,
€ mais qui ne pourra etre continues a ses sitccesseurs . »
Des son arrivee a Rome, le gouvernement piemontais,
se conformant aux dispositions du Pacte social, a oifert
a Pie IX un traitement que le Pontife a refuse. Autre
detail qui a son importance : taut que Pic IX a vecu, les
Italiens ont rcspecte la loi dite des garanties, mais a sa
mort ils ont considere cette loi comme non avenue, si
bien que les tribunaux romains pretendont exercer leur
juridiction sur le Vatican. Leon XIII ne peut pas jouir
des memes privileges que son predeccsseur. Ainsi le veut
CH. XIX. — LE TUGEN'DBUND ET LE CARBOtfARISME. 415
le Pacts social de la Republique aasonienne, dont le roi
d’ltalie a ete provisoirement constitud le gardien par le
Carbonarisme.
Je dis provisoirement, parce que les adeptes n’ont pas
renonce & leurs rbves democratiques, et un jour viendra,
plutot peut-etre qu’on ne le pense, ou ils eprouveront la
besoin de congedier leur roi.
Apres que l’Orateur a lu tous les articles du Pads social
constitutionnel de VAusonie, le Grand-Elu fait demandev
aux Bons Cousins, par les deux Eclaireurs, si personne
n’a d’objections a faire contre quelques-uns des articles
dont on vient de donner connaissance aux membres de la
Vcndita.
Quand la tenue est suivie d’une reception, le Grand-
Elu prend de nouveau la parole et s'exprime en ces
termes :
« Mes Bons Cousins les Experts, rendez-vous aupres
« du recipiendaire, chargez-le de liens, mettez-le dans
« l’etat de nudite qui convient pour qu’il recoive ses stig-
« mates, bandez-lui les yeux et conduisez-le dans cette
« enceinte pour y completer son initiation et preter le
« serment sacre que nous avons renouvele nous-
« m§mes. »
Pendant que les experts procedentauxpreparatirs dont
les a charges le Grand-Elu, dans l’interieur de la Ven-
dita deux adeptes sont designespour jouer lerdle deslar-
rons qui furent crucifies sur le Calvaire. Le recipiendaire
s’avance, les epaules chargees d’une croix, et precede de
ses deux compagnons de supplice. L’un et l’autre portent
le gibet sur lequel ils vont etre attaches, Le cortege s’ar-
rete au milieu de la grotte. Derriere les patients sont
trois experts qui les tiennent enchaines.
Le recipiendaire a les yeux bandes.
416
PtniODE HISTORIQUE.
Le Grand-Elu : — « Trfes respectables Eclaireurs, di-
« gnitaires et Eons Cousins Grands-Elus, on vient de
« conduire devant vous les deux miserables qui ont
« voulu trahir notre Ordre. Notre premier devoir est
« d’infliger a ces scelerats la punition qu’ils ont meritee.
* Leur sentence de mort va s’executer en votre presence.
« Quo le premier d’cntre eux me soit amene pres du
« trone et de ses nobles bases. »
Un servant conduit le larron de droite devant le Grand-
Elu, qui s’ecrie :
« Vil Iransfuge 1 violateur in fame du serment solennel
« que tu pretas jadis entrenies mains, dans cette enceinte
t retiree, inconnue aux profanes ! tu vas subir la juste
« sentence qui te condamne a perdre la vie 1 Mis d’abord
« on croix, tes entrailles soront ensuite arrachees et re-
t duites en cendres, ainsi que ton coeur pcrfide. Ton
* corps, coupe par morceaux, sera disperse et prive ii
* jamais de sepulture. Ton nom sera desormais execre
« par tous les Dons Cousins. Au nom du Grand-Archi-
< tecte, je te degrade et te declare indigne d’avoir fait
* par tie de notre Societe. »
En disant ces mots, le Grand-Elu frappc le front du
patient avec le revers de sa liacliette et poursuit :
« Executeurs de la justice des Grands-Maltres Grands-
« Elus de l’Ordre des Carbonari, emparez-vous de ce
« monstre, et clouez-le ii la croix sur laquelle il doit
* expirer. »
Le larron pousse un profond soupir et avouc qu'il a
merite son supplice.
On l’etend alors sur la croix et on l’y fixe solidement
avec des baudes d’etotfe, afin de ne pas le blosser. Cepen-
CH. XIX. — LB TUGENDBUND ET LE CARBONARISME. 417
dant comrne il faut que le crucifiement ait aux yeux du
nouvel adepte, qui ne voit pas ce qui se passe autour
de lui, tous les caract&res de la realite, on frappe des
coups de marteau, comme si l’on enfon$ait des clous. Le
larron fait entendre des gemissements plaintifs qui
completent l’illusion.
Son compagnon d’infortune arrive k son tour devant
le Grand-Elu, mais au lieu de manifester du repentir il
s’ecrie :
Je subirai mon supplice en vous maudissant. J’eprou-
verai meme une jouissance, au milieu de mes douleurs,
en pensant que les etrangers auxquels j’ai designe votre
affreux repaire extermineront jusqu’au dernier car-
bonaro. J’ai dit : qu’on me conduise a la mort.
Les deux croix sont elevees , tandis que les deux
laiTons poussent des cris de rage.
Le Grand-Elu s’adresse alors au nouvel adepte :
« Digne Bon Cousin, lui dit-il, vos travaux constants
* et votre zele pour l’Ordre ont decide cette sage Vendita
* a vous admettre au nombre de ses membres les plus
* eclaires. Vous avez subi vos epreuves avec un grand
« courage ; et si vous persistez dans le dessein de devenir
* Grand-Elu, malgre le chatiment que nous venons d’in-
* fliger k deux traitres en votre presence, je vais rece-
« voir votre serment au pied du trone. Vous serez
< ensuite lie sur la croix, et empreint des stigmates qui
« servent a nous faire reconnaitre des Bons Cousins
« Grands-Maitres Grands -Elus de toutes les Vendite;
€ apres quoi vos yeux seront debarrasses de leur ban-
« deau. Vous repeterez, du haut de la croix, le serment
* que vous allez faire a l’heure meme. On vous remettra
« ensuite en liberte et on vous revetira du costume de
« votre grade. »
L’adepte repond :
F.\ M.'.
il
418 pjSkiode hxstobique.
« Oui, tres venerable Grand-Elu. »
— « Puisqu’il en est ainsi, reprend le Grand-Maltre,
« venez pres du trone et mettez-vous a genoux pour
« entendre la formule du serment. Et vous, Experts et
t Servants, appretez la croix du centre pour y placer le
« recipiendaire et l’elever entre les deux larrons, a
« l’exemple de notre Bon Cousin le Christ nazareen, roi
« de Juddo, Grand-Architccte de l’univers. *
Tout s’execute conformement aux ordres du Grand
Elu.
Lorsquc la croix est elevee au centre de la Vmdita, on
ote son bandeau a l’adepte, qui apercoit los hachettes et
les poignards des assistants diriges contre sa tete et
contre son cffitir ; et oti l’avertit que si jamais il traliissait
la Societe, il mourrait de la mort la plus cruelle. En uieme
temps on l’obscrvc avec attention, pour voir s’ii fait
preuve de courage. Puis on lui itnprime sur diverses
parties du corps les stigmates dont nous avons parle.
Les Philadclphes portaiont au bras et sur la poitrine
les rnemes tatouages que los Carbonari, ce qui prouve
une fois de plus que ces deux societes n’en faisaient
qu'une.
Cette operation terminee, le Grand-Elu adresse un
discours au recipiendaire, et 1’avertit que l’heure ne
tardera pas a sonner ou l’Ausonie deviendra Iibre.
A ce moment, il est interrompu par le mauvais larron
qui s’ecrie :
« Bientot vous perirez tous ! »
A peine a-t-il acheve ces paroles, qu’on entend en
dehors de la grotte un bruit de combattauts. Puis, la
porte s’ouvre avec un fracas horrible, et les gardiens
annoncent que les ennemis sont lit. Les Bons Cousins se
precipitent alors au-devant des assaillants. Le recipien-
CH. XIX. — LB TUGENDBUND ET LE CARBONAKISME. 419
daire est effrayd par les coups de feu et le cliquetis des
epees qui s’entre-choqueut derriere lui. Tout A coup le
Grand-Elu, suivi d’une troupe de Bons Cousins, recule
jusqu’au pied de la croix, et, se tournant vers le recipien-
daire, il lui dit : * Esperez, nous ne fuyons un moment
« qu’afin de mieux vaincre. » Au meme instant le plan-
cher s’effondre, et les Carbonari disparaissent comme
dans un abhne, tandis que des soldats Strangers arrivent
couverts de sang, au bord de l’ouverture beante,
qui se referme presque aussitot. Les vainqueurs sem-
blent tout etonnes non seulement de la disparition de
ceux qu’ils poursuivaient, mais aussi de voir trois homines
suspendus a des croix.
• Camarades, dit alors l’officier qui commande les
« agresseurs , ces gens-lli ne paraissent pas encore
• morts. Innocents ou coupables, il faut les achever, ne
• serait-ce que pour abreger leurs souffrances. Aux
• armes! »
La troupe, se divise en trois pelotons. L’ofiicier
reprend :
« Garde a vous ! Armes ! joue ! »
A peine a-t-il acheve ces mots, que le bruit des armes
a feu retentit de l’autre cote de la salle. Les balles
sifflent, et les soldats tombent sur le plancher.
Les Bons Cousins rentrent par toutes les issues en
criant :
« Victoire ! Mort A la tyrannie I Vive la Rdpublique
• d’Ausonie ! Vive la liberte ! Vive l’egalite ! Vive le
« gouvernement provisoire elu par les Carbonari ! »
Les morts et les deux larrons sont enleves de la salle.
420
p£riode historiqtje.
SeuI Ie recipiendaire reste sur sa croix. Les portes se
referment, l’adepte est debarrasse de ses liens et amene
devant Ie Grand-EIu, qui lui dit :
« Digne Bon Cousin, les terribles evenements qui
« viennent de se passer sous vos yeux ont dd vous ap-
« prendre que la trahison est ici severement et toujours
« punie, et que lorsque les satellites des tyrans osent
« nous attaquer, la victoire se declare. Noubliez jamais
« ces faits memorables, et soyez admis desormais a nos
« plus secrets mysteres. Approchez-vous , mon Bon
« Cousin. »
L’adepte s’avance au pied du trone. Le Grand-EIu
prend la croix, la lui pose sur la tete, frappe avec sa
hachette les sept coups carboniques et dit :
< Respectables Eclaireurs, dignitaires, et vous tous,
« mcs Rons Cousins, debout et a l’ordre 1 Aidez-moi, je
« vous prie, par vos voeux et vos acclamations ordinaires
« a fairo un nouveau Grand-Maitre Elu. »
Apres que son ordre est execute, il prononce la formula
de reception, qui est ainsi concjue :
« Au nom du Grand- Architecte de l’univers, je vous
* re<;ois Grand-Maitre Grand-EIu de l’Ordre mysterieux
« carbonico, vous, mon Bon Cousin, en recompense des
« services que vous avez reudus dans vos premiers
« grades, du zele extraordinaire que vous avez montre, et
« de la promesse solennelle que vous venez de nous faire
* de vous devouer entierement au maintien des liberty
« de l’Ausonie. »
Ici ont lieu les acclamations d’usage.
Puis, le Grand-EIu ajoute :
CH. XIX. — LE TUGENDBUND ET LE CARBONARISME. 421
« Bons Cousins Experts, menez le rScipiendaire dans le
« vestiaire, et veuillez le revStir du costume de l’Ordre,
< sauf la ceinture et les armes qu’il viendra recevoir de
< mes mains. »
Les Experts obeissent aux ordres du president. Puis le
recipiendaire se rend aupres du trone et re<joit l’accolade
du Grand-Elu, qui lui attache sa ceinture, l’arme de la
hachette et du poignard, et lui designe la place qu’il doit
occuper.
Arrive ensuite un messager qui annonce aux Bons
Cousins la defaite des tyrans et l’extermination de leurs
armees, ajoutant qu’il vient chercher les vingt et un
membres du gouvernement provisoire pour les installer
dans le palais national. Nouvelles acclamations. Les Bons
Cousins prennent le costume democratique de l’Ausonie,
et le Grand-Elu leur apprend que puisque la liberte
triomphe, les travaux de la Charbonnerie ne doivent plus
etre enveloppes de mysteres.
* Ne nous separons pas, nganmoins, poursuit le presi-
« dent, sans terminer notre seance, ainsi que nousl’avons
« toujours fait : formons la chaine et donnons-nous le
« baiser de Bon Cousin. Nous sortirons ensuite, precedes
« de nos licteurs et suivis du peuple. II nous attend,
« enivre de joie, a 1’exterieur de cette grotte sacree, pour
« nous accompagner au chef-lieu du gouvernement cen*
« tral. Rendons-nous dignes de son choix, en remplissant
« avec honneur les devoirs importauts que sa conflance
« nous impose. >
Le Grand-Elu poursuit en ces termes :
« Respectable premier Eclaireur, quelle heure est-il ? »
Le premier Eclaireur : — * Midi, tres venerable Grand-
« Maitre Grand-Elu. »
422
pfiRIODE HISTORIQUE.
Le Grand-Elu : — « A quelle heureavons-nous coutame
« de former nos travaux, respectable deuxieme Eclai-
« reur ? »
Le deuxieme Eclaireur : — • « A midi, tr6s venerable
« Grand-Elu, lorsque la trompette du triomphe fait
« entendre ses sons eclatants au peuple libre de la
« republique ausonienne. »
(Les trompettes sonnent au dehors un air martial.)
Le Grand-Elu : — * Pui.squ’il est midi, quela trompette
t sonne, et quo l’Ausonie est enfin libre, mes Bons Cou-
« sins, je ferme la Vendila de Grand-Maitre Grand-Elu
« carbonaro par les applaudissements d'usage. A moi, mes
* Bons Cousins! »
Les adeptes forment la chaiue, se donnent le baiser de
Bon Cousin, ct sortent sur trois raugs. Les licteurs mar-
chent cn tete, les membres du gouvernement provisoire
viennentcnsuite, suivis dcs autres membres de la Vente.
La marcho est fermee par le dernier des Flammes, en
habit de simple citoyen.
La plupart des details qu'on vient de lire sont empruntes
a Saint-Edme.
J’ai du supprimer certaines minuties que le Grand-Elu
negligeait lui-meme, la plupart du temps.
L’Espagne eut ses Carbonari, tout comme l’ltalie, la
France, la Suisse et l’Allemagne. Ils etaient counus sous
le nom de Commutieros et formaient une branche de la
Franc-Magonnerie proprement dite. Leur fondation
remonte a l’annee 1820.
Le serment qu’ils pretaient, en entrant dans l’Ordre,
peut donner une idee de leur exaltation politique. Le
void textuellement :
« Je jure de mettre a mort quiconque me sera design^
Cil. XIX. — LE TUGENDBUND ET LE CARBONABISME. 423
«
c comme traitre par la Societe ; et si je manque d’accom-
« plir cette promesse, que ma tete tombe sous la hache,
< que mes restes soient consumes par le feu etmes
t cendres jetees au vent. »
On assure que peu de temps apr&s leur organisation,
les Communeros comptaient plus de 40.000 adeptes.
Encore une societe qui etait inoffensive, et que le gou-
vernement espagnol aurait eu grand tort d’inquieter.
Le Carbonarisme italien a subi diverses metamor-
phoses depuis le temps dont nous parlons. La Gazette
(T Augsbourg publia, en 1852, des details interessants sur
cette question. Le Constilulionnel les traduisit pour ses
lecteurs et les fit paraitre dans son numero du 18 juin de
cette meme annee.
Je les emprunte h ce dernier journal, afin de bien d6-
montrer que les Carbonari de cette epoque etaient les
continuateurs de ceux de 1820.
* Les mouvements politiques qui ont eu lieu dans
« l’ltalie, depuis trente ans, ont ete l’ceuvre du Carbona-
c risme et de la Jeime-ltalie. Ces deux sectes se sont
« fondues dans une association qui porte le nom d’ltalie
* reiinie. C’est a cette association qu’il paralt reserve,
« tCt on tard, de tenter une levee de boucliers. Cette asso-
« ciation secrete, qui s’identifie avec le Carbonarisme de
« la Jeune-ltalie, a pour but le renversement des trones
« et de toute influence etrangere. Elle veut et tblir I'uniti
• ilalienne, rendre 1’Italie forte et independante et la
« purger de tout element heterogene. Elle est divisee en
« Cercles. Chaque Cercle compte quarante membres au
« plus et a un president, quatre conseillers, un questeur
« ct un maitre. Tous les autres membres se nomment
« associe’s. II y a cinq degres de Cercles : le grand Con*
« seil, le Cercle general, le Cercle provincial, le Cercle de
« district et le Cercle de commune.
424 PERIODE HISTORIQUE.
< Tous les membres de l’association se divisent en
« trois ordres, savoir : 1° Les adeptes unis ou simples
« unitariens ; — 2° les presidents et les conseillers des
« divers Cercles ; — 3° les grands unitariens ou membres
« du grand Cercle et presidents du Cercle general. Les
« grands unitariens connaissent seuls le but de la Society
« et sont inform6s des moycns d’action violents qu’il
« s’agit d’employer. La Societe a trois mots d’ordre se-
« crets : los associes en savent un, les unitaires deux et
« les grands unitariens trois. Le grand Conseil, comme
« pouvoir supreme et absolu, se compose de sept grands
« unitariens. Chaque membre doit obeissance passive et
« aveugle a ses ordres. II y a huit Ccrcles gendraux : a
« Rome, a Turin, a Milan, h Venise, a Florence, a
* Naples, a Palermo et ii Cagliari. Un grand unitarien a
« la presidenco.
« En ce qui concerne les Ccrcles provinciaux et de dis-
« tricts, ils peuvent conserver les divisions territoriales
« actuelles. Les cotisations sont recueillies apres chaque
« seance do Cercle par le questeur. Le denier de l’ouvrier
t a le mime prix que la piece d’or du riche. Une partie
* des recettcs est employee, par chaque Cercle , pour ses
« depenses; lereste cst cnvoye au grand Cercle, lequel
« decide des grandes affaires qui exigent les grands
* moyens. Les unitaires ont le droit de recevoir des
« adeptes.
« Chaque associe peut presenter des candidats. On
f cherche surtout & faire de la propagande parmi les
« militaires; et les distinctions les plus grandes leur sont
« offertes. On prend aussi des ouvriers et des personnes
* des classes inferieures. S’ils possedent les connais-
< sances necessaires, ils doivent obtenir la preference
* pour le rang d’unitarien. Ils peuvent eux-mSmes orga-
* niser un Cercle ou ils sont les presidents. II faut que
« chaque candidat subisse un examen severe. Apres
« l’avoir passe et prSte serment, il recoit le mot d’ordre.
CH. XXX. — LE TUGENDBDND ET LE CARBONARISUE. 425
€ les insignes et la medaille. La desobeissance et la vio-
« lation du secret sont punis de mort. Chaque membre a
« le droit d’exiger protection et secours. Si un adepte
« pauvre xneurt, l’association se charge de ses enfants,
* surtout s’il meurt pour la sainte cause de la liberte.
« Tons les trois mois, on remet au grand Conseil des
* Iistes exactes de tous les membres de la Societe. Ces
« Iistes, qui sont secretes, doivent contenir des renseigne-
* ments sur l’etat, les relations de famille, la fortune, la
« capacity l’age, l’influence et les rapports sociaux de
t chaque adepte. Chaque grand unitarien est muni d’ins-
* tructions secretes pour pouvoir resoudre tous les doutes
* et aplanir toutes les difficulty. >
Ces renseignements sont d’une exactitude et d’une
clarte qui me dispensent de tout commentaire. Mes lec-
teurs y trouveront l’explication des evenements dont l’lta-
lie a 4t6 le theatre sous le regne de Victor Emmanuel.
CHAPITRE XX
La F.\ M.\ sous Louis-Philippe.
Sommairb. — Pourquoi les Loges furent d£sert£es sous la Restauration.
— Opinion de Rebold. — Elle n’est pas conforme h la v^ritd. — La
Revolution do 1S30 fut l'osuvre des Francs-Macons deguises en Car-
bonari. — Contradictions de Hiistorien des Trois Grandes-Loges. —
Louis-Philippe refuse pour son fils ain£ le titre de Grand-Mail re. — Les
Logos sontde nouveau abandonees par les adeptes. — Comment Rebold
explique ce phSnomOne. — Ce que Ton doit penserde ses explications.
— Francs-Ma§ons monarchists et Francs-Macons republicans.
— Ces derniers n’acceptent pas la nouvelle monarebie et fondent une
foule de society secretes. — VOrdre et le Progrds. — L* Union. —
La Socidtd des condamncs poll tig ucs et les Rdclamants . — La So-
cidtd gauloise, les Amis de la Patrie , etc. — Les Amis du Pen pie
et les Amis de la Veritd. — Manifestation des Amis du Peiqrfe. —
Principaux adeptes de cette Socicte. — Premiere tentative d’insurrec-
tion. — Foursuitcs dirigees contre les chefs de lemcutc et acquitte-
ment. — Complot des Tours Notre-Darae. — Les Droits de Vhomme
et ses diverses sections. — Insurrection et proems d’avril 1S34. — Les
Droits de Vhomme en province. — Les Mutuellistes. — Effusion de
sang dans les rues de Lyon. — Les Loges magonniques de cette ville
prennent part & la lutte. — Proems des principaux chefs des Droits
de Vhomme .
Apres avoir encense et trahi Napoleon, acclame la
Restauration et min<§ sourdement le trone de Charles X,
Outrages consults : Re hold , Histoire des Trois Grandes-
Loges . — Gyr, La Franc-Maconnerie en elle-mdme. — Lucien de la
Hodpe, Histoire des sociefes secretes et du parti republicain. — Louis
Blanc, Histoire de dix ans . — - Vaulabelle, Histoire des Deux Res -
taurations. — Le Play, La Rdforme en Europe et leSalut en France .
— Guizot, Mdmoires ; histoire parlemcntaire de France . — Horrer,
Les Socidtds secretes en Suisse , — Zeller, Histoire universelle .
Nota. — Les diverses histoires que Ton a Writes du r6gne de Louis-
Philippe doivent Stre consumes, si Ton veut connaltre en detail les
evenements que je me suis contents de rappeler en passant. Les
journaux de l^poque, dont on peut trouver la collection dans la plu-
CH. XX. — LA. F.\ M.*. SOUS LOUIS-PHILIPPE. 427
]e Grand-Orient se devait a lui-meme d’user des memes
precedes envers Louis-Philippe.
Rebold en fait l’aveu avec une franchise dont il convient
de lui tenir compte.
Voici comment il explique les palinodies criminelles de
l’Ordre :
« La Franc-Magonnerie, dit-il, s’etait livr4e entiere-
« ment a l’Empire, elle devait naturellement etre sus-
< pecte aux hommes de la Restauration, surtout apres
t la seconde chute de l’Empire. Malgre les beaux dis-
t cours des orateurs du Grand-Orient en faveur des
« Bourbons, tenus a la fete solsticiale du 24 juin 1814,
* discours qui sont et resteront un triste monument de
« cette deplorable dpoque, ils n’ont pu la preserver des
« persecutions dont elle a ete l’objot. Ces actes politiques,
« et partant si contradictoires, du Grand-Orient, que
« nous avons signales, contribuerent pour beaucoup k
€ ces deplorables rdsultats ; aussi plus de 450 Loges se
« mirent-elles en sommeil apres les Cent-Jours. Dans
« celles qui voulurent tenir I6te a l’orage et se maintenir,
* l’opinion royaliste domina. >
Rebold evite de dire quel fut le motif qui poussa ces
450 Loges a cesser leurs reunions. Les persecutions dont
il nous parle sont un ingenieux produit de son imagina-
tion. La preuve que rien n’emp&chait les Masons de con-
tinuer ce qu’ils appellent leurs travaux, c’est que les, Ate-
part des bibliothfcques publiques, ont racontS par le menu les fails et
gestes des soctetes secretes, de 1S30 & 1848. La Rdforme, le National
parmi les organes favorables aux sectaires, peuvent etre consults avec
fruit.
On trouvera des renseignements precis dans la Gazette de France et
la Quotidienne, pour Paris, et dans la Gazette du Lyonnais pour le
Rhone et la Saone.
428
PEMODE HISTORIQUE.
liers qui ne jugerent pas a propos de se dissoudre ne
furent nullement inquietes par le pouvoir.
Nous suppleerons au silence de Heboid, en disant quo
les Loges maconniques se depeuplerent au profit des
Ventes. Ajoutons que cette desertion en masse des adeptes
coincida avec le succes prodigieux qu’obtinrent, a Paris
et dans les departements, les anciens Philadelphes,
connus, a partir de ce moment, sous le nom de Carbo-
nari.
Si la Mae on none dormifc ou sommeilla, il n’en fut pas
de merae du Carbonarisine, ainsi que mes lecteurs ont
pu s’en convaincre.
La Revolution de 1830 depouilla une seconde fois dn
tronc les representants do notre vieille monarchic. Inutile
de rappeler que les Freres, deguises en Carbonari, for-
merent l’etat-major dc l’armee insurrectionnelle, si bien
que la principale occupation du Grand-Orient, en 1832,
fut de verscr sur les victimes des Trois glorienses des
larmes de regret et d’atlendrissoment.
Ce fait n’a pas echappe a 1’ attention de Rebold, ce qui
le met dans robligation decrire uu nouveau plaidoyer
pour justifier la conduite des Freres. Le debut de ce
morceau d’eloquence est un module acheve de tartuf-
ferie.
<t Les Constitutions maconniques de tous les pays, fait-
« il observer, interdisent aux Freres de s’occuper, dans
« le sein des Loges, de questions politiques, e’est-a-dire
« que les Macons ne doivent point discuter les actes poli-
« tiques ou administrates du gouvernement sous lequel
« ils vivent, interdiction qu’on ne saurait blamer, puis-
« qu’clle a pour but dc mettre les Loges a meme d’eviter
« tout conflit avec les pouvoirs profanes qui les tolerent
« ou les autorisent, ou tout sujet de zizanie entre les
« Freres eux-memes, a qui la tolerance maconnique fait
* une loi de respecter les opinions de chacun en fait de
CH. XX. — UFA M.\ SOUS LOUIS-PHIUPPE. 429
< religion et de politique, et l’on sait jusquA quel point
« les discussions de ce genre peuvent irriter les esprits. »
Voil& le principe. Yoyons maintenant de quelle ma-
niere l’historien des Trots Grandes-Loges a soin de l’in-
terpreter :
« Mais, ajoute-t-il, lorsqu’il s’agit de la liberty de la
a vie intellectuelle de tout un people, dont les droits sont
« foules aux pieds par le pouvoir, alors le devoir du
« Macon est tout trace : sa conscience de citoyen et la
« mise en pratique des principes de la Maconnerie doi-
3 vent l’emporter sur les restrictions reglementaires.
« Aussi est-ce avec satisfaction que nous citons le pas-
« sage suivant d’un discours prononce a la Loge Union
t et Con fiance de Lyon, par son orateur, le F.\ Kauff-
« mann, quelques jours avant les ordonnances de juillet.
« Les opinions qui y sont exprimees, jointes a tant d’au-
« tres emises non moins courageusement dans diverses
« Loges, sont un eclatant temoignage de l’esprit qui, k
« cette memorable epoque, a fait sortir de leur apathie
« non seulement la Franc-Maconnerie lyonnaise, mais
« encore les autres Macons frangais, qui se montraient
« en general infiniment plus avances sous ce rapport
« que le Gr.-Orient Iui-meme. »
Ce passage de Rebold peut se traduire ainsi : Le3
Macons ne s’occupent pas de politique. Les Constitutions
leur defendent de critiquer les actes du gouverncment,
lorsque le gouvernement no contrarie en rien leur
maniere de voir. Mais si le pouvoir s’avise de leur de-
plaire, les adeptes doivent faire semblant do se mettre en
sommeil, et organiser, sous des noms differents, des so-
cietes secretes aussi variees qu’anti-gouvernementales
qui battront en breche les homines dont elles veulent se
debarrasser. Le procede est simple et ofifre k la Magon-
430 PERIODE HISTOEXQtJE.
nerie une securite parfaite. Dans le cas ou il y aura toute
chance de reussir, les Loges elles-memes pourront s’en
nailer, aim de se manager la protection de celui ou de
ceux qui arriveront au pouvoir.
A yaincre sans profit, on triomplie sans gloire
Voici maintenant un extrait du discours qui ravit
d’enthousiasme l’excellent F.\ Rebold :
« Ils (les hommes de la Restauration) traitent un peuple
« eclaire comme on traiterait des brutes ; ils refusent
« des Iois devenues indispensables; ils demeurent sta-
t tionnaires, quand tout marche autour d’eux ; ils seront
« brisks dans le choc, semblables a ces rouages de ma-
« chines a feu, qui, detaches par la chute de quelques
« tenons, se trouvent seuls opposes au mouvement gene-
« ral et sont brisos par les engrenages qu’emporte un
« irresistible moteur. C’est en vain que ces hoinmes,
t revant un pouvoir brise et un empire theocratique
« tombe de vetuste; c’est en vain, dis-je, que ces
« hommes, interesses a l’ignorance des peuples, vou-
t draient empecher les lumieres de se r£pandre ; ils ont
* entrcpris une tiche au-dessus de leurs forces. La rai-
* son les repousse ; le bonheur du monde appelle leur
« defaite. L’instruction, et avee elle l’esprit de liberte ne
* peuvent plus retrograde!’ ; ils ne peuvent merne plus
« s’arreter ; il faut qu’ils marchent, qu’ils grandissent :
« c’est un char lance du haut d’une montagne rapide et
« qui descendra jusqu’au pied ; c’est un fleuve qui a
« monte sur ses rivages et qui roulera ses eaux jusqu’a
« la mer, en passant par-dessus toutes les digues qu’on
* lui oppose. »
On peut voir, en lisant avec quelque attention cet am-
phigourique morceau d'eloquenco, que le besoin de se
CH. XX. — LA F.\ M.\ SOUS LOUIS-PHILIPPE. 4gJ
livrer 4 la politique dans l’interieur des Logos ne se
faisait pas absolument sentir en 1830.
. * Apres les journees de juillet, poursuit Rebold, le
« Grand -Orient se reunit pour la premiere foisavecle
« Supreme-Conseil pour ofifrir une fete au F.\ general
« Lafayette. Elle eut lieu le 1G octobre a l’Hotel-de-Yille,
« sous le presidence du F.\ due de Choiseul(l), pair de
« France, et du F.'. comte Alexandre Delaborde, membre
« de la Chambre des deputes ; les F.\ F.\ Dupin jeune et
* Berville, avoeats, occupaient le banc de l’orateur. Tout
« se passa avec calme et dignite. Comme de raison, on fit
« des veenx pour la prosperity du roi des barricades et de
« sa famille. A cette occasion, les chefs du Grand-Orient
« songerent 4 donner un Grand-Maltre a la Maronnerie
« et fixerent leur choix sur le due d’Orl6ans ; des nego-
« ciations furent entamees 4 ce sujet ; mais elles n’eurent
* pas le resultat qu’on en esperait. »
Louis-Philippe , qui connaissait les Francs-Magons,
puisqu’il etait Franc-Magon lui-meme, s avail 4 quoi s’en
tenir sur les flagorneries de la Secte. II accepta leurs
voeux pour sa prosperity et celle de sa famille, mais il
refusa nettement de faire de son fils aine un Grand-
Maitre de l’Ordre.
La Magonnerie lui en garda rancune.
Plus de soixante Loges se mirent en sommeil. Voici
l’explication que l’ingenieux historien Rebold nous donne
de ce fait :
« Les tentativesinfructueuses.dont nous avons fait plus
« haut mention, dans le but d’engager le due d’Orleans 4
t accepter la Grande-Maitrise, prouverent suffisamment
* que le nouveau gouvernement n’ etait pas favorable 4 la
(1) Le due de Choiseul (lont il est ici question se rendit tristement
c6l6 bre vers la fin du r£gue de Louis-Philippe.
432
PERIODE HISTORIQDE.
* Franc-Magonnerie, bleu qu’elle l’eut acclame partout
« avec satisfaction. »
Cette affirmation de l’auteur concernant l’hostilite de
Louis-Philippe pour une Societe dont il etait membre a
quelque chose d’etrange. Mais ce qui suit est beaucoup
plus paradoxal encore.
« On n’ignorait pas non plus, poursuit 1'ecrivain macon-
nique, que le clerge etait hostile a l’institution, el il y
« avail lieu de supposer qu’il avail pu pousser le gouver -
t ncmenl a ne pas se prononcer en sa faveur. »
Le clerge exercant, en 1830, une influence assez consi-
derable sur le nouveau roi et ses ministres, pour les
amener a persecuter les Francs-Magons est une chose
tellement invraisemblable, que liebold aurait bien fait de
l’appuyer de quelques preuves. La conclusion quel’auteur
tire de cette coalition anti-magonnique des eveques et du
gouverncment do juillet est merveilleuse de logique. Je
priverais mes lecteurs d’un moment de douce gaite si je
ne la leur mettais pas sous les yeux.
« Aussi, fait observer le docte ecrivain, avait-on vu un
« grand nombre d’hommes qui, apres les evenements de
« juillet, s’etaient rallies aux Loges qu’ils avaient quittees
« prec^demment, les quitter de nouveau, entrainant avec
« eux beaucoup d’autres freres, qui motiverent leur deser-
< tion sur ce que l’institution n’avait plus de l-aison d’etre,
« que son role etait desormais terming, paisque la Revo-
« lution de juillet avail fait triompher les principes pro-
« pages par la Franc-Maconnerie ; de sorte que le Grand-
« Orient qui, a la fin de 1830, se trouvait a la tete de plus
« de trois cents Loges, n’en comptait plus a cette epoque
« (1831) que deux cent vingt-huit sous son obedience (1). »
(1) Rebold, Ilistoirc des Trois Grandes-Loges,
CH. XX. — LA. F.\ M.‘. SOUS LOUIS-PHILIPPE. 433
Les explications de Retold n’expliquent absolument
rien, et si les Francs-Macons se dSclarent satisfaits, apres
avoir lu ces billevesees, c’est qu’ils ne sont pas difflciles
en matiere de critique.
Faisons une fois encore ce que l’historien maconnique
£vite de faire, et assignons a cette desertion des Loges une
cause moins fantaisiste que celle qu’il a trouvee.
On sait que Favenement de Louis-Philippe au tr6ne de
France fut le resultat d’un escamotage. Si la plupart des
adeptes s’en montrerent heureux, parce qu’ils voyaient
dans le nouveau souverain un adversaire du clerge, il y
en eut egalement beaucoup dont le mecontentement se
traduisit par des manifestations qui n’avaient rien d’equi-
voque. II faut compter au nombre de ces derniers tousles
Macons politiciens qui avaient combattu la monarchic en
vue de la Republique, et dont le but n’avait jamais ete de
remplacer la brancheaineepar la tranche cadette. Trom*
pes dans leur attente, irrites contre ceux de leurs chefs qui,
trahissant la democratic, avaient porte Louis-Philippe
sur le pavois, ils quitterent les Ateliers, non parce que
le pouvoir etait clerical, puisque la Revolution de juillet
avail fait triomplier les principes de la Maconnerie, mais
parce qu’ils eprouvaient le besoin de battre en brcche la
dynastie d’Orleans. Ils se souvinrent de leur ancienne
emigration dans les rangs du Carbonari sme, sous
Louis XVIII et sous Charles X, ils se dirent que le mieux
Stait de recommencer contre les d’Orleans la lutte qu’ils
avaient soutenue avec quelque succes contre la Restau-
ration.
Le nouveau pouvoir etait k peine install^, que l’on vit
surgir de nombreuses societes secretes, toutes plus ou
moins calquees sur le Carbonarisme.
« L’etudiant Sambuc, dit M. de la Hodde, forme une
« association qui s’appelle : Societe de l' Or dr e et du
« Progres ; intitule fort plaisaut, car chaque membre est —
I’.’. M.-.
23
434 PERIODS HISTORIQUE.
« tenu d’avoir un fusil et des cartouches, choses qui
« n’ont pas grand rapport avec l’ordre ; et la societe, toute
t coraposee d’etudiants, entendait diriger l’Etat d’apres
« les idees du quartier Latin, ce qui ne serait pas posi-
* tivement du progr&s (1). »
A cette societe en succeda une- seconde, a la t6te de
laquelle etaient Marc Dufraisse, le mome qui a fait quelque
bruit en 1870, et Eugene l’Heritier. Les adeptes deman-
daiont l’abolition de 1’Universite. Ils voulaient, de plus,
que l’enseigneinent futlibre, gratuit,lai'queetobligatoire.
Comine on le voit, Jules Ferry, Paul Bert et consorts ne
sonfc pas predsdment les inventeurs des theories qu’ils
professent.
Presquo en memo temps apparaissait YUnion dont
l’existence fut ephemere. Ceux qui en faisaicnt partie
proclamaient la souverainete du peuple et s’obligeaieut
par serment a combattre si coups de fusils ceux qui
refuseraient de partager leur maniere de voir.
Ce genre do liberalisme est encore de mode.
Vint ensuite la Societe des coudamnes politiques. Elle
se composait en partie de declasses plus interess6s qu’in-
teressants. Ils exigeaient, entre autres choses, que des
recompenses fussent accordees a ceux qui avaient trouble
l’orclre sous la Restauration. Les Victimes du Deux-
Decembre ont parodie de nos jours, et, disons-le, avec
un rare bonheur, les membres de cette association. On
signale Fieschi parmi ceux qui obtinrent, a cette epoque,
une pension du gouvernement.
Les Reclamants se joignirent a la Societe des Condamnes
politiques. Ils auraient pu s’appeler, avec plus de raison,
les heros de Juillet, car ils pretendaient avoir combattu
pour la nouvelle dynastie, et reclamaiont a ce litre une
recompense nationale en especes sonnantes.
(1) Lucien be la Hodde, Histoire des socictds secretes et die parti
repitblicain.
CH. XX. — IA F.\ M.\ SOUS LOUIS-PHILIPPE. 435
La Societe Ganloise, lesriwzs de la Patrie et les Francs
regene’res formaient autantde Sectes politiques, disposes
k faire le coup de feu contre les suppdts du despotisms.
Garnier-Pages ressuscita , de son cote , l’ancienne
societe connue sous le nom de Aide-toi; mais il ne reussit
pas k lui donner beaucoup d’extension.
« L’association serieuse et preponderate de cette
« ipoque, dit Lucien de la Hodde, c’est la societi des
« Amis duPeuple. Son influence ne tarde pas aatteindre
* et h absorber tout le parti republicain ; c’est elle qui
* l’organise, l’dchauffe, le dirige .jusqu’aux journies de
« juin, ou elle disparalt dans une tempite sanglante.
i Avant de prendre la tete du parti, elle est precedee
« par une de ces associations pretendues maconniques,
* dont les formes ne dissimulaient aucunement le but
« revolutionnaire ; nous voulons parler de la Loge des
i Amis de la Verild, qui, le21 septembre, donna a Paris
c le spectacle d’une manifestation thi&trale passablement
« insolite. II s’agissait d’un anniversaire funebre , le
» supplice des quatre sergents de La Rochelle. Toutes les
« societes devaient y figurer ; mais les Amis de la Veritd
i y firent surtout de l’effet par leur mise en scene. Its
« s’etaient donne rendez-vous au lieu de leurs seances,
i rue de Grenelle-Saint-Honore ; 14, ils arreterent leur
« programme, revMirent leurs insignes, puis ils se ren-
i dirent processionellement place de Greve, oft les quatre
t conspirateurs avaient ete exicutis. M. Cahaigne, le
i venerable, couvert des marques de sa dignite, menait
« le cortege avec cette solennite particuliere que ses amis
( lui connaissent. Sur le passage, les postes, obeissant
« au pitoyable esprit de disorganisation du moment,
« sortaient des corps-de-garde, et, au son du tambour,
* portaient les armes aux tabliers et aux beaux cordons
« rouges des Masons. -
« Arrives sur la place, les Amis de la Verite sa
436 PEiuoDE msTOitiQUE.
< rangSrent en cercle au milieu d’une grande foule de
« peuple. II y avait la la plupart des patriotes de I’^poqtts
« et un contingent considerable du grand corps des
« badauds de Paris. Pared spectacle 6tait assez rare
< pour que les curieux s’en fissent une fete. Des orateurs,
* anciens Carbonari, prirent la parole pour celebrer
« l'her oisme des quatre sous-officiers, et maudire Facte
« d’un gouvernement qui n’avait fait qu’user du droit 1c
« plus legitime de defense. 11 appartenait sans doute a
« ces messieurs , parmi lesquels nous retrouvons
« M. Buchez, de plaindre le sort de leurs anciens com-
« pagnons ; seulement, ce qu’ils avaient a faire dans ce
« triste cas, ce n’etait pas de gloriiierun crime justement
« puni, mais bien de demander pardon a ces quatre
* victimes celebres, dont leurs conseils avaient prepaid
« la perte (1). »
Le gouvernement laissa faire. Comme il ne s’agissait
pas de manifester contre lui, la manifestation lui parut
inoffensive. C’etait une erreur.
Les Amis de la Verile ne tarderent pas a se fondre avec
les Amis da Peuple. Dans les rangs de cette derniere
society figuraient des hommes qui jouissaient d’une cer*
taine consideration et des jeunes gens qui soupiraient
apres un nouvel ordre de choses dont ils esperaient
beneficier.
Citons parmi les adeptes qui ont acquis quelque cele-
brite, a la faveur de nos troubles politiques, MM. Gode-
froy Cavaignac, Raspail , Marrast, Flocon, Blanqui,
Trelat, Antony Thouret, Charles Teste, Cahaigne, 13on-
nias, Bergeron, Guignard, Imbert, les deux Vignerte,
Felix Avril, Fortoul, Delescluze.
Tous ces jeunes gens parlcnt, ecrivent, s’agitent, se
font poursuivre et condamner par les tribunaux, et finis-
(1) Lucres de la IIodde, Histoire des socieUs secretes et du parti
rfyublicain.
CH. XX. — LA. f.*. m.\ sous louis-philippe. 437
sent par exercer autour d’eux un prestige qui va gran-
dissant, k mesure que se multiplient les mesures repres-
sives dont ils sont l’objet.
Ils ne se contentent pas de faire de l’agitation en
France. Leur propagande s’etend jusqu’au deli de nos
frontidres.
Lorsqu’ils se considerent comma suffisamment forts,
leur ambition ne se borne plus a remuer le peuple au
moyen des journaux qu’ils redigent et des brochures
qu’ils repandent. Ils provoquent des emeutes. Ils songent
mdme a assassiner le roi et a s’emparer de l’artillerie de
la garde nationale, avec la connivence des artilleurs qui
sont affilies a la Societe.
La revolte effraya un instant Paris.
A la suite de ces troubles, dix-neuf accuses parurent
en cour d’assises. Les plus connus etaient Godefroy
Cavaignac, les deux Garnier, Sambuc, Audry de Puyra-
veau, fils, Trelat, etc.
Les accuses ne nierent point les faits. Quelques-uns
mime se glorifierent de leur participation k l’dmeute.
Nonobstant cela, le jury se montra bon prince et acquitta
les prevenus. Le lendemain, 16 avril 1831, les desordres
recommencerent de plus belle, mais ils furent prompte-
ment reprimes.
Presque tout le mois de mars se passa en manifesta-
tions tapageuses.
Le 14 juillet suivant, Paris est en proie k de nouvelles
Emotions. Cette fois, les ouvriers du faubourg Saint-
Antoine, disent les uns, les agents de police deguisds,
disent les autres, tomberent sur les emeutiers a coups de
gourdins.
En septembre, la chute de la Pologne mit une fois de
plus les Amis du Peuple en mouvement. Le roi futinjurid
dans son palais, et Casimir Perier n’dchappa k la mort
qu’en faisant preuve d’audace.
Le 4 janvier 1832, les conspirateurs tentent un singulier
433
PERIODE HISTORIQUE.
coup de main. Le mouvement doit commencer par 1’in-
cendie des tours Notre-Dame. L’eveil est donne par un
des gardiens de l’edilice, et les coupables sont pris et in-
carceres. Pendant que les homines d’action de la Society
se compromettaient par cette prise d’armes, les chefs
avaient, de leur cote, maille a partir avec la justice, a
l’occasion des ecrits seditieux qu’ils publiaient. Les accu-
ses etaient Raspail, Blanqui, Gervais de Caen, Antony
Thouret, Hebert, Trelat, Bonnias, Rillieux, Plagnol.
Tous se defendiront comme on se defendait alors, c’est-d-
dirc en attaquant le pouvoir avec une violence inoui'e, et
furcnt condamnes a des peines derisoires.
Si, d’unepart, les Amis du Peup/e faisaient le desespoir
de la police, de l’autro, les affilics de la Chambre lan-
caient du liaut de la tribune des paroles passionnees qui
avaient dans le pays un grand retcntissement.
Parmi ces orateurs nous citerons Cabet, Audry de Puy-
raveau, de Ludre, Lafayette, Lamarque, Laboissiero et
Dupont (de l’Eurc).
Les 5 et G juin 1832. Paris faillit tomber aux mains des
Amis du Pcuple. Ce no fut qu’apres deux jours de lutte,
quo les troupes et la garde nationale vinrent a bout de
l’insurrection. Cabet et Garnior-Pages aine furent pour-
suivis a l’occasion de cette alfairo.
A la suite de cet ecliec, la society des Amis du Peuple
subit une transformation quo je crois devoir signaler.
« Vers la lin de 1832, dit de la Hodde, les homines les
* plus capables du parti, pour ne plus cstre traines a la
« remorque des conspirateurs secondaires, deciderent de
« se mcttre a la tete des Droits de I'homme, et d’y ratta-
i clier tous les revolutionnaires. Ils elaborerent un plan
« d’organisation qui fut adopte sur les bases suivantes :
« Un comite compose de onze membres, appeles direc-
« tours; sous les ordres des directeurs, douzo cominis-
* saires, un par chaque arrondisseinent ; puis quarante-
CII. XX. — LA. F.\ M.*. SOUS LOUIS-PHIUPPE. 439
« huit coramissaires de quartier, subordonnes aux com-
« missaires d’arrondissement, Les commissaires de
« quartier etaient charges de former des sections com-
« posees d’un chef, d’un sous-chef, de trois quinturions
« et de vingt membres auplus. Ce chiffre de vingt mem-
« bres etait fixe pour eluder la loi ; dans le merne but,
* chaque section devait porter un nom different. A la
« rigueur, on pouvait admettre que c’etait autant de
« societes differentes, se tenant par leur nombre dans les
« prescriptions du code.
i Un certain nombre de sections furent immediatement
« organises ; elles nommerent leurs chefs, puis ceux-ci
« furent invites a elire les directeurs. Le scrutin donna
« la majorite aux personnages suivants, qui furent pro-
« clames membres du comite : MM. Audry de Puyra-
« veau, Yoyer-d’Argenson, deputes ; Kersausie, G. Cavai-
« gnac, Guinard, N. Lebon, Berryer-Fontaine, J.-J. Yi-
< gnerte, Desjardin, Titot et Beaumont (1). »
La Society, sous la direction de ces chefs, dontla haute
intelligence egalait le zele et l’activite, prit une extension
rapide. La prefecture de police ne tarda pas a en decou-
vrir l’organisation. Mais les tribunaux se declarerent
impuissants, les conspirateurs ayant eu soin de respecter
la lettre de la loi.
Chaque section prenait un nom different. Parmi les
designations adoptees se trouvaient les suivantes : Les
A lontagnards, Louvel, Marat, les Truands, Babceuf,
Robespierre , le Bonnet phrygien, Couthon, Lebas, Saint-
Just, le Niveau, le Qa ira, etc.
dependant les bas-fonds de la societe continuaient a
s’agiter, et parfois a entralner les chefs plus loin qu’ils
ne l’auraient voulu. En 1833, le 14 juillet, une emeute
formidable faillit eclater. Mais la police, prevenue, cerna
(1) Lucies de la Hodde, HUtoire des societds secretes et du parti
rijpublicain .
440 PERIODE HISTORIQUE.
les sections et mit ainsi obstacle a cette nouvelle levee de
boucliers.
Panni les individus compromis en cette circonstance
et traduits devant les tribunaux, nous remarquons
MM. Raspail, Noel Parfait, Latrade, Langlois, Chavot et
Kaylus. Leurs avocats, Michel (de Bourges), Dupont et
Pinard se montrerent d’une vehemence telle que le tri-
bunal les suspendit de leurs fonctions, Dupont pour uue
annco, Pinard et Michel (de Bourges) pour six mois.
Mes lecteurs se souviennent du role qu’Armand Carrel
joua a Belfort comme Carbonari, sous la Restauration.
Nous le retrouvons, h l’epoque oh les Droits de I'homme
tenaient Paris en emoi, A la tete du National, l’un des
organes de la Societe.
La province n’etait pas moins bien organisee que Paris,
l’agitation de la capitale eut, a tli verses reprises, un
serieux contre-coup a Lyon, a Grenoble et ailleurs.
Cependant la sociSte des Droits de I'homme parut insuf-
fisante aux conspirateurs, qui creerent un certain nombre
de societes annexes, dont les principales etaient la Com-
mission de Propaganda et la Societe pour la defense de la
presse.
La Commission de Propagande avait pour but de jeter
la division parmi les patrons et les ouvriers. Gr&ce & ses
efforts, on vit, a la fm' (le 1833, tous les corps de metier
de la capitale deserter les Ateliers et se mettre en greve.
Les procodes employes par nos Collectivistes ne sont done
pas absolument nouveaux.
Le 13 avril 1834, les rues de Paris furent une fois de
plus inomlees de sang. Mise au courant des projets des
Droits de I’homme, la police avait pris ses mesures,
grace a l’onergie de M. Thiers, alors ministre de l’int§-
rieur.
Malhoureusement pour les conspirateurs, la plupart de
lours chefs etaient sous les verrous. II leur restait
cependant le capitaine Kersausie, Blanqui , Bavbes,
CH. XX. — LA. F.\ M.‘. SOUS LOUIS-PHILIPPE. 441
Sobrier et quelques autres meneurs dont I’exaltation
n'etait pas toujours moderee par la prudence. — Disons,
toutefois, que les hommes vraiment intelligents du parti
r^pugnaient & toute tentative d’iusurrection.
Le capitaine Kersausie parcourait les sections et
donnait des ordres, lorsqu’arrive pres de la porte Saint-
Denis, il fut saisi par la police et conduit a la mairie du
7 e arrondissement.
A cette nouvelle, les emeutiers ci-ient aux armes et se
repandent dans les quartiers Saint-Mery, Saint-Denis et
du Temple. Des barricades sont construites sur la rive
gauche et enlevees par la troupe et la garde nationale.
Celles des rues Saint-Mery, Chapon, Geoffroy-Langevin,
Transnonain et du Poirier sont detruites a leur tour.
Le lendemain le combat recommence et se termine par
la defaite des insurges.
Quelque temps auparavant Godefroy Cavaignac
s’etait rendu a Lyon pour y organiser une succursale
des Droits de Vhomme. A la t&te du comit6 directeur,
charge de mener l’ceuvre a bonne fin, nous voyons figurer
Jules Favre. Le celebre avocat, s’etant apercu qu’il
s’agissait d’autre chose que de prononcer des discours, se
retira prudemment, laissant a de plusoses que lui le soin
de tirer les consequences d’un principe qu’il eut volon-
tiers soutenu, s’il avait sufii de le faire en un langage
eloquent et harmonieux.
Les adherents arriv&rent en foule.
On songea alors a enrdler dans la societe nouvelle les
Mutaellistes, recrutes exclusivement parmi les ouvriers
tisseurs de la Croix-Rousse.
Cette association dont le nom meme indiquait les ten-
dances ne se proposait pas un but politique. L’autoritd
civile l’avait d’abord encouragSe. Les patrons et les
membres du clerge en etaient, comme sousci’ipteurs
honoraires, et contribuaient de tout coeur a en assurer
la prosperity
442
P32RIODE HISTORIQUE.
Les Droits de I'homme , comprenant le parti qu’ils
pourraient tirer de ces braves travailleurs, s’ils parve-
naient a les convertir k leurs idees, ne negligerent rien
pour triompher de leurs scrupules.
Ils y arriverent sans trop de difficulties. Leur premier
soin, apres s’etre introduits dans la place, fut de fomen-
ter une greve. La situation devint grave un instant, puis
le calme reparut. Mais, a la nouvelle que les Chambres
etaient cn train de preparer une loi contreles associations,
les Mutucllistes qui appartenaient aux Droits de I homme
dcclarercnt qu'ils n’obeiraient pas a la loi. Le gouverne-
ment, resolu a agir avec enorgie, fait emprisonner les six
principaux instigatcurs cle la greve. Leurs compagnons
exaspcres se disposont alors a prendre les armes, Les
chefs des Droits de I’homme les calment de leur mieux ct les
engagent a attendre qu’unc action generate soit decidee.
Une reunion des societes secretes et des corporations
ouvrieres a lieu. Les Mutucllistes. les Droits de l’ homme,
les Independants , la Societe dit Progrcs, Y Association pour
la liberie de la presse, les Unionists , les Francs-
M aeons, etc., etc., etaient represcutes par les membres
de leurs comites respcctifs a ces assises d’un nouveau
genre.
II fut convenu que l'iusurrection aurait lieu le 9 avril.
Ce jour-la, on effet, les soldats de l’emeute allerent
bravement au feu ct se batliront avec un courage que les
troupes elles-memes furent contraintes d’admirer. Mais
on constata une fois de plus que les chefs du mouvement,
a l’exccption de deux on fcrois, s’etaient vaillamment
tenus a l’abri du danger.
La propaganda des Droits de I’homme etait alors des
plus actives dans les principales villes de France. Saint-
Etienne, Clermont, Grenoble, Vienne, Marseille, Cha-
lons, Luneville, Epinal, Dijon, Metz, Nancy, etc., avaient
des comites et des sections, et rccovaient le mot d’ordre
de Paris.
CH. XX. — LAF.\ M.\ SOUS LOUIS-rHILIPPE. 443
Les chefs principaux de ces diverses soeietes de pro-
vince etaient, a Saint-Etienne, les Caussidiere; a Perpi-
gnan, les Arago; a Dijon, James de Montry; a Grenoble,
Saint-Romme, le pere du depute actuel. A Luneville et &
Nancy, les Droits de Vhomme avaient des adeptes dans
les qualre regiments de cuirassiers qui tenaient garnison
dans les departements de la Meurthe et des Vosges.
Au nombre des militaives qui faisaient pavtie de la Secte,
nous remarquons le marechal des logis Clement Thomas,
le m&ne qui mourut fusille par les homines de la Com-
mune en 1872 -
Dans toutes les villes que je viens de citer, les de-
sordres furent plus ou moins graves.
Le gouvernement ne voulut fairc qu’un seul proc6s
pour tous les accuses, a quelque partie de la France qu’ils
appartinssent. La Cour des pairs eut mission de statuer
sur leur sort. Parmi les avocats benevoles que les preve-
nus chargerent de leur defense, nous voyons figurer
MM. Barbes, Blanqui, Flocon, Marc Dufraisse, Ras-
pail, Carrel, Fortoul, Ledru, Ledru-Rollin , Pierre
Leroux, Jean Reynaud, Carnot, Auguste Comte, Garnier-
Pages, Lamennais, Marie, Jules Favre, Michel (de Bour-
ges), etc. Cette armee de defenseurs, dont la plupart
n’appartenaient pas au barreau, etait placee sous la
direction d’un comite, compose de Godefroy Gavaignac,
de Marrast et de Caussidiere.
Je ne signalerai pas toutes les societ4s secretes qui
virent le jour pendant le regne de Louis-Philippe. Ce serait
beaucoup trop long et je m’exposerais h de nombreuses
redites. Je citerai cependant encore la Societe des fa-
milies , fondle par Blanqui et Barbes, et dont le mode
de reception rappelait, dans quelques-uns de ses details,
la secte des Illumines ; cello des Saisons, qui se composa
des debris de la precedence et essaya a son tour, mais
sans succes, de lutter les armes a la main; des Monta-
gnards, dont le role fut un peu efface; des Non-
444
PE MODE HrSTOMQUE,
velles Saisons, des Egalitaires, de la Societe dissidente.
Les Saisons et la Society dissidente furent celles qui
deciderent, en grande partie, du sort de la Monarchie de
JuilJet.
Mes lecteurs savent maintenant ce qu’etaient devenus
les Francs-Magons que le F.\ Rebold nous represente
comme desertant les Loges, en 1830, ou parce que Jo
clerge exergait sur Louis-Philippe une influence malheu-
reuse, ou parce que l’avenement du nouveau roi repon-
dait aux vceux et aux tendances politiques de l’Ordre.
Lorsque nous passons en revue les chefs des diverses
societes secretes qui troublerent, pendant dix-huit ans,
la tranquillity publique, k Paris et dans les departements,
il est facile de constater que tous etaient sortis des Ate-
liers magonniques. Ce qu'il fallait demontrer pour l’edi-
fication de ceux qui croieut a l’innocuite de la Secte.
CHAPITRE XXI
La F.\ M.\ et la Revolution de 1848.
So mm Aire, — En quoi Louis-Philippe plaisait et d^plaisaifc aux Loges
— Anecdote racont^e par Louis Blanc k loccasion du sac de Tarche
vech£ en 1831. — Conspiration de Didier et bienveillance dont sa
famille fut 1’objet de la part de Louis-Philippe. — La veuve du e6t6
gauche de Louvel et la dynastie de juillet. — Apostrophe de Tr6lat
aux Macons apostats de la chambre des pairs, lors du proems d’Avril.
— Les id^es r^publicaines recommencent k prendre le dessus au
Grand-Orient et dans les Ateliers de province. — Congres ma$on-
niques de la Rochelle, de Rochefort, de Saintes, de Toulouse, de
Strasbourg, etc. — Le Grand-Orient s£vit contre les congressistes. —
Pourquoi? — La Rt?publique de 1848. — Manifestation du Grand-
Orient. — Creation d’une Grande-Loge nationale. — Quel etait son but.
— Elle se rend k rHotel-de-Ville et adhere h. la Republique. — Son peu
de succds et sa suppression. — La Maconnerie recommence k faire de
la politique. — Le prince-president signale le fait au Grand-Orient
qui ferme les Loges incriminees. — La Solidarity rtpublicaine, —
La Marianne . — Les Francs-Ma$ons frangais, desireux de faire leur
cour k Louis-Napoleon, nomment Grand-Maitre le prince Murat. —
La Revolution de 1848 a ete l’oeuvre de la Maconnerie europeenne.
Rebold feint l’ignorance lorsqu’il cherche a expliquer,
en s’appuyant sur des raisons qui n’ont rien de serieux,
la retraite d’un grand nombre de Masons apres l’avene-
ment de Louis-Philippe. II sait que les adeptes etaient
scindes en deux fractions parfaitement distinctes, les
monarchistes et les republicans. Les premiers resterent
Outrages consults. — En dehors des ouvrages ma^onniques cites
dans le cours de ce chapitre, j'ai d6 me borner k parcourir les journaux
du temps, et les diverses histoires que l*on a ecrites du r£gne de Louis-
Philippe. Les ecrivains de la Maconnerie que j’ai relates ne parlent des
dveneinents qu’avec les plus grandes reserves pour ne pas encourir
les censures dont le Grand-Orient a coutume de frapper les indiscrets.
On trouve cependant quelques indications pr^cieuses dans les Revues
ma$onniques. Mais il faut avoir soin de lire entre les lignes.
446
PERIODE HISTORIQUE.
dans les Loges, les seconds en sortirent. Les societes se-
cretes dont nous venons de parler furent l’ceuvre de
la Ma?onnei’ie anx tendances democratiques.
Louis-Philippe ne deplaisait aux Elements schisma
tiques de l’Ordre que comme sonverain. Abstraction faite
de la politique, il 6tait en communion d’idees avec les
Amis du pevple, les Montagnards et les Egalitaires eux-
memes. Le Roi-Citoyen supportait l’Eglise, mais il ne
l’aimait pas. Il avait cela de commun avec les agitateurs
qui n’ont cesse do fairo appel aux passions demagogiques
pendant les dix-huit annees de son regne.
« Lorsque la Revolution de juillet eclata, (lit le
« F.\ Clavel, les membvcs de la Loge des Amis de la
« Verite furent les premiers h prendre les armos. On les
« voyait au plus fort du danger, animant, par leurs pa-
ir roles et par leurs exemples, les combattants a redou-
« bier d’efforts pour obtenirla victoire. Deaucoup peri-
* rent dans la lntte. Le .°»1 juillet, lorsqu’il s’agissait,
« dans les Chambros, dc placer sur le trune la famille
* d’ Orleans, la Loge fit placardcr sur les murs de Paris
« une proclamation, dans laquellc elle protestait contre
* toute tentative qui aarait pour but de fonder une dy-
t nastie nouvellc sans l' avis et le conscntement de la
« nation (1). »
Aussi. Louis-Philippe ne negligea-t-il rien pour s’atta-
cher les sommites de la Maconnerie au concours des-
quelles il devait sa couronne.
Talleyrand fut nomme ambassadeur a Londrcs. Le due
Decazes, dont la courtisannerie sous la Rostauration fut
un sujet de scandale, devint grand referendaire dc la
Chambve des pairs. Lafayette, Cousin, Dupont (de
l’Eure), Guizot, Adolphe Thiers, et autres Macons et
(1) Clavbl, Ilisloire pUtoresque des socitftds secretes.
CH. XXI. — F.\ M.\ ET REVOLUTION DE 1848. 447
Carbonari arriverent aux plus liautes dignites des le
debut du nouvel ordre de choses.
Le National, dont les renseignements ne sauraientetre
suspects, constatait avec franchise ce fait caracteristique
dans son num6ro du 5 juin 1839 :
« Lorsque , disait-il, le Carbonarisme s’etablit eu
« France, suivant les formes que des hommes, a cette
« heure pairs de France et f onctionnaires publics, allerent
« chercher en Italie et en Allemagne, il eut pour but le
« renversement de tout pouvoir irresponsable et heredi-
« taire. On ne peut y etre affilie sans prefer serment de
« haine aux Bourbons et a la royaute. En quelques lieux
« m6me ce serment 4tait prononce sur un crucifix et sur
« un poignard. 11 y a des deputes et des pairs qui s’en
t souviennent. »
Ils s’en souvenaient certainement. Mais, partant de ce
principe qu’il est avec le del des accommodements, et
avec sa conscience aussi, ils montrerent pour Louis-
Philippe une sympathie qu’ils avaient refusee A
Louis XVIII et a Charles X, parce que Charles X et
Louis XVIII n’avaient jamais songe a les combler de
faveurs, n’etant ni l’un ni l’autre affilies aux Loges.
Les tendances antireligieuses du nouveau souverain
leur faisaient esperer que, sous son regne, les Francs-
Magons atteindraient une partie de leur but. Voici, a ce
propos, ce que Louis Blanc nous raconte en parlant du
sac de l’archeveche en 1831 :
* Trop faible pour lutter contre les demolisseurs,
« M. Arago envoya le frere do M. de Montalivet deman-
• der du renlort au commandant general de la garde
« nationale. L’envoye ne reparut pas; il ecrivit que les
* secours allaient arriver; ils furent vainement attendus.
t La surpi’ise de M. Arago etait extreme. Il s’expliquait
448
PSRIODE HISTORIQUB.
< malaisement que le pouvoir se fit complice de l’emeute.
* Des ouvriers etaient occup^s a abattre la croix de la
< cathedrale, il voulut les en empecher; ils repondirent
* qu’ils ne faisaient qu’obeir k V autorite, et montrerent
« un ordre signe du maire de l’arrondissement. Temoin
<t de cette lugubre comedie, M. Arago fremissait de son
« impuissance, et comme savant et comme citoyen. Con-
« vaincu enfin qu’il y avait parti pris de la part du pou-
« voir de favoriser l’emeute, il allait donner ordre a son
« bataillon d’avancer, decide a tout plutot qu’a une resi-
« gnation grossiere, lorsqu’on vint l’avertir quequelques
« personnages mar quants, meles aux gardes nationaux,
« les engageaient a laisser faire. On ltd cita particuliere-
« ment M. Thiers, sous-secretaire d’Etat au ministere des
« finances. Il l’apercut, en effct, se promenant devant ces
« ruines avcc un visage satis fait et le sourire sur les
« levres. »
« Yers trois heures, une legion de la garde nation ale
t parut, mais pour parader seulement autour de 1’edifjce ;
« et comme M. Arago invitait le commandant, M.Talabot,
« a entrer dans l’archeveche, pour que du moins l’emeute
« fut chassee du theatre de ces devastations : J’ai ordre,
* repondit M. Talabot, de paraitre ici et de m'en re-
« tourner (1). »
En mai 1816, Didier, ancien conseiller a la Cour de
cassation, organisa dans l’ls&re une insurrection que 1’on
reprima sans trop de peine. L’ affaire ayant echoue,
Didier n’eut rien de plus presse que de passer la fron-
tiere. Arret e dans sa fuite, il fut livre par le gouverne-
ment piemontais, condamn6 a mort et execute le 10 juin.
A partir de ce moment, sa famille recut des secours
d’une main inconnue.
(1) Louis Blanc, Ilistoire dc disc ans •
CH. XXI. — F.\ M.*. ET REVOLUTION DE 1848. 449
« La Revolution de 1830, dit Ducoin, est venue en par~
« tie lever le voile qui pesait sur ce mystere. La cons-
« tante faveur dont M. Didier fils n’a cesse de jouir et
« qu’il merite a tous egards d’ailleurs, les fonctions impor-
« tantes qu’on lui a confines successivement jusqu’a
« l’heure de sa mort, temoignent d’une maniere eclatante
t quelle cause son pere avait servie (1). »
II n’y a pas jusqu’a la femme avec laquelle Louvel
vivait publiquement qui ne devint l’objet des faveurs
royales en 1830.
Notons qu’il s’agissait, cette fois, d’une veuve de la
main gauche, et qu’il etait par la meme difficile de
justifier labienveillance du souverain envers elle.
Je pourrais citer encore plus d’un fait de ce genre, et
prouver : 1° que Louis-Philippe ne fut pas etranger aux
agissements politiques de la Franc-Maconnerie h cette
epoque ; 2° que, nonobstant son peu de bienveillance pour
l’Eglise, il ne parvint jamais it se concilier l’affection des
adeptes republicains ; 3° que ceux-ei regarderent toujours
les Macons rallies au pouvoir comme des parjures.
Trelat, un des accuses d’Avril, sc defendant lui-ineme
a la Chambre des pairs, s’ecriait :
* II y a ici tel juge qui a consacre dix am de sa vie h
« developper les sentiments republicains dans l’ame des
« jeunes gens. Je l’ai vu, moi, brandir un couteau en
< faisant l’eloge de Brutus. Ne sent-il done pas qu’il a
« une part de responsabilite dans nos actes ? Qui lui dit
« que nous serions tous ici sans son eloquence republi-
« caine? J’ai la, devant moi, d’anciens complices de
« Charbonnerie ; je tiens a la main le serment de l’un
« d’eux, serment a la Republique, et ils vont me con-
* damner pour etre reste fidele au mien. »
(1) Ducoin, Conspiration cle Didier,
450
PERIODE HISXORIQUE.
Cette apostrophe de Trelat est toute une revelation.
La Magonnerie republicaine parvint, a force de perse-
verance, a, faire penetrer ses idees dans les anciennes
Loges. Plus d’un adepte se fit initier avcc l’arriere-pensee
de democratiser les Macons imbus d’idees monarchiques.
Bientot le personnel des Ateliers et du Grand-Orient lui-
m6me cessa d’etre homogene. II en resulta un malaise et
des tiraillements que constatent la plupart des auteurs
magonniques.
Le F.\ Rebold, parle, k diverses reprises, de la coterie
de Macons retrogrades qui s’opposaient a toute espece de
progres.
Cette resistance finit par decourager les ardents de la
Secte.
* Chacun, dit Rebold, voyait les intelligences s’en de-
« tacber de plus en plus, la vie se retirer des centres
* pour aller animer les extremites ; les Ateliers, n’ayant
« plus foi uu Grand-Orient, s’isoler, s’organiser, suivant
« lours vucs individuelles, et tendre a s’affranchir d’un
* pouvoir inhabile, qui n’etait mSme plus capable de les
« proteger, lorsqu’ils etaient denonces injustement a la
* police par des hommes faisant metier de delateurs. »
Rebold ajoute, quelques lignes apres :
« Ndanmoins nous rendons ici justice ti cette minorite
* courageuse, qui lie cesse de lutter pour rendre a la
* Franc-Maconnerie la consideration et l’importance
« qu’une administration incapable lui a fait perdre;
« (’litre autres membrcs de cette minorite, qu’il nous soit
« jiermis de nommer les Freres Bertrand, Bugnot, Jobert,
« Chaiassin, Ronchat, Barjaud, Lourmand, etc. (1). »
(1) Rkbold, Ulsloire des Trois Grandes-Loges,
CH. XXI. — F.\ M.\ ET REVOLUTION DE 1848. 451
Tandis que le Grand-Orient s’agitait dans le vide,
obeissant un jour a l’impulsion des progressistes, et re-
venant le lendemain sur ses pas, sous l’influence de la
coterie retrograde, les Loges de province etaient comme
agitees par un souffle mysterieux.
t A cette epoque, dit Heboid, on constate un mouve-
« ment prononce dans les travaux des Loges de province,
« tant de celles du Grand-Orient que de celles du Su«
f preme-Conseil (rite ecossais). On s’y occupe serieuse-
t incut des questions d'interets ma^o uniques et sociaux;
« on y traite celles du pauperisme et de l’histoire de
* notre institution ; enfin un grand nombre d’Ateliers
« declarent vouloir s’occuper de tout ce qui louche a I'ha-
* manite , d la regeneration, an bien-ctre des masses ,
« toutos questions du domaiiie de la Franc-Maconnerie,
« et no vouloir plus sc renfermer dans le cercle ctroit
* gu’on lew avait assigne jusqu' a/ors. Ces Loges se con-
< eerterent et deci derent de reunir en un faisceau les
« efforts Spars des Ateliers isoles pour travailler en
« conmiun a la realisation du but de l’institution. II
t resulta de ce mouvement que daus les annees 1845,
* 1846 et 1847, des Loges de plusieurs Orients et nolam-
* ment ceux de la Rochelle, de Rochefort, de Strasbourg,
* de Saintes, de Toulouse, de Lyon, de Montpellier, de
« Montauban, de Perpignan, et appartenant a l’obedieuce
* du Grand-Orient, declarerent que les bases de l’iusti
« tution, reposant sur les principes de la morale la plus
* pure, elles ne pouvaient rester etrangeres aux iddes
t progressives et genereitses qui se manifestaient de toutes
* parts, et qu’elles avaient forme le projet de se reunir
« par Orient, et de d^battre aussi les grandes questions
« d’oii depend le bonheur de l’humanite. »
Pour qui connait la phras4ologie ma?onnique, le lan-
gage de Rebold signifie simplement que l'element demo-
452
piSriode historiqtje.
cratique s’etait developpe dans les Loges de province,
en 1847, et refusait nettement de subir la pression des
voltairiens imbus de monarchisxne du Grand-Orient de
Paris. Toujours habile it travestir la verite, Rebold con-
tinue en ces termes :
« Le Grand-Orient, mal instruit sans doute sur les
« veri tables motifs de ces reunions qui prenaient la qua-
« lifxcation de Congres, au lieu d’encourager, de soutenir
« d'aussi nobles intentions, conQUt de l’ombrage ; et ne
« voyant dans le mouvement qui se manifestait dans les
« Loges dcs departments, particulierement dans celles
« de son rcssort, rien autre chose que l’intention de se
« soustraire si sa direction et de creer des pouvoirs nou-
* vcaux, il cominenga par dissoudre le conseil central
« forme a Lyon par les venerables des douze Loges de
a cet Orient, conseil qui avait deja produit de grands
* resultats ct qui avait fonde uno societe de patronage
« pour les enfants pauvres; puis il interdit la Loge
« Monlhyon, Orient de Saiutes, qui avait tenu un con-
« gres ; il reprimamla les Loges de Toulouse pour avoir
* aussi convoque une asscmblee qui avait eu lieu dans
« leur Orient, et il defendit aux Loges de Bordeaux de
« sc reunir l'aunee suivante. »
Si les Ateliers ainsi maimenes par les chefs de la
Macon nerie avaient affiche dans leurs congres une vive
sympathie pour la dynastie regnante, ils n’auraient pas
eu a subir les admonestations et les censures qui vinrent
les frapper. La majorite retrograde, la coterie cl’encroutes
qui dominait au Grand-Orient n’etait pas mal instruite
sur les veritables motifs de ces reunions, au contraire, et
si eile fit preuve d’intolerance, e’est parce qu’elle vit que
l’element democratique menagait de la deborder.
A la suite de l’acte de vigueur auquel le Grand-Orient
crut devoir se resigner, en vue d un interet politique, la
CH. XXI. — F.\ M.\ ET REVOLUTION RE 1848. 453
plupart des adeptes contre lesquels la coterie retrograde
avait sevi se rctirdrent ou devinrent inactifs, nous dit le
meme ecrivain. L’inaction des progressistes ne fut point
ce que l’on pourrait supposer, en lisant l’historien des
Trots Grandes-Loges. Lui-merne en est si bien convaincu,
qu’il s’abstient avec soin de faire certains rapprochements
qu’un historien s4rieux ne saurait negliger.
« Pas d’effet sans cause, dit un eerivain que j’ai cite
« plusieurs fois deja ; pas d’effet dont les caracteres prin-
« cipaux ne doivent se retrouver dans la cause qui l’a
« produit. La Revolution de 1848 est un grand fait histo-
( rique qtii doit avoir une cause quelconque ; car, moins
« que toute autre chose, les revolutions ne s’improvisent.
« Pour operer une revolution, il faut s’y preparer de
« longue main, en echauffant les tetes et les caws par la
« perspective d’un but qui sourie aux masses ; en pre-
« voyant les obstacles qui pourraient entraver l’execu-
« tion du projet, en multipliant les moyens qui assurent
* le triomphe, en adoptant des chefs populaires dont le
« nom commande l’obeissance. Pour operer une revolu-
« tion, il faut que les differents centres de population
t soient mis en rapport et se concertent pour agir sopa-
* rement dans le meme sens, le meme jour et ji, la meme
r heure, ou conviennent d’un lieu de reunion oil toutes
« les forces seront concentrees par un coup de main d<§-
* cisif. Si la Revolution est europeenne, il faut que la
* cause le soit egalement ; plus vaste est le theatre ou
* elle se developpe, plus r^pandue et plus universelle
t doit etre la cause, mieux organise doit etre le mouve-
« ment. Si l’une ou l’autre de ces conditions fait defaut,
* la Revolution n’est pas possible; elle aboutirait certai-
t nement a une ridicule echauffouree (1). »
(1) Gyr, La Franc Maqonnerie en clle-meme.
454
P^RIODE HISTORIQUE.
Ces considerations generates sont d’une justesse que
personne ne contestera. L’auteur en tire cette conclu-
sion que la Revolution de 1848 fufc l’ceuvre de la
Franc-Magonnerie, parce que seule la Franc-Magonnerie
reunit en elle les conditions d’unite, de duree, d’uni*
versa! ite et d’entente neccssaires pour produire en Eu-
rope line semblable commotion.
11 fait observer avoo raison que les pretextes mis en
avant pour expliquer la levee de boucliers qui eut pour
consequence la chute de Louis-Philippe ne sont pas sc-
rieux. Le evi de la reforme, dit-il, n’etait qu’un mot
d'ordre et non i'expression d’un voeu du pays.
Quarante-huit heures avant que n’eclatat la Revolu-
tion, la France ne songeait pas a la Republique. Maisles
Logos y avaient pense pour elle.
Le 18 aofit 184(5, un congres magonnique europeen
s’ouvrait a Strasbourg. Ceux <le Rochefort et de la Ro-
chelle l'uvaient precede, comme la reunion des commis-
sions parlementaires precede, a la Chambre, la discus-
sion des lois en seance publique.
Les deputes des Loges frangaises, suisses et allemandes
s’y rendirent en grand nombre. Parmi les delegues les
plus connus se trouvaient MM. Cremieux, Cavaignac,
Ledru-ltollin, L. Blanc, Caussidiere, Proudhon, Mar-
rast, Marie, Vaulabelle, Felix Pyat. Quelques ecrivains
citenl Lamartine comme faisant partie de la delegation
frangaisc, mais je ci’ois pouvoir affirmer qu’ils se trom-
pent. L’auteur des Meditations ne faisait pas partie de ce
convent. L’Allemagne etait representee par Fiekler, Her-
vvegh, Hecker, Ruge, de Gagern, Blum, Bassermann,
Jacoby, Feuerbach. Simon, Welker, Ileckscher, etc. Re-
hold pretend que les congressistes s’oecuperent des
liberie's sociales et des ameliorations que la Magonnerie
pout ait tenter enfaveur des ouvriers . « D’autres questions
* graves, ajoute l’anteur magonnique, y furent egalement
t trailecs. » Quelles etaient ces questions dont Rebold
CH. XXI. — F.\ M.\ ET REVOLUTION DE 1848. 455
constate la gravite ? On peut trouver la reponse a cette
interrogation en etudiant de pres l’agitation dont
l’Europe fut le theatre dix-huit mois apres.
Je ne retracerai pas le tableau des evenements qui
precederent les journees de fevrier. Je me bornerai a
rappeler certains faits qui se rattaehent directement a
l’histoire de la Maconnerie.
Le Gouvernement Provisoire etait a. peine installe,
que la Secte s’empressait de donner a la Republique un
temoignage de devouement.
A la suite d’une reunion extraordinaire qui eut lieu le
4 mars 1848, le Grand-Orient fit connaitre aux Loges de
son obedience la satisfaction que lui causait l’avenement
de la democratic. De plus, il leur annoncait : 1° que,
fidele a ses antecedents, il avait ouvert une sonscription
en faveur des victimes de la guerre civile, souscription
& laquelle il les priait de concourir dans la mesure de
leurs ressources ; 2° qu’il avait decide d’exprimer au
Gouvernement Provisoire toute sa sympathie, pour les
principes qu’il professait, principes qui ne differaient en
rien, ajoutait-il, de ceux de la M;u'onneric.
La demonstration politique dont il est question dans
cette circulate eut lieu le 6 mars. Inutile de dire que
Rebold la bl&me comme contraire aux Constitutions
magonniques. Cela devait etre, l’auteur ayant ecrit son
Hiitoire des Trots Grandes-Locjes en 1864, c’est-Adire
sous le gouvernement qui remplaga les vainqueurs
de 1848.
Une deputation du Grand-Orient se rendit done auprSs
du Gouvernement Provisoire, et deposa entre les mains
des F.\ F. - . Cremieux et Gamier Pages un acte d’adhe-
sion ii la Republique au nom de tous les Masons de
France. Le F.\ Pagnerre, libraire-editeur et secretaire
general, etait present a cette reception. Deputes et mem-
bi-es du pouvoir executif portaient leurs insignes magon-
niques.
450
P13RIODE HISTORIQUE.
La deputation avait k sa tete le F.\ Bertrand, deuxi£me
Grand-Maitre de l’Ordre, et le chef avere de la fraction
progressiste du Grand-Orient.
Le F.*. Bertrand prit la parole en ces termes :
c A LA. GLOIRE DU GRAND-ARCHITECTE DE L’UNIVERS. »
« Le Grand-Orient de France au Gouvernement
Provisoire :
« Citoyens,
« Le Grand-Orient de France, au nom de tous les Ate-
« liers magonniques de sa correspondance, apporte son
« adhesion au Gouvernement Provisoire. Quoique placee
« par ses statuts memes en dehors des discussions et des
« luttes politiques, la Magonnerio fran<jaise n’a pu con-
* tenir l’elan universel de ses sympathies pour le grand
« mouvement national et social qui vient de s’operer .
* Les Francs-Macons ont porlu de tout temps sur lour
* banniere ces mots : Liberie, Egalile, Fraternile: en les
» rctrouvant sur le drapeau de la Franco, ils saluent le
a triomphe de leurs principes et s’applaudissent do pou-
« voir dire que la patrie tout enticre a re?u par vous la
« consecration maconnique. Ils admirent le courage avec
* lequel vous avez accepte la grande ct difficile mission
« de fonder sur des bases solides la liberte et le bonheur
« du peuple ; ils apprecient le devouement avec lequel
« vous savez l’accomplir, en maintenant l’ordre qui en
* est la condition et la garantie. Quarante mille Francs-
* Macons, repartis dans pres de cinq cents Ateliers, ne
« formant entre eux qu’un meme cceur et un meme
« esprit, vous promettent ici leur concours pour achever
x heureusementl’ceuvre de regeneration si glorieusement
« commenceo.
x Que le Grand-Arcliitecte de l’univers vous soit en
x aido ! »
CH. XXI. — TV. M.‘. ET REVOLUTION DE 1848. 457
Je repi'oduis la reponse du F.\ Cremieux. Mes lecteurs
y trouveronfc des aveux qu’il est bon de recueillir :
« Citoyens et Fibres du Grand-Orient, le Gouverne-
c ment Provisoire accueille avec empressement et plaisir
« votre utile et complete adhesion. Le Grand-Architecte
f de l’univers a donne le soleil au monde pour 1’eclairer,
« la liberty pour le soutenir. Le Grand-Architecte de
« l’univers veut que tous les homines soient libres ; il
« nous a donne la terre en partage pour la fertiliser, et
« e’est la liberte qui fertilise (vive approbation, applau-
* dissements).
« La Magonnerie n’a pas, il est vrai, pour objet la poli-
« tique; metis la haute politique, la politique cThumanite,
« A TOUJOURS TROUVfi ACCES AU SEIN DES LOGES MACON—
« niques (oui! oui)! La, dans tous les temps , dans toutes
« les cir Constances, sous Voppression de la pensce comme
* sous la tyrannie du pouvoir , la Maconnerie a repiti
« sans cesse ces mots sublimes : liberte, egalite, frater-
* KITE.
« La Republique est dans la Maconnerie, et c’est pour
t cela que dans tous les temps, heureux ou malheureux,
« la Maconnerie a trouve des adherents sur toute la sur-
« face du globe. Il n’est pas un Atelier qui ne puisse se
« rendre cet utile temoignage qu’il a constamment aime
« la liberte, qu’il a constamment pratique la fraternite.
« Oui, sur toute la surface qu’eclaire le soleil, la Franc-
« Maconnerie tend une main fraternelle a la Franc-Ma-
« connerie, c’est un signal connu de tous les peuples
« (applaudissements).
« Eh bien, la Republique fera ce que fait la Macon-
* nerie : elle deviendra le gage gclatant de l’union des
* peuples sur tous les points du globe, sur tous les cotes
« de notre triangle, et le Grand-Architecte de l’univers,
« du haut du ciel, sourira k cette noble pensee de la R6-
« publique qui, se repandant de toutes parts, rSunira
458 PERIOD® HISTORIQUE.
< dans un meime sentiment tous les citoyens de la
« terre.
* Citoyens et Freres de la Franc-Maconnerie, vive la
« Republique I »
On applaudit avec enthousiasme, et la deputation se
retire aux cx-is de Vive la Republique ! vive le Gouverne-
ment Px-ovisoire I
Le Grand-Orient se souvint alors des Ateliers qu’il
avait frappes de censures, pai’ce qu’ils s’etaient reunis en
congressans son asscntimcnt, etproclama enleur faveur
une amnistie generate.
II devait en etre ainsi, car les excomnxuni£s de Tou-
louse, de Strasbourg et d’ailleurs avaient largement con-
tribue a nous don nor cette forme de gouvernement que
les Magons regardaient cornme un facsimile parfaitement
reussi de leur societe.
Tout, en apparence, semblait devoir soui*ire au Grand-
Orient ; mais il n’en etait rien ; car un nouveau schisme
allait diviser l’Ordre.
Quclques personnes s’imaginent, sur la foi des adeptes,
que la Magonnerie est une republique dans le sensle plus
eleve du mot, et que la fameuse devise : Liberie , Egalite,
Fvaiernite y regoit chaque jour une touchante application.
C’est la une erreur que je crois utile de signaler.
Le F.‘ . Rebold repi'oche avec raison au pouvoir
supreme de l’Ordre ses tendances quelque peu despo-
tiques :
c Avant 1848, dit-il, le Grand-Orient gouvernait ses
« Loges d’apres une Constitution qui, bien que basee sur
< un systeme representatif, n’en etait pas moins Ires aris-
t tocraliqae. Le SuprSme-Conseil, sous ce rapport plus
* eloigne encore des principes egalitaires de la veritable
« Franc-Maconnerie, etait et est encore la personnifica-
t tion du pouvoir oligarchique. Ses dignitaires, nommes
OH. XXI. — F.\ M.\ ET REVOLUTION DE 1848. 459
« & vie, sont irrevocables ; ii dirige et administre selon
« sa volonte (1). »
Les Magons de coeur, fait observer le meme ecrivain,
avaient tente, sans resultat, de reunir Ie Grand-Orient et le
Supreme- Conseil. Leurs efforts s’etaient brisks conlre
P intolerance des deux rivaux.
Le Grand- Orient se fit surtout remarquer par son
exclusivisme.
Lorsque survint la Revolution de fevrier, des Magons,
en assez grand nombre, voulurent mettre fin ii, cet etat de
choses, et ne trouverent rien de mieux que de fonder une
Grande-Loge nationale de France.
« Leur objet principal, dit encore Rebold, fut d’abord
« cl’abolir les vieux abus qui etairnt devenus des usages
« consacres, les dignites a vie, les hauts grades, en un
« mot de ramener la Franc-Magonnerie, cette noble et
« grande institution, ii ses vrais et sublimes principes, a
« sa simplicity primitive. Mus par une conviction pro
« fonde et forts de l’assentiment d’un grand nombre de
« Freres, ils provoquerent une reunion ou l’on nomma
* une commission provisoire chargee des travaux prepa-
« ratoires pour la convocation d’un congres magonnique,
« auquel devait 6tre soumis le projet de fonder une
« Grande-Loge nationale de France (2). »
Cette commission etait ainsi formee :
Barbier, avocat , president; Vanderheym; general
Jorry; duPlanty, maire de Saint-Ouen, docteur en mede-
cine; L.-Th. Juge, juge de paix; Minoret, avocat; Le-
frangois, avocat; Desrivieres, docteur-medecin ; Dutil-
leul, secretaire.
Le premier acte des schismatlques fut de se rendre a
(1) Rebold, Histoire des Trois Grandes-Loges.
(2) Id., ibid.
460
PERIODS HISXOiUQUE.
l’Hotel-de-Ville et d’adherer solennellement au gouver-
nement republicain.
C’etait le 10 mars.
Arrives dans l’une des salles de l’edifice municipal,
sept d’entre les Freres se revetirent du tablier macon-
nique. Puis, le president. Jules Barbier, prononca l’allo-
cution suivante :
< Citoyens membres du Gouvernement Provisoire,
* Une reunion de Francs-Ma<;ons, qui appartiennent
* indistinctoment a tons les rites, vient se presenter
« devant vous avcc lc tablier pour insigne, c’est-a-dire
* avec le symbole de 1 cgalite ct du travail.
« Nous sornmes tons, oncfi'et.dos ouvriers travaillant
* avec une ardour egnle a la construction d’un edifice
« social ou cliacun ait sa place et la part de bonheur qui
« lui est duo.
« Habitues a voir des Freres dans tons les homines,
* penetres de la sublimite de cette parole divine : Aimez-
« vous les uns les autres ! nous saluons des acclama-
< tions les plus vives le gouvernement republicain ,
« qui a inscrit sur la banniere de France cette triple
« devise qui fut tov jours celle de la Maconnerie : Liberty,
« FgALITE, FrATERNITIS.
« Oui, citoyens, notre modeste banniere est celle de
* l’union, de la sympatliie entre tons les Franqais comme
« entre tous les peoples. C’ost a ce titro que nous venons
* l’offrir au Gouvernement Provisoire. »
Lamartine repondit. Son discours fut ce qu’il devait
etre. Je n’en citerai que quelques fragments.
« Je n’ai pas l’lionneur, dit-il, de savoir la langue que
* vous parlez ; je ne suis pas Franc-Macon , je n’ai
c jamais eu dans ma vie l’occasion d’etre affilie a aucune
* Loge. Je vous parlerai done pour ainsi dire une langue
CH. XXI. — F.\ M.*. ET REVOLUTION DE 1848. 461
« £trangere en vous remerciant. Cependant j’en sais
* assez de l’histoire de la Franc-Maconnerie pour etre
« convaincu que c’est du fond de vos Loges que sont
« imams, d'abord dans V ombre, puis dans le demi-jour
« el enfin en pleine lumiere , les sentiments qui ont fini
« par faire la sublime explosion dont nous avons ete
« lemoins en 1790, et dont le peuple de Paris vient de
« donner ilya peu de jours la seconde, et,j'espere, la
« dernib'e representation (1). »
On voit que Lamartine n’hesitait pas & rendre la
Magonnerie responsable des faits et gestes de la Revo-
lution.
Le 19 mai suivant, la Gr.-Loge nationale de France
proceda a la nomination de sos principaux officiers.
Voici quel fut le resultat du scrutin :
Le F.\ marquis Du Planty, venerable; le F.\ Jules
Barbier, premier surveillant ; le F.\ general Jorry,
deuxieme surveillant ; le F. # . Rebold, grand expert; le
F.\ Desrivieres, orateur; le F.\ Humbert, secretaire
general; leF. - . Vanderheym, administrateur-tresorier.
La Gr.-Loge nationale lie negligea rien pour atteindre
le but qu’elle sc proposait. Ceux qui la dirigeaient etaient
des hommes intelligents' et d’une parfaite lionorabilite.
Le F.*. Du Planty, en particulier, jouissait d’une estime
universelle (2). Les dissidents n’avaient qu’un tort, celui
de vouloir faire predominer exclusivement dans la
MaQonnerie les idees de mutuality et de bienfaisance
qu’expriinait leur fameuse devise.
Les vrais Macons ne les comprirent pas. Ils recurent
bien un certain nombre d’adhesions ; mais ces adhesions
(1) Rebold, Ilistoire des Trots G rancles- Loges,
(2) M. du Planty, avec lequel j’ai eu jusqu’k sa mort les relations les
plus amicales, dtait d’une intelligence remarquable et d’une bienveil-
lance qui ne se deinentit jamais.
462 FEUIODE HIS’I'OPvJQUE.
etaient celles d’adeptes nai'fs aux yeux desquels la poli-
tique est un fruit defendu auquel les initids ne doiveut
point toucher.
Cette classe de Magons manque presque toujours d’ac*
tivite.
Les politiciens et les sectaires devaient l’emporter sur
les reveurs inoITensifs de la Gr.-Loge nationale. Voyant
qu’elle ne mourait pas aussi vite qu’ils l'auraient voulu,
car elle vivait encore ala fin de 1851, ils s’arrangerent
de fagon a la faire interdire par le gouvernement. Le
Grand-Orient recourait uno fois de plus an bras seculier,
dans l’intcret de ses rancunes, et sa demarche obtenait
un plein succes.
Le 10 janvier 1851, la Gr.-Loge nationale se reunis-
sait une derniere fois, et se souraettait aux injonctions
de la police, aprcs avoir proteste de son innocence par
l’organe du F.\ Du Planty.
Lo plus etonnant, en tout ceci, c’est que la plupart de
ceux qui dirigoaient la Gr.-Logo nationale sortaient de
l’Ecossisme et en possedaient les hauts grades. Ce
n’est pas cependant parmi les membres de ce rite que la
naivete fait le plus de victimes.
Les annees 1848 et 1849 se pass^rent sans aucun inci-
dent serieux; mais en 1850, le gouvernement s’apergut
que certains Ateliers s’occupaient de politique dans un
sens peu favorable au Prince president. Le Grand- Orient
fut prevenu que des mesures sevcres allaient 6tre prises
contre les ddlinquants. Afin de conjurer le coup qui me-
nagait l’Ordro, il ordonna la fermeture des Loges incri-
minees. II promit, de plus, au gouvernement, d’exercer
sur les Ateliers de son obedience, soit h Paris, scit en
province, une surveillance severe.
En 1851, les plaiates du pouvoir devinrent plus vives
et plus frequentes encore.
Ne pouvant conspirer dans les Loges, les Magons d’un
republicanisme avou6 songerent h la creation de sociStes
CH. XXI. — F.*. M.\ ET REVOLUTION DE IS48. 463
secretes, ayant pour objectif le renversement de Louis
Napoleon.
La Marianne remonte a cette epoque.
Elle avait ele pr6ced£e par la Solidarity ripublicaine
dont l’organisation est beaucoup plus connue.
La Solidarity fut etablie en novembre 1848. Son but
6tait de grouper les divers elements de l’opinion de-
mocratique. Les chefs appartenaient tous a, la Magon*
nerie; mais ni le Grand-Orient ni le Supreme-Conseil ne
s’en preoccuperent.
* Elle avait & Paris sou comite central compose de
* 70 membres, et, dans tous les departements, arrondis-
* sements et cantons . des succursales correspondant
* entre elles et avec le conseil general. Ses moyens d’ac-
« tion consistaicnt dans la tenue des reunions publiques,
« dans la creation de journaux, dans une connaissance
« approfondie de toutes les ressources politiques du
« pays. Les noms de ses fondateurs, leurs tendances et
« leurs actes passes permettaient meme de supposer que
« l’association n’etait rien autre chose qu’une phalange
« gouvernementale administrative toute prete k entrer
« en functions et a exercer une dictature aux reseaux les
* plus serres, en cas d’insurrection heureuse. A sa tete,
« en effet, figuraient Ledru-Rollin et la plupart de ses
« anciens commissaires gdneraux dans les departements :
« Martin Bernard. Joly (de Toulouse), Delescluze, De-
« sir§ Pilette, Aubert Rocha, Germain Sarrut, Buvignier,
t Baune, Gambon, Mathieu, Orevat, Lemaitre, Ribey-
« rolles (de la Refonne), etc.
« Prohibee par une circulaire de Leon Foucher, en
i date du 10 janvier 1849, la Solidarity rypublicaine avait
i succombe le 13 juin dans la rue, et le 20 octobre,
< devantla Courde Paris (1). »
(1) My stores des Societds sevrHes*
464
PERIODE HISTORIQUE.
La Marianne se composa des debris epars de la Soli-
darity. L’organisation en etait differente, mais elle ne
Iaissait pas quo d’etre redoutable. Aucun pouvoir central
ne la dirigeait. Elle se divisait en sections. Chaque sec-
tion embrassait un certain nombre de departements, et
obeissait a l’impulsion de divers comites qui correspon-
daient entre eux.
Les adeptes proprement dits n’etaient pas anssi
nombreux qu’on a pu lo supposer au moment du
coup d’Etat. Plusiours de ceux qui prirent les arxnes k
celte epoque allaient do l’avant, cntraincs par les passions
les plus conlradictoircs, et saus avoir ete inities aux
secrets des meneurs.
Dans chaque localite un peu importanto, il suffisait
de quelques agitalours intelligents et actifs pour soulever
les passions populaires contre le president.
Ceux qui n’avaient rien utaient alleclies par la perspec-
tive du pillage qu’on avait soinde fairc miroitcr a leurs
ycux.
La plupart des chefs de la Marianne ont pu se sous-
trairc a Injustice. J’en ai conuu plusieurs qui n’ont meme
pas etc soupQonnes d’en avoir fait partie.
Les reunions d'adeptes avaieut iieu la nuit, en pleiue
campagne et loin de toute habitation. Le recipiendaire
etait conduit au lieu du rendez-vous par celui qui l’avait
insinue. Avant de le mcttre en presence des Initiauts, on
lui bandaifc les yeux de peur que, malgre l’obscurite, il
ne reconndt ses interlocuteurs. On lui faisait prater ser-
ment, le poignard sur la gorge : 1° Do garder le secret le
plus inviolable sur tout ce qui avait trait a la Societe ; 2° de
combattrc jusqu’a lamort, s’il le fallait, pour empecher
le retour de la monarchic ou de l’empire; 3° d’avoir chez
lui des armes et des munitions, afin d'etre toujours pret
a ejilrer en campagne; 4° d’obeir aveuglement aux ordres
qu’il recevrait de ses chefs, par 1’intermediaire de son
introducteur. On lui notifiait ensuite, qu’en cas de tra-
CH. XXI. — F.\ M.\ ET REVOLUTION DE 1848. 465
hison, les freres n’hesiteraient pas a lui infliger la peine
de mort.
Lorsque Louis-Napoleon fit son coup d’Etat, vingt-
cinq departements a peine etaient organises, Le souleve-
ment, dans la pensee des conspirateurs, ne devait avoir
lieu qu’au printemps suivant, alors que la Societd aurait
acheve son organisation. Mis au courant de leur plan de
campagne par les policiers qui faisaient partie de la
Marianne, le Prince trouva moyen de prevenir et de
battre les bandes annees qui terroriserent pendant quel-
ques jours le midi et le centre de la France, et dont la
troisidme Republique vient de recompenser les survivants,
sous le nom tout au moins singulier de Victimes du
Deux-Decembre.
Les chefs de la Societe appartenaient presque tous a la
Magonnerie. Je puis d'autant mieux l’affirmer, que j’en
ai connu un bon nombre et des plus influents, quoique je
fusse fort jeune a cette epoque. Plusieurs vivent encore.
Mais ils sont revenus a d’autres sentiments, et souvent,
depuis, nous nous sommes entretenus,dans nos causeries
intimes, des lamentables evenements de 1851 et des
projets que nourrissaient les fondateurs de la Marianne.
11s avouent que les homines d’action qu’ils avaient
recrutds pour faire le coup de feu ne formaient pas pre-
eminent 1’ elite de la societe. Plus d’une fois ils se sont
demands comment ils auraient pu se debarasser de leurs
soldats, si la victoire avait daigne leur sourire, et je
crois pouvoir dire a mes lecteurs que la reponse a cette
question n’est pas de nature a faire regretter la defaite
des insui’ges.
La Marianne manquait d’unite, par le fait meme de
son organisation. II y avait cependant assez de cohesion
entre les diverses parties dont elle se composait, pour
que, le moment venu, son action devint redoutable. Si les
bandes parurent desagregees, au Deux-Decembre, c’est
parce que 1’un des principaux chefs consentit, moyennant
F.-. M.-.
30
466
FfiUIODE HtSTOIUQCJE.
finances, a donner aux sections placees sous son com-
mandement les ordres les plus contradictoires.
II disparut au milieu dela bagarre, emportant & l’etran-
ger le prix de sa trahison,
Les dix-neuf vingtiemes de ceux qui emargent au
budget, pour les hauts... mefaits dont ils se rendirent
coupables, a cette epoque, ne sont que des comparses peu
estimables et fort peu estimes de ceux qui furent leurs
cbefs do file (1).
Revenons maintenant a la Magonnerie proprement dite.
En 1851, le Grand-Orient, desireux de se concilier la
faveur Uu Prince-president, eut soin d’interdire toutes
les reunions magonniques.
Malgre cette mesure de prudence, certains bruits de-
favorables ne tarderent pas a se repandre contre les
adeptes.
« LeF.\ Hubert, chef du secretariat, dit Rebold, avait
« appris que le gouvernement so proposait de frapper
« l’institution (dont alors , repetons-le , on paraissait
« ignorer les veritables principes), et qu’uu decret de
« suspension etait ou allait etre signe par le chef du
* pouvoir ; il fallait done lui donner une garantie morale,
« et ce ne pouvait etre qu’en plagant a la tete de la Franc-
« Magonnerie un personnage qui eut toute la confianee
< du gouvernement ; ce fut ce m&me F.\ qui emit cette
« opinion au sein du Grand-Orient, lequel chargea le
« F.*. Perier , secretaire general , de faire aupres du
« prince Lucien Murat, qui avait ete regu Magon a
« Vienne pendant son exil, une demarche offieieuse pour
« connaitro ses intentions dans le cas ou il serait nomine
« a la dignite de Grand-Maitre de l’Ordre.
(1) Les faits que je raconte ici me sont personnellement connus. Je
pourrais citer des noms et invoquer certains temoignages. Mes iecteurs
comprendrout sans peine qu'un sentiment de haute convenance m’em-
pSche de le faire.
CH. XXI. — F.\ M.*. ET REVOLUTION DE 1848. 467
t A la suite de cette d4marche et k la tenue du Gr.-
« Orient du 9 janvier 1852, le F.\ Bugnot qui la presi-
« dait declara que le prince Lucien Murat paraissait le
* Magon le plus digne d’etre eleve k la dignite de Gr.-
« Maitre. Aucune deliberation n’eut lieu sur cette propo-
* sition, attendu, fut-il dit, qu’elle ne permettait pas le
« d4bat, qu’il ne serait ni digne, ni convenable de discu-
« ter un nom' que l’on portait k la Grande-Maitrise ; on
« ajouta meme que la moindre scission qui se ferait jour
t pourrait suffire pour empScher toute acceptation ; ces
t considerations, jointes a la position critique du Grand-
« Orient, prevalurent. Apres avoir resol u a l’unanimite
« qu’il y avait urgence a nominer un chef de l’Ordre, le
* F.‘. Bugnot mit sous le raailiet la nomination du prince
« Murat; le F.\ II. Wentz, orateur ,• ayant donue ses
« conclusions dans ce sens, le Gr.-Orient les adopta k
* l’unanimite et le president fit proclumer trois fois sur
t les colonnes, apres 1’ avoir proclame de meme a l’Orient,
« que le Senat magonnique a 1’ unanimity elevait a la
* haute dignite de Grand-Maitre le prince Lucien Murat.
* Le lendemain, une deputation composee des ofiiciers
« du Grand-Orient se rendit chez le prince pour lui faire
« part de ce vote. Le 12, il faisait connaitre son accep
c tation par la lettre suivante, adressee au F.*. Berville,
t 1" Gr .-Maitre adjoint :
« T.\ C.‘. F.-.
f J’ai fait part au President de la decision prise par le
t Gr.-Orient de France. II a accueilli cette nouvelle d’une
* maniere tres gracieuse et a temoigne beaucoup de
t bienveillance et de sympathie pour l’institution magon-
< nique. Je m’empresse done de vous informer que j’ac-
« cepte avec reconnaissance les fonctions de Gr.-Maitre
* que le Senat m’a fait l’honneur de me conferer. »
Signd, L. Morat.
468
PfiRIODE HISTORIQUE.
Le prince n’4tait qu’un simple Magon. Le Gr. -College
des rites dut conferer au nouveau Grand-Maitre les hauts
grades qu’il ne possedait pas encore. LeF.\ Janin, presi-
dent dudit college, fit un discours au recipiendaire, et la
farce fut jouee.
La Franc-Magonnerie qui, en 1848, avait renverse le
tr6ne de Louis-Philippe et fomente la Revolution dans
le reste de l'Europe, apres avoir acclame et soutenu la
dynastie de juillet, netardera pas a devenir imperialiste.
Rappelons, k ce propos, quelques dates fort instruc-
tives, qui nous aideront a comprendre les evenements
dont l’Europe fut le theatre sous le regne de Napo-
leon III.
Le 24 fevrier 1848, Paris etait en revolution.
Le 15 mars suivant, Vienne se soulevait, et M. de Met-
ternich, le protecteur de Louis-Philippe, etait oblige de
quitter le pouvoir.
Le 18, on construisait des barricades a Berlin et le
sang coulait a Hots.
Le meme jour, Milan etait exposee a une agitation des
plus inquietantes.
Le surlendemain la revolution eclatait a Parme, et, le
10 avril, Charles II prenait l’exil.
Le 22 mars, la republique etait proclamee a Venise.
Ces divers evenements etaient l’ceuvre d’un seul et
meme agent, la Franc-Ma?onnerie. La simultaneite du
mouvement, l’identite du but poursuivi par les insurges
et l’universalite de faction seront considerees par tousles
homines reflechis, comme une preuve irrecusable de la
culnabilite de l’Ordre magonnique.
CHAPITRE XXir
La F.*. M.\ sous Napoleon III et la R. F.
Sommaire. — Flatteries d^goiltantes que la Franc-Maconnerie adresse
k Louis-Napoleon. — Agitation des Loges eten particulier du Grand-
Orient pendant la Maitrise du prince Murat. — Jerome-NapoUon est
nomine Grand-Maitre et donne sa demission. — Murat fait mine de
vouloir se maintenir k la Grande-Maitrise, malgre ropposition des
Fr£res et contrairement aux Constitutions maconniques. — L’Em-
pereur intervient et nomme le mardchal Magnan Grand-Maitre. —
Ce dernier a la pretention de soumettre le rite ecossais k sa juridic-
tion. — Le Supr&me-Conseil resiste. — Reponse categorique de
M. Mignet au Mar£chal. — Les choses en restent ll». — L ’expedition
de Rome et le Carbonarisme. — Louis-Napoleon laisse percer ses
opinions d'ancien Carbonaro dans sa lettre k Edgard Ney. — Attitude
des gdneraux Oudinot et Rostolan. — Magnan et de Lesseps. — Le
Congrds de Paris et le Carbonarisme. — Napoleon se fait 1‘executeur
testamentaire d’Orsini. — Curieuse revelation du Journal de Flo-
rence . — Campagne d'ltalie. — L’ unite de ritalie se fait, grace au
concours que EEmpereur prete aux societes secretes. — Politique
interieure de Napoleon. — L’enseignement gratnit, Jaique et obli—
gatoire. — Le prince Jerome-Napoieon, Rouland, Duruy, le F.\ Mace
et la Ligue de l’enseignement. — Ferry, Paul Bert et C 5e , continua-
teurs des laTcisateurs de TEmpire, executent les ddcrets du Grand-
Orient de Belgique. — L’Internationale. — Les Niliilistes. — Les
Anarchistes. — Union de ces diverses societes entre elles. — Leur
lien de parents avec ia Magonnerie. — Les Fenians. — Conclusion.
Le 20 decembre 1851, Louis-Napoleon etait nomme
president de la Republique pour une periode de dix ans.
Ouvrages consultes. — En dehors des auteurs maqonniques cites
dans le cours de ce chapitre, j'ai dO compulser les journauxde l’epoque,
et, en particulier, les feuilles socialistes qui ont paru depuis quinze ans.
Les volumes que Ton a publies pour, sur et contra l’lnternationale ; les
comptes rendus des proces intends aux membres de cette societe,
m’ont ete egalement fort utiles. Enfin, j*ai cru devoir me procurer et
passer en revue ce que Ton a ecrit h propos de la Commune, sans
negliger le Journal officiel de I’insurrection, et le rapport de la com-
mission d’enqu^te sur les tristes Sv^nements dont Paris fut alors le
theatre.
470
PfiRlOPE HISTORJQUE.
Les manifestants qui, eu 1848, protestaient devant les
membres du Gouvernemcnt Provisoire des sentiments
democratiques de la Maconnerie, songerent a se donner
pour Grand-Maitre un familier de l’aspirant a. la cou-
ronne imperiale.
Ce fat le premier coup d’encensoir de cos thuriferaires
patentes, en rhonneur de celui qui venait d'etrangler a
moitie leur idole de la vellle.
Mes Iecteurs ne seront pas fuches de connaitre le
second.
Le 15 octobre de la merne annee, le Conseil du Grand-
Maitre se reunit et decida qu’une adresse serait envoyee
au Prince-president. Voici la reproduction text, nolle de ce
document, qui peut etre considero comme le nec plus
ultra de la flatterie.
Les emascules que le despot isme oriental prepose a la
garde des harems rougiraiont du style rampant et des
formules court isaucsques de ces fiers emancipateurs des
peoples opp rimes.
Quatre ans ne se sont pas encore ecoules depuis la
proclamation de la liepublique, et les dumocrates du
Grand-Orient ne songent plus a commenter avec leur
impudence ordinaire la fameuse devise de l’Ordre :
Liberty, Egalite, Fraternite ! Revetus de leurs insignes
qui redeviennent, pour la circonstance, une livree de ser-
vice, ils eprouvent le besoiu de so prosterner devant le
soleil levant.
Voici cette piece curieuse :
< Prince-President,
« La Magonnerie est une oeuvre toutephilanthropique;
« elle a pour mission de creer et de propager toute iusti-
« tution qui tend it faive le bien; elle enseigne les vertus
« paisibles de la famille, I’amour de la foi en Dieu;
« elle interdit a ses adeptes toutes discussions poliliques.
« Mais cette proscription qui estrigoureusement observee
CH. XXII. — - LA F.\ M.’. SOUS NAPOLEON III ET LA R. F. 471
« par nous peut-elle fermer nos coeurs a la reconnais-
i sance, ce sentiment si naturel et si genereux f
i Jamais, Prince, nous n’avons oublie tout ce que nous
« devons a l’Empereur votre oncle, qui nous accorda
« toujours sa puissante protection et voulut bien nous
t admettre k lui presenter nos hommages.
« Lors des jours nefastes de 1814 et de 1815, on ne
* nous vit point mani fester cF adhesion ail nouveau pou-
« voir. Tant que vecut le roi Joseph, notre Grand-Maitre
« d’heureuse memoire, nous lui conservames notre foi.
« Apres sa mort, nous avons attendu.
« A peine, par votre energie et votre heroique courage,
« Prince, aviez-vous sauve la France, que nous nous
o empressions d’acclamer Gr.-Maitre de l’Ordre Fillustre
« prince Lucien Murat, si digne de suivre vos destinees.
« La vraie lumiere ma?onnique vous anime, Gr. Prince.
« Qui pourra jamais oublier les sublimes paroles que
« vous avez prononcees a Bordeaux ? Pour nous, elles
« nous inspireront toujours, et nous serons tiers d’etre,
« sous un pareil chef, les soldats de l’humanite !
« La France vous doit son salut; ne vous arretez pas
t au milieu dune si belle carriere; assurez le bonheur de
« tous en placant la couronne imperiale sur voire noble
« front ; acceptez nos hommages, et permettez-nous de
« vous faire entendre le cri de nos gceurs :
* VIVE L’EMPEREUR 1 »
Jamais personne ne flatta avec plus de platitude que le
Grand-Orient; jamais personne ne mentit avec autant
d’impudence.
Se figure-t-on ces athees cyniques parlant avec la
componction de Tartuffe des vertus de la famille et de la
foi en Dieu ! N’est-ce pas stupefiant de les entendre affir-
mer que jamais les Franc-Magons ne s’occupent de poli-
472
PERIODE HfSTORIQUE.
tique I et qu’en 1814 et 1815, ils ne firent aucun acts
d’ahdesion au nouveau pouvoir, alors que les documents
ofliciels leur donnent un sanglant dementi I
Rebold scandalise ne peut s’emp&cher de dire avec un
sentiment de tristesse que tout le monde comprendra :
« Nous nous abstenons de qualifier ce langage. »
La Maitrise du prince Murat fut quelque peu agitee.
Quoique habitues a se courber sous le joug despotique du
Grand-Oi’ient, les Macons finirent par trouver que leur
Grand-Maitrc mcconnaissait par trop la limite qu’un
pouvoir.. quel qu'il soit, est tenu de respecter. Les rela-
tions furent d’abord tendues, puis elles finirent par
devenir intolerables.
Aussi, lorsqu’en 1861 on dut songer a reelire ou a rem-
placer le Grand-Maitre, une fraction importante de la
Maoonnerio ecrivit au prince Napoleon pour lui declarer
que son intention etait de lui eonlier la direction de
l’Ordre. Le candidat improvise refusa tout d’abord, puis
Unit par accepter. Mais comme la lutte devenait de plus
en plus vive entro les deux partis, le Prince crut devoir
se rotirer. Lucien Murat, au contraire, voulait se main-
tenir au pouvoir envers et contre tous.
Les membres de son Conseil, qu’il avait depossedes de
leurs pouvoirs au profit d’unc commission, protesterent
energiquement contre son despotisme.
Cette comedic se termina par un decret de l’Empereur
nommant a la Maitrise le mareehal Magnan.
Sur ces entrefaites, parut une circulaire du ministre
de l’interieur relative a la Magonnerie et aux Conferences
de Saint- Vincent de Paul. Cette piece, tout empreinte
de bienveillancepour les Loges, ce qui n’etonna personne,
M. de Persigny etant Franc-Magon, avait pour but de
decapiter la Societe de Saint-Vincent de Paul, et de re-
commander la secte magonniquo a la bienveillanco des
prefets. Les employes du gouvernement qui faisaient
partie des conferences furent invites d’une maniere offi-
CH. XXII. — LA F.\ M.\ SOUS NAPOLEON III ET LA R. P. 473
cieuse a se separer d’une oeuvre qui n’avait d’autre objet
que la charite, s’ils ne voulaient pas se compromettre.
II fut, d&s lors, facile de voir que l’Empire modiflait
sensiblement sa ligne de conduite. Les catholiques et le
clerge lui etaient suspects, et il les traitait en conse-
quence, tandis que les ennemis de l’Eglise recevaient &
chaque instant des temoignages non equivoques de sa
sympathie.
Les eveques protesterent avec indignation contre une
assimilation qui leur sembla sacrilege. Celui de Nimes,
Mgr Plantier, se fit remarquer entre tous par la vivacite
de sa polemique.
Arrive au pouvoir par un decret de l’Empereur, le
marechal Magnan s’intitula sans plus de fagon : Grand-
Maitre de V Or dr e maconnique, et signifia aux rites dissi-
dents d’avoir a reconnaitre son autorite. Le Supreme-
Conseil ne 1‘entendit pas ainsi, et, le 25 mai 18G2, le
F.\ Mignet repondit au marechal sur un ton qui ne
souffrait pas de replique :
Yous me sommez pour la troisieme fois, lui disait-il,
« de reconnaitre votre autorite magonnique, et cette der-
« niere sommation est accompagnee d’un decret qui pre-
« tend dissoudre le Supreme-Conseil du rite ecossais
« ancien et accepte. Je vous declare que je ne me rendrai
« pas a votre appel, et que je regarde votre arrete comme
€ non avenu.
« Le decret imperial qui vous a norame Grand-Maitre
« du Grand-Orient de France, c’est-a-dire d’un rite ma-
« connique qui existe seulement depuis 1772, ne vous a
« point soumis l’ancienne Magonnerie, qui date de 1723.
* Yous n’etes pas en un mot, comme vous le pretendez,
* le Grand-Maitre de l’Ordre magonnique en France, et
* vous n’avez aucun pouvoir a exercer a regard du
« SuprSme-Conseil que j’ai l'honneur de presider : l’in-
« dependance des Loges de mon obedience a 4te ouverte-
474
P^IRIODE HISTORIQUE.
« ment toler^e. meme depuis le decret dont yous vous
* etayez sans en avoir le droit.
* L’Empereur seul a le pouvoir de disposer de nous.
« Si Sa Majeste croit devoir nous dissoudre, je me sou-
« mettrai sans protestation ; mais, comme aucune loi ne
* nous oblige d’etre Macons malgre nous, je me permettrai
« de me soustraire, pour mon compte,a votre domination.*
L’Empereur pria le marechal de ne pas insister et les
choses en resterent la.
Laissons de cote les affaires interieures du Grand-
Orient. et arrivons-en a une question dont l’importance
n’echappera a personae. Mes lecteurs savent quel etait le
but du Carbonarisme italicn. Plusieurs fois deja. a
l’epoqueou Louis-Napoldon arriva a la presidencc, les
sectaires avaient tente d’unifier l’ltalie. On sait que le
Prince president, tout jeuno encore, s’etait compromis
dans une echauffouree des Carbonari en 1801.
Devcnu chef du pouvoir cxecutif de la Ilcpublique
francaise. apres maiutes avcnturcs , Napoleon avait
conserve les idees de sa jeunesse, qui etaient celles du
Carbonarisme.
Lorsqu’en 1848 la Revolution chassa Pie IX de ses
Etats, M. Ferdinand de Lesseps, un Macon de la plus
belle eau, fut envoye a Rome pour traiter au nom de la
France avec le triumvir at qui exen;ait le pouvoir sur les
bords du Tibre. On a toujours ignore quelles etaient les
instructions secretes qu’il avait rccues. On peut seule-
ment affirmer que les interets du Saint-Siege furent
sacrilies a la Revolution par ce singulier diplomate.
Louis -Napoleon voulut tout d’abord s’ingerer dans les
affaires de Rome, de concert avec le Piemont. Si la com-
binaison avait reussi, la maison de Savoie se serait ins-
talleo au Quirinal des 1849. Heureusement , MM. de
Falloux et Buffet determinerent le gouvernement francais
& faire seul l’expedition romaine.
OH. XXII. — LA F.\ M.*. SOUS NAPOLEOX .'II ET LA B. V. 475
Le general Oudinot en fut charge H la conduisit avec
une rare intelligence. Son collogue r le Franc-Macon
Magnan, recjut a sa place le baton de' marechal, sous le
singulier pretexte qu’il avait ete nomm6 in petto com-
mandant en chef de Farmee expeditionnaire, et que s’il
n’avait pas pris la direction des troupes, c’etait parce que
sa nomination avait tin caractere conditionnel.
On s’est demande ce que signifiait ce pathos de M. Odi-
lon Barrot. Je crois etre dans le vrai en disant que si la
combinaison Franco-Piemontaise avait r6ussi, on aurait
prie le general Magrtan d’operer, de concert avec notre
allie de circonstarre. l escamotage des Etats pontificaux,
au profit deia maison de Savoie. L’unite de l’ltalie ne
pouvaifc pas etre l’oeuvre d’un homme de guerre tel
qu’Oudinot, dont la conscience ct la loyaute se fussent
revoltees en presence d’nn pareil acte de banditisme
cosmopolite.
La lettre que le Prince ecrivit a Edgard Ney, le
18 aout 1849, prouve de la maniere la plus evidente que
le President n’avait pas rompu avec le Carbonarisme.
« La Republique franchise, disait-il, n’a pas envoys
a une armee a Rome pour y etouffer la liberte italienne,,
« mais au contraire pour la regler en la preservant contre
t ses propres exces, et pour lui donner une base solide en
« remettant sur le trone pontifical le prince qui le premier
« s’etait place hardiment a la tete de toutes les reformesi
« utiles....
c Je resume ainsi le retablissement du pouvoir tern—
« porel du Pape : Amnistie generate, secularisation de
« l’ administration, code Napoleon et gouvemement li-
« beral. »
Le general Rostolan, nomme gouverneur de Rome*
s’opposa energiquement 4 la publication de cette lettre;
dans les journaux. Aussi peut-on affirmer que si l’expe-
476
PERIODE HISTORIQUE.
dition de 1849 eat les resultats que nous savons, ce ne
fut pas la faute du President.
Louis-Napoleon arriva au pouvoir non seulement a
cause de la popularity de son nom par mi les habitants
des campagnes, mais encore grace au patronage tout-
puissant de la Maconnerie.
On a dit, peut-etre avec raison, que la campagne de
Crimee se rattache aux projets des societes secretes sur
l’ltalie. Ce qui semble le prouver, c’est qu’au Congrfcs de
Paris ou fut redige le traite de paix avec la Russie, les
parties contractantcs trouverent le moyen de faire inter-
venir la question romaine, a la sollicitation de M. de
Cavour et avec l’assontiment de l’Empereur.
Le 8 avril 1856, le comte Walewski souleva cette mal-
heureuse question, au nom du gouvernement frangais, et
cela malgre les observations des ambassadeurs de Prusse
et d’Autriche.
A partir do ce moment, tous les homines politiques
doues dc quelque clairvoyance comprirent quelles seraient
les suites de cette immixtion inqualifiable du Cougres
dans des affaires qui ne le regardaient en aucuno fa?on.
Aussi, le 11 avril 1856, M. de Bunsen, ministre de Prusse
a Londres, ecrivait a M. Cobden :
* Que Dieu soit beni du retour de la paix ! Mais par-
« tout on ne la regarde que comme la iin de la premiere
t guerre punique, c’est-a-dire cosaque. Le the&tre de la
« seconde sera Vltalie. Je suis sur que Napoleon s’y est
c DECIDE DEJA. »
Oui, Napoleon etait decide a chasser les Autrichiens du
nord de l’ltalie et a faire disparaitre les petits Etats du
centre et du midi au profit du Piemont. Mais il hesitait,
et sa conduite equivoque soulevait contre lui la haine de
ses anciens amis. On n’a pas oublie les attentats auxquels
il fut en butte, pendant les premieres annees de son
CH. XXII. — LA F.\ M.\ SOUS NAPOLEON III ET LA R. F. 477
regne. Celui d’Orsini est demeure celebre, k cause des
drconstances mysterieuses qui l’accompagnerent.
Ce fut le 14 janvier 1858 qu’eclaterent les bombes du
conspirateur italien.
M. Keller a dit avec raison, dans son discours du
18 mars 1861, que la guerre d’ltalie etait l’execution du
testament d’Orsini.
Yoici ce que le Journal cle Florence a publie en 1874, a
propos de cet cvenement. Les details qu’on va lire con-
firment l’assertion du courageux depute de Belfort.
« Le soir de l’attentat, dit la feuille en question, l’Em-
« pereur montra, en presence du peril, un sang-froid
« admirable. Comme lors de la conspiration de l’Hippo-
« drome et de rOpera-Comique en 1852, de Pianori
« en 1855, il meprisa d’abord l’implacable persecution de
« la secte italienne dont il etait membre, mais qu’il avait
i resolu de renier, pour se vouer a la prosperity de la
« France et a l’etablissement solide de sa dynastie. »
Le Journal de Florence se trompe, quand il suppose
que Napoleon III avait completement abjure les doctrines
du Carbonarisme. Salettro a Edgard Ney, lors de l’expe-
dition de Rome, et son attitude au Congres de Paris sont
une preuve du contraire. Seulement, il n’allait point
assez vite au gr6 de ses anciens amis, qui etaient, en
outre, irrites de la bienveillance qu’il manifesta pour
l’Eglise au debut de son regne. Il fit preuve de courage
le 14 janvier, cela n’est point douteux. Ses adversaires
les plus acharnes n’ont jamais songe, que je sache, a
mettre en question son impassibility bien connue en face
du danger.
« Mais bientot vint la reflexion, continue la feuille flo-
« rentine, et, avec la reflexion, cette frayeur rdtrospec-
* tive qui s’empare des ames les mieux trempees et fait
478 PERIODE HISTORIQUE.
« Ieur supplice. Le prince imperial n’dtait qu’un petit
( enfant. Que deviendrait l’Emj ire et que deviendrait
* le prince heritier, si la Secte, qui avait jure la mort
* de Napoleon, parvenait 11 realiser son execrable des-
« sein ?
« JL'Empereur, en proie a des perplexites terribles, se
* souvint d’ua conseii que lui avait donne sa mere, la
« reinc Hortense.
« Si vous vous trouvez jamais dans un grand peril, si
« vous avez jamais besoin d’un conseii extreme, adres-
« sez-vous cn toute confiance al’avocatX... II vous tii % era
« du danger et vous conduira suroment.
i Cet avocat, que je ne veux point nommer ici, etait
i uu exile romain que Napoleon lui-meme avait connu
« dans les Romagnes pendant le mouvement insurrec-
« tionnel de l'ltalie contre le Saint-Siege. II vivait pres
* de Paris dans un etat qui n'etait ni la fortune, ni la
« mediocrite , cet etat de my-sterieuse aisanco que la
« Maronnerie a-jsare a ses capitaines.
« Napoleon charged M... d’aller le trouver et de l’invi-
« ter a vcnir aux Tuileries.
« II y consentit, et rendez-vous fut pris pour le lende-
« main matin.
« Quand il entradans le cabinet del’Empereur, celui-ci
t se leva, lui prit les mains et s’ecria :
t — On veut done me tuer ? Qu’ai-je fait ?
« — Vous avez oublie que vous etes Italien et que des
t serments vous iient au service de la grandeur et de
« l’independance de notre pays.
t Napoleon objecia que son amour do l’ltalie dtait
« reste inaltcrablement dans son cceur, mais que, Em-
« pereur des Fraiu;ais, il se devait aussi et avant tout
« k la grandeur de la France. Et bavocat repondit que
« 1’on n’empdehait nullement l’Empereur de s’occuper
« des affaires de la France, mais qu’il pouvait et devait
« travailler aux affaires de l’ltalie et unir la cause des
CH. XXII. — LA F.\ H.\ SOUS NAPOLEON III ET LA R. F. 47&
€ deux pays, en leur donnant une egale liberte et un
« m£me avenir. Faute de quoi, on etait parfaitement
« decide a employer tous les moyens pour supprimer
« tous les obstacles pour delivrer la Peninsule du joug
« de l’Autriche et pour fonder l’unit4 italienne.
t — Que faut-il que je fasse ? Que veut-on de moi ?
* demandait Napoleon.
« L’avocat promit de consulter ses amis, et de donner
« danspeu de jours une decision,
« Cette decision ne se fit pas longtemps attendre.
« La Secte demandait a Napoleon trois choses :
* 1° La grace de Pierre Orsini ;
« 2° La proclamation de l’iudependance de 1’Italie ;
« 3° La participation de la France h une guerre de
« l’ltalie contre l’Autriche.
« On donnait a Napoleon un delai de quinze mois pour
* preparer lei evenements, et il pouvait, durant cos
« quinze mois, jouir d’une securite absolue. Les attentats
« ne se renouvelleraient pas, et les patriotes italiens
« attendraient l’effet des promesses imperiales.
« Ici, poursuit le journal de Floi'ence, le Mdmoire accu-
i mule les documents connus qui marquerent le revire-
€ ment si brusque de la politique imperiale et relierent
« cette politique a la lettre a Edgard Ney.
* Le fait est que l’Empereur multiplia ses efforts pour
« realiser la premiere demande de la Secte. II fit implorer
* la grace d’Orsini par l’imperatrice, consulter ses mi-
« nistres, le corps diplomatique etranger, et ne trouva
« de resistance que dans un seul personnage, mais ce
* personnage, le plus porte a la clemence par etat, ne
n crut pas que l’Empereur f£lt maitre d’enchalner le bras
« de la patrie.
» Le cardinal Morlot lui dit :
« Sire, Votre Majeste peut beaucoup en France, sans
* doute, mais elle ne peut pas cela. Par une mis§ricorde
» admirable de la Providence, votre vie a ete epargnee
480
PER10DE HISTORIQUE.
« dans cet affreux attentat ; mais autour de vous le sang
« frangais a coule et ce sang veut une expiation. Sans
* cela toute idee de patrie serait perdue, et justitia re-
« gnorum fundamentutn.
t Napoleon avait compris. II ne lui restait qu’une chose
« a faire; et il la fit. II alia trouver Orsini.
« Quel fut l’entretien des deux adeptes de la Vente de
« Cesene? On ne le saura peut-etre jamais. Ce que l’on
« sait pourtant, c’est que dans cet entretien Napoleon
« confirma les engagements pris en Italie dans sa jeunesse,
« reuouveles a 1’avocat X..., et qu’il jura, dans les bras
« do eelui qu’il no pouvait sauver, de se faire son execu-
« teur testamentaire.
« L’expression n’est que juste. Napoleon a ete l’execu-
« teur testamentaire d’Orsini. II fut convenu que celui-ci
* ecrirait une lettrc que l'Empereur rendrait publique,
« et dans laquelle le programme de l’unite italienne serait
« expose.
« On vit alors un des plus grands seandales de notre
« temps : la lecture devant lies juges de eette lettre-tes-
» tarnent et sa publication dans le Moniteur.
* Le Memoire donne la lettre ou ne figure pas le pas-
< sage relatif au Pape, passage qui a ete pourtant connu
« depuis 1870.
« Martyr de l’idee italienne, Orsini monta sur l’^cha-
« faud, avec la certitude que l’ltalie serait une, que le
« Pape serait decouronne, et il cria en presence de la
* inort :
« Vive l’Itaue ! Vive la France ! »
Ces evSnements avaient lieu en France au commen-
cement de 1858. Au printemps de 1859, l’armee frangaise
entrait en Italie et remportait sur les Autrichiens une
s